À Tarente, ces jours-ci, des ouvriers et des habitants dont le « niveau de vie » et le « pouvoir d’achat » dépendent d’un complexe industriel, proclament que leurs vies valent plus que leurs emplois.

Une grande manifestation d’ouvriers contre la fermeture de leur usine au nom de la défense de l’emploi et de l’économie : c’est ce qu’aurait dû être la journée du 2 août 2012 à Tarente, dans les Pouilles, au sud de l’Italie. Une ville dévastée par l’Ilva, aciérie monstrueuse qui a tué, blessé et rendu malades des centaines d’habitants et de travailleurs depuis cinq décennies (cancers, maladies respiratoires et cardio-vasculaires, surmortalité de 15 %), ravagé l’environnement et contraint la population à vivre recluse pour fuir les dioxines.

Le PIB d’abord. L’Ilva représente 72 % de celui des Pouilles. L’emploi est la « première des priorités », comme disent ici le Front de gauche, le PS, les Verts et les syndicalistes. Des emplois, l’Ilva en fournit 11 500 à Tarente. Aussi les centrales syndicales – CGIL, CISL, UIL – marchent-elles main dans la main avec le patron, Riva, troisième producteur d’acier en Europe. Ensemble, ils défendent leur machine de mort contre la décision de mise sous séquestre prononcée par une juge le 26 juillet 2012, pour raison de salubrité publique.

Le 2 août, donc, les ouvriers devaient manifester spontanément – en cars affrétés par la boîte – afin de donner l’image d’une ville mobilisée pour l’industrie. Mais la manip’, selon l’AFP, a tourné court. « La manifestation a été interrompue par des contestataires qui ont sifflé les dirigeants syndicaux présents dans le cortège et lancé oeufs et fumigènes. Ce groupe accuse les syndicats de collusion avec la direction de l’usine Ilva (groupe Riva) et de défendre l’activité de l’usine plutôt que la santé des ouvriers et des habitants de Tarente. Les contestataires ont pris d’assaut le podium où devaient s’exprimer les syndicalistes, notamment la leader nationale de la CGIL, principal syndicat italien, Susanna Camusso. Les forces de l’ordre sont intervenues mais le meeting a tout de même été suspendu. » (1)

Qui sont ces contestataires ? Des intellectuels coupés des masses, des ennemis du prolétariat drapés dans leur bonne conscience écologiste, diraient les syndicalistes d’Arkema, de PSA, de Doux, militants du NPA, de Lutte ouvrière, du Front de gauche, et autres souteneurs de la réindustrialisation. Lisons plutôt le récit de cet assaut luddite par ses coupables, membres des « Cobas » (Comités de base), du « Comitato cittadini e lavoratori liberi e pensanti », de « Taranto respira », entre autres.(2)

Ayant convoqué une réunion en place publique au son du tam-tam quelques jours avant la manif, les opposants à l’usine meurtrière ont constitué un comité d’habitants et de divers collectifs. Mais aussi d’ouvriers de l’Ilva qui ont de longue date dénoncé de l’intérieur ses ravages ; le payant parfois cher, dans la plus parfaite indifférence de la FIOM-CGIL, syndicat majoritaire auquel ils appartenaient pourtant. « "La santé prime sur tout le reste, même le travail", lance l’un d’eux ».(3) Objectif du comité : « attaquer frontalement Riva et ses responsabilités, CGIL-CISL-UIL et les politiques pour leur complicité ». Et de dénoncer le chantage exercé sur la ville par l’industriel, « le système maffieux clientéliste inimaginable » mis en place par le syndicat principal, un « système de peur, de chantage, de manipulation ». (4) Oui, mais l’emploi n’a pas de prix.

La distribution massive de leur tract ayant reçu bon accueil, les contestataires ont eu l’honneur d’une campagne d’intimidation des syndicats, annonçant une « invasion de No-TAV, de black blocks, des centres sociaux, et autres amabilités ». (5) L’histoire serait imparfaite si cette campagne n’avait été déclenchée par un « imbécile d’écologiste » (sic). « Pensez un peu à qui on a affaire ! », soupirent à juste raison les anti-Ilva. (6) De notre côté des Alpes aussi, les écotechs Verts font campagne pour une industrie durable. (7)

En dépit de ces manœuvres, les contestataires ont gagné la bataille du 2 août : après l’interruption des discours des leaders syndicaux, nul ne peut ignorer qu’à Tarente, une partie de la population, appuyée par des ouvriers de l’Ilva, proclame que nos vies valent plus que nos emplois.
Salut à ces ennemis du crime industriel, du parti industriel et de sa mafia.

Fermez Doux, PSA, les centrales nucléaires ! Fermez les usines et la société industrielle !

NOTES :
 (1) AFP, 2/08/12
 (2) www.cobas.it/Notizie/La-magnifica-giornata-di-lotta-del-2-agosto-a-Taranto
 (3) Le Monde, 15/08/12
 (4) www.cobas.it/Notizie/La-magnifica-giornata-di-lotta-del-2-agosto-a-Taranto
 (5) www.cobas.it/Notizie/La-magnifica-giornata-di-lotta-del-2-agosto-a-Taranto
 (6) Idem
 (7) Cf L’Enfer Vert. Un projet pavé de bonnes intentions, par TomJo (éditions Badaboum, 2011), en ligne ici.

Lire aussi :
 Une chercheuse contre les crimes industriels, Pièces et main d’œuvre, 8 août 2012
 Le cancer de l’industrie – Syndicalisme et chimiothérapie, Pièces et main d’œuvre, mai 2012