Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Les critiques après-coup ne valent rien ; ou alors il faut faire de l’histoire. On peut demander : à quoi auraient servi les critiques contre le nucléaire civil et militaire, en mai 1939, quand Irène et Frédéric Joliot-Curie déposaient leur brevet sur les "Perfectionnements aux charges explosives" - c’est-à-dire la bombe atomique ? A rien, sans doute, mais on ne le saura jamais, puisque cette critique n’eut pas lieu en "temps réel" comme dit le sous-langage contemporain.

Que le pire nous soit promis et inévitable, soit. Mais faisons en sorte de ne pas le mériter par notre silence ou notre incurie. Grâce au livre de Frédéric Gaillard, "Le soleil en face - Rapport sur les calamités de l’industrie solaire et des prétendues énergies alternatives", nos lecteurs au moins ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Depuis le « choc pétrolier » de 1973, et plus encore depuis les catastrophes de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011), les énergumènes qui nous gouvernent sont à la recherche d’« énergies alternatives » : géothermie, biomasse, éolien, hydrogène, etc. Mais le véritable Graal de cette quête d’un combustible inépuisable et à vil prix reste l’énergie solaire qui, sauf imprévu, nous alimente pour encore 4,5 milliards d’années.

L’énergie, c’est le « power » dit l’anglais qui confond les deux notions dans le même mot. Sur toute la planète, dans tous ses laboratoires, le complexe scientifico-industriel s’est lancé dans une course éperdue aux technologies solaires les plus puissantes, les plus rentables, les plus complexes, les plus centralisées, les plus destructrices. En France, c’est le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA-EA) qui mène cette course avec ses rejetons et partenaires. Et voilà comment les pillards de pétrole et d’uranium fossiles s’accaparent maintenant le soleil. C’est dire que les rêves d’énergie solaire artisanale et individuelle, à la mode de L’an 01 et des premiers numéros de La gueule ouverte sont déjà cuits. Le soleil ne brillera pas pour tout le monde.

Après les sacrifiés à l’idole nucléaire voici ceux du nouveau culte solaire : expropriés des « terres rares », des terres agricoles, des steppes et déserts réquisitionnés pour les centrales solaires, victimes des ravages environnementaux – chimiques notamment -, de cette nouvelle industrie. Les cobayes du laboratoire planétaire, eux, devront toujours leur énergie à une techno-caste spécialisée et toute-puissante.

"Ce livre entend critiquer l’industrie solaire pour ce qu’elle sera : une avancée stratégique de l’électrification du monde. Un apport décisif à la réquisition de nos vies par l’économie. Loin de l’utopie d’une énergie "propre", produite localement avec un peu de sable comme matière première, cette énième prolifération high tech ouvre un nouveau cycle de centralisation industrielle et politique, apportant son cortège de calamités, de molécules innovantes, d’investissements lourds, de procédés polluants, de spéculations et de pillage."

Frédéric Gaillard est un semi-urbain trentenaire qui peine toujours à trier ses déchets depuis son dernier ouvrage, en collaboration avec Pièces et main d’œuvre : L’Industrie de la contrainte (L’Echappée, 2011)

Editions L’Echappée, 2012

157 p., 11 €.