Où l’on découvre Biopolis, un projet de pépinière d’entreprises en biotechnologie.

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Comme nul n’est censé l’ignorer, le "mythe grenoblois" (ô combien), est né de l’alliance entre le patronat local et la science sans conscience. Entre un Paul Merlin et ses "Amis de l’Université" qui ont su créer une caste techno à la solde de leurs entreprises, tandis que ces "ingénieurs, universitaires, cadres, techniciens" leur soutiraient l’argent nécessaire au développement de leurs hautes technologies. Au nom du progrès et de la merdonité, ils ont ainsi été les pionniers de la marchandisation en physique-chimie, électronique et nucléaire, ouvrant au pillage ces nouvelles frontières que l’on ne trouvait plus dans un monde fini.

Au-delà du coût écologique et des risques de cataclysmes, on s’est alarmé du coût politique que ces technologies infligeaient aux techno-serfs. A nous, c’est-à-dire. L’exemple classique étant le nucléaire, la technologie de l’énergie, du "power", si dangereuse, si complexe, qu’elle exige notre soumission envers la caste des grands-prêtres, à l’œuvre dans leurs pyramides du Bugey, de Saint-Alban, de Cruas ou de Morestel, alors que le soleil brille pour tout le monde. Sans surprise, c’est le nucléaire que nos technocrates ont choisi de développer, pour développer leur pouvoir, plutôt que le solaire. Plutôt que de questionner nos besoins en énergie, en gaspillage, en consommation. Et comme l’on nous pousse à dépenser pour nous empêcher de penser.

Sociologues et politologues ont beaucoup glosé, pour s’en émerveiller, sur l’émergence de ces fameuses "couches nouvelles", liées à l’activité technologique en voie de devenir la mono-activité de l’Y grenoblois. Dès 1967, un certain Claude Glayman publiait chez Robert Laffont un ouvrage intitulé "50 millions de Grenoblois" (préface de Pierre Mendès-France) où il célébrait le "laboratoire grenoblois" et le règne de cette classe "moyenne", "intermédiaire", qu’il rêvait d’étendre à tout le pays. Trente ans plus tard c’est chose faite. Et nous découvrons que ce rêve de laboratoire consistait surtout à nous changer en rats, que cette classe moyenne, entre la plèbe et les maîtres du monde, n’est intermédiaire qu’à la manière du chien entre la proie et les chasseurs. Que de Crolles à Saint-Egrève prolifèrent les petites graines de technopole que papa Néel a planté dans le ventre de maman Merlin, et dont les affreuses pousses "essaiment" maintenant sous l’œil ravi des économistes. Que la gauche et la droite communient dans ce complexe techno-financier qui depuis trois générations colonise les pouvoirs politiques locaux (mairies, partis, syndicats), et en contrôle la réalité derrière les oppositions de façade.

Fin 2002, nous aurons une nouvelle illustration de la toute-puissance de ce complexe, avec la création sur le site des Sablons, à La Tronche, de Biopolis. "Une pépinière de jeunes entreprises dédiées aux industries du vivant et de la santé" (Le Métroscope, périodique de la communauté d’agglomération.)
"Biotechnologie" est un terme de novlangue, un mot de communication, pour désigner par antiphrase ce qui est en réalité nécro-technologie : sciences de la mort, des OGM par exemple, du fameux Terminator, des pesticides, des herbicides, des fongicides, des bactéricides, etc (cf Jean-Pierre Berlan, "La guerre au vivant", Editions Agone). Sciences de la mort, on ne le verra que trop ci-dessous, et nos technocrates en ont si bien conscience que contrairement à leurs habitudes ils n’ont pas jugé utile de claironner leur projet, ni d’alerter le simple citoyen un peu nerveux ces temps-ci sur sa "qualité de vie".

Les plus attentifs auront remarqué dans le Daubé du 15 février 2001 une grande photo de terrain vague et un article tout aussi vague. La Métro a racheté un tiers du site Ricou pour accueillir ce pôle biotech : un bâtiment de 3000 m2 de superficie totale sur deux niveaux proposera ses locaux à des entreprises issues des laboratoires les plus proches.
Première inquiétude : ce Biopolis est construit en zone inondable. Il suffit d’une bonne crue pour balayer les digues de l’Isère en amont, qui sont notoirement en piteux état. Qui a envie de voir les fonds d’éprouvette de Biopolis partir au fil de l’eau ?
Deuxième inquiétude : une Association de Développement des Biotechnologies sur l’Agglomération Grenobloise (ADEBAG) se forme pour accoucher de Biopolis. Son président est Claude Feuerstein, patron de l’université Joseph Fourier. Ses membres, des institutions telles que la Métro, la Mairie de Grenoble, le Commissariat à l’Energie Atomique, l’INRA, le CHU de La Tronche, les facs de médecine et de pharmacie, "sans oublier le Centre de Recherche des Armées." On ne va pas l’oublier.

Bref, des grosses légumes pour un gros projet. Et toujours cette discrétion en pleine campagne municipale, alors que tout le marais politicien coasse à qui mieux mieux : démocratie !… concertation !… transparence !
Quelques lignes dans le programme de Michel Destot. Pas un mot dans celui de Max Micoud, ni dans celui de Pierre Kermotte, candidat de l’AdesGo - et chargé dans le civil des relations publiques de l’Université Joseph Fourier. Quant à Roseline Vachetta, si la LCR affiche un excellent principe ("Non à la marchandisation du monde"), ses militants ne sont même pas au courant du projet Biopolis.

L’articulet du Métroscope reprend en gros les informations du Daubé. On apprend surtout que des "start up" grenobloises (Protéin’ Expert et Techno Cell) figuraient parmi les dix lauréats des "Tremplins 2001" de la Fondation Aventis, qu’elles embauchent et qu’elles font du chiffre. Le dernier paragraphe annonce que fin 2002 "Biopolis accueillera une quinzaine d’initiateurs de projets en mettant à leur disposition l’environnement technologique, économique et blablabla."

Contact : Valérie Ayache - ADEBAG
Tél. : 04 76 44 65 64

E-mail : adebag@wanadoo.fr

On appelle Valérie Adebag qui n’a pas grand-chose de plus à dire. La Métro prépare sa communication (son bourrage de crânes) sur le sujet. Repassez dans quelques mois. En gros, après le nucléaire et l’électronique, il s’agit de "s’appuyer sur les acquis du CEA et du Synchrotron" pour "développer les biotechnologies". Mais ne vous inquiétez pas, l’ADEBAG a déjà mis en place une "commission d’éthique interne" pour blanchir les projets, parce que sinon "il y en a qui pourraient travailler sur les OGM". Bon, et que vient faire le Centre de Recherche des Armées dans ce projet voué "aux industries du vivant et de la santé" ? Oh rien de particulier, il travaille sur les maladies infectieuses. Ils ont pas mal d’échanges avec l’hôpital de La Tronche, surtout en radiologie, je crois.

On s’interroge. Interrogez-vous. Interrogez des Grenoblois. Ont-ils déjà ouï parler de ce Centre de Recherche des Armées ? - Non, jamais. Qu’est-ce que c’est ? Où sont-ils ? Que font-ils ? Comment se fait-ce que le Daubé, les Affiches et toute la communication locale si prompte à nous bassiner avec le CEA, le Léti, la recherche, la techno, la médecine, ne fasse jamais de publicité à ce centre - si impliqué pourtant dans ce splendide projet de biotechnologie ? Pourquoi demande-t-on à un journaliste qui "couvre" la Métro de se taire sur les réunions "en interne" consacrées à Biopolis ?

Le 20 juin 2001, Claude Feuerstein, président de l’Université Joseph Fourier et de l’ADEBAG, ne prend pas de gros risques en annonçant dans L’Essentiel : "Les bio-industries vont exploser !"

Exploser, avez-vous dit ?
Sans doute est-ce ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice.

Fin de l’entretien : "Nous avons donc décidé de créer une pépinière et un hôtel d’entreprises dédiés à ces bio-industries, à proximité de l’hôpital Michallon (…) Nous sommes déjà assurés du financement de la Métro à hauteur de 50 % des investissements. Nous avons retenu 24 projets susceptibles d’être accueillis à l’ouverture du site, prévue à l’automne 2002…"

Par une superbe coïncidence, le Monde du 29 juin 2001 nous donne sans le vouloir l’information vainement cherchée dans la presse locale. Il rapporte en "une" la loufoque histoire d’un faux colis piégé envoyé au siège d’Interpol à Lyon : "La chose fut alors acheminée au Centre Recherche-Service Santé des Armées à La Tronche dans l’Isère, spécialisé dans les armes chimiques et bactériologiques."

Tiens donc. Saviez-vous qu’on travaillait aux armes chimiques et bactériologiques, à La Tronche dans l’Isère ? Qui savait quoi ? Le préfet bien sûr. Nos élus ? Des scientifiques ? Ces gens qui nous disent de ne pas nous inquiéter et que Biopolis aura sa "commission d’éthique interne" ?
A tout hasard on jette un œil sur Internet et on tombe d’un seul coup sur 150 références. Des articles dans des revues militaires belges, canadiennes, américaines, etc. Si la presse locale n’en parle pas, le CRSSA est célèbre dans le monde entier, célèbre à notre insu. Allez-y voir si vous ne le croyez pas :

Centre de Recherche du Service de Santé des Armées

24 avenue des Maquis du Grésivaudan BP 87

38702 La Tronche cedex

Tél. : 04 76 63 69 00

www.defense.gouv.fr/sante

"Le CRSSA où travaillent 300 personnes réparties dans une quinzaine d’unités de recherche, comprend 4 départements. Radiobiologie et radiopathologies. Biologie des agents transmissibles. Toxicologie. Facteurs humains (…)"

300 personnes : 300 bons Grenoblois qui vont sans doute skier à Chamrousse, vont au boulot à vélo, emmènent leurs enfants à l’école le matin, adhèrent - qui sait - à la FRAPNA. En voilà des crédits et de l’emploi dans la recherche publique (mais discrète). On se dit que forcément des centaines de personnes, des proches, des scientifiques, des politiques, savent l’existence de ce centre, mais ne pipent mot. Que décidément la soumission au complexe techno-financier ne connaît pas de limites. Qu’on ne pouvait rêver meilleure illustration du caractère mortifère des soit-disant biotechnologies.

Le meilleur des mondes commence à Grenoble et vous ne pouvez pas dire que vous ne savez pas.

Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas le jour où (accident ou attentat) "l’explosion de nos industries du vivant" changera un bon nombre d’entre nous en cadavres.

Si vous ne saviez pas, vous savez. Maintenant à vous de faire savoir.