Ce n’est pas d’aujourd’hui, hélas, que l’on dénonce la fabrication du mort vivant qui atteint maintenant l’espèce humaine au moyen de la reproduction artificielle, de la marchandisation des gamètes, des embryons, des utérus et de l’eugénisme technologique. Dans son numéro 2 de l’été 2002, In extremis, éphémère bulletin de critique anti-industrielle, écrivait ainsi :

« L’exemplarité de la Recherche sur les manipulations génétiques tient à ce qu’elles visent directement à rendre impossible la reproduction autonome du vivant (semences agricoles, reproduction animale), tandis que la reproduction humaine est déjà sous le contrôle des appareils de l’ingénierie biologique et de plus en plus finalisée par elle.

Réduit au rôle de réceptacle et de porte-greffe de l’industrie médicale, l’individu est sommé d’accepter son statut de créature de la société industrielle : une marchandise produite dans l’usine-laboratoire-monde. Ces menées scientifiques expriment ainsi crûment et en accéléré l’axiome du totalitarisme industriel : la dépendance de tous les aspects de la vie à l’égard de la machine sociale s’accroît en proportion des développements technologiques modernes et ce, quelles que soient les intentions qui président à leur mise en œuvre (profit, idéologie progressiste, contrôle étatique). »

L’année suivante, en 2003, le philosophe André Gorz consacre un chapitre de L’Immatériel (éditions Galilée) aux progrès de l’inhumain, de l’intelligence artificielle à la vie artificielle, de l’homme-machine aux machines humaines et aux manipulations génétiques.

« Il s’agit de rien de moins que d’industrialiser la (re)production des humains de la même façon que la biotechnologie industrialise la (re)production des espèces animales et végétales pour finir par substituer des espèces artificielles, créées par ingénierie génétique, aux espèces naturelles. L’abolition de la nature a pour moteur non le projet démiurgique de la science mais le projet du capital de substituer aux richesses premières, que la nature offre gratuitement et qui sont accessibles à tous, des richesses artificielles et marchandes : transformer le monde en marchandises dont le capital monopolise la production, se posant ainsi en maître de l’humanité. »

Le temps qui a rendu ces analyses plus vraies que jamais ne les rend pas pour autant audibles aux sourds et aux malentendants forcenés du « désir d’enfant ». Qu’ils soient stériles par nature (couples homosexuels), ou victimes de la pollution endémique du milieu. Leur désir individuel qui s’accorde si bien aux intérêts du techno-capitalisme doit primer sur l’intérêt général quelle que soit la dégradation sociale et humaine qui en résulte. Il est vrai que l’alliance entre libéraux et libertaires, que l’on peut observer ici sur le vif, repose sur un programme en trois points aussi crus qu’impitoyables : mon cul, ma gueule, mon nombril.

Pour lire le chapitre d’André Gorz sur le déshumain, ouvrir le document ci-dessous.

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