Les Amis de la Terre jurèrent, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus*

Le 13 janvier 2010, l’association écologiste Les Amis de la Terre a annoncé son retrait des pseudo-débats de la Commission nationale du débat public sur les nanotechnologies. Il était temps ; la mascarade s’achève le 23 février. Il aura fallu 11 réunions aux Amis de la Terre pour comprendre que "leur présence seule ait pu être utilisée par les organisateurs du débat public comme moyen de légitimer le débat face à ses opposants."

Ce n’est pas faute d’avoir démonté la manipulation de la CNDP. Dès le mois de septembre 2009 nous écrivions : "La CNDP fait partie des outils d’acceptabilité des nouvelles technologies à la disposition des décideurs, pour vaincre la méfiance de citoyens-consommateurs échaudés par trop de scandales techno-industriels : amiante, vache folle, OGM. Ses débats publics répondent parfaitement aux préconisations des inventeurs de la "démocratie technique". Des sociologues jaunes, spécialisés dans l’acceptabilité de l’innovation, qui proposent aux décideurs des dispositifs pour gérer les "controverses". (…) Connaissez-vous le credo de ces pros de la manipulation ? "Faire participer, c’est faire accepter." C’est dire si les Verts et toute la piétaille associative-de-bonne-volonté les enchanteront en se ruant dans les débats de la CNDP sur les nanotechnologies cet automne."

Avec France Nature Environnement, Les Amis de la Terre ont servi de caution écolo à la CNDP, en acceptant le fauteuil qui leur était offert au nom de cette niaise croyance selon laquelle "il faut profiter de la tribune offerte pour faire entendre sa voix" – variante : "il faut combattre le système de l’intérieur". Croyance que trente ans d’échecs répétés n’auront pas réussi à fissurer.
Au fait, qui a entendu la voix des écolos depuis le début de la campagne d’acceptabilité de la CNDP ? Broyés par la machine à étouffer la contestation, ils se sont rendu inaudibles par leur participation.

Au moins Les Amis de la Terre sont-ils capables de réviser leur posture, et il faut noter leur démission. Un geste inimaginable pour leurs homologues de France Nature Environnement (FNE), fédération financée en large partie par le ministère de l’Ecologie. Et qui le lui rend bien en jouant servilement son rôle à la tribune de la CNDP et contre les opposants à la manipulation. Ainsi Francis Meneu, le président de la Frapna-Isère, adhérente de FNE, écrivait-il à Pièces et Main d’œuvre au lendemain de l’annulation du pseudo-débat de Grenoble le 1er décembre :

"En tant que Président de la FRAPNA-Isère, je tiens à vous indiquer que votre attitude est incompatible avec la définition que notre Fédération a de la libre expression démocratique des pensées et des idées dans un pays comme le nôtre et s’apparente à du fascisme.
Il n’y a que vous pour vous réjouir de cet échec qui discrédite totalement votre mode d’expression."

La FRAPNA vous savez ? Ce sont ces "écologistes" à gages qui ont soutenu la construction d’un méga-stade de foot au milieu du parc Paul Mistral au cœur de Grenoble et la candidature de la Ville aux Jeux Olympiques de 2018, et qui aujourd’hui laissent leur bailleur de fonds, le Conseil général de l’Isère, saccager la forêt des Chambarans pour y implanter un Center Parcs.

L’expertise contre la politique

Non seulement Les Amis de la Terre ont servi de caution, mais ils auront de surcroît accepté l’humiliation du face-à-face avec les plus arrogants des nano-carriéristes, comme en témoigne cet extrait de la réunion de Toulouse (disponible sur le site de la CNDP-Nanos) :

 "M. Vieu (chercheur au CNRS/Laas) : (…) refuser la connaissance, c’est ouvrir les portes à l’ignorance, à toutes les dérives et les manipulations possibles derrière. Quand vous dites qu’on va en balancer partout (NDR : des nanoparticules), d’où tirez-vous cette information ? Qui vous a dit cela ?
 Mme Frayssinet (Les Amis de la Terre) : des pneus avec des tubes de carbone, leur usure fait que…Vous avez déjà des nanoparticules sur les murs ou sur les ciments. Je ne fais que lire ce qui est écrit…
 M. Vieu : la matière sous forme nanoparticulaires est utilisée depuis plusieurs siècles autour de vous.
 Mme Frayssinet : le problème c’est qu’on va le faire à une échelle telle…
 M. Vieu : on vous explique que l’on va mieux comprendre de quoi est faite cette matière et quels seront ses effets. Vous refusez cette compréhension-là. C’est étrange comme position."

Voilà ce qui arrive à s’abaisser au niveau de l’expert.

Les nanotechnologies ne sont pas un projet technologique, mais politique, qui vise à "révolutionner nos vies". Non seulement les experts ne sont pas plus compétents que quiconque pour décider de nos vies, mais ils doivent être évacués d’un débat dans lequel ils ont trop d’intérêt pour être légitimes.

Pour l’anecdote, c’est à Toulouse même, il y a tout juste un an, lors d’une réunion organisée par les Amis de la Terre et Rose Frayssinet, que Pièces et Main d’œuvre avait désespérément tenté de prévenir ces associatifs contre toute participation aux divers dispositifs d’acceptabilité. Mais comme chacun sait, ces "écologistes réalistes" se croient toujours plus fins et "efficaces" que les "jusquauboutistes". Quoi que nous soyons tout sauf flatteurs, cette leçon vaut bien un fromage* (on peut l’adresser à PMO – Chez les Bas Côtés, 59 rue Nicolas Chorier, 38000 Grenoble).
Mais cette leçon infligée par la réalité ne sera pas mieux retenue que les précédentes par les associations écolo, qui se précipiteront à la première convocation participative et technique pour occuper à nouveau leur fauteuil de faire-valoir.

Pïèces et Main d’œuvre

Grenoble, le 16 janvier 2010

* Voir La Fontaine, Le Corbeau et le renard