Le prestige du « laboratoire grenoblois » tient entre autre à son personnelécolo-technicien qui depuis 1977, l¹année du rassemblement de Malville, oscille entre 10 et 15% aux élections, l¹un des plus gros scores des Verts en France. Alliés à l¹Ades (Associations Démocratie Ecologie Solidarité), ils comptent 11 conseillers municipaux à Grenoble, une trentaine sur l¹Isère, ainsi que 2 maires, 3 élus à la Métro, 1 au conseil général. Quantà la Frapna Isère, la plus grosse section de la plus grosse organisation régionale de « protection de la Nature », elle revendique 92 associations adhérentes, soit 25 000 personnes, et 14 00 adhérents individuels. Toute une activité institutionnelle et commerciale manifeste la prégnance de l¹écologisme local : Maison de la Nature et de l¹Environnement (financée par les collectivités locales), marchés, magasins et supermarchés bio, foires, festivals et salons, parmi des centaines d¹événements, et jusqu¹à la communication, dégorgeant non moins de « développement durable », que d¹« innovation technologique ». Pile et face du même désastre.

Le Daubé , 3 octobre 2001 :

«  Risques majeurs : les écologistes tirent le signal d’alarme.

En 1971, parmi les manifestants du « comité anti-pollueurs » brandissant banderoles, criant slogans et portant masques à gaz devant l’entrée d’une des usines chimiques de Pont-de-Claix, il y avait Raymond Avrillier. Trente ans plus tard le même Raymond Avrillier est encore là pour dénoncer les mêmes travers de notre société industrielle. »

Sans doute Le Daubé n’a pas découvert tout seul cet engagement de jeunesse et si Raymond Avrillier a cru bon de lui en faire part, c’était pour revendiquer son antériorité, sa légitimité, sa continuité, et pour tout dire, sa primauté sur le terrain de l’écologisme. Soit. Le retour aux origines n’est pas le pire moyen de découvrir les écotechs grenoblois.

1971. Depuis 68, anars, gauchistes, maoistes, dénoncent «  la fac au service des patrons » . Ainsi le Comité d’Action de l’Insti (futur INPG), met-il à sac le grand bal de l’insti en 1969 (boules puantes, pillage du buffet et saccage d’une exposition de Ferrari). C’est d’ailleurs pour le soustraire au désordre universitaire que Louis Néel arrache du ministère de l’Education Nationale un statut de grande école pour son institut.

Deux ans plus tard un wagon d’herbicide explose chez Progil, à Pont-de-Claix. Vérité Rhône-Alpes publie enquêtes et témoignages du Comité Anti-Pollueurs . Vérité Rhône-Alpes n’est pas un journal écologiste, mais «  d’expression populaire » . C’est à dire que moyennant quelque ventriloquisme, il tente de donner voix à ce qu’il y a de plus révolté dans ce qu’on nomme encore «  le peuple » et non «  les gens » . En pratique, ce sont les maos et leurs sympathisants qui l’animent, et tout d’abord, deux chercheurs de l’Irep (Institut Régional d’Economie et de Planification) : Pierre Boisgontier et Michel Bernardy de Sigoyer. Raymond Avrillier, militant du Comité Anti-Pollueurs, également chercheur à l’Irep, participe au dossier publié dans Vérité Rhône-Alpes . On y apprend qu’un défoliant fabriqué chez Progil, et pulvérisé par les Américains au Vietnam, a servi à y détruire les forêts. L’OCPA, un herbicide, est cancérigène. Les essais de toxicité sont bâclés, les ouvriers victimes d’accidents et de maladies du travail : brûlures, dermatoses, hypertrophies des testicules. «  Au lindane, c’est l’enfer » . On y crève à produire cet herbicide «  dont on sait par ailleurs qu’il a de graves répercussions sur la faune des rivières » . Il est question de wagons de propane, de propylène, d’éthylène, d’acides divers, d’acétone, de camions citernes, de canalisations rouillées, de phénol dans la nappe phréatique. «  Savez-vous qu’à Progil il y a en permanence une trentaine de m3 de phosgène, qui est un gaz de combat mortel et presqu’autant de chlore, le tout liquéfié bien sûr. »

Le 11 novembre, le Comité Anti-Pollueurs intervient au mégaphone et distribue des tracts, au stand de Progil, lors du salon anti-pollution de Grenoble. Mais qu’est-ce que le Comité Anti-Pollueurs ?

«  Le CAP est né du travail d’enquête et de discussion mené par des étudiants de Sciences en liaison avec le Secours Rouge de Pont-de-Claix.

Très vite s’est fait sentir la nécessité de faire autour des habitants de Pont-de-Claix l’unité de l’ensemble de la population grenobloise, et en premier lieu ceux qu’on prépare à être les ingénieurs complices du manque de sécurité et d’hygiène : les étudiants en sciences.

C’est pourquoi le CAP a engagé une campagne sur la faculté pour associer le maximum d’universitaires à la lutte contre les pollueurs.

Mais l’administration de la faculté des sciences se targue d’être à la pointe de la liaison « Industrie-Université », et refuse le droit de cité à ceux qui veulent s’attaquer à ces mêmes industries.

Or le CAP a besoin d’un local.

Fort d’une pétition signée par plus de 100 chercheurs et enseignants, le CAP décide d’occuper le bureau de Montagnat, secrétaire général de l’université des sciences (ndr. L’Université Joseph Fourier). Devant le refus persistant de Mr Soutif, président de l’Université 1, le CAP s’est attribué une salle dans le bâtiment de physique ; il l’a toujours. »

Le 2 décembre, un meeting regroupe 150 étudiants et chercheurs avec la participation d’un technicien de Progil et de membres du Secours Rouge de Pont-de-Claix. On y entend des témoignages recueillis au magnétophone auprès d’habitants de Pont-de-Claix et d’ouvriers de Progil. Chercheurs et médecins apportent des précisions sur les produits fabriqués et les dangers qu’ils représentent. A l’issue de ce meeting, rituellement clos par un « débat », le Comité Anti-Pollueurs annonce de vastes projets. Constituer avec des étudiants en droit et en médecine des dossiers sur les accidents et maladies dûes à Progil, pour d’éventuelles attaques en justice. Diffuser des résultats d’analyse sur l’air, l’eau de Pont-de-Claix, et des enquêtes sur les accidents à Progil. Réunions d’information. Expositions itinérantes dans les écoles, les maisons de jeunes, sur les marchés. Représentations du Théâtre Universitaire Révolutionnaire. Et «  pour concilier l’unité de la population grenobloise autour des habitants de Pont-de-Claix » , l’organisation d’une «  Grande Marche « Anti-Pollueurs » en direction de Progil » .

Velléités et versatilité aidant, à peu près rien de ce programme ne fut réalisé. Reste que la première campagne « écologiste » à Grenoble est d’origine gauchiste, rouge et non pas verte. Du coup, elle ne se borne pas à la défense de la nature (forêts, rivières, faune) pour elle-même, mais pour les hommes qui l’habitent, et tout d’abord les plus exposés à «  la pollution » , aux risques et maladies, le peuple forcément. La pollution est un sous-produit du capitalisme, non de la société industrielle, un effet de la lutte des classes. Le gauchisme ignore le sentiment de la nature et néglige sa version rationalisée, «  l’éco-système » . La disparition d’un site naturel ne l’émeut que s’il nuit directement «  aux masses  ».

Chez Progil, c’est moins la production d’herbicides qui est dénoncée par le Comité Anti-Pollueurs que les conditions de cette production ; les risques et les nuisances pour le personnel et le voisinage. Choix du lieu (zone habitée), produits et procédures dangereuses, matériel vétuste etc. «  Il faut comprendre que malgré toutes les précautions des dangers existeront toujours, mais que toutes ces précautions sont loin d’être prises. » De l’origine d’un principe.

C’est que Progil se moque de la santé et de la sécurité de la population, sacrifiée à la guerre économique. «  IL FAUT EXIGER DES MESURES PRECISES contre les plus gros risques » , déclare le Secours Rouge «  à commencer par les wagons près des habitations. WAGONS HORS D’ICI. Si les autorités refusent de faire appliquer la loi, il faudra prendre des moyens plus efficaces que les pétitions. »

On voit poindre « l’alternative technique ». Au fond, le préfet et la direction de Progil sont incompétents . Confiez l’usine ou la zone chimique au Comité Anti-Pollueur, il ne vont pas les fermer, mais appliquer de meilleures solutions « gagnant-gagnant », pour la population ET la production.

Novembre 2001. Raymond Avrillier à Objectif Rhône-Alpes  : «  Je ne suis pas un intégriste : je comprends l’utilité de certaines industries chimiques, notamment dans le secteur pharmaceutique. En revanche, je n’arrive pas à comprendre pourquoi une usine d’engrais et d’insecticides est implantée au cœur d’une agglomération. »

Quoique n’étant pas intégriste, l’on n’arrive pas à comprendre l’utilité d’engrais et d’insecticides où qu’on les produise, sauf pour alimenter une morbidité lucrative pour le secteur pharmaceutique. Bah. D’ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement) en sites Seveso, de CHSCT (Comité Hygiène Sécurité et Conditions de Travail) en CLIC (Comité Local d’Information et de Communication), de PPRT (Plan de Prévention des Risques Technologiques) en PPI (Plan Particulier d’Intervention), en passant par les POI, les PPMS et les PCS (Plan d’Opération Interne aux entreprises. Plan Particulier de Mises en Sûreté, dans les écoles. Plan communal de Sauvegarde), la «  culture du risque » progresse, avec ses exercices d’alerte et ses salles de confinement dans les écoles et les supermarchés. Le risque est le grief majeur, sinon le seul, que les écotechs adressent à l’industrie chimique. Leur seul reproche aux directeurs d’usines comme aux autorités publiques est leur négligence du risque par opposition à la maïtrise du risque qu’eux-mêmes revendiquent. Celle-ci désigne par antiphrase, une soumission au risque et à ses impératifs. La première et la pire des nuisances produites par la zone chimique de Pont-de-Claix n’est pas le phosgène, le «  risque majeur » , mais l’ordre social nécessaire à sa contention, avec sa technocaste, seule capable d’en gérer les dangers et les complexités, et un appareil sécuritaire dont le risque est le prétexte, et le contrôle, la réalité. La zone chimique comme le Polygone scientifique, est une zone interdite, aux abords surveillés (caméras, vigiles, rondes, cellules photo-électriques), et au voisinage dressé à la «  culture du risque » (sirènes, exercices d’alerte, salles de confinement à l’école et au supermarché).

Le génie écotech rejoint le génie administratif, service public oblige, dans cette bureaucratisation hérissée de sigles, d’acronymes et de périphrases obscures. Le spécialiste écotech s’enorgueillit de maîtriser cette langue techno-administrative, la langue grise de la maîtrise, ainsi prouve-t-il sa compétence à encadrer la population. La mise en condition de celle-ci assurant sa collaboration à sa propre sujétion. Ce que Yves Cochet, docteur en informatique et ministre de l’Environnement, en visite sur la zone chimique, appelle «  la démocratie du risque ». ( Le Daubé 31/01/02)

A quoi sert le phosgène par exemple ? A la guerre d’abord : 6000 morts sur le front russe le 31 mai 1915. A la fabrication de mousse pour sièges et fauteuil, de rouge à lèvre, de vernis à ongle, d’aspartame, de peintures industrielles, d’herbicides, de pesticides et, très accessoirement, au traitement du sida. N’importe qui doué de sens commun conclurait que la seule gestion raisonnable du phosgène, de tous ces poisons et explosifs stockés à Pont-de-Claix, c’est l’arrêt pur et simple de leur production. Mais les écotechs ne sont pas n’importe qui. Experts et verts, ils sont doublement intéressés à la maintenance du risque. Ecologistes, ils s’érigent politiquement en médiateurs, entre la population et les industriels. Ils disent le juste milieu entre la chêvre et le chou. Techniciens, ils parfont l’emprise de leur caste en atténuant de leur main verte, les malfaisances dûes à la main noire de leurs collègues. Et ainsi, dans le meilleur des systèmes techniciens, la bonne technique, seule, complète et corrige la mauvaise technique, renforçant d’autant leur pouvoir unifié.

Vincent Fristot, docteur ingénieur en électronique, élu Vert/Ades, président de la Compagnie de chauffage, énumère «  les mesures à prendre contre les risques majeurs ».

« Un examen sérieux des dix-neuf installations présentant des risques spécifiques à proximité des agglomérations afin de déterminer les sites à déplacer ou fermer, avec des aides à la reconversion - il faut en l’occurrence une inspection indépendante pour voir, parmi ces installations, ce qu’on peut conserver au milieu de l’habitat ou pas - ; le renforcement des droits des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des représentants des salariés, avec des moyens pour l’appel à des expertises indépendantes des exploitants ; la mise en place d’une autorité de sûreté industrielle disposant de personnels et moyens indépendants des exploitants, chargée de contrôler les installations à risques ; des débats pluralistes pour les « dossiers d’informations communaux sur les risques majeurs » à élaborer ; la révision complète du PPI (Plan Particulier d’Intervention) en incluant les résultats des études récentes ; la mise en place de contraintes réelles à l’urbanisation autour des installations à risques ». Cette liste, on le devine n’est pas exhaustive... » (Le Daubé 3/08/01)

Raymond Avrillier, ingénieur en économie, élu Ades/Verts en charge de l’assainissement à la Métro, obtient du tribunal administratif l’extension du Plan Particulier d’Intervention autour de Rhodia à Pont-de-Claix. ( Le Daubé 16/03/02) Il n’ y a jamais trop de sécurité pour les écotechs, et ils ont raison, puisque cette extension laisse tout le centre de Grenoble à la merci d’un nuage de phosgène ; puisque par définition l’accident échappe à leurs plans de prévention.

Laurent Manivel, universitaire et président de l’Association des Riverains de Pont-de-Claix (AR2PC), se plaint du manque de sirènes et d’exercices d’alerte, des multiples défaillances administratives dans les plans de prévention et la «  culture du risque » . (cf Le Daubé 20/10/04, 12/12/04, 26/03/05) Focalisée sur le risque, AR2PC constitue un service bis de protection civile et son site internet (http://perso.wanadoo.fr/ar2pc.org/index.html), un site bis de celui de l’Institut des Risques Majeurs. Dans ses buts (maîtrise des risques majeurs, information, réduction des risques en collaboration avec les collectivités locales et les administrations compétentes), comme dans ses moyens (lettres au préfet, notes de calcul sur les scénarios d’accidents, visites sur zone avec les directions d’usine), l’association fait assaut d’expertise avec les pouvoirs publics dans la gestion des risques. Normal, puisque les personnels écotechs et administratifs étant interchangeables, voire identiques - professionnellement administratifs, politiquement écotechs - ils ne se querellent que sur la meilleure façon de faire du développement durable.

Lu sur le site d’AR2PC. «  Le 10 janvier 2004, nous avons pu visiter la plateforme où nous avons été fort bien reçus par les dirigeants de Rhodia Intermédiaire et Isochem. »

Le 3 novembre 2004 : «  L’ AR2PC est invitée à assister à un exercice de grande ampleur sur la plateforme. »

Et cette perle qu’on dirait de Courteline :

«  Pour se protéger d’un dégagement toxique, seul le confinement est efficace. A condition que ce dégagement ne soit pas consécutif à une explosion qui ferait voler les fenêtres en éclats ! Encore faut-il que chacun ait à sa disposition des rouleaux de scotch adéquats.

Ne reviendrait-il pas aux exploitants de la plateforme de distribuer ce moyen de protection aux populations exposées, et en priorité dans les écoles ? »

C’est en effet plus réaliste que de réclamer l’éradication des risques à la source : l’industrie chimique avec son ordre social, sa production de nuisances et de corruptions, taxes professionnelles, salaires, croissance et consommation.

Didier Migaud aux directeurs de Rhodia, Isochem, Chloralp, Teris : «  Les élus de l’agglomération soutiennent l’activité économique que vous représentez. » ( Le Daubé 26/03/05)

Du Comité Anti-Pollueurs, voici 34 ans, à l’Ades et à l’AR2PC aujourd’hui, la personnalité de Raymond Avrillier n’incarne pas tant la persévérance et le progrès, que le renoncement et le renversement du sens de la contestation.

Au delà de la «  pollution  », le CAP s’attaquait au «  Système  », à la «  liaison recherche-industrie » et à la complicité des ingénieurs avec les risques et les nuisances. Aujourd’hui les écotechs ne visent qu’à la maîtrise des risques . Le CAP pratiquait l’enquête de terrain pour libérer «  l’expression populaire » et construire un rapport de forces politique. La contre-expertise des chercheurs, des étudiants en sciences, en droit, en médecine, était subordonnée à cette parole populaire, et pour la servir en justice, terrain ennemi et secondaire. Au delà du rapport de forces, il s’agissait de renverser la spécialisation hiérarchique entre les experts, personnalités individuelles, d’ailleurs faillibles, et la population, personnalité collective, dont l’expérience valide le savoir. Avec leurs plans, leurs rapports, leurs dossiers, les écotechs ont renversé le renversement. Contre le concret de l’expérience ils ont rétabli l’abstraction des normes et des règlements. Aujourd’hui «  les gens » , ou plutôt leur substitut, « les assoces » , sont requis de soutenir les discours et les recours en justice des écotechs. Un suivisme et une passivité on ne peut plus commodes à la plupart des spectateurs. Notre justicier se bat contre leur justicier. Peu importe l’inégalité de moyens, l’argent que l’industrie peut dépenser en avocats, procédures, expertises, pour s’acheter la justice. Le rapport de forces se règle au mieux-disant technique et, quelle que soit la décision, au mieux du «  Système » .

Ainsi le 15 mars 2002, le tribunal administratif acquiesce au recours de Raymond Avrillier contre Rhodia à Pont-de-Claix, à propos du rayon d’un PPI (Plan Particulier d’Intervention). «  Raymond Avrillier arguait que l’enquête publique sur la première autorisation portait sur un rayon de 3 km autour du site et ne concernait que 6 communes alors qu’elle aurait dû s’étendre à l’ensemble des 27 communes concernées par le PPI soit un rayon de 6 km. Pour la bonne mesure, Rhodia a finalement élargi sa nouvelle étude à un rayon de 6,5 km. Six mois de travail pour les ingénieurs de Rhodia qui n’ont pas rechigné à consacrer des heures sup à la tâche ! (a précisé Maurice Michel le directeur de l’usine), un dossier de 8 kg de papiers, de plans, de schémas et de descriptifs d’études... et, in fine, une facture estimée entre 300 et 400 000 euros : Raymond Avrillier coûte cher à Rhodia. Mais Maurice Michel est bon joueur. Il admet que l’élu grenoblois avait raison et qu’il n’y avait pas lieu de priver les habitants des 27 communes alentour d’une réelle information sur les risques d’une telle installation, risques parfaitement maîtrisés, forcément. » ( Le Daubé 11/10/02)

Vrai, la part ludique prédomine entre ces deux adversaires qui jouent nos vies, suivant les règles des codes légaux, et Maurice Michel a toutes les raisons d’être bon joueur. Pour 400 000 euros, il préserve un investissement de 110 millions d’euros . Il s’offre une opération de communication avec journalistes et élus, et donne de Rhodia l’image d’une entreprise «  citoyenne » et «  responsable » . Il évite la discussion sur le phosgène et les usages du phosgène. En cas d’accident, le PPI, dans un rayon de 3 ou de 6,5 km, ne changera pas grand chose au nombre des victimes mais les exigences du plus sourcilleux des écotechs auront été satisfaites. Une caution qui vaut bien 400 000 euros. Qui plus est, les procédures techniques et juridiques du système sont validées. Le système marche, les écotechs l’améliorent et continueront de l’améliorer avec leurs collègues de chez Rhodia.

Simples Citoyens

Grenoble, le 6 juin 2005

Annexe

A Grenoble en 1971, le Secours Rouge mène la première campagne « écolo »

Extrait de « La contre-information : un système d’expression, le cas de Grenoble », thèse de doctorat de 3e cycle de Michel de Bernardy de Sigoyer. Mai 1980

« Ce sont des militants de la CFDT en contact avec certains « maoïstes » marginaux, écologistes sans le savoir, qui vont accrocher le grelot sur une bonne raison : l’un d’entre eux est en train de mourir de cancer après avoir travaillé dans certain atelier d’essai de Progil (nb. On compte à l’époque selon les sources syndicales (C.H.S) un accident par jour à Progil consécutif aux fuites, mini-explosion, incendie, intoxication, allergie, brûlure, blessure etc...sans compter des maladies chroniques (maladie de peau : eczéma) ni d’un certain nombre de cancer des testicules sur l’origine desquels la lumière n’a jamais été faite.) Quelle situation sur la zone sud à l’époque : accélération massive de certaines productions, vieillissement des installations, multiplication des « incidents de routine », stockage de produits aussi dangereux que phosgène, ou chlore dans des wagons désaffectés... Tous ces faits sont évidemment dénoncés par les syndicats dans leur presse interne... mais la critique déborde très peu le cercle ouvrier.

Il n’y a pas que les nuisances internes... Progil, Distugil, Ugine-Kulmann, Metafram, etc, chaque jour aussi déversent leurs eaux usées, c’est à dire des effluents innommables dans le Drac... des rapports très officiels, mais confidentiels s’accumulent. Les gens curieux peuvent ainsi savoir qu’on découvre du phénol grenoblois dans le Rhône, ou encore que Caterpillar et le CENG commencent à protester parce que l’eau de la nappe phréatique de Grenoble, devient à ce point trop chargée en chlore qu’elle ne permet plus de procéder au nettoyage des tôles etc... Il n’ y a pas que l’eau, l’atmosphère du sud grenoblois empeste, d’autres rapports non moins officiels signalent que les vins de Jarrie revêtent des goûts étranges, de même les inspecteurs d’écoles primaires responsables de la zone sud font état de l’augmentation alarmante des maladies infantiles d’origine respiratoire... Mais de tout cela, l’opinion publique ne sait rien, le D.L n’en parle pas. C’est cette réalité que le Secours Rouge de Pont-de-Claix va s’employer à dénoncer...dès sa constitution sur l’initiative de certains militants maoïstes (encore eux !) avec la participation de quelques habitants (instituteurs, vieux syndicalistes retraités, quelques militants « établis » à Progil). C’est ainsi que naît le premier journal « écologique » à nos yeux. C’est « Vérité Chimie » publié en avril 71. Voilà le premier médium d’information parallèle publié sur l’agglomération dans ce domaine. Ce journal se veut un cri d’alarme - il est une accumulation de témoignages multiples, une sorte d’acte d’accusation polymorphe qui dénonce aussi bien les risques d’accidents que les conséquences de la pollution. Mais « Vérité Chimie » n°1 vise plus loin, il précise les responsabilités. A distance, on le ressent comme un appel brûlant, dans sa naïveté, à la population pour qu’enfin elle dise non, qu’elle se révolte contre ceux qui sont à la source de tous ces scandales. Progil et au-delà tout le complexe chimique sud, fait l’objet d’attaques particulièrement virulentes : « Progil, premier pollueur », Progil entreprise la plus dangereuse de l’agglomération...

Pour ceux qui ont vécu à l’époque, « Vérité Chimie » n’était alors qu’un petit aspect de l’activité du S .R. Pont-de-Claix : une demi-douzaine de militants se dépensent sans compter. Leur démarche de départ, c’est de renforcer les luttes ouvrières pour la sécurité à l’intérieur des usines en l’ouvrant vers l’extérieur. Des tracts, des réunions attirent l’attention des habitants proches de Progil sur les dangers que leur fait courir le stockage ; on invite les agriculteurs à expliquer publiquement les pertes qu’ils subissent du fait de la pollution ; même les médecins sont « mobilisés », plusieurs d’entre eux ne se font pas prier pour décrire les conséquences morbides de la pollution telles qu’ils les rencontrent chaque jour dans leurs consultations sur la zone.

Si nous insistons sur cette expérience du Secours Rouge de Pont-de-Claix, c’est qu’elle apporte quelque chose de nouveau dans l’activisme gauchiste du moment, elle traduit une volonté très consciente d’élargir à toute la population d’une zone de vie-travail les connaissances éparses, tronçonnées, voir « séquestrées » volontairement par les patrons, ou simplement « non divulguées » (ce n’est pas dans les habitudes) par les syndicats qui conçoivent souvent leur action comme uniquement « professionnelle et sectorielle ». En bref, l’idée force qui se fait jour dans cette nouvelle pratique, c’est celle « d’Unité Populaire », de mise en commun de toutes les préoccupations de chaque catégorie de la population. On sent derrière comme un vent lointain venu des Etats Généraux de 1789.

Unité populaire contre l’insécurité, la pollution dans et autour de Progil. Cela va à l’encontre des idées généreusement débitées par le patronat local et la presse locale comme quoi l’industrie chimique, Progil en particulier, apportent outre l’ensemble de leur production dans le PNB mais aussi les emplois sans lesquels Pont-de-Claix et les autres communes ne seraient pas ce qu’elles sont. L’article du Dauphiné Libéré relatant les raisons de l’attribution à Progil en 1971 du Prix Paul-Louis Merlin est éloquent sur la manière dont le patronat et la presse dominante voit le rôle des industries dans la société. Le Dauphiné évoque « la contribution de Progil au développement social, économique et technique de Grenoble ». Manifestement et sans remettre en cause au profit de qui s’est réalisé ce développement, le Dauphiné Libéré a oublié quelques qualificatifs caractéristiques de la réalité de Progil. La pollution éventuelle et ses dangers ne sont jamais mentionnés. Comme si le DL n’en avait jamais entendu parler...

Mais parfois, il y a un accident, on ne peut plus se taire : l’explosion le 30 octobre 71 de wagons de produits chimiques stockés à Progil à quelques mètres d’habitants cause beaucoup d’émoi : quelques blessés, beaucoup de vitres cassées. Elle est la preuve par neuf de la légitimité des inquiétudes de la population exposées dans la contre-information du Secours Rouge. Qu’importe, le Dauphiné Libéré, en journal « objectif » minimise l’accident en invoquant la fatalité : « l’explosion inévitable » écrit-il sans se poser la question de ce que cela veut dire pour des gens que de vivre continuellement à côté d’une usine dont certains produits peuvent exploser d’une manière « inévitable ». Pour le DL la « catastrophe a été évitée grâce à l’adresse de l’équipe de sécurité ». Les quelques blessés et les vitres cassées sont vite oubliés, rangés du côté « du plus de peur que de mal » et l’angoisse des riverains refoulée par un sempiternel « il n’ y a rien à craindre ».

Fatalité ! cette explosion du 30/10/71 - que non pas, le Secours Rouge de Pont-de-Claix a vite fait, à partir des éléments qui lui sont fournis par les syndicalistes de Progil, de démontrer au bout de quel enchaînement cet accident s’est produit : une suite de négligences sur la sécurité, toutes imposées par la recherche du rendement et du moindre coût de la part de la direction de Progil. Cette affaire, qui aurait pu être une catastrophe relance d’ailleurs l’activité du Secours Rouge. Une manifestation dans le quartier de l’explosion exige de Progil la modification de son stockage. Et très vite, la question de l’insécurité à Progil est posée à la population de l’agglomération dans son ensemble par une propagande intensive. L’accent est mis justement sur la dimension des stockages et le manque de sécurité.

C’est dans cette perspective que, parallèlement au SR Pont-de-Claix, une vingtaine d’étudiants et d’universitaires créent sur le campus un Comité Anti-Pollueurs. Ce qu’ils se proposent, c’est de dénoncer les plus gros pollueurs de la région. A l’inverse de la campagne du gouvernement laissant entendre que chacun est également responsable de la pollution et que si tous les mégots et papiers gras étaient mis dans des poubelles, la France serait propre, le Comité Anti-Pollueurs désigne clairement les industriels de la chimie comme les responsables des principales pollutions affectant l’agglomération grenobloise. Le titre de sa première déclaration « tout le monde sait que Progil est le pollueur n°1 sur Grenoble » montre que l’objectif du Comité est de dépasser la simple dénonciation générale de la pollution locale et de voir ce qu’il est possible de faire pour les supprimer. Ce ne sont pas à proprement parler les industries qui sont mises en cause, mais les patrons jugés responsables des mauvaises conditions de travail et de sécurité. On leur reproche de faire très peu de cas de la santé des ouvriers ou des dégradations commises à l’environnement.

Le Comité Anti-Pollueurs se veut le relais sur Grenoble du travail entrepris à Pont-de-Claix par le Secours Rouge. Pour cela il n’épargne pas ses efforts et recherche quelques effets susceptibles d’accroître la portée des moyens classiques de l’information. Des masques à gaz portés ostensiblement lors des distributions de tracts ne manquent pas d’éveiller la curiosité de ceux à qui ils sont destinés ; une petite pièce de théâtre sur les conséquences diverses de pollutions chroniques est jouée dans certaines cours d’immeubles et sur quelques marchés etc...

Le Comité Anti-Pollueurs programmera aussi l’inévitable meeting de lancement, il ira même jusqu’à envahir pacifiquement le bureau du Président de l’U1 pour obtenir l’affectation d’une salle à titre permanent...

Relativement à notre propos, cette aventure du S.R. Pont-de-Claix présente un pas novateur. Cette popularisation implicite de l’idée d’unité populaire qu’on vient de signaler, mais aussi et surtout d’être la première initiative d’inspiration classable « écologique ». Et pourtant tout ce mouvement va avorter très vite, cela malgré le durcissement relatif de certaines actions : quelques agriculteurs déversent du fumier devant la direction de Progil, quelques dizaines d’habitants de Pont-de-Claix bloquent des camions de ladite entreprise, on ne compte pas les graffitis ni les tracts, ni les affiches... Vérité Rhône-Alpes sort à la une sur l’accident du 30 octobre... mais toutes ces initiatives du SR Pont-de-Claix ne parviennent pas à rompre l’enclavement. A l’autre bout de la ville, le Comité Anti-Pollueurs tente, sans succès de retourner la problématique : son projet de grande marche « antipollution » contre Progil tournera court, de même son intervention au salon des techniques anti-pollution à l’Alpexpo fera figure de pétard mouillé.

Quelle explication à cet échec relatif ? Au delà du tir de barrage habituel du couple P.C-C.G.T, c’est certainement l’intériorisation par une large majorité de travailleurs et d’habitants de la zone, du chantage à l’emploi que Progil ne se fait pas faute de développer : « Vous ne voulez pas de pollution ! soit, nous irons nous installer ailleurs. » Mais il y a plus, manifestement le mouvement « gauchiste » grenoblois n’était pas mûr pour porter une revendication d’ordre écologique, pas plus mûr que la population elle-même. Certes le mouvement amorcé contre les pollutions chimique a permis de répandre des interrogations, il a suscité de la part de ceux qui subissent le plus profondément ces situations une amorce de mobilisation. Mais dés lors que l’enjeu de la lutte a dépassé l’aspect informatif pour proposer quelques actions, les langues se sont tues, et les principaux concernés ont refusé de s’engager plus avant. Entre la pollution et l’emploi, terme de l’alternative proposée par Progil, la population a tranché : elle a préféré faire le dos rond et vivre en respirant du chlore plutôt que de s’affronter à Progil dans une lutte dont l’issue n’était pas claire.

Depuis 1971, personne n’a réussi à reposer le problème des pollutions dans le complexe chimique de Pont-de-Claix et le faux choix (pollution ou travail) tient toujours lieu d’épouvantail. Comme quoi, une dénonciation-information même intensive est un recours bien faible face aux arguments concrets. Elle ne peut pallier à l’absence d’un mouvement de masse. »