Dans son édition du 29 novembre 2006, Charlie Hebdo publie une double page sur les nanotechnologies, dont un article d’Antonio Fischetti consacré aux "dérives de la nanophobie", et qui se présente comme un "reportage à Grenoble, où les opposants aux nanotechnologies se trompent souvent de cible."

Pièces et Main d’Œuvre étant cité tout au long de ce "reportage", y compris dans des déclarations entre guillemets, mettons les choses au point : nous ne connaissons pas Fischetti, nous ne l’avons pas rencontré, nous ne lui avons pas parlé. Ce scientiste fabule, ou s’est fait abuser par des loustics, ce qui donne une piètre idée de ses capacités de journaliste.

Ce reportage bidonné est en fait un plaidoyer pro-nano, le billet d’humeur d’un scientifico-médiatique vexé comme nombre de ses collègues qu’on ait pu se passer de ses lumières pour critiquer un projet techno-scientifique qu’il découvre avec quatre ans de retard.

Les chroniqueurs scientifiques de Charlie Hebdo sont l’équivalent dans la presse des chercheurs grenoblois membres d’associations écolos : ils défendent la "science" dans un journal dit "satirique" plutôt qu’ils ne pratiquent la satire et l’enquête vis-à-vis de la science folle. Antonio Fischetti n’a pas le monopole de ce détournement de journalisme : Michel Alberganti du Monde, Sophie Bécherel de France Inter, Corine Bensimon de Libération, etc, sont d’aussi zélés porte-voix du scientisme dominant.

"Plus c’est petit, plus c’est méchant", titre sur deux pages le dossier de Charlie Hebdo consacré aux nanotechnologies, assorti d’une promesse : "Après une expédition dans le monde du nano, Charlie vous raconte tout ce qu’il a vu." En fait d’expédition, un article signé Emmanuelle Veil rabâche le mini-catalogue habituel des applications : médecine, nanoparticules, militaire, marketing. Mauvaise élève, elle recopie une info démentie depuis belle lurette : la supposée nano-intoxication de consommateurs allemands ayant utilisé Magic Nano. On sait depuis mai 2006 que ce produit d’entretien ne contenait pas la moindre nanoparticule . Mauvais début pour une démonstration qui, à Charlie comme chez les écotechs Verts et autres gestionnaires de nuisances, voudrait nous convaincre que le risque majeur des nanotechnologies est la toxicité des nanoparticules. Autrement dit le nano-bout de la lorgnette.
C’est ainsi que le deuxième article, "Nanoparticules et mégarisques" (admirez l’originalité du titre), se termine sur un appel à demander l’avis des citoyens avant de répandre des nanoparticules dans la nature.

On sait qu’à Grenoble, de simples citoyens n’ont pas attendu qu’on leur demande leur avis pour s’opposer aussi bien à ces nouvelles pollutions qu’au projet de nanomonde.
Fischetti a donc comme ses confrères pris le TGV Paris-Grenoble, non pour enquêter sur les programmes de recherche du CEA-Léti, ni même pour demander à PMO des informations - qu’on aurait fournies sans façons, comme nous l’avons fait avec beaucoup d’autres - mais parce qu’un procès lui donnait le prétexte médiatique pour délivrer à ses lecteurs son encyclique sur les nanotechnologies.

"Les dérives de la nanophobie
Reportage à Grenoble, où les opposants aux nanotechnologies se trompent souvent de cible."

Fischetti qui n’aurait pas dit mot des nanotechnologies sans les campagnes de PMO, entend nous expliquer quelle cible viser et comment. Promesse non tenue à la fin de cet article qui se révèle un plaidoyer pro-nanos.
Anxieux de jeter sur les opposants le soupçon d’obscurantisme, ignorant du travail d’analyse platement rationnel de PMO, Fischetti nous attribue des "phobies" qui ne sont pas les nôtres. "Nous n’avons pas peur, nous sommes en colère" et nous avons dit pourquoi.

"A Grenoble, y a tout ce qu’il faut, des nanos et des anti-nanos. D’un côté, Minatec (…). En face, un millier d’opposants aux "nécrotechnologies", tendance jeune-écolo-anar, qui cultivent l’anonymat, détestent les journalistes, boycottent les débats organisés par Minatec, et sont principalement actifs sur le site Internet "Pièces et Main d’Œuvre" (PMO). Ce qu’il craignent par dessus-tout : être un jour contrôlés par des puces sous-cutanées. Ce qu’ils réclament : la fermeture de Minatec."

Fischetti laisse croire à ses lecteurs qu’il a interrogé Pièces et Main d’Œuvre. Mettons les choses au point : nous ne le connaissons pas, nous ne l’avons pas rencontré, nous n’avons jamais correspondu. Et il fait partie de ces journalistes qui donnent toutes les raisons de se faire détester.

Nous ne "craignons" pas "d’être contrôlés par des puces sous-cutanées", nous dénonçons le puçage sous-cutané qui a déjà lieu aux Etats-Unis, en Australie, dans certaines boîtes de nuit en Europe, comme nous dénonçons le puçage des animaux, la prolifération des RFID, la biométrie, et en général le mouchardage électronique ; et bien entendu les chercheurs et les labos qui travaillent à ces projets. Nous exposons les intérêts industriels, politiques et militaires sous-jacents à ces "innovations" et éventuellement nous tentons de saper le moral des scientifiques qui, à l’inverse de Fischetti, auraient conscience du monde qu’ils contribuent à créer .

Mais il faudrait pour décortiquer ses approximations fumeuses une réponse dix fois plus longue que son bâclage, sans grand espoir de profit pour le cancre. La vie est courte. Ce que nous avons vraiment dit - nos textes – est lisible sur www.piecesetmaindoeuvre.com. Allons au plus court.

"Malgré ses bonnes intentions, le discours anti-nanos mérite un petit toilettage". Ce "reportage" bidonné est en fait le billet d’humeur d’un scientifico-médiatique, vexé comme nombre de ses collègues qu’on ait pu se passer de ses lumières pour critiquer un projet techno-scientifique qu’il découvre avec quatre ans de retard. D’où sa prétention à dire le juste milieu, à trancher du bon, du juste et du vrai.

"Les nanotechnologies apporteront-elles de nouvelles armes ? Oui. Mais le même reproche aurait pu être fait en d’autres temps à l’informatique, à l’électricité et à l’acier. Elles serviront à museler toute forme de rébellion citoyenne ? Oui. Mais elles pourront aussi bien être utilisées par les mêmes citoyens pour se révolter – quoi de mieux que le téléphone portable ou Internet pour organiser une manif sauvage ? Redouter les nanotechnologies au prétexte que les puces sous-cutanées seront un jour utilisées par un dictateur, c’est comme condamner l’électricité à cause d’un Pinochet soumettant ses contradicteurs à la gégène."

Mon beauf fait de la science.

Non seulement les nanotechnologies apporteront de nouvelles armes et de nouvelles formes de contrôle, mais celles-ci, après l’acier, l’électricité et l’informatique, seront d’une puissance qui rendra dérisoire toute prétention à les retourner contre leurs maîtres.
Fischetti fait partie de ces huluberlus qui ne voient pas le saut d’échelle entre une masse d’arme et une bombe atomique.
Il faut être un écervelé pour s’imaginer qu’une manifestation organisée par téléphone portable et sur Internet puisse être vraiment "sauvage".
Sans parler des ravages environnementaux et sociaux que génèrent les téléphones portables et les futurs gadgets que nous promettent les nanotechnologies.

Il y a bien d’autres motifs de combattre les nanotechnologies que l’éventuelle généralisation des puces sous-cutanées, et on ne s’est pas privé de les lister, mais ce que nous refusons c’est l’avènement de ce nanomonde que nous annonce et nous impose la techno-caste. Les poètes ont échoué ; les prolétaires ont perdu : les seuls aujourd’hui qui "changent la vie" et "transforment le monde" à leur image, ce sont les scientifiques, les industriels et les militaires.

Mais Fischetti fait partie de ces scientifiques qui se lavent les mains de ce que produit son laboratoire.
Si les nanotechnologies servent, comme il le reconnaît benoîtement, "à museler toute forme de rébellion citoyenne", la discussion est close. Cela seul suffit à exiger la fermeture de Minatec. Cet esprit rationnel, lui, envisage le nanomonde totalitaire avec la sérénité du scientifique qui n’a fait que son travail. À Charlie Hebdo, il est de bon ton de railler les militaires, ces brutes ignares, mais de mauvais goût de dire de quelles cervelles naissent les innovations qui facilitent leurs exploits.

"Cela dit, les nanotechnologies ouvrent le champ à de légitimes interrogations (…) Mais chez PMO, les questions légitimes se mettent vite à dérailler, par exemple quand les militants écrivent que "tout "progrès des connaissances" participe avant tout au renforcement de l’organisation centralisée, autoritaire et militarisée de la société." À Grenoble comme ailleurs, on trouve une frange d’écolos qui confond la science et certaines de ses applications, et rejette la première au nom des secondes. Ils oublient que les nanotechnologies – pour peu qu’on s’en donne les moyens politiques – apporteront des outils révolutionnaires à l’écologie : panneaux solaires ultraperformants, transformation des vibrations du sol en électricité, techniques de dépollution des eaux… ils oublient qu’être écolo, c’est défendre l’intelligence contre le profit et la bêtise, et non idéaliser un "hier" en se coupant des perspectives de demain."

Après avoir affirmé à tort que les deux inculpés du "procès Minatec" étaient "militants de PMO" , et donné l’illusion, au long de son papier, d’avoir discuté avec nous, voici que Fischetti nous attribue une phrase tirée d’un dossier du magazine "Silence" .

Rétablissons la citation exacte - dont s’est peut-être inspiré le rédacteur de cet article - tirée de "Nanotechnologie, maxiservitude " :

"Dans un monde où s’opposent dominants et dominés, tout "progrès des connaissances" sert d’abord les dominants, leur sert d’abord à dominer, et autant que possible à rendre irréversible leur domination. Les "retombées positives" n’étant que les moindres maux dont on achète la soumission des dominés. "Progrès" curatifs et palliatifs, quand la prévention serait de renverser la domination qui provoque tant de nos maux, pour s’en rendre ensuite l’indispensable thérapeute."

Nous persistons et signons l’énoncé d’un truisme que chacun peut vérifier.

Comme ses collègues du CEA-Grenoble, Fischetti tente, du haut de son diplôme de docteur ès science en physique, d’enfumer son auditoire avec le sempiternel argumentoc : "Il ne faut pas confondre la science et ses applications". Variante : "Il faut distinguer la recherche fondamentale de la recherche appliquée".

Comme si, depuis le projet Manhattan, la "science" était autre chose qu’un prestataire de services pour l’industrie et l’armée. Fischetti le sait bien, qui écrivait lors d’un "chat" avec les lecteurs de L’Internaute en janvier 2006 : "Je ne connais pas de science qui à plus ou moins long terme, ne génère pas d’applications concrètes, même si cela peut prendre des décennies."

Apparemment Fischetti connaît, seul, le moyen de trier les "bonnes" applications des "mauvaises", pour ne conserver que les premières - ces sempiternels "outils révolutionnaires" censés réparer les dégâts causés par leurs prédécesseurs. Les OGM qui suppriment les pesticides ; les nanopuces qui détectent les OGM. Bientôt les nanoparticules qui nettoieront l’eau de la pollution chimique. Et déjà, les labos travaillent sur de futurs senseurs "ultraperformants" capables de détecter… les nanoparticules qui pollueront l’eau. Bref, quand les nanos auront "réparé" les dégâts des révolutions industrielles précédentes, il sera bien temps de s’attaquer à leurs propres ravages, suivant la loi de la fuite en avant technologique.

Avoir cédé aux vagues successives d’"outils révolutionnaires" qui ont ravagé la planète, n’est pas une raison pour acquiescer à la prochaine. Vivant dans le "premier pôle européen" des nanotechnologies en 2006, nous contestons ici et maintenant ces "perspectives de demain" qui ne sont pas les nôtres.