En librairie : De la technocratie (la classe puissante à l’ère technologique). Voir ici

Après Ludd contre Marx et Ludd contre Lénine (le communisme des technocrates), voici le troisième volet de l’enquête de Marius Blouin sur la technocratie, classe dirigeante globale à l’ère du capitalisme technologique.

Avant-propos. La technocratie désigne la classe de l’expertise, de l’efficacité et de la rationalité maximales, au service du profit et/ou de la puissance maximaux. Le profit n’étant qu’un détour, une accumulation de moyens sous forme de signes d’équivalence ( devises ou titres de valeur) au service de la volonté de puissance : pouvoir, prestige, jouissance.
Ainsi la recherche du gain financier et de la plus-value pourrait disparaître sous le capitalisme technocratique, en tant que moteur de l’accumulation, au profit de celle des moyens directs de la puissance tels que les poursuivent les promoteurs du transhumanisme.

Cette classe des spécialistes, des capitalistes du savoir (scientifiques, chercheurs, ingénieurs, techniciens, cadres, bureaucrates) a existé avant d’être nommée, de se connaître elle-même et d’être connue des autres. L’une des pires erreurs du génial Marx, de son ami Engels, et de leurs disciples fut de méconnaître la technocratie, la bourgeoisie savante et salariée, qui, en deux cent ans d’innovation, de machinisme, de robotisme et d’automatisation a éliminé la paysannerie, la classe ouvrière et maintenant les employés des lieux de production et d’échange, dans les économies « post-industrielles ».

L’idéologie technocratique est née sous le terme d’« industrialisme »(1), en même temps que la classe qui l’incarnait, sous la plume du Français Saint-Simon (1760 – 1825), fameux pour son appel au remplacement « du gouvernement des hommes par l’administration des choses » et pour sa remarque suivant laquelle le pays ne perdrait rien avec la disparition subite de la caste politique (princes, préfets, évêques, pairs du royaume et présidents de la cour de cassation). « Le peuple en serait fort triste, car il a le cœur bon. Mais si disparaissaient les cinquante plus grands industriels, les cinquante plus grands savants, les cinquante meilleurs artisans, la nation serait détruite. » Ce qui était pointer la nouvelle aristocratie sans lui donner son nouveau nom.

« Technocratie. Substantif féminin, souvent péjoratif. Système (politique, social, économique), dans lequel les avis des conseillers techniques (dirigeants, professionnels de l’administration) déterminent les décisions en privilégiant les données techniques par rapport aux facteurs humains et sociaux ; par métonymie, le groupe social participant à ce système.

Etymologie et historique. 1934 (Larousse. Mens.t.9, p.326). Composé des éléments formant techno.- (de technique) et – cratie – « Je suis le maître », probablement par l’intermédiaire de l’anglo-américain technocracy (1919. W.H. Smyth in Industrial Management dans NED supple.) » (Trésor de la Langue Française. Tome 15. 1992)

Si la technologie (Bigelow, 1829) fusionne la science et le capital, la technocratie (Smyth, 1919), fusionne les capitalistes de l’avoir et ceux du savoir, en un alliage implacable, dirigé à la fois contre les autres classes et contre le milieu naturel (air , terre, mer, espèces animales et végétales).

Ludd contre les Américains retrace l’essor du mouvement technocratique aux Etats-Unis, et des Etats-Unis dans le monde, à travers la diffusion de « l’américanisme », depuis les précurseurs ; Bellamy, écrivain utopiste, estimé de Kropotkine et fondateur d’un vigoureux mouvement bellamyte, à la postérité durable et internationale ; l’ingénieur William Henry Smyth qui donne son nom à la technocratie et théorise l’économie totale à la sortie de la Grande Guerre ; Thorstein Veblen, l’auteur de la Théorie de la classe de loisirs qui appelle à la révolution technocratique contre le capitalisme financier et à la formation de « soviets d’ingénieurs » ; l’ingénieur Henry Ford, l’industriel emblématique du XXe siècle et l’un des hommes les plus riches de tous les temps, qui à travers ses livres et ses méthodes de production, impose le fordisme et le pacte fordiste. C’est-à-dire sa version personnelle du technocratisme, également ennemi des banques , des spéculateurs et des gouvernements démocratiques, inefficaces, qu’il remplacerait volontiers, lui aussi, par des équipes d’ingénieurs. Ford réalise dans sa personne la fusion du capitaliste de savoir et du capitaliste de l’avoir qui est désormais la règle. Voyez les IBM, Apple, Google, Amazon, Facebook et tout le capitalisme de la Silicon Valley pour les exemples récents.

Howard Scott, enfin, l’agitateur, qui lance dans les années Trente un mouvement technocratique de masse, avec parades, uniformes, organisation para-étatique, groupant des centaines de milliers d’adeptes, avant d’être absorbé par le New Deal et noyé dans l’effort de guerre. Plan Manhattan, débuts de la cybernétique et de l’informatique, essor du capitalisme technologique et technocratique.

Victor Serge en 1946 : « Sur son terrain propre, celui de l’économie politique, le mouvement socialiste des trente dernière années a méconnu la colossale importance de la technologie nouvelle qui, réalisant d’immenses progrès, a augmenté, dans des proportions colossales, la capacité de production de l’industrie tout en amoindrissant la main d’œuvre. (…) Une étude nouvelle de la technologie dans ses rapports avec la structure même de la société, s’impose. Elle révèlerait probablement que l’affaiblissement des classes ouvrières par la technologie moderne a joué un rôle plus grand dans les défaites du socialisme européen que la myope modération du réformisme et le machiavélisme élémentaire du Komintern. » (cf. Masses n° 3. Juin 1946)

70 ans plus tard, cette étude reste à faire, mais la classe ouvrière et le mouvement socialiste n’en tireront nul profit. La technologie et la technocratie les ont liquidés comme ils s’apprêtent désormais à liquider les superflus : main d’œuvre obsolète et consommateurs insolvables.

(1) cf. "Notes sur la naissance de l’industrialisme (1815-1830)", N. Eyguesier, in Notes & Morceaux Choisis n°12

Marius Blouin est issu d’une minorité en voie d’extinction : les blonds aux yeux bleus. Mais il n’en tire ni fierté ni honte et ne participe à aucune marche « non-mixte ». Il fait par ailleurs de l’histoire, de l’économie et de la philosophie, sans avoir jamais été philosophe, économiste, ni historien, en honnête homme et non pas en pédant spécifique et diplômé, ce qui lui évite de radoter la French theory des universitaires gallo-ricains.

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