Un résumé des critiques contre les techno-sciences.

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Les promoteurs des biotechnologies présentent souvent le génie génétique comme la continuation de ce qui se fait depuis des temps anciens : obtenir par croisements successifs de plantes ou d’animaux certains caractères avantageux . Ce rapprochement n’est bien entendu qu’un sophisme. En croisant des plantes ou des animaux, l’homme induit bien une modification génétique ; mais il ne fait là qu’orienter un processus naturel : le génome du rejeton sera composé de ce que lui auront légué ses deux reproducteurs. Les organismes issus de manipulations génétiques, eux, sont obtenus par transgenèse, c’est-à-dire que des techniques de laboratoire introduisent dans une cellule un gène qui lui est étranger, hors du processus de reproduction naturelle et en visant le franchissement de la barrière d’espèces et de règnes.

Quand on espère, comme l’INRA l’espère des travaux de Briat , conférer le mode de nutrition en fer des graminées aux non graminées, cela n’a rien à voir avec ce qui a été pratiqué par l’homme depuis des lustres. Cela ressemble davantage à la transgression opérée par ceux qui ont nourri les herbivores de farines animales ; et les mêmes conséquences désastreuses peuvent être attendues. C’est avec ce Briat qu’on nous invite à débattre.
Rendus inquiets par le feu de contestation qui s’est allumé contre les OGM, les pouvoirs publics n’ont cessé de vouloir susciter des débats. Mais les débats dont les conclusions ne s’inspirent pas de ceux-ci ne sont pas des débats ; ce sont plutôt des campagnes qui cherchent à étouffer et perdre cette contestation, et par conséquent à permettre aux laboratoires de continuer leurs affaires.

En 1998 déjà, lors d’un débat tenu le 20 mai à la Cité des sciences, Dorothée Benoît-Browayes, journaliste et auteur du livre Des inconnus dans nos assiettes, déplorait qu’ " on passe notre temps à nous faire croire que nous sommes en train de débattre ". Elle ajoutait : " Il me semble que ces débats d’experts que l’on a vus toute l’année 1997 et qui continuent à durer sont complètement des leurres, des choses que l’on fait croire, et puis rien ne se passe ". Depuis, quatre années de faux débats auront permis à notre vaillant chercheur de poursuivre ses travaux et de publier dans la revue Nature ses conclusions, qui trouveront certainement d’intéressantes applications.
Il est d’avance exclu, dans de tels débats, de " jeter la technologie aux orties", comme recommandait de ne pas le faire, toujours à la Cité des sciences, Alain Coleno, président du conseil scientifique au ministère de l’Agriculture. Celui-ci exprimait encore son souci " qu’on ne jette pas une technologie par principe et qu’on se garde les possibilités précisément de l’examiner et de la maîtriser, et de l’utiliser quand il le faut, sous contrôle ". Dans la réalité, hors de ce spectacle pour les gogos, c’est bien évidemment le contraire qui se passe : la société industrielle, par principe et par essence, développe toutes les technologies possibles et imaginables et se débarrasse de toute contestation.

Le vieux mouvement ouvrier s’était donné pour programme la conquête des outils de production. Ceux qui veulent reprendre le flambeau de la bonne vieille cause doivent impérativement corriger ce point. Partie intégrante d’un système industriel où l’homme n’a plus aucune autorité, ces outils de production, tels qu’ils sont, ne peuvent, par leur spécialisation et leur complexité qui les rendent de plus en plus difficiles à maîtriser et à contrôler, produire que ce qu’ils sont destinés à produire : un canon à particules ne pourra produire que des OGM, et une centrale nucléaire des déchets qu’il est impossible de faire disparaître. On ne les détournera pas.
Ce n’est surtout pas en termes de précaution qu’on doit aborder le problème. On est aujourd’hui en train de donner aux plantes de nouvelles vocations ; comme on est en train de choisir quel homme nous allons être et dans quelle nature nous devons vivre. Accepter aujourd’hui le génie génétique, comme hier le nucléaire, c’est accepter une société que des scientifiques et des industriels ont choisie à notre place.

C’est pourquoi il est nécessaire de réfléchir à se réapproprier les procédés, les moyens, les arts, les techniques, les métiers, y compris ceux que l’irrésistible vague de l’industrialisation déferlante a relégués, qui rendraient au " dieu prothétique " crapahutant dans le cyberspace son humanité, et à l’humanité le chemin de la conscience et de la raison. Il n’y a pas de meilleure façon, et même pas d’autre façon, d’écrire la poésie de l’avenir. En matière de révolte, il n’est pas superflu de se chercher des ancêtres. Nous devons nous affranchir de l’organisation lourde et complexe dans laquelle la société industrielle nous enferme.

Tout le monde trouvera, bien sûr, dans la production actuelle mille raisons de ne pas vouloir s’en séparer. Néanmoins, quiconque pourra s’apercevoir que le confort de pouvoir se rendre où il veut, quand il veut, s’arrête chaque matin aux premiers encombrement et bouchon rencontrés, au premier retard des transports urbains ou ferroviaires qui le conduisent à son travail où il produira ce que le marché a décidé qu’il produise. Le confort de celui qui chez lui utilise son lave-linge lui cache sûrement toute la complexité et les dépendances mises en œuvre : construction de barrages souvent accompagnée de l’expulsion des riverains ou construction de centrales nucléaires avec tout ce que cette énergie impose à la société (contrôle, sécurité, maîtrise, cancers, stockage des déchets). Si tout le monde se réjouit de ne plus avoir à se rendre au lavoir comme autrefois, beaucoup se plaignent d’une sociabilité perdue qu’ils compensent à grand renfort de psychotropes ou par une consommation frénétique, qui est justement la finalité sociale.

On pourrait formuler le principe que l’outil doit accompagner l’homme dans les activités qui lui sont inhérentes et non se substituer à lui. Il peut améliorer la qualité, épargner de la peine, économiser du temps. Il ne doit pas créer de nouveaux besoins, ni suggérer de nouveaux desseins. Car alors l’initiative lui reviendrait, et si l’initiative lui revient, le processus d’autonomisation de la technologie est déjà en marche. L’homme qui se grise des perspectives hier inenvisageables que lui ouvre la puissance d’une nouvelle machine commence de s’aliéner.

Il est souvent opposé à qui critique la façon dont notre société accepte ses moyens de production comme les seuls possibles (on ne se demande d’ailleurs jamais si cette production est nécessaire) que le nucléaire est inévitable : sans lui nous serions obligés de nous éclairer à la bougie. Le nucléaire ou la bougie ! Ce choix ne laisse évidemment à celui qui est censé choisir aucune autre voie possible.Outre qu’un tel argument témoigne d’une réelle pauvreté d’imagination, nous ferons remarquer que l’éclairage à la bougie ne serait une catastrophe que pour les producteurs d’électricité. Lorsque Nietzsche s’exhortait à " savoir nuire à la sottise ", ce n’était pas sous l’éclairage d’une lumière artificielle qu’il traçait ces mots. Cela ne semblait pas le gêner, et pourtant il ne reculait jamais devant une considération intempestive. Et Baudelaire, lorsqu’il avait suffisamment brocardé la " Bêtise au front de taureau ", n’éteignait-il pas sa lampe en la soufflant ? Or ces écrivains demeurent d’un très haut intérêt ; ce à quoi n’atteindront jamais les adeptes au front de taureau de la biotechnologie citoyenne et de la connerie de proximité.

La spéciosité de telles alternatives nous confirme dans la certitude qu’il est nécessaire de refuser toute nouvelle technologie avant que celle-ci ne nous impose sa présence comme indispensable. Et c’est pour la même raison, mais inversée, qu’on nous prépare à " des choix inéluctables ". Par exemple, à propos de Biopolis, pépinière de jeunes entreprises dédiées aux sciences du vivant, on nous dit : " Nous formons des étudiants aux biotechnologies, il est normal que nous leur permettions soit de trouver un emploi soit de créer leur entreprise. " Et c’est ainsi qu’on rend indispensable quelque chose que personne n’avait songé à demander (à moins qu’on considère, comme de petits malins le voudraient, que, déjà, le pain au levain et la fermentation de la bière étaient des biotechnologies) ! Ce ne sont plus les besoins qui justifient les moyens ; c’est le contraire. Et les élites et leurs zélotes déploient beaucoup de savoir-faire à imposer de nouveaux besoins et de nouveaux marchés.


Correspondance : Pierre Gérard 6, cours Jean Jaurès 38000 Grenoble