65 ans séparent les deux articles publiés ci-dessous.
Le premier décrit 65 ans à l’avance le monde du second, notre monde.
Le second ratifie cette description et décrit le monde à venir ; notre monde imminent.

Le premier, intitulé "Vers la machine à gouverner" fut publié dans Le Monde du 28 décembre 1948 par Dominique Dubarle, physicien, dominicain et chroniqueur scientifique du quotidien. Il s’agit d’une recension du livre de Norbert Wiener « Cybernetics or control and communication in the animal and the machine » (Editions Hermann). « Cybernétique » est le mot forgé par Norbert Wiener, à partir du grec « kubernêtikê » (pilote) pour désigner la « science de la commande et de la transmission des messages chez les hommes et les machines. » C’est-à-dire la « science du gouvernement », puisqu’à travers le gouvernail et les commandes, ce sont des ordres qui sont communiqués au navire, aux marins, à l’Etat, aux gouvernés. En un temps où « les grandes machines mathématiques » couvrent encore « des surfaces de plus de cent mètres carrés », Dubarle prévoit « la machine à gouverner » de l’Etat mondial (« d’un gouvernement unique de la planète »). « Une des perspectives les plus fascinantes ainsi ouvertes est celle de la conduite rationnelle des processus humains, de ceux en particulier qui intéressent les collectivités et semblent présenter quelque régularité statistique, tels les phénomènes économiques ou les évolutions de l’opinion. »

En effet, une machine capable de collecter et de traiter toutes les données, ou peu s’en faut, réduit toute question politique à une question technique. Or techniquement, et suivant les données disponibles, il n’y a jamais qu’une seule meilleure solution à la fois.

Si une telle machine rationnelle existait, il faudrait donc, d’un point de vue technique, lui remettre le gouvernement des hommes et de l’Etat mondial.
Cette machine existe. IBM l’a construite sous le nom de « Planète intelligente », et Le Monde en fait la publicité, en partenariat sur son site lemonde.fr. Le Monde qui publie un article « antifasciste » par jour, comme sous Mitterrand et aux mêmes fins de manipulation (rappelez-vous, SOS Racisme, ou "l’affaire de Carpentras"). Ainsi, d’« informatisation de la société » (rapport Nora, Minc, 1977), en PC (personnal computers), d’Internet en e-administration, e-gouvernement, école numérique, etc., en sommes-nous venus à ce que Dubarle nommait « la manipulation mécanique des réactions humaines » qu’il comparait au « Meilleur des mondes ». La dystopie la plus connue alors, mais il aurait mieux valu citer « Nous autres » (1920) de Zamiatine, et son monde des « numéros ».

Nous avons reçu le deuxième article de Philippe Godard, auteur critique de la société industrielle et contributeur du site contrebande.org. Intitulé « Echapper au "nouvel âge digital" ? » et publié le 10 juin 2013, il s’agit également de la recension d’un livre , également américain , « The New Digital Age. Reshaping the Future of People, Nations and Business » (« Le Nouvel Âge digital. Refaçonner le futur des peuples, des nations et des affaires ») Il faut prendre les auteurs au sérieux. Eric Schmidt, PDG de Google, et Jared Cohen, directeur de Google Ideas, sont des technarques. D’éminents représentants de cette technocratie qui gouverne notre présent et planifie notre avenir. C’est-à-dire qu’ils ont les moyens de réaliser leurs plans. Google, vous savez, l’entreprise partenaire de l’Etat américain et de la NSA (National Security Agency) dans le programme Prism d’espionnage universel. La machine à gouverner qui sait tout de nous, qui investit d’énormes capitaux dans la mise au point de « l’homme augmenté », du cyborg, du surhomme électronique cher à Politis (cf Politis et le transhumanisme : une autre réification est possible) et aux cyberféministes.

Sans paraphraser l’article de Godard, sachez que ces plans concernent au premier chef la police des populations - ordre et gestion (cf Terreur et possession. Enquête sur la police des populations à l’ère technologique), la prévention des dissidences et insurrections.

« Le danger est identifié : l’individu qui se cache. Et la sentence tombe : - "No hidden people allowed". "Interdit aux personnes cachées" (…) Les gouvernements doivent décider, par exemple, qu’il est trop risqué que des citoyens restent « hors ligne », détachés de l’écosystème technologique. Dans le futur comme aujourd’hui, nous pouvons être certains que des individus refuseront d’adopter et d’utiliser la technologie, et ne voudront rien avoir à faire avec des profils virtuels, des bases de données en ligne ou des smartphones. Un gouvernement devra considérer qu’une personne qui n’adhèrera pas du tout à ces technologies a quelque chose à cacher et compte probablement enfreindre la loi, et ce gouvernement devra établir une liste de ces personnes cachées, comme mesure antiterroriste. »

Aussi bizarre que cela paraisse, nous soutenons que nous sommes en 2013 et non pas en 1933. Que notre ennemi n’est pas le NSDAP mais la NSA et la DGSE.

Que le « fascisme » de 2013, en dépit de quelques résidus folkloriques, ne se présente pas sous les aspects d’un parti de masse et de sections d’assaut fanatisées par un chef charismatique, mais sous ceux d’un système technologique – efficace et fonctionnel - auquel par veulerie, inconscience et futilité, nous cédons nos moindres parcelles d’existence.

Que tous les partis - mais d’abord la gauche techno-progressiste - au nom de la rationalité, des gains de productivité et des points de croissance, collaborent à sa mise en place.

Et que si nous voulions résister au fascisme contemporain, il faudrait continuer ce que le Clodo (Comité pour la liquidation des ordinateurs) avait si bien commencé, à Toulouse, dans les années 70, en détruisant les « machines à gouverner ». (cf. Les Luddites en France. Résistance à l’industrialisation et à l’informatisation. Editions L’Echappée, 2010)

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