Disponible en librairie : Notre Bibliothèque Verte (deux volumes). Voir ici

Voici deux nouvelles notices de Notre Bibliothèque Verte, par Renaud Garcia : Karel Čapek et Antoine de Saint-Exupéry.

Karel Čapek (1890-1938) et Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) se réunissent dans leur haine du robot, de la robotisation de l’espèce humaine et du monde machine. C’est une idée venue de loin que celle du robot. Au moins d’Aristote (-384 /-322 av. J.C), qui, dans son livre De la politique, explique que les esclaves sont nécessaires tant qu’il n’y aura pas de machines pour jouer de la cithare ou actionner des soufflets de forge à leur place. Mais déjà dans l’Atra-Hasîs (« Supersage », le Noé babylonien), 15 siècles plus tôt, les Grands Dieux décident de créer des robots, les hommes, pour remplacer les dieux mineurs en grève ; ceux-ci las de trimer pour les nourrir ayant brisé leurs outils. Ces robots sont créés d’eau et d’argile mêlées au sang d’un dieu sacrifié et on leur insuffle un souffle divin : l’âme.
Karl Marx (1818-1883) reprend l’idée d’Aristote vingt siècles plus tard, dans ses Fondements de la critique de l’économie politique (1857) – et presque un siècle avant l’automation : la machine libère l’homme du travail. Non seulement la Machinerie générale multiplie le potentiel de productivité mais elle crée les conditions d’un dépassement du capitalisme.

Karel Čapek forge ce mot nouveau « robot », en 1920, dans sa pièce R.U.R (Rossum’s Universal Robots), un an avant que Saint-Exupéry, jeune homme féru de sciences et de mathématiques, ne se forme à l’aviation, durant son service militaire. Quand Saint-Exupéry est abattu par la chasse allemande 24 ans plus tard, et six ans après la mort de Čapek, le mot robot est devenu un nom commun avec ses connotations péjoratives dans tous les pays industriels. Saint-Exupéry, qui, loin d’être un « technophobe », inventait des dispositifs et déposait des brevets, écrit la veille de sa mort : « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. » Mais qu’est-ce qu’un robot ? Le verbe tchèque « robit » signifie « faire, œuvrer, fabriquer », et le substantif « robota » désigne le travail pénible, la « corvée ». Le robot robote comme le prolo turbine. Travaux d’esclaves et de rouages fonctionnels. Voilà cette « vertu de robots », cet asservissement d’homme-machine au monde-machine que refusent Čapek et Saint-Exupéry. Et nous aussi qui en sommes aujourd’hui captifs.

(Pour lire les notices, ouvrir le document ci-dessous.)

Lire aussi :