En librairie : De la technocratie (la classe puissante à l’ère technologique). Voir ici

Voici la deuxième livraison de notre série sur la technocratie, classe dirigeante globale, classe de l’expertise et de la rationalité maximale à l’ère technologique du capitalisme, après Ludd contre Marx (en ligne ici : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=693).

Six mois après son coup d’Etat, Lénine expose sa ligne économique dans la Pravda du 5 mai 1918. Il s’agit de construire « un capitalisme d’Etat industriel », sur « le modèle de l’Allemagne et des trusts », en s’appuyant sur « les spécialistes-techniciens ou organisateurs, moyennant des salaires élevés » et à l’aide de « méthodes barbares » pour « combattre la barbarie ».

Magie des mots et du langage performatif, cet Etat est réputé « soviétique » - c’est-à-dire conseilliste en français - puisque « le parti de la classe ouvrière » a pris le pouvoir. Si l’on s’en tient aux faits – têtus - comme disait Lénine, c’est le parti de la technocratie qui a pris le pouvoir, et qui exerce la pire dictature jusque-là connue, au nom de la classe ouvrière et sur la classe ouvrière. Le révolutionnaire Makhaïski a vu les faits, sur le vif, à travers les mots, lui qui dénonce l’intelligentsia exploiteuse des capitalistes du savoir : fonctionnaires, directeurs, organisateurs, bureaucrates, scientifiques, spécialistes, ingénieurs, techniciens, chimistes, agronomes, contremaîtres, cadres, comptables, gérants, etc. Les futurs apparatchiks de la nomenklatura, reconvertis plus tard en oligarques et Nouveaux Russes. Ceux qu’aux USA on nomme dès 1919 d’un mot qui vise leur trait commun et essentiel, « technocrates » et « technocratie ». Ludd avait raison, mais les léninistes ont eu raison de Ludd. Les paysans et les ouvriers russes sont broyés par la machine technocratique qui forge en vingt ans la deuxième puissance industrielle du monde.

Un siècle après, les spectres du communisme, les Négri, Badiou, Mélenchon et leurs épigones blanquistes, foucaldiens, deleuzo-guattaristes (Vacarme, Multitudes, Comité « invisible », etc.), n’ont rien appris ni oublié. Néo-futurisme, néo-bolchevisme de l’avant-garde de la technocratie qui « rêve d’expansion au-delà des limites de la Terre et de notre forme corporelle immédiate ». Et qui répète :

« Le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, conçue d’après le dernier mot de la science la plus moderne, sans une organisation d’Etat méthodique qui ordonne des dizaines de millions d’hommes à l’observation la plus rigoureuse d’une norme unique dans la production et la répartition des produits. Nous les marxistes, nous l’avons toujours affirmé ; quant aux gens qui ont été incapables de comprendre au moins cela (les anarchistes et une bonne partie des socialistes-révolutionnaires de gauche), il est inutile de perdre deux secondes à discuter avec eux » (Manifeste de l’Accélérationnisme, Multitudes n°56, été 2014).

Il s’agit toujours de se mettre à l’école du techno-capitalisme le plus avancé, celui de la Silicon Valley, pour « s’approprier les moyens de production et d’échange » (les NBIC, Internet, les réseaux, les fab lab, les big data, l’usine automatique). De « dépasser » le cyber-capitalisme pour lui substituer « la machine à gouverner » : le cyber-communisme des technocrates. Et comme il y a un siècle, ils sont prêts à employer des « méthodes barbares » pour « combattre la barbarie » - les réfractaires à la destruction du vieil homme et du vieux monde, de nos résidus de nature et d’humanité. À la périphérie, le ravage des conditions de vie par le développement bouleverse des peuples et des pays entiers. Le progrès dans les métropoles consiste en cela, qu’à la différence du siècle dernier ou de l’actuelle terreur islamo-fasciste, cette barbarie technologique, lisse, froide et fonctionnelle s’impose par le seul fait accompli, sur la base des défaites antérieures et sans effusions de sang salissantes.

Marius Blouin ne veut pas transformer le monde ni changer la vie. À défaut de retrouver les espèces, les peuples et les pays perdus, il voudrait plutôt la vie sauve pour les rescapés du Progrès. Un vœu d’une nostalgie aussi vaine que répréhensible, et donc cela n’a pas d’importance.

Texte téléchargeable ci-dessous (80 p.).
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