A Strasbourg, un simple citoyen publie en ligne une enquête sur la vidéo-surveillance dans sa ville (http://www.strasbourgcurieux.com/reportage/surveillance/index.htm).

Banal ? Seulement si l’on trouve banal de vivre en liberté surveillée.
A Lyon, le site Rebellyon diffuse un implacable mémoire « Les assassins sont parmi nous » qui traite de la recherche et des armes biologiques, entre le laboratoire P4 de Lyon, le Commissariat à l’Energie Atomique de Grenoble, le Centre de Recherche du Service de Santé des Armées (CRSSA) de La Tronche, et diverses start-up locales. Toutes les informations existaient à l’état de bribes, mais aucun média, aucune organisation, n’avait eu le courage et l’à-propos de les rassembler pour aboutir aux conclusions suivantes :

« 1) Lyon et Grenoble abritent deux laboratoires vulnérables aux attentats, aux vols, aux accidents, aux fuites de savoir-faire.

2) Lyon et Grenoble sont également le pôle européen de développement des bio et nanotechnologies. Or ces technologies sont duales, elles « servent aussi à faire la guerre ».

3) L’armée est présente dans tous ces projets. Officiellement, elle ne s’intéresse qu’aux programmes de « biodéfense ». C’est oublier qu’il y a 30 ans, le programme nucléaire offensif se masquait aussi derrière ses applications civiles (Dominique Lorentz, Affaires atomiques, Les Arènes 2001 ; Bruno Barillot, Le complexe nucléaire, CDRPC 2005). Quand on lit, « les armes biologiques pourraient bien jouer au XXIe siècle le rôle des armes nucléaires au XXe » (Libération 22/08/2001), comment ne pas imaginer que le même jeu macabre pourrait se rejouer, à notre insu, entre Lyon et Grenoble ?

4) Nos sociétés sont vulnérables aux risques biologiques. L’Etat s’appuie sur cette vulnérabilité pour justifier la course technologique vers le « tout-sécuritaire » (biométrie) ou la « détection des attaques » (biopuces).
Cela se passe ici, chez nous.

Ce sont des ingénieurs, des chercheurs, des techniciens qui habitent près de Lyon ou de Grenoble, qui font leur marché le week-end, ont des enfants, une maison, des loisirs. »
(Les Assassins sont parmi nous. Service Civil Lyonnais.
http://rebellyon.info/article883.html)

Si vous pensez que de telles considérations sont inoffensives, qu’elles ne troublent pas la conscience publique ni les rapports de force politiques, vous êtes d’un autre avis que les technarques de la Métro (Communauté d’agglomération grenobloise), qui dépensent des dizaines de milliers d’euros, et emploient tour à tour la communication et la police pour étouffer la voix de www.piecesetmaindoeuvre.com, site de bricolage pour la construction d’un esprit critique à Grenoble.

De Libération au Monde en passant par Le Daubé (le surnom local du Dauphiné Libéré), Objectifs Rhône-Alpes, Acteurs de l’Economie Rhône-Alpes, Le Point, Silence, Politis, Le Canard Enchaîné, un filet d’articles a rapporté plus ou moins fidèlement les critiques des opposants aux nécrotechnologies grenobloises. On connaît l’extrême sensibilité des politiciens à la moindre éraflure médiatique. C’est pour panser ses plaies que Didier Migaud, président de la Métro, organisait en juin à MC2, la maison de la culture, un talk-show « Science et Démocratie ». Budget de l’opération : 98 365,90 € HT, voté à l’unanimité, y compris les voix des écotechs Verts.
Pour faire bonne mesure, et pour 15600 € de rab, la Métro commandait à Pierre-Benoît Joly (sociologue expert en « démocratie technique ») une étude sur le thème : « Science et technique : comment mener le débat permanent dans l’agglomération grenobloise. »

Pièces et Main d’Œuvre (PMO), qui depuis quatre ans mène, gratuitement, le débat permanent sur les sciences et techniques dans l’agglomération grenobloise, répond ci-dessous à la question que se posent nos élus.
En juillet, la police interpellait à son domicile une personne de PMO. Perquisition, saisie de documents et d’ordinateur, garde à vue d’une journée, répondaient à la plainte contre X déposée par la Métro dans l’affaire du faux Métroscope (un pastiche de son journal) ; et quoique PMO ait toujours nié son implication dans le canular.
Mais qu’ont donc fait les contestataires grenoblois pour éveiller ainsi l’attention publique ?

Une intervention avec tracts lors du passage du « Train du Génôme ». Un cortège du 11 novembre, pour déposer une gerbe au CRSSA « à la mémoire des victimes civiles et militaires des nécrotechnologies ». Deux visites en car des sites nécrotechnologiques dans le cadre du festival Fraka - la seconde sous surveillance policière. Une semaine d’ « Objections de conScience » (films, expo, débats), face aux « Etats généraux de la recherche » perturbés par un charivari (tracts, slogans, sifflets). L’occupation d’une grue du chantier Minatec par six personnes, sous une banderole « On arrête tout ». Et derechef, un scandale avec banderolles, tracts et prise de parole, au talk-show « Science et Démocratie » de la Métro1.

A quoi il faut ajouter deux parodies réalisées par des inconnus et distribuées à des milliers d’exemplaires : le faux Métroscope et une fausse plaquette du Conseil général de l’Isère annonçant la mise en place de « Libertys », "carte unique d’identité et de services", biométrique et électronique. Des canulars visiblement inspirés des idées de PMO.

Car pour aller au CRSSA, pour visiter les sites nécrotechnologiques, ou pour grimper dans une grue de Minatec, encore faut-il en connaître l’existence, en avoir une raison. Il faut en avoir l’idée.

Les idées sont décisives. Les idées ont des ailes et des conséquences. Une idée qui vole de cervelle en cervelle devient une force d’action irrésistible et transforme la réalité. C’est d’abord une bataille d’idées que nous, sans-pouvoir, livrons au pouvoir, aussi devons-nous être d’abord des producteurs d’idées.

Une idée, c’est une forme (eidos), arrachée à l’informe (chaos). Pour comprendre ce qui nous arrive, pour y pouvoir si peu que ce soit, nous devons derrière le tourbillon des faits « bruts », « incompréhensibles », dont les médias brouillent et paralysent nos consciences, ressaisir la trame des rapports de force et d’intérêts. L’ordre caché derrière l’apparent désordre. Le « simplisme » des effets derrière la « complexité » des explications.

Pour produire des idées, www.piecesetmaindoeuvre.com s’appuie d’abord sur l’enquête, aliment et condition première, quoique insuffisante, à toute opposition. Il est trop paresseux de se contenter de condamnations de principe théoriques, altière et intemporelle – top down – du monde tel qu’il va. Et braire une fois de plus « A bas l’Etat », ou « A bas la société industrielle », ne rapproche pas leur chute d’un instant. Il faut rentrer dans la réalité concrète, factuelle et fastidieuse – bottom up – de la machine pour saisir et troubler, si peu que ce soit, son fonctionnement. C’est l’enquête qui démonte petit à petit le « laboratoire grenoblois », le règne du Commissariat à l’Energie Atomique sur la cuvette, la fusion des élus, des scientifiques et des industriels au sein du techno-gratin, les liens entre recherches civiles et militaires, publiques et privées, à travers toutes sortes de « partenariats » et de start-up (Biopolis, Apibio), les processus de décision occultes aboutissant à des projets comme Minatec, et ces projets eux-mêmes, qui ne sont jamais rien moins que des « projets de société », nuisances et risques compris, et les appareils de communication qui pétrissent constamment l’opinion pour favoriser « l’acceptabilité » des « innovations » !

Si la critique fait feu de tout bois, ce bois, c’est l’enquête qui l’amasse. Si, comme chacun le dit, Pièces et Main d’Œuvre a semé quelques doutes dans le « laboratoire grenoblois », c’est à force d’enquêtes, de harcèlement textuel : par voie de tracts, d’affiches, de messages électroniques, d’interventions aux innombrables conférences scientifico-industrielles. Une critique dont on peut énoncer quelques lignes élémentaires. Anticiper. Contester à propos, avant coup plutôt qu’après coup - les nanotechnologies par exemple. Être offensif plutôt que défensif. Faire la différence en se concentrant sur le point aveugle de la critique, plutôt que faire nombre en clabaudant en chœur des évidences. S’emparer des symptômes d’actualité pour remonter à la racine des maux. Instruire à charge, en laissant au système qui en a plus que les moyens, le soin de sa défense. Ne jamais dénoncer les malfaisances sans dénoncer les malfaiteurs. Ne jamais répondre à leurs attaques et manœuvres de diversion. Ne jamais lâcher le front des nécrotechnologies, qui est aujourd’hui le front principal de la guerre entre dominants et dominés : celui qui commande tous les autres.

Comme le dit Jean Therme, directeur de la recherche technologique du CEA et directeur du CEA de Grenoble : "Les métropoles économiques à grands potentiels de développement sont repérées de nuit par les investisseurs, grâce aux images fournies par les satellites, sinon en vue directe, depuis un avion. Plus ces villes sont lumineuses, éclairées, plus ils sont intéressés ! Lorsque le ruban technologique de l’arc alpin, entre ses barycentres constitués par Genève et Grenoble, s’illuminera d’une manière continue, lorsque les pointillés des pôles de compétence comme les biotechnologies de Lausanne, la physique et l’informatique du CERN à Genève, la mécatronique d’Annecy, l’énergie solaire de Chambéry et les nanotechnologies de Grenoble, ne formeront plus qu’une longue colonne vertébrale, nous aurons gagné." (Le Daubé. 25 octobre 2004)
Ils auront gagné.

Quant à nous, nous formons à l’inverse, l’espoir qu’à Grenoble et ailleurs, se multiplient les enquêteurs et les enquêtes, liant le local au global, le concret à l’abstrait, le passé au futur, le particulier au général, afin de battre en brèche l’autorité, et d’élaborer de technopole à technopole, un savoir et une résistance commune.

La beauté du geste, c’est que pour ce faire, nul n’est besoin d’être « radical », « révolutionnaire », « alternatif » de quelque teinture que ce soit, au contraire même, tant l’arrogance doctrinale, le snobisme théorique, ont empêché de fortes têtes de s’intéresser à l’endroit où ils vivaient. Chacun doit s’informer pour lui-même, ici et maintenant, de l’actualité du désastre et des plans du système technicien. Faute de quoi, non seulement on radote des généralités, mais on reste dépendant pour son information de l’autorité qu’on prétend récuser par ailleurs.

Sans doute ne peut-on pas tout savoir, mais on peut savoir beaucoup, en ratissant et triant la communication dont on nous inonde. Les Russes de l’époque soviétique décryptaient de même la langue de bois pour y lire l’état réel des affaires. La veille technologique trouve la plupart de ses informations dans des publications accessibles au tout-venant, y compris le quotidien local. Il n’est pas défendu non plus de parler à ses voisins, le personnel et les habitants de la technopole. Cela ne requiert nulle spécialisation professionnelle, scientifique ou politique, mais du simple bon sens. Un effort minimal à la portée de chacun.

Ceux qui depuis quatre ans ont entrepris le démontage du « laboratoire grenoblois » l’ont fait au titre plus que suffisant de simples citoyens. D’individus politiques si l’on veut. De sociétaires de la société. Non seulement ils n’ont excipé d’aucune autorité (scientifique, médiatique, électorale), mais ils ont résisté à la bien-pensance grégaire, qui n’accorde de valeur qu’à une parole réputée « collective ». Comble d’inconvenance, ils s’en seront tenu à ce même anonymat qui frappe « le Français moyen « , « l’homme de la rue », « l’individu lambda », « l’homme quelconque », si méprisé des élites : c’est qu’on ne tenait ici qu’à être jugé sur pièces.

www.piecesetmaindoeuvre.com

Grenoble, octobre 2005

NOTE
1 cf http://grenoble-indymedia.org