Deux pour mille. Si vous étiez de ces mille manifestants contre l’inauguration de Minatec, le 1er juin 2006, à Grenoble, vous savez qu’il aurait pu s’agir de n’importe lesquels d’entre nous. La police voulait faire des exemples ; des otages pour nous dissuader de manifester davantage ; des boucs émissaires pour nous punir de l’avoir fait et nous imputer la responsabilité de sa propre violence. Le Monde a noté la « sécheresse de l’accueil » policier, c’est-à-dire des charges et des traques consécutives. Quand on tire à bout portant, au flash-ball, sur des manifestants inorganisés et désarmés ; que l’on blesse une jeune fille au visage ; il importe ensuite de traîner ses victimes en justice pour se poser en légitime défense.

Arrêtés en pleine rue, 24 heures après la manifestation, ces deux pour mille seront jugés lundi 20 novembre à 14h au tribunal de Grenoble pour, « n’étant pas porteurs d’une arme, avoir continué volontairement à participer à un attroupement après les sommations de dispersion ».

Pourquoi ces deux-là, plutôt que les 998 autres ? L’un, semble-t-il, pour avoir parlé au mégaphone et aux média ; l’autre, pour avoir porté le mégaphone. On voit que parler n’est pas sans risque quand on parle de Minatec et des nanotechnologies, en public, à Grenoble. Sauf, bien sûr, à reproduire la com’ de Jean Therme, Technarque du CEA-Minatec et de la cuvette grenobloise. Pourvu que vous n’ayez rien à dire, il vous est loisible, et même recommandé, de jacasser à tort et à travers, après avoir décliné vos titres, qualités, et identités. Les ventriloques de la « démocratie technicienne » se prévaudront de cette liberté d’expression sous contrôle pour faire dire à leurs marionnettes citoyennes tout le bien qu’ils pensent d’eux-mêmes et de leurs projets. Si vous dénoncez le principe de ces projets mortifères, et les proéminents qui incarnent et imposent ces projets, vous sortez du castelet de la liberté d’expression, et il est bien normal que l’on use de tous les moyens pour vous faire taire.

On ne s’étonne pas ; on ne se plaint pas ; on explique.

Si faible soit notre voix, c’est un hommage du pouvoir à la parole, à la vérité et à l’effet de nos discours, que de s’attaquer précisément à ceux qui ce 1er juin n’étaient littéralement que nos porte-voix et porte-paroles. On voit ce qu’il en coûte d’« éveiller la conscience citoyenne » d’André Vallini, président du conseil général de l’Isère, maître d’ouvrage de Minatec, qui se répand maintenant en pleurnicheries et colloques parlementaires, pour nous mettre en garde contre des recherches dont « personne n’est capable de prévoir l’aboutissement réel » (cf sa lettre au Président de la République après la manifestation).

Sans doute est-ce aussi pourquoi tant de gens dont la fonction consiste à parler, scientifiques, universitaires, politiques, médiatiques, n’ont pas trouvé en six ans un mot de critique à exprimer contre cette entrée dans le Nanomonde totalitaire. Ils savent trop de qui dépendent leurs postes, leurs crédits, leurs subventions, leurs carrières. Et s’ils l’oublient, on leur rappelle. Pour avoir confronté un opposant à deux promoteurs de Minatec lors d’une émission en direct, le journaliste Pierre-Yves Schneider a dû quitter TéléGrenoble. Olivier Noblecourt, directeur de cabinet de Michel Destot, maire de Grenoble, ayant tempêté auprès de ses employeurs. Comme quoi Schneider aurait été mieux avisé de faire son jogging avec Destot, ou de le trimballer en montagne comme son collègue Thibaut Leduc, animateur de la chaîne. Et au fait, quand donc Jacques Rosselin, promoteur de TéléGrenoble, se réclamait d’Attac pour protester auprès d’Indymedia Grenoble de la vertu citoyenne de son projet ?

Mais voici longtemps qu’à Technopolis, les murs eux-mêmes n’ont plus la parole. La police et les services de voirie y veillent, qui harcèlent les opposants et réservent l’affichage à ceux qui peuvent l’acheter : Decaux, Giraudy, la pub commerciale et institutionnelle. La liberté de réunion n’existe que pour ceux qui ont l’argent et l’entregent d’occuper le Musée de Grenoble et la Maison de la Culture (MC2 !), pour leurs talk-shows « Sciences et Démocratie », « Nouvelle critique sociale » et autres « Nanoviv ». Pour avoir hébergé l’Opposition Grenobloise aux Nécrotechnologies, les collectifs d’associations Cap Berriat et La Bifurk ont subi du même Noblecourt vitupérations et menaces, sur leurs subventions notamment. Mais il est juste de préciser qu’il ne faisait que transmettre la rage de l’appareil municipal, toutes tendances confondues, sauf les Verts.

Un chic type ce Noblecourt.

Noblecourt 2006, voir Migaud 1978. Papa Migaud est notaire à Château-Chinon, dont le maire fut François Mitterrand. Pas inutile pour devenir directeur de cabinet de Louis Mermaz, lieutenant de Mitterrand et maire de Vienne. On se fait les dents. La vieille bique mermazienne perd les siennes, et hop, il est temps de devenir député-maire de Seyssins, président de la Métro, rapporteur du budget etc. Ça s’appelle « une carrière ».

Papa Noblecourt est journaliste au Monde, en charge du Parti Socialiste. Pas inutile pour devenir directeur de cabinet de Michel Destot. En attendant d’être députaillon mairedicule de quelque malheureuse agglo. Passons sur les bonnes écoles, les IEP, les Sciences-Po. C’est ainsi que de petits péteux, porteurs d’attaché-case, se succèdent de génération en génération pour « gérer » leur parcelle de province, tout farauds d’être si durs, de savoir « tenir » les assoces, d’être capable de liquider « les connards qui foutent la merde » dans leur meilleure des technopoles. Oui, oui ; ça parle viril les petits péteux du pouvoir.

Anecdotique ? Sans doute, mais l’anecdote explique le local. La trouille du maire, de la subvention qui saute, de la salle refusée, jointe à la veulerie de toute cette clientèle d’assoces et d’affairistes accrochés aux marchés municipaux.

Toutes ces minutieuses lâchetés et mesquineries, ne font que mettre en valeur la générosité et la fraîcheur de ceux qui, sans calcul, ont hébergé les débats des opposants à Minatec, simplement parce qu’il fallait bien qu’ils aient lieu. On dira qu’ils ne risquaient que de l’argent, des locaux, et qu’après tout ces collectifs ne rassemblent que des miteux : précaires, exclus, jeunes-des-quartiers, artistes marginaux, et autres quantités négligeables. C’est vrai, et il suffit de comparer l’argent versé par la mairie de Grenoble à Minkowski et à ses Musiciens du Louvre (370 000 € en 2002), à celui versé aux 10 associations que regroupe La Bifurk (20 000 € en 2006), pour voir qui compte à Technopolis. Minkowski ne fait pas de politique : juste de la musique baroque pour vernir l’image et les mondanités de la technocaste.

Qu’on nous pardonne d’entrer, pour une fois, dans ces misères. Le baroque a son charme et toute subvention, sa contrepartie. Il s’agit juste d’éclairer le sordide d’un mécanisme : comment l’argent public, capté par la technocaste et géré par le techno-gratin, sert à discipliner les malheureux en état de dépendance.

Pauvres gens, on vous fait taire ou parler pour pas cher.

Les opposants aux nécrotechnologies n’ont quant à eux demandé à personne la permission de contester, et n’ont pas attendu d’argent public pour s’exprimer. Ils l’ont simplement fait.