On se retrouve l’autre jour à une quarantaine dans une grande maison d’Ardèche, afin de parler en totale mixité de l’état du monde et d’échanger des idées de remèdes (ou de soins palliatifs). Des jeunes lycéens, des vieux profs, deux Belges, deux Noires, un Suisse, des hommes, des femmes, un chien, etc. Ça n’aurait pas plu à la police sanitaire, ni aux sections intersectionnelles ; il n’y avait ni gestes barrières, ni espaces séparés pour les minorités. On n’y a même pas fait attention. On était trop soulagés de parler, manger et faire de la musique ensemble, à l’abri des commissaires aux bonnes mœurs sanitaires et sociales. Ce n’est qu’en y songeant après coup, que l’on se rend compte des risques encourus et de la portée transgressive de cette réunion.

Enfin, c’est l’une de ces innombrables rencontres estivales, comme il s’en tient depuis un demi-siècle, entre Amish, rabat-joie, obscurantistes, réactionnaires, Cassandre, prophètes de malheurs et autres oiseaux de mauvais augure. – Vous savez, tous ces boomers qui à la suite de Pierre Fournier (voir ici) ont commencé à marcher dans le désert en 1971, de Fessenheim au Bugey, du Bugey à Malville, et à crier que les temps étaient proches, que l’eau commençait à monter, qu’il fallait être plus clairvoyants, que… etc. Voyez La Gueule ouverte, « le journal qui annonce la fin du monde ». Il nous manquait bien sûr une péronnelle à tresses, apparue sur nos écrans, pour marcher en tête, conférer avec les présidents pleins de déférence, tancer les assemblées charmées et nous intimer l’ordre d’« écouter les scientifiques », au ravissement de ces derniers qui auraient pu craindre les accusations de l’humanité pour toutes « les retombées » de leurs recherches (1). On voit qu’avec de pareils enfants, la Terre et les « générations futures » s’entendront en effet comme flammes et foin.

On en parle avec un copain dont les enfants ont l’âge de ladite péronnelle. Et qu’en pensent-ils, eux ? Et qu’en pensais-tu, toi, à leur âge, voici 50 ans. – « Oh, bah moi… » Vous savez ce que c’est, un mot entraîne l’autre et en moins de deux le copain commence à raconter qu’il était à Wight en août 70. A Wight ? Le mythique festival de Wight ? Le Woodstock européen, un an après Woodstock, avec 6 ou 700 000 chevelus, sacs au dos ? Raconte ! – « Ouoh, bof… » Le copain n’est pas du genre à raconter sa vie, « ça n’intéressera personne ». – Si, si, nous ça nous intéresse. Et puis c’est l’été. On peut bien raconter en passant comment c’était en vrai le temps des boomers. Ces boomers insouciants, prodigues, irresponsables, si détestés des vertueuses Jeunesses Pour le Climat d’aujourd’hui, privées de futur par leur faute. Oh, les Jeunesses Pour le Climat ne se seraient jamais comporté de façon aussi égoïste que les Vieux Pour la Consommation, à se gaver de smartphones, d’ordis, de raves et de festivals techno… mais qu’est-ce que je raconte, moi.
Bref, le copain a finalement accepté de faire une petite rédac, « mon voyage au festival de Wight ». C’est assez banal et prosaïque. Assez drôle. Assez triste. Et complètement vrai. C’est une vie en un voyage. C’est passé vite.

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NOTE :
(1) Cf. Grothendieck, Allons-nous continuer la recherche ? 27 janvier 1972

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