D’abord on n’en a pas cru nos yeux en ouvrant la dernière facture de Gaz Electricité de Grenoble. Il nous a fallu lire deux fois la lettre d’info qui l’accompagne pour admettre l’énormité : Minatec engloutit à lui seul 15 % de l’électricité de Grenoble.

Tandis que nos élus découvrent l’effet de serre et en appellent à notre conscience écologique, que Minatec reçoit les 1er et 2 février 2007 le premier forum "New technologies for Energy", découvrons dans cette page d’économie durable quel gouffre à énergie se révèle le "premier centre européen pour les nanotechnologies". Et comment l’ex-Lyonnaise des Eaux, alias Elyo, continue de siphonner Grenoble, tapie au sein de GEG et de Minatec.

Certes, pour nous les nanotechnologies ne sont pas une question d’argent ; pour eux, si.

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Combien nos logements consomment-ils d’électricité ? En moyenne, 2000 kWh par an. Avec des ampoules basse consommation, un chauffage réglé sur 19°, de bonnes habitudes, nous réduisons citoyennement notre "empreinte écologique". Si comme Vincent Fristot, élu Vert/ADES, nous installons des panneaux solaires sur notre toit, nous sommes des écocitoyens responsables, on ne peut que nous féliciter. Hélas, malgré tous nos efforts, la consommation d’électricité de Grenoble et de l’agglomération ne diminuera pas : "A court terme (d’ici 5 à 10 ans) les perspectives de développement industriel au Nord-Ouest (Minatec) et au Nord-Est de Grenoble (microélectronique du Grésivaudan) nécessiteront que RTE (NDR : Réseau de Transport d’Electricité) procède à des évolutions de réseau de façon à accompagner le développement économique de la zone."

Le développement économique, nous le savons grâce à Michel Destot, est la finalité de nos vies, et fonctionne de la façon suivante : "A travers l’innovation apparaît le développement des activités économiques qui génère lui-même des emplois pour l’ensemble de nos concitoyens. Il y a là une véritable mine d’or, prenons-en conscience."

Les orpailleurs high-tech, comme leurs homologues guyanais, s’enrichissent en pillant les ressources naturelles et en saccageant l’environnement. On savait déjà que l’usine à puces de Crolles 2 engloutissait 700 m3 d’eau pure à l’heure . On a aujourd’hui confirmation que les nanotechnologies sont aussi un gouffre à énergie : "Pour répondre aux importants besoins énergétiques de Minatec, l’un des plus grands pôles d’innovation de Grenoble, GEG NDR : Gaz et Electricité de Grenoble a créé un nouveau poste source (appelé Confluent). Cet ouvrage composé d’un transformateur, délivre une puissance exceptionnelle de 70 mégawatts. "Confluent" est le point d’entrée d’alimentation électrique de Minatec et fournit l’énergie à l’ensemble des centres de recherches, laboratoires et entreprises qui y sont implantés (CEA-Commissariat à l’Energie Atomique, Elyo, etc). Le site Minatec absorbe, à lui seul, 15 % de l’énergie consommée par Grenoble !" (GEG Infos )

En bonnes mathématiques : Minatec fait bondir la consommation d’électricité de la ville de 17,6 %, quels que soient nos efforts pour éteindre la lumière en sortant.

Depuis 1979 Grenoble était alimentée par neuf postes sources. Pour faire tourner les labos et les salles blanches, en 2005 GEG a dû en ajouter un dixième, le plus important (90 tonnes, 7 m. de haut, 8,5 m. de long, 4,5 m. de large). Le monstre est implanté sur le Polygone scientifique. Il est alimenté en 225 000 volts qu’il transforme en 20 000 volts (20 kV). "7 kilomètres de liaisons 20 kV ont également été installés ainsi que 4 kilomètres de câbles de télécommande."

Les "technologies de l’infiniment petit" ne sont ni plus propres ni plus économes que l’électronique, la mécanique ou les industries traditionnelles. Cela n’empêche pas le techno-gratin de faire la propagande d’une "révolution" qui va résoudre les maux de la société industrielle "d’avant" : pollution, cancer, dérèglement climatique. "…nombreuses promesses pour notre santé, notre qualité de vie, l’avenir environnemental de la planète, etc." (Michel Destot ) ; "…outils révolutionnaires pour l’écologie : panneaux solaires ultraperformants, transformation des vibrations du sol en électricité, techniques de dépollution des eux, etc" (Charlie Hebdo ) ; "…effet extrêmement positif sur l’environnement (…) utiliser moins de ressources naturelles pour avoir plus de fonctionnalités à la fin" (Jean Therme ) ; "…mise au point de nouveaux processus industriels, plus économiques en énergie et en matières premières" (Cité des Sciences ). Etc.

Quand le dérèglement climatique et la prolifération des déchets nucléaires nous imposent de stopper notre gaspillage de gavés, Minatec fait du solaire à coup de mégawatts supplémentaires. C’est ce que décideurs et pollueurs nomment le développement durable et qui trouve tant de crédit auprès d’eux parce qu’il préserve d’abord leurs perspectives de croissance.

Si la R&D écologiquement correcte marche auprès des médias et des gogos, c’est qu’ils feignent d’ignorer que les énergies renouvelables sont un pansement sur une jambe de bois. Même un expert de la Direction régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE Rhône-Alpes) le sait : "On ne pourra jamais répondre aux besoins actuels avec ces énergies alternatives".
Au fait, saviez-vous que notre région est la deuxième de France pour la consommation d’énergie, et que cette position nous vaut le plus gros maillage de lignes à haute tension du pays - en plus de 32 barrages et de 14 centrales nucléaires ? Saviez-vous que la consommation d’électricité de Grenoble a été multipliée par 2 entre 1980 et 2000 , quand sa population diminuait de 156 000 à 153 000 habitants ?

Non seulement les nanotechnologies prolongent et perpétuent l’industrialisation et l’artificialisation de nos vies, mais elles s’accaparent des ressources collectives précieuses que tous les Nicolas Hulot nous enjoignent de préserver avec "des petits gestes simples". Lesquels sont si inoffensifs pour le développement du système technicien que même un Michel Destot peut nous exhorter à la "limitation de la surconsommation grâce à une action pédagogique sur les comportements humains" . Ingénieur du CEA, le maire de Grenoble ne pouvait laisser passer la trop belle occasion du réchauffement climatique pour faire la propagande du nucléaire, auquel la gloutonnerie de Minatec promet un bel avenir. C’est chose faite avec l’opuscule co-écrit par le maire de Grenoble en 2006 : "Energie et climat, réponses à une crise annoncée", éprouvant "Que sais-je" langue de bois, indigne de la gravité du sujet.

Donc, les nanotechnologies, c’est bon pour GEG. Mais qui est GEG ?
La société d’économie mixte (SEM) Gaz et Electricité de Grenoble se présente comme "le distributeur historique de gaz et d’électricité de tous les Grenoblois" . Ça ressemble à une longue histoire d’amour, la réalité est plus vulgaire.

Depuis 1946 l’électricité de Grenoble était gérée par la régie municipale autonome gaz électricité de la Ville de Grenoble (RGE). Début 1986 Alain Carignon confie ce service public en délégation à GEG, alors société privée dirigée par Pierre Gascon… premier adjoint d’Alain Carignon . On appelle ça de l’ingérence, une spécialité grenobloise de l’époque.
En avril 1986 GEG est transformée en société d’économie mixte dont l’un des actionnaires est la Lyonnaise des Eaux, la même à qui Carignon a offert l’eau grenobloise lors d’une opération frauduleuse qui lui a valu cinq ans de prison.
Les syndicats en colère interpellent dès 1985 le groupe PS de l’opposition municipale pour défendre le service public. "Ces deux compagnies NDR : la Lyonnaise des Eaux et la Générale des Eaux, pressenties comme actionnaires n’apportent dans le gaz et l’électricité aucune compétence, mais viennent y faire leur nid (…). Le titre célèbre du film italien "Main basse sur la ville" trouve sa traduction française avec les pratiques de la Générale et de la Lyonnaise des Eaux et la municipalité de Grenoble." Cette dénonciation radicale exprimée lors du conseil municipal du 22 mars 1985 est signée entre autres Annie Deschamps, aujourd’hui première adjointe de Michel Destot chargée des Finances, et Jean-Paul Giraud, conseiller municipal PS (courant pinnipède) devenu PDG de la SEM GEG en 1995. Seuls les imbéciles qui refusent les bons postes ne changent pas d’avis.

Vingt ans après, le 11 juillet 2006, la cour d’Appel de Grenoble saisie par Raymond Avrillier, élu Vert/ADES, a déclaré illégale cette cession de la distribution d’électricité à GEG. "Dans son arrêt, rendu le 11 juillet, la cour a estimé qu’Alain Carignon était « incompétent » pour faire signer des conventions de ce type sans en avoir été autorisé préalablement par son conseil municipal. La justice a par ailleurs estimé que le contrat d’éclairage public, qui est une délégation de service public, aurait dû être soumis à un appel à concurrence. Ce qui n’a pas été le cas. Le juge demande donc à l’actuel maire de Grenoble le socialiste Michel Destot de faire constater la nullité de ce contrat dans un délai de six mois, ou d’en revoir les termes à l’amiable avec la SEM Gaz Electricité de Grenoble."
Six mois plus tard, sauf distraction, nous n’avons vu aucun communiqué de GEG ni de la mairie de Grenoble nous informant des suites données à ce jugement.

A partir de 1986 la Lyonnaise des Eaux (devenue Suez après sa fusion avec la Compagnie de Suez en 1997) a engrangé les bénéfices de l’eau et de l’électricité grenobloises.
On se souvient que l’eau a été remunicipalisée en 2000, mais il faut s’arrêter un instant sur les conditions de cette remunicipalisation. Lors de la campagne des municipales de 1995, les socialistes s’étaient engagés : "Nous souhaitons très clairement réintégrer le service des eaux dans la gestion communale directe" , affirmaient Michel Destot et Jean-Paul Giraud, encore lui.
Loin de rendre aux Grenoblois les fruits volés de la corruption, Destot et le PS ont négocié avec le corrupteur et lui ont accordé une "indemnité de résiliation" de plus de 86 millions de francs et un "rachat d’actions" de 21 millions. La Lyonnaise des Eaux ne peut pas se plaindre de mauvais traitements de la part des élus grenoblois. La réciproque est vraie : Michel Destot, ex-fondateur de la start up Corys, n’a pu que se réjouir du sauvetage de sa boîte par Tractebel, filiale belge de la Lyonnaise des Eaux.

Du côté de l’électricité, Suez-Lyonnaise continue de s’enrichir à Grenoble à travers GEG, qui réalise un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros et dont elle détient 38,22 % du capital . "Il NDR : Raymond Avrillier estime aussi qu’il y a eu "surfacturation de GEG" ainsi qu’un "transfert étranger à l’intérêt public" en faveur de la filiale de la Lyonnaise des Eaux (aujourd’hui Elyo, groupe Suez), principal actionnaire privé de GEG."

Elyo ? Voilà qui nous ramène à Minatec.
Décembre 2004 : "Elyo, filiale du Groupe Suez, a été choisi par l’association du GIP-DFT* qui regroupe le CEA, le Département de l’Isère et la SEM Minatec Entreprises, comme partenaire pour la conception, le financement, l’exploitation et le facilities management du Centre technique du Pôle d’innovation Minatec, situé à Grenoble. La durée du contrat est de 18 ans et son montant de 90 millions d’euros (…) Pour la première fois en France, un pôle d’innovation, Minatec confie à une entreprise industrielle, Elyo, la fourniture des fluides techniques nécessaires à son activité : chaleur, froid, eau ultra pure, air comprimé, azote ainsi que le traitement de l’air (en particulier celui des salles blanches) et des effluents."

Mission accomplie deux ans plus tard : "Elyo, Groupe Suez, et l’association GIP-DFT* inaugurent le 30 novembre 2006 à Grenoble les Dispositifs de Fonctionnement Technique du Pôle MINATEC®."

"Elyo a ainsi mis en place un dispositif de gestion des énergies, complet, hautement performant et piloté par une filiale dédiée : le Pôle Utilités Services (PUS). Sa mission : assurer la fourniture des fluides techniques, ainsi que la récupération et le traitement des effluents acido-basiques, fluorés et solvants en provenance du site. "Le cœur de métier des collectivités n’est pas la distribution et la gestion de fluides et effluents et il était donc plus efficace de confier toutes ces tâches d’exploitation technique à une société compétente", précise Geneviève Fioraso, Présidente de la SEM Minatec Entreprises chargée de gérer le Bâtiment Hautes Technologies du Pôle d’Innovation."

Où l’on apprend :

1) qu’une structure publique, à financement public, nous engage, contribuables isérois, avec un prestataire pour 18 ans ;
2) que cet engagement nous coûte au total 90 millions d’euros, au bénéfice de Elyo-Suez-Lyonnaise ;
3) que Minatec produit des "effluents acido-basiques, fluorés et solvants" nécessitant l’intervention d’une entreprise spécialisée ;
4) que Geneviève Fioraso emploie le vocabulaire des entreprises pour parler des collectivités ("cœur de métier" ! et pourquoi pas core business ?), ce qui est bien normal quand on est socialiste ;
5) que le techno-gratin si fier de la tradition technologique de Grenoble renie sans le savoir son père fondateur qui écrivait en 1899 : "Voilà donc la ville propriétaire de son usine à gaz et de son éclairage électrique : que doit-elle faire ? Je réponds sans hésiter : exploiter elle-même (…). Eh bien, qui donc peut exploiter plus économiquement que la ville ? (…) elle n’a qu’un seul but, la satisfaction de la collectivité. Aucune société ne gérerait mieux que la ville." (Aristide Bergès)
5) enfin, que Elyo, actionnaire de GEG, fournit grâce au méga-transformateur Confluent l’énergie nécessaire à Elyo, installé au cœur de Minatec : on voit que la liaison recherche-industrie applique à la lettre le principe de Lavoisier selon lequel "rien ne se perd, rien ne se crée".

En 2004, après la brutalité des élus contre les manifestants anti-stade, les électeurs du canton 1 de Grenoble ont viré Jean-Paul Giraud de son fauteuil du Conseil général de l’Isère. Proche d’André Vallini (voir photo), le socialiste pinnipède PDG de GEG a mal digéré cet échec et s’est fait offrir un lot de consolation : la présidence de l’Agence d’études et de promotion de l’Isère, l’officine de propagande du Conseil général. Ses deux casquettes, à GEG et à l’AEPI, fournissent à Giraud l’avantage d’être doublement signataire du projet Minalogic, pôle de compétitivité mondial de Micro et Nanotechnologies spécialisé dans le flicage électronique . Il était logique que sa boîte se fende d’un super-transformateur de 70 mégawatts pour fournir aussi à ce projet lumineux l’énergie nécessaire.