Cette année, chaque foyer dépense 538 € à Noël. Pour acheter notamment 4,3 millions de smartphones et tablettes numériques (dont un million de tablettes pour enfants). Avec les autres gadgets (télés, ordinateurs, consoles de jeu, appareils-photos, baladeurs), Sony, Apple, Nintendo, Samsung et leurs complices comptent sur deux milliards d’euros juste pour Noël. Butin stable par rapport à 2012. (1) « "L’innovation sera plus que jamais l’élément déclencheur pour convaincre", résume GfK. Des innovations comme la connexion wifi pour les appareils photo, la résolution numérique 4K pour la télévision, le format hybride pour le PC ou encore les consoles de jeu de nouvelle génération. » (2) Gadgets périmés à Noël prochain, afin de vous tirer à nouveau deux milliards. C’est ça, l’innovation. Combien de milliards avons-nous gaspillés dans la déferlante numérique ? Que feriez-vous de cet argent dont vous manquez toujours ? Vous pourriez vous offrir du temps. Travailler moins, vivre plus. Vous promener, lire, parler avec vos enfants, soigner vos fleurs, réfléchir, cuisiner, apprendre la musique. Faire des choses par vous-mêmes au lieu de consommer ce que d’autres ont décidé pour vous.

Comme les clients de GfK. Ce cabinet mondial d’études de marché (3) informe les entreprises « sur la manière dont les groupes d’individus pensent, agissent et consomment chaque jour. » Pour les faire penser, agir et consommer selon les intérêts de l’industrie. Avec l’institut de sondage Médiamétrie, GfK a créé MarketingScan, filiale qui « valorise la connaissance client ». C’est-à-dire qui exploite les données sur nos activités, habitudes, achats – d’autant plus faciles à espionner qu’ils sont de plus en plus connectés. MarketingScan traite chaque jour les données de 16 millions de porteurs de cartes de fidélité des magasins Auchan, Cora, Système U et 3 Suisses. Vous, peut-être ? GfK propose aussi du geomarketing pour mieux « localiser vos groupes cibles » (c’est nous, les cibles), l’étude du « comportement, des attitudes et des préférences de vos cibles-clés », et un catalogue de solutions « pour saisir les nouvelles opportunités à la volée » : pour ne pas rater une occasion de nous traire.

Chacun sait bien, au fond, qu’il n’a pas besoin d’un appareil-photo à connexion wifi ou d’une tablette numérique. Même les trentenaires se souviennent d’un temps où l’on vivait très bien sans ces innovations qui nous font courir sans fin. Chaque Français regarde la télévision 3 heures 45 par jour. À 75 ans, il y aura perdu onze années. Ajoutez-y le temps gâché devant l’ordinateur, la console de jeux, le smartphone, la tablette. Encore des années parties en fumée virtuelle. Que feriez-vous de cette espérance de vie si on vous la rendait ?

Pourquoi flambons-nous deux milliards à Noël pour des objets nuisibles ? Parce que l’offre crée la demande. En économie, on nomme cela la filière inversée. Une industrie au service de l’industrie, composée de sociologues, psychologues, anthropologues, de communicants, sondeurs, experts en marketing, publicitaires, crée de toutes pièces de pseudo-besoins et nous les implante. Il y a trois ans, nul ne trouvait indispensable d’équiper ses enfants de tablettes. Et l’on pourrait énumérer un demi-siècle d’objets de consommation achetés pour faire comme tout le monde. Ils nous ciblent, nous conditionnent. Vente forcée : notre prétendu choix se réduit à celui de la marque.

Cette dépense, tantôt routinière (le shopping du samedi) tantôt orgiaque (les fêtes), c’est ce qu’ils nomment « le moral des ménages ». Nous l’appelons pillage et gavage - la drogue des ménages ; le butin des trafiquants ; le ravage de la Terre et de la nature, dévorées et consumées pour le profit.

Nous avons perdu à peu près tout pouvoir comme ouvriers ou producteurs, mais nous pourrions le reprendre en tant que non-consommateurs. Nous pourrions, en faisant la grève générale des achats, accomplir cette révolution que nos aïeux ont manquée. Peut-être est-ce même notre ultime chance.

Si vous vous plaignez de manquer de temps et d’argent, n’en faites pas cadeaux au système marchand.

Brisons le moral de Sony, Apple, Nintendo, Samsung et compagnie !

NOTES
 (1) Etude du cabinet GfK réalisée fin novembre 2013, citée par l’AFP.
 (2) AFP, 17/12/13
 (3) gfk.com, les citations proviennent du site.

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