Nous faisons suivre comme nous l’avons reçue cette radicale exécution de la French Theory par Miguel Amoros, ancien membre des Amigos de Ludd, anarchiste anti-industriel et auteur de plusieurs livres aux Editions de la Roue et de l’Encyclopédie des Nuisances.

Parmi quelques traits de cette critique, claire et condensée, Amoros note :

« Le recul théorique causé par la disparition de l’ancien mouvement ouvrier a permis l’hégémonie d’une philosophie surprenante, la première qui ne se fonde pas sur l’amour de la vérité, objet primordial du savoir. »
« …être, raison, justice, égalité, solidarité, solidarité, communauté, humanité, révolution, émancipation…seront tous qualifiés d’« essentialistes », c’est-à-dire d’abominations « pro-natura ».
« Les louanges postmodernes à la transgression normative » correspondent pour lui à la disparition de la sociabilité dans les agglomérations urbaines et au développement des nouvelles classes moyennes.
« Dans la French Theory, ou plutôt dans le « morbus gallicus », dont le post-anarchisme est l’enfant bâtard, les références ne comptent pas ; elles révèlent la nostalgie du passé, quelque chose de très condamnable aux yeux d’un déconstructionniste. »
« Dans un premier temps, l’universalité et l’identité convergeaient ; on ne concevait pas de solution à la ségrégation raciale, la discrimination sexuelle, au patriarcat, etc., séparément, mais en vue d’une transformation révolutionnaire globale. Personne ne pouvait imaginer souhaitable un racisme noir, une société d’amazones, un capitalisme gay ou un état d’exception végétarien. »

Amoros note encore que le mal français a été la première philosophie irrationaliste liée au mode de vie des fonctionnaires. Et notamment, dirions-nous, des universitaires et professeurs stipendiés pour répandre l’idée que nous sommes tous le pouvoir, et donc, qu’il n’y a plus lieu de se rassembler contre l’Etat, le Marché ou le Capital. « La philosophie postmoderne est par rapport à l’existant une philosophie de légitimation. »

Nous avions publié, voici quinze ans de cela, un autre texte de Miguel Amoros, daté de 1999 et intitulé « Où en sommes-nous ? » (ici)
La bonne nouvelle, c’est que ce texte est toujours d’actualité.
La mauvaise, c’est qu’il est toujours d’actualité.
Ainsi rend-il plus hommage à la lucidité de son auteur qu’à la vivacité de ses lecteurs, mais quoi, ce serait pire si l’on n’écrivait ni ne lisait, au lieu que c’est de la pensée seule que nous pouvons nous relever. Voyez vous-même :

« A peine redécouvrons-nous les grands apports de la sociologie critique américaine, ceux de l’école de Francfort, ou ceux d’Ellul, bien qu’ils aient de nombreuses années d’existence. La tâche d’actualiser cette critique et de la mettre en relation avec celle qui veut transformer radicalement les bases sur lesquelles s’appuie la société moderne est toujours aussi peu comprise. »

« L’action de ceux qui s’opposent au monde de la technique n’a toujours pas mené à grand chose, puisqu’une telle opposition reste seulement une cause et non pas encore un mouvement. »

« En l’absence d’un mouvement social organisé, les idées sont primordiales ; le combat pour les idées est le plus important parce qu’aucune perspective ne peut naître d’une organisation où règne la confusion concernant ce que l’on veut. »

A bon entendeur, saLudd !

(Pour lire le texte de Miguel Amoros, ouvrir le document ci-dessous.)

Lire aussi :
Le désert de la critique - Déconstruction et politique, par Renaud Garcia (L’Echappée, 2015)