C’est du Comité Malville et du rassemblement contre Superphénix, le 31 juillet 1977, que date la notoriété de l’écologisme grenoblois.
Mais l’importance de cette journée va bien au-delà de l’exposition d’un courant politique local. Le rassemblement de Malville constitue une apogée et une liquidation. Quel mouvement, quelle manifestation de l’histoire récente, ont été plus niés et refoulés que le mouvement et la manifestation contre Superphénix ? Qui aurait l’estomac de plonger dans ce bourbier d’époque, et de nous dire ce qu’il advint, libérerait la contestation des charmes qui la tiennent liée depuis. Et tant que ces nœuds n’auront pas été défaits, elle sera vouée à la répétition, à l’échec compulsif, à la protestation craintive, tête rentrée dans les épaules, sous la hantise du coup. Ce mémento ne se veut qu’une contribution à une telle entreprise.

Lire aussi :
Louis Néel en 1976 : Creys-Malville, le dernier mot ?

Ecouter :
"Face au monde-machine", série de podcasts avec Pièces et main d’oeuvre, épisode 7 : Malville

I

C‘est du Comité Malville et du rassemblement contre Superphénix, le 31 juillet 1977, que date la notoriété de l’écologisme grenoblois. Le Comité Malville de Grenoble est le noyau moteur de la mobilisation contre la raison d’Etat, qui lance 60 000 manifestants contre 5000 gendarmes, sous un déluge de pluie et 2500 grenades à effet de souffle. Un mort, Vital Michalon. Deux mutilés, Michel Grandjean et Manfred Schultz. Une centaine de blessés. Pertes minimes par rapport aux tueries des manifestations italiennes de l’époque, ou à celles des manifestations parisiennes, quinze ans plus tôt, durant la guerre d’Algérie. Par rapport à l’enjeu du « Plan Messmer » (1975), la nucléarisation du sol français, l’édification à marche forcée d’une machine infernale susceptible de dévaster le Sillon Alpin (Lyon, Grenoble, Genève), et pourvue d’un appareil sécuritaire à sa démesure. Par rapport au dispositif de répression et au personnage qui le dirige : René Jannin, préfet de police d’Alger entre 1961 et 1962.

«  Il fallait s’y attendre, d’abord - c’est une évidence - parce que le gouvernement mise énormément sur la politique nucléaire. Ensuite parce qu’il avait annoncé qu’il n’était pas question d’approcher du site. 5500 hectares ont été interdits à toute circulation et l’on se serait cru dans cette zone, dans un pays en guerre. A l’intérieur même de la centrale, les forces de l’ordre étaient armées de pistolets mitrailleurs. C’est le prix qu’attache le gouvernement à toute manifestation d’hostilité à sa politique énergétique. » (Pierre Blanchet et Claire Brière. Anciens dirigeants maos grenoblois, envoyés spéciaux de Libération . 01/08/1977)

Mais l’importance de cette journée va bien au-delà de l’exposition d’un courant politique local. Le rassemblement de Malville constitue une apogée et une liquidation. D’autres manifestations avaient rassemblé plus de monde dans les années soixante-dix. Certaines, notamment des manifestations anti-fascistes, avaient été beaucoup plus offensives et quasi-militaires, quoique assez pauvres de contenu politique. Mais jamais avant, et jamais depuis, la contestation ne fut à la fois plus massive et plus radicale. Ce que combattaient les comités Malville au delà de «  l’électro-fascisme  », dans la confusion et les contradictions des courants qui s’y croisèrent (gauchistes, pacifistes, écolos, etc.), c’était moins «  le risque majeur  » (cela viendra avec la régression juridico-technicienne postérieure au rassemblement), que ce qu’on nommerait aujourd’hui : nécrotechnologie, système technicien (Ellul), techno-totalitarisme.

« Action directe

Ainsi, trois semaines après Morestel, le mot d’ordre des Assises, « Légitime Défense contre Superphénix » est-il plus que jamais d’actualité. Plus que jamais, s’impose l’enjeu de notre lutte : assurer notre protection et celle des générations futures, non seulement contre le risque démentiel que représente la centrale de Malville dans le cas d’une défaillance technique, mais aussi contre le modèle de société qu’on est en train de nous imposer ni plus ni moins par la force. On est très loin de la « religion des petites fleurs » ou d’on ne sait quel « réflexe catastrophiste ». (...)

Il faut passer à l’action. (...)

Et d’abord l’idée de harcèlement contre Superphénix.(...) A Morestel, les choses ont été dites clairement : « Feu vert à toute action qui peut retarder ou bloquer les travaux, la seule condition, étant le respect de l’intégrité des personnes, l’initiative de la violence étant laissée à l’EDF et ses électro-flics. » (...)

A Brocckdorf, par leur nombre et leur détermination, les écologistes allemands ont fait reculer leur gouvernement. Pourquoi pas nous, cette année, contre Superphénix ? »

(Editorial de Superpholix , journal des comités Malville, mars 1977)

Quel mouvement, quelle manifestation de l’histoire récente, ont été plus niés et refoulés que le mouvement et la manifestation contre Superphénix ? C’est qu’il s’agissait d’une défaite, et qui pis est, d’une défaite boueuse, tâchée de sang, dûe pour partie à l’insanité de la coordination qui s’était arrogé la direction de ce mouvement ; pour partie à la brutalité de la répression. Après coup, ne voulant ni se confronter à leur défaite, ni à la violence d’Etat, les vaincus s’avisèrent d’un expédient qui était de n’y pas penser. Car s’ils y avaient pensé, ils auraient dû reconnaître, soit qu’ils s’étaient exagéré l’horreur de Superphénix, soit que leurs actes n’étaient pas à la hauteur de cette horreur et qu’il leur fallait changer de vie. Devenir fous de Malville. Or ils voulaient continuer à vivre dans l’insouciance. Ils enfouirent donc une défaite qui était celle de leur génération et des années 70, et ils racontèrent à leurs enfants les contes et légendes du Larzac.

Nous vivons depuis trente ans dans l’ombre portée de cette défaite cachée. Les faucheurs de chimères génétiques en ont fait dernièrement l’expérience : on ne gagne pas. (cf «  OGM : fin de partie par Quelques ennemis du meilleur des mondes . C/O ACNM, BP178, 75967 Paris cedex 20) Ou juste un peu de temps. Pour l’essentiel, la pollution génétique est désormais aussi irréversible que la pollution radio-active. (L’exception bretonne de Plogoff dont on n’a pas la place de parler ici, confirmant la règle hexagonale) Entraînant la mise en place de ces appareils de contrôle et de sécurité qui pour les écologistes d’Etat, constituent des «  victoires ».

Cette nouvelle défaite est tout sauf une surprise, et d’abord pour les vaincus. On a beau faire bonne figure, afficher des mines martiales, déclamer sur le mode triomphaliste, chacun sent bien depuis trente ans qu’il participe à des combats défensifs. Les pires qui soient. Batailles d’arrière-garde, retraites en bon ordre, défaites intériorisées. Tout au plus vise-t-on au moindre mal. C’est à dire au mal. Quant au bien, la délivrance partielle ou totale du « Système », l’heureuse mue sociale, tout ce qui se désignait autrefois sous le terme de « révolution », « grand soir », « lendemains radieux », etc, la difficulté même à nommer ce bien d’un mot qui échappe au ridicule actuel, témoigne de l’évanescence de la chose. Le bien, c’est ce qui fuit toujours plus vite, toujours plus loin, dans un passé qui prend des allures de mirage.

N’est-il pas vrai que nous eûmes une fois, notre espoir, notre chance, une faille de dix ans (1967-1977), dans les murailles de l’ordinaire ? Que durant ces dix ans, quels que furent les revers et les épreuves, ils ne faisaient que fouetter notre élan ? Pour quelque mystérieuse raison, nous ne doutions de rien alors, et surtout pas de la « victoire finale ». Pour de non moins mystérieuses raisons, cet élan de dix ans se fracassa sur la terrible année 77, et depuis nous doutons de tout, sauf de la défaite prochaine. Qui aurait l’estomac de plonger dans ce bourbier d’époque, et de nous dire ce qu’il advint, libérerait la contestation des charmes qui la tiennent liée depuis. Et tant que ces nœuds n’auront pas été défaits, elle sera vouée à la répétition, à l’échec compulsif, à la protestation craintive, tête rentrée dans les épaules, sous la hantise du coup. Ce mémento ne se veut qu’une contribution à une telle entreprise.

II

Malville : Le dernier grand rassemblement « soixante-huitard » et la fin d’un cycle (1967-1977). Le premier août 1977, le terrain est déblayé pour les « années 80 », en fait deux décennies d’amnésie et d’aphasie, à peine troublées de crises sans lendemain (grèves lycéennes de décembre 1986, grèves ouvrières de décembre 1995). Il faut attendre la contestation des OGM (1998) et le rassemblement anti-mondialiste de Seattle (1999), pour voir renaître une opposition, renouant par certains traits avec celle défaite vingt ans plus tôt.

Encore faut-il préciser. Il est classique de distinguer l’avant et l’après 68, «  les années de rêve » et «  les années de poudre » selon Hamon et Rotman qui dans leur pavé «  Génération  » célèbrent l’ascension des «  figures du gauchisme » (On dit « figures du gauchisme », comme on disait « barons du gaullisme » ou « éléphants du PS »). Ces «  itinéraires » se situent entre 1965 et 1975. Dix ans pour faire un chiffre rond et parce que l’arrêt d’ Actuel première manière («  Underground » ), fournit une fin arbitraire et commode dans une déliquescence interminable. Mais ce raccourci permet également de ne pas parler du mouvement antinucléaire, ni de Malville 77.

En fait deux générations , et non pas une, logent à l’enseigne du «  soixante-huitisme  ». Les aînés et les cadets, les diplômés et les décrocheurs, les parisiens et les provinciaux, les «  figures  » et la piétaille, les dominants et les dominés, les «  incontournables  » et les invisibles. Non seulement invisibles, mais innomables. Même la langue s’oppose au repérage de cette seconde vague. «  Soixante-huitard » sonne comme un coup de clairon, rime avec «  quarante-huitard  », et, bien sûr, ratifie une sorte de propriété sur les fameux «  événements  ». «  Soixante-dizard  », comment un terme aussi artificiel, nasillard, sourd, à l’accent déclinant, fuyant, et aux connotations vaguement péjoratives, pourrait-il désigner quoi que ce soit ? Qui pourrait le revendiquer ?

Et pourtant Malville fut un événement soixantedizard.

Ils l’ont assez radoté : les soixante-huitards, contemporains des «  yéyés  » étaient pour l’essentiel issus d’oppositions internes à l’Union des Etudiants Communistes, élèves à la Sorbonne, à Normale Sup’, à Centrale etc. Héritiers de la nomenklatura communiste parisienne. Trotskystes ou marxistes-léninistes, leur gauchisme était partidaire, généraliste, obsédé par la prise du pouvoir. Y eussent-ils prêté attention que «  l’écologie  », la défense du milieu, n’eut été pour eux qu’un «  front  » secondaire et catégoriel. Mais intellectuels « à la française », c’est à dire extrémistes cartésiens, encore désséchés par leurs surenchères marxo-freudiennes, d’ailleurs imbus de techno-productivisme, ils ne pouvaient professer pour la nature et le sentiment de la nature, humaine ou non, que méfiance et mépris. La culture est de gauche, la nature de droite ; déterminisme, darwinisme, pétainisme, Blut und Blod etc.

Qui plus est, ces «  figures  » ayant vécu le meilleur, «  les années de rêve  » - celles de leur jeunesse -, le moment ascendant du baby-boom contestataire, et se dérobant devant l’ingratitude et les risques de l’autre versant de Mai, dissolvaient dès 1972/73 leurs joujoux groupuscules, sous les prétextes les plus nobles, avant d’entamer ou de reprendre leurs «  parcours  ». Politique de sabotage, afin que rien ne survive à leur défection. Ils rentrèrent dans l’ordre où, de leurs tours de contrôle dans les media et la communication, ils falsifient toujours la mémoire.

Pour l’essentiel ce sont les soixantedizards arrivés après la fête, mais d’autant plus âpres, qui, défaite après défaite, guerroyèrent des années durant à contre-courant, notamment à partir du choc pétrolier de 73 et de l’essor du chômage. Ce reflux se manifeste dans l’abandon de tout point de vue d’ensemble et de perspective historique, pour faire place à un gauchisme apartidaire, défensif et thématique. La communauté, le «  groupe affinitaire  » et le comité ad hoc remplacent l’organisation politique ; l’opposition « ici et maintenant » contre des cibles limitées et concrètes se substituent à la perspective totale et abstraite de la lutte finale. La mobilisation interne prend le pas sur le prosélytisme. C’est ce gauchisme d’en bas, bric à brac bricolé, qui s’incarne dans l’écologisme, le régionalisme, les radios libres, etc, résistant aux décrets des «  figures  », et leur infligeant des années de démentis.

Chassés de Grenoble par leurs propres militants, Pierre Blanchet et Claire Brière y reviennent en envoyés de Libération - courtoisie de la direction - pour y couvrir le mouvement contre Superphénix. Cette couverture, inévitable compte-tenu de l’ampleur du phénomène, privilégie le factuel, l’anecdotique, les opposants « locaux » - autour du site - les plus timides et les plus faibles politiquement, la dénonciation bien-pensante de la violence policière. Elle occulte le contenu, les enjeux, les discours et les débats qui consument le mouvement antinucléaire de l’été 76 à l’été 77. - Et bien sûr, le Comité Malville de Grenoble, coupable de trop de succès et d’indépendance, et de compter parmi ses membres d’anciens maos d’une faction dissidente.

«  Le cas de la mobilisation antinucléaire contre Superphénix à Malville en juillet 77 est extrêmement parlant de ce désengagement de Libération et de son alignement sur une éthique journalistique classique : pressentis par les Comités Malville pour faire un appel important à ce rassemblement, les journalistes de Libération ont finalement préféré ne pas faire de dossiers spéciaux sur Malville appelant à accentuer la mobilisation, ils ont préféré s’en tenir au rôle de chroniqueurs et de commentateurs des évènements en faisant une large description de la manifestation. » (M. De Bernardy de Sigoyer. Membre de l’équipe de Vérité Rhône-Alpes et auteur de : La contre-information : un système d’expression. Le cas de Grenoble. Mai 1980. Université des Sciences Sociales de Grenoble)

Il ne fait pas de doute qu’un tel appel de Libération eut doublé le nombre des manifestants de Malville. Ceux qui organisèrent ce rassemblement, le firent dans la solitude, et en dépit de la sourde hostilité de «  Libé  ». Déchet ultime de la décomposition maoïste, dont la parution avait, entre autres, entraîné l’arrêt de Vérité Rhône-Alpes (Serge July venant à Grenoble, plaider auprès de l’équipe de VRA pour qu’elle se saborde en faveur de Libération ), il n’avait pas fallu quatre ans au «  France-Soir du peuple  » pour renouer avec la fiction neutraliste. Le mouvement contre Superphénix eut lieu en dépit et au dépit des «  figures  » soixante-huitardes.

III

60 000 personnes ne se réunissent pas sur un claquement de doigts. Pierre Boisgontier et Michel de Bernardy de Sigoyer ayant maintenu l’imprimerie de Vérité Rhône-Alpes après l’arrêt du titre, il en sortit «  La main dans le trou du fût  » (Février 74), feuille écologiste réalisée notamment par Cédric Philibert, ex-lycéen mao, et Yves Lepape, chercheur à l’Irep. «  L’éditorial du 1 er numéro de ce bulletin met dans le même sac de sa critique, le démarrage des travaux de Creys-Malville, les déchets radio-actifs de la pile du CENG, le projet de centrale nucléaire privée à Progil, les usines du Grésivaudan... » (M.B De Sigoyer. Opus cité)

Au même moment se crée l’Apperg (Association pour la Protection des Populations et de l’Environnement de la Région Grenobloise) qui se constitue partie civile dans l’affaire de la pollution radio-active de la nappe phréatique par le CEA-Ceng, et contre le décret d’utilité publique de la centrale de Malville.

La Frapna se joint à ce noyau écologiste pour publier d’octobre 75 à juin 76, trois numéros de «  La Fosse. Journal sceptique  », imprimé à VRA, et qui déclare : «  Il faut arriver à la remise en cause d’un mode de production basé sur la création de nouveaux besoins qu’il faut ensuite satisfaire » (...) «  C’est pourquoi de nombreux ouvriers ont l’impression de creuser des trous pour les boucher le lendemain. » l’article continue en considérant qu’il ne faut pas s’étonner de cette situation » puisque le mouvement ouvrier ne remet pas en question la fabrication d’objets inutiles. » (M.B. De Sigoyer. Opus cité)

On voit qu’alors le développement semblait tout sauf durable aux écologistes, et qu’il ne leur suffisait pas qu’une usine soit éclairée au solaire, ou son personnel transporté en bus, pour lui décerner le «  mérite environnemental » .

La naissance du CUCSPAN (Comité Universitaire et Scientifique pour l’Arrêt du Programme Nucléaire) et du GSIEN (Groupement des Scientifiques pour l’Information Sur l’Energie Nucléaire), alimente cette critique en arguments techniques, sans la résumer. Pas plus que les procédures légales n’épuisent alors les formes d’action.

Le Comité Malville naît en 1975 «  de façon totalement informelle autour d’un noyau de copains en recrutant d’autres : Gérard Desquinabo dit Kiki, Daniel Rouzier, Jean-François Noblet (ndr : permanent Frapna) , Cédric Philibert, Jacqueline Tréherne, la physicienne, Raymond Avrillier et puis tous ceux comme le grand Marcel, Lise ou Boisgon, qu’on n’appelait que par des prénoms ou des surnoms. » ( Silence n°285/286. Eté 2002. Madeleine Nutchey, ex-militante du Comité Malville)

Renforcé de Suisses (Chaïm Nissim), de Savoyards (Odile Lanza), de Lyonnais, le Comité Malville informe les villages voisins de Superphénix et appelle à un premier rassemblement national le 3 juillet 76. Cette manifestation qui se proclame « non-violente » draine 20 000 participants, dont Lanza del Vasto, le gourou de la Communauté de l’Arche. Cela n’empêche pas une massive prévention policière. Le réseau téléphonique autour de la centrale est coupé, à l’exception du numéro de la police. Les carrefours bloqués par les CRS en campagne, qui mettent le feu dans un champ et sabotent la citerne d’un paysan. La veille de la marche, ils attaquent à coups de crosse, de matraques, de grenades, les résidents du camping Bayard (huit blessés graves). La manifestation du lendemain parvient jusqu’aux clôtures du site. Quelques pinces découpent le grillage, quelques intrépides à moitié nus se précipitent à l’intérieur pour s’empêtrer dans le cordon de police. La masse n’ose pas suivre et la brèche se referme. Elle ne s’ouvrira plus.

Et puis après ? Que serait-il advenu de milliers de personnes déferlant sur le site ? Un corps à corps ? Un massacre ? Le retrait des forces de police ? L’arrivée de renforts ? Les occupants n’auraient pu de toute façon rester indéfiniment ? Voire. Dans le cas le plus favorable, la simple et incroyable nouvelle de l’occupation du site, malgré la police et la raison d’Etat, aurait transformé la situation, suscitant de tout le pays l’afflux de soutiens nécessaire à sa conservation.

L’hypothèse la plus noire, celle d’un massacre, était aussi la plus improbable - sauf accident de terrain -, malgré les inclinations droitières de Giscard et du régime de «  libéralisme avancé  », ainsi qu’il s’autodésignait. N’importe, les écolos-pacifistes des années 70 ne sont pas les gandhistes des années 30. Les babas croient-ils à leurs mythes ? Force est de reconnaître que la lutte contre «  l’électro-fascisme  » , malgré toutes ses horreurs alléguées, ne suscite pas le même héroïsme (ou la même idiotie, c’est selon), que la lutte contre le pouvoir colonial. Il est vrai que le premier est virtuel quand le second était bien réel. Dans cette foule bon enfant, en sandales et maillots de bain, nul n’a envie de se faire casser le crâne contre Superphénix. D’où le verbiage non-violent qui n’est en fait qu’un appel à la mansuétude policière. La manifestation de juillet 76 ne vise qu’à exprimer un refus moral, elle n’est pas une action effective contre Superphénix. Dès son lendemain un brouhaha s’élève au Comité Malville et dans tout le mouvement anti-nucléaire sur les moyens de s’opposer à Superphénix et à la société qu’il implique. Curieusement, ce brouhaha qui ira crescendo jusqu’à l’été suivant, et qui met aux prises toutes les variétés et combinaisons de positions - violentes, non-violentes, légalistes, illégalistes, etc, n’entrave pas le développement du Comité Malville. Il essaime, il prolifère, dans tous les quartiers de Grenoble, dans toutes les communes de l’agglomération, dans toutes les villes et villages de la région, des endroits où l’on n’avait jamais entendu parler de politique, a fortiori subversive, et dont on n’a plus entendu parler depuis. Toutes les grandes villes de France ont leur Comité Malville. Le tirage de Superpholix , mensuel des comités Malville (imprimé à Vérité Rhône-Alpes ), dont le premier numéro paraît en juillet 76, bondit en quelques mois de 3000 à 10 000 exemplaires. Un an durant le Comité Malville est un mouvement attrape-tout, un tourbillon dont le magnétisme agrège les courants et les personnalités les plus contradictoires, dans une débauche d’assemblées et d’expressions passionnées. D’où vient cette fièvre ? Ce besoin de réunions, de discussions, d’écriture, d’activisme, cette urgence qui avait disparue depuis quelques années de la contestation ? Peut-être du sentiment retrouvé de se battre pour son propre compte et non par procuration. D’être directement concerné. Ensuite d’avoir trouvé une cause à la fois grandiose et concrète, telle qu’elle permet d’unifier tous les refus et toutes les aspirations en un champ de bataille physiquement localisé à 60 km de Grenoble. Depuis neuf ans les soixantedizards s’usaient dans un combat à reculons, espérant chaque printemps le soulèvement dont Mai 68 n’aurait été que la répétition générale. En fait, ils n’y croyaient plus, le cynisme et la dérision ayant pris le dessus. «  L’écologie  », indemne du carcan groupusculaire, n’incarnait-elle pas cette pensée contestataire, spontanée et massive, contre le «  système  » ? Une pensée si claire et primordiale qu’elle pouvait rassembler les boutefeux comme la foule ?

Du simple point de vue de l’instinct de conservation, le projet Superphénix est si stupidement démoniaque qu’il n’est pas besoin d’être anti-nucléaire pour s’y opposer. L’engin doit fabriquer plus de plutonium qu’il n’en consume. L’un des plus foudroyants poisons radio-actifs. Le cœur de la centrale contiendra 5000 tonnes de sodium liquide inflammables au contact de l’air et de l’eau. De quoi propulser une nuée de vapeurs radio-actives pour 24 000 ans dans la nature, en cas «  d’excursion nucléaire  ».

Interpellés par les comités Malville des dizaines de conseils municipaux, d’instances politiques, syndicales, associatives, réclament au moins un moratoire, comme le conseil général de l’Isère en septembre 76, accréditant du coup les risques de Superphénix. Telle une réaction en chaîne, la remise en cause s’étend de Superphénix au nucléaire, de celui-ci à la société de consommation gaspilleuse d’énergie, aussi bien qu’au système hiérarchique et policier nécessaire à sa maintenance. Cette remise en cause, en radicalisant sans cesse les enjeux de l’arrêt ou de la poursuite de Superphénix, rend toujours plus aigüe la question des moyens d’opposition. Les initiateurs qui n’avaient voulu que «  lancer  » l’écologie grâce à Superphénix se voient dépassés par le mouvement qu’ils ont déclenché.

«  Cédric Philibert, chercheur à l’Agence Internationale de l’Energie et ancien animateur des « comités Malville », en convient aujourd’hui : « On s’est servi du nucléaire pour faire entrer l’écologie dans les têtes. C’était le symbole d’une société fliquée. » ( Le Monde . 8/08/2003. Propos recueillis par Jean-Louis Saux, ex-grenoblois et journaliste de Ville Ouverte )

A vrai dire, il en avait déjà convenu à l’époque, dans un texte intitulé «  Pour un rassemblement non-violent  » ( La Gueule Ouverte n°155), co-signé avec Gérard Desquinabo, Jean Jonot (futur Ami de la Terre, la clique de Brice Lalonde), et Jean-François Noblet (le permanent de la Frapna). Ce texte souleva un tollé tel parmi les anti-nucléaires que Cédric Philibert tenta de se justifier dans un post-scriptum publié par Superpholix.

«  Malentendus

Je voudrais essayer d’expliciter un malentendu courant. A lire le texte « pour un rassemblement non-violent », des tas de gens ont cru que les « non-violents » ne voulaient pas gagner Malville, mais seulement se servir de Malville pour faire progresser l’écologie, la non-violence, ou encore leur révolution intérieure...

Ce qu’il fallait ajouter, c’est que nous voulons gagner Superphénix. (...)

Pour reprendre le site sans violence, il faut être très nombreux, et déterminés. Cette condition nécessaire est en elle-même un objectif politique, tiens, ça tombe bien ! Cette condition est-elle suffisante ? Personne ne peut le dire. Je tâcherai de montrer que c’est une possibilité. Et que c’est la seule que nous ayons. »

En somme, 20 000 personnes ce n’était pas assez. Pour être «  très nombreux  », il faut atteindre l’«  Objectif 100 000 à Malville  », ainsi que le proclame La Gueule Ouverte  : chiffre rond, magique et arbitraire. A moins que 100 000 personnes soient cinq fois plus «  déterminées  » que 20 000. 100 000, c’est le chiffre des plus grands rassemblements contestataires de l’époque ; ceux du Larzac et de Lip en 1973. Les 250 000 manifestants à l’enterrement de Pierre Overney en 1972, constituent l’exception dûe à l’assassinat du jeune ouvrier mao devant les portes de Renault Billancourt. Mettre la barre aussi haut, c’est préparer l’excuse d’un nouvel échec puisque à moins d’être «  très nombreux  » (100 000), et donc « déterminés  », l’invasion du site n’est pas envisageable.

Laissons ces calculeries. En réalité, le quarteron inquiet de la radicalisation du mouvement, dans ses visées comme dans les moyens proposés, se sert de la position d’autorité qu’offre alors la tribune de La Gueule Ouverte (30 000 lecteurs par semaine), pour reprendre la main, et activer par dessus les comités Malville la pléthore des officines légaliste et/ou non-violentes de l’hexagone.

Il n’y a pas de malentendus . Chaque participant au rassemblement précédent se souvient très bien du cas que l’Etat fait de la non-violence. Beaucoup l’ont éprouvé dans d’autres manifs et circonstances. Beaucoup disposent du minimum de culture politique pour savoir que l’Etat ne cède jamais à la non-violence quand il y va de sa sûreté. Il cède quelquefois sur de moindres objets, justement pour obvier à une violence sous-jacente. Or la France est un Etat nucléaire comme l’Algérie est un Etat pétrolier. Pour des raisons militaires (la bombe), énergétiques, économiques (exportations de centrales), le nucléaire (CEA, EDF), constitue le cœur de cet Etat. Après le choc pétrolier (73), le Plan Messmer (75) d’électo-nucléarisation dont Superphénix semble (à tort) la clé de voûte, relève de la raison d’Etat, et donc l’Etat se défendra férocement, sans égard pour l’ingénuité (ou la roublardise) non-violente. Les membres du Comité Malville savent aussi cela, même quand ils ne veulent pas le savoir. Contrairement à ce qui fut avancé après coup - encore une excuse -, personne n’a rien appris à Malville de la violence d’Etat liée à l’enjeu nucléaire. Personne ne fut surpris, chacun savait ce qu’il risquait en venant au rassemblement du 31 juillet 77. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter la presse écologiste, gauchiste, «  underground  », du moment. Tout y est et plus encore, du caractère stratégico-étatique du nucléaire, de son potentiel de fureur répressive, de son aura apocalyptique. Ce sont évidemment ces mêmes motifs qui rendent si nécessaires la tenue du rassemblement. Mais aussitôt ressurgit l’atterrante contradiction entre ce que le Comité Malville et le mouvement anti-nucléaire dénoncent dans Superphénix, et la dérision des moyens, l’inconséquence des engagements que l’on se propose d’y opposer.

Quand l’on a déclaré toute une région en danger de mort en cas de construction d’un surgénérateur ; que l’on a détaillé ses conséquences écologiques et sociales, aussi terribles qu’irréversibles ; que l’on a clamé «  C’est à Malville que nous devons gagner la lutte contre le nucléaire. » ( Le Monde. 19/11/2004) ; que l’on a évoqué le nazisme et Hiroshima combinés ; il reste à joindre le geste à la parole, et à faire ce que firent les Résistants trente ans plus tôt. Ou il convient de reconnaître que l’on a exagéré , et de réviser son discours, quitte à démobiliser les militants et à trouver autre chose «  pour faire entrer l’écologie dans les têtes  ». Ou encore d’avouer l’incapacité d’accorder ses paroles et ses gestes. Les non-violents croient si peu à la «  désobéissance civile  », qu’en dehors d’une chétive campagne d’auto-réduction de 15 % sur les factures EDF et de deux blocages organisés par les comités locaux aux portes du chantier, on ne voit ni «  résistance passive  » , ni boycott d’EDF, ni jeûne ou grève de la faim. De telles tactiques n’ont de chance que si la population les soutient massivement et activement ; que si elle fait peser derrière la protestation morale une menace extrêmement concrète. Cette population, dans son ensemble, veut de l’électricité , nucléaire ou non. A tout le moins, de l’énergie, un pouvoir qui fasse tourner la machine. Et les minoritaires, trente ans plus tard, n’ont pas trouvé le secret de devenir majoritaires.

Bref les non-violents misent tout sur le rassemblement du 31 juillet, dans l’espoir qu’une multiplication du nombre des manifestants prolongera le mouvement, et cependant, dissimulera ses contradictions.

La position des violents, plus réaliste sur le papier, ne quitte pas davantage le papier. Dès juillet 76, Le Casse-Noix «  journal sporadique, spontanique, grenoblique  », appelle au sabotage, dans le jargon verbeux et débraillé des marginaux d’alors.

«  ... elle va pas tomber du ciel cette centrale, elle est fabriquée dans des usines où travaillent des salariés, syndiqués ou pas. Il faut assembler les éléments, les transporter, tout ceci ouvre un large rayon d’action à des milices anti-nucléaires. A titre d’exemple la Société Industrielle des Combustibles Nucléaires à Veurey, près de Grenoble, « tourne » pour Malville. » ( Le Casse-Noix n°5 , 07/76. Yannick, ancien militant mao, alors membre de la communauté de la Monta) On en passe, et de plus outrancier.

Tiré à mille exemplaires à l’imprimerie Vérité Rhône-Alpes , vendu en kiosque et à la criée (15 numéros entre mai 75 et mai 78), Le Casse-Noix « va prendre dans les débats des Comités Malville une place importante en se faisant le porte-parole d’un courant baptisé « violent » par simplification vis-à-vis de la tendance « non-violente », à l’origine des mouvements écologiques. La simplification est intentionnelle de la part des « non-violents », elle porte d’autant plus que Le Casse-Noix fonctionne par « provocations successives ». » (M. Bernardy De Sigoyer. Opus cité)

Contrairement aux écolos-pacifistes et aux gauchistes qui ont leur presse, leurs organisations, leurs réunions séparées, et qui partagent l’objectif du plus gros rassemblement possible, les violents, ultra-minoritaires, restent dispersés et inorganisés. A Grenoble, la police pourrait presque compter sur les doigts des deux mains ceux qui participent, parfois de loin, au Comité Malville. 4 anars par ci, 3 ex-maos par là, quelques marginaux, «  zonards  », «  communards  », écologisés, assez clampins dans l’ensemble et perclus de rivalités mimétiques. On peut rêver pour un travail politique d’autres ressources humaines. Clairsemés dans les comités Malville, réduits à la simple expression de leurs opinions, en réunion, dans les tribunes de Superpholix , via Le Casse-Noix , les violents vont pourtant gagner en audience. L’apogée de leur influence se situant entre février et mars 77, entre les assises des comités Malville à Morestel et l’éditorial de Superpholix appelant à l’action directe. Il faut y voir la patte de Pierre Boisgontier.

« Chercheur en sciences sociales, âgé d’une quarantaine d’années, redoutable débatteur, toujours à l’affût des « coups » qui peuvent se monter, et qu’il est prêt à servir, l’ancien chef des « maos » de Grenoble reste le pape, sinon le mage de certains jeunes militants. Il y a quelques années, « Boisgon », comme l’appellent ses fidèles, fonde une société civile immobilière qui acquiert une grande propriété au lieu-dit La Monta, à quelques kilomètres au nord de Grenoble, sur la commune de Saint-Egrève. Une communauté s’établit alors à La Monta, avec un effectif, très mobile, d’une quinzaine de personnes. (...) l’engagement militant de plusieurs membres de la communauté dans le mouvement écologique explique que Vérité Rhône-Alpes réalise le journal des comités anti-nucléaires : Super-Pholix . Michel Bonhomme, directeur de maison de jeunes, qui fut le leader de la liste écologique aux dernières municipales à Grenoble et le porte-parole des opposants au surrégénérateur Superphénix lors des manifestations anti-nucléaires de l’été 77, vivait à cette époque à La Monta. Y vit également Marty, un jeune dessinateur au noir et violent pessimisme, qui réalise un périodique satirique agressif au titre merveilleusement accordé à Grenoble : Le Casse-Noix, qui se veut « spontanique, sporadique, grenoblique. »

C’est sans doute cette activité débordante qui a valu à la communauté de La Monta de recevoir au cours de l’année 1977 la visite, à quelques mois d’intervalle, de lanceurs de grenades et cocktails molotov, de cambrioleurs puis d’une importante descente de police. » (Pierre Frappat. Grenoble, Le mythe blessé . 1979. Ed Alain Moreau)

Le Comité Malville n’est pas un mouvement charismatique. Vexé par les critiques croisées de ceux qui lui reprochent sa mainmise sur le mouvement, et de ceux qui s’effraient du contenu de cette mainmise, Pierre Boisgontier se met en retrait du Comité Malville. C’est aussi pour l’ex-pourfendeur de «  la fac au service des patrons  », le point extrême de son engagement contre la techno-industrie.

Dix ans plus tard, il publie «  Grains de technopole  » avec Michel de Bernardy de Sigoyer. (1988. Presses Universitaires de Grenoble) Apologie de la liaison recherche-industrie et du «  Territoire endogène innovant  » préfacée par Louis Néel, ex-patron du Commissariat à l’Energie Atomique et de l’INPG, défenseur de Superphénix, et père de la technopole grenobloise. Ce livre et d’autres publications ( Technopôle-Technopolis , à l’Harmattan. Des articles dans le numéro «  Technopolis  » de la revue Autrement ), fournissent au techno-gratin son discours d’auto-justification. «  Composé à partir d’éléments fraichement moissonnés, cet essai témoigne, à travers l’émergence de nouvelles mœurs laborales, de la pertinence de ces nouveaux espaces productifs que l’on nomme technopoles. Là réside l’espoir ! Rien ne se fait sans racines et sans combat comme l’indique le Professeur Néel dans sa préface. » ( Grains de technopole )

Malgré quelques précautions oratoires et allusions au passé militant des deux auteurs destinées à établir une continuité artificielle entre leur ancien et leur nouveau discours, le retournement a le cynisme et la brutalité des « changements de lignes » staliniens. La technique, pour parler le jargon mao, a supplanté la politique «  au poste de commandement  ». Incapables de penser l’échec de la contestation, les deux militants se rappellent qu’ils sont aussi (d’abord ?), chercheurs en sciences sociales, et pensent le succès de la réaction. Qu’une contestation émerge derechef et ils sont prêts à faire leur mise à jour théorique, sans reconnaissance bien sûr, de leurs errances successives et contradictoires.

A l’automne 2001, des textes de simples citoyens (archivés sur www.piecesetmaindoeuvre.com) entreprennent la critique de Biopolis, l’incubateur de biotechnologies grenobloises financé par la Métro, et le démontage de la technopole grenobloise. Un an plus tard l’impact de cette critique contraint la Métro à réagir et les écotechs (Verts/Ades) à récupérer, suivant une répartition des rôles désormais rituelle.

«  Si Didier Migaud prône l’information du public...il s’oppose à ce que celle-ci soit ouverte à de simples citoyens, apparemment trop bêtes pour comprendre tout l’intérêt du projet. Il propose une inévitable commission d’éthique avec des représentants des élus, des gens plus raisonnables comme lui par exemple. Raymond Avrillier, pour les écologistes, s’étonne que le débat commence seulement maintenant alors que le chantier est déjà engagé. » (Michel Bernard. Silence n°285/286. Eté 2002)

On sait que l’apôtre de la «  vigilance  » et du «  débat  » s’étonne toujours à retardement que «  le coup soit parti  ». (Biopolis, Minatec, Nanobio, etc.)

De leur côté, ses anciens collègues de bureau ruminent de nouveaux ajustements. Pierre Boisgontier et Michel de Bernardy de Sigoyer «  discutaient de l’opportunité de remplacer le concept de développement « durable » par celui de développement « complexe à énergie constante » appliqué aux technopoles. L’enjeu était celui du devenir de la démocratie face aux tentations technologistes, en particulier à propos des projets comme Biopolis. » (Pierre Boisgontier. Silence n° 285/286. Eté 2002)

Michel de Bernardy de Sigoyer étant mort, et Pierre Boisgontier à la retraite, gageons que Raymond Avrillier saura nous expliquer ce qu’est «  le développement complexe à énergie constante  », afin de ne pas s’écorcher la bouche du simple terme de décroissance.

IV

De juillet 76 à juillet 77, une chaîne d’actions entretient la mobilisation des comités Malville et accroît l’attention du public sur Superphénix : arrêt d’un convoi pour la centrale nucléaire de Bugey (août 76), manifestation de 3000 personnes à Grenoble (17 septembre), occupation le même jour à Lyon des bureaux de la NERSA (le consortium européen dont EDF fait partie pour la construction de Superphénix), visite impromptue d’un groupe d’écologistes à la préfecture de Grenoble, et récupération des plans Orsec-Tox et Orsec-Rad (18 septembre), publication des plans par des media nationaux, conférence de presse interrompue par la police à Grenoble, démarrage de la campagne d’auto-réduction de 15 % des factures d’EDF (mars 77), intervention aux bureaux d’EDF et au conseil municipal de Grenoble (Régie Gaz Electricité), contre les coupures de courant affectant les auto-réducteurs, sabotages de plusieurs bureaux d’EDF, etc.

Cette campagne permanente profite à la liste «  Grenoble Ecologie  » qui frôle les 10 % de voix aux élections municipales de mars 77, quand ses pareilles dans de nombreuses villes dépassent plutôt les 5 %. Le Comité Malville ne se soucie pas d’élections et Grenoble Ecologie ne se soucie pas de Superphénix, même si plusieurs de leurs membres ont la double casquette (Philippe Lamour, Cédric Philibert, Michel Bonhomme). Cette première liste verte à Grenoble est le fruit d’un cartel (Amis de la Terre, Collectif Ecole-Formation, Comité de Défense de la Colline Verte, Comité des Populations Polluées par Progil) où l’on relève les noms d’Yves Le Pape (écologiste et chercheur à l’Irep), de Robert Beck (Frapna Isère), Geneviève Jonot (Amie de la Terre, puis Ecologie Alternative et Autogestion, puis Ades - Association Démocratie, Ecologie, Solidarité), de Jo Briant (ex-PSU, futur Comité Inter Peuples et Alternatif), de Jean-François Le Dizes (Les Alternatifs). On pourrait aussi décrire cette liste comme celle de la petite fonction publique, enseignants, éducateurs, animateurs, portés professionnellement à s’opposer à leurs supérieurs hiérarchiques, titulaires du pouvoir politique ; ou encore comme celle de la rue St Lo, alors repaire de babas et d’êtres socio-culturels (acteurs, artistes, animateurs), en jupes gitanes et gilets « grand-père ». Le baba étant comme chacun sait, la version juvénile du bobo. Quant à la profession de foi (imprimée en vert, bien sûr), elle ne peut sembler exigeante que par certains points et par comparaison avec les actuelles platitudes des Verts et de l’Ades.

Intitulé «  Grenoble Ecologie pour autogérer la cité » , (plus tard, la « démocratie  » remplacera «  l’autogestion » ), ce tract énumère les nuisances, les mêmes qu’aujourd’hui - rien n’a changé, tout a empiré - air pollué, eau menacée, aliments empoisonnés, espace restreint par l’urbanisation et l’industrialisation - pour proclamer : «  Voilà où nous conduit cette société de profit et de gaspillage. (...) Imaginons que nous prenions le temps de VIVRE en comprenant enfin que l’EXPANSION ECONOMIQUE N’EST PAS SYNONYME DE BONHEUR. ».

Imaginons que les écotechs grenoblois comprennent enfin que l’expansion économique, si modeste soit-elle, est synonyme de malheur.

Note aux squatteurs et aux Grenoblois évincés par l’afflux des cadres de l’Alliance et de Minatec. «  Contre les promoteurs, les expulsions, les destructions, Grenoble Ecologie revendique : «  Le contrôle des habitants sur l’utilisation des terrains ; le droit au logement de qualité pour tous. »

Pour partie ce programme énonce le b-a, ba du bon management écotech  : développement des transports en commun, de l’énergie solaire, d’une «  ceinture verte  » autour de Grenoble. Pour partie, il lui échappe, sous l’influence d’autres courants politiques, des lapsus libertaires.

«  Non à la croissance épuisante et au chômage. (...)

Non aux objets inutiles et au travail abrutissant. (...)

Non à la loi du profit capitaliste.

Non aux bureaucrates et aux technocrates, ils ne décideront plus pour nous.

Oui à la décentralisation ; CONTROLONS NOTRE PROPRE VIE. »

Au dos du tract, une fable qui, à quelques détails près, pourrait être l’œuvre de squatteurs alternatifs d’aujourd’hui, ce qui d’une façon ou d’une autre est bien triste.

La Ville de Grenoble écologique et autogérée...

(...) Des terrains sont transformés en potagers. (...) Après enquêtes et discussions, les industries et recherches polluantes, les fabrications de produits inutiles, toxiques, ou nuisibles à l’équilibre écologique ont été interdites de séjour. (ndr : supprimées ou déplacées ?) Quant au CENG (ndr : le CEA), dont les grilles ont disparu, l’orientation de ses activités est discutée en commun par les chercheurs et la population. (ndr : l’orientation ou l’arrêt ? Discutée ou décidée ?)

L’utilisation des bâtiments laissés vacants est décidée par tous, ainsi que celle des bureaux et appartements inoccupés. (...) Dans chaque quartier, dans chaque immeuble sont ménagés des lieux où se rencontrer, se détendre, s’amuser, réparer, créer.

Les ghettos ethniques et culturels ont disparu...

Des coopératives fabriquent des éoliennes, des capteurs solaires, des pompes à chaleur...

Des petits immeubles sont étudiés et adaptés à notre mode de vie ; sans gaspillage d’énergie, ils comportent des installations de recyclage pour l’eau, les déchets organiques et les matières premières. Des réseaux d’alimentation biologique organisés avec les agriculteurs approvisionnent la ville sans le parasitage des intermédiaires.

L’affichage publicitaire a disparu, laissant la place à l’information locale et à l’expression libre des écoliers, des groupes, des individus..., de tous.

Un désaccord surgit-il ? Un projet d’aménagement est-il envisagé ? A la demande de 10 % des habitants, un référendum est organisé. (...)

Mais ne nous leurrons pas ! Ce rêve ne peut devenir réalité que par une remise en cause complète :
  de la société capitaliste axée sur le profit ;
  du productivisme et de la croissance sans fin ;
  de la concentration des pouvoirs.

Cet écologisme mièvre, pimpant et guilleret ne paraît pas réaliste - entendez, électoralement payant - aux écotechs d’aujourd’hui. Il ne le paraissait pas non plus aux yeux de la plupart des anti-nucléaires qui regardaient avec ironie grenouiller cette coterie Marie-Antoinette, vérolée d’arrivisme et de narcissisme, si élusive quant aux rapports de force, et à l’actualité des luttes. Comme toujours, le prétexte de cette candidature électorale est « de faire passer des idées » . Comme toujours, les idées «  passent  » par ailleurs : l’activisme des comités Malville, dont Grenoble Ecologie se fait le « débouché » , c’est-à-dire l’exploitant électoral.

Trente ans plus tard, l’écologisme municipal oscille entre 15 et 20 % des voix suivant qu’il se présente seul ou allié aux libéraux de GO Citoyenneté. 5 % de gain en trente ans , en dépit de Tchernobyl et de l’affaire Carignon, fructueux facteurs électoraux. En dépit d’une édulcoration constante des idées que l’on se proposait de «  faire passer » et qui, à l’inverse du projet originel, servent maintenant à «  ratisser large  », pour «  faire passer  » des élus dont tout le programme se réduit à «  faire en sorte que cette ville demeure plus vivable. » (cf. Christine Garnier, élue Ades)

V

Les manigances de Cédric Philibert, la tête grenouillante du courant non-violent, l’avait rendu impopulaire au Comité Malville de Grenoble. Il n’y paraissait plus guère, ayant d’ailleurs pris une hauteur nationale, du haut de La Gueule Ouverte . Symétriquement la personnalité impérieuse de Pierre Boisgontier, un certain tranchant autoritaire et surtout, la clarté de son discours offensif, l’avaient rendu inacceptable aux ouailles non-violentes. Grisé par le succès électoral de Grenoble Ecologie qu’il croyait dû à son adresse et à son dynamisme, Michel Bonhomme se présenta en conciliateur et joueur de flûte des comités Malville. Il était en vérité tout à tout le monde, le prétendant idéal au rôle de porte-parole du mouvement. Grenoblois, donc jouissant de la légitimité originelle du Comité Malville de Grenoble ; dépourvu de culture politique, donc accommodant aux violents comme aux non-violents ; directeur de la Maison des jeunes de la rue Saint-Laurent, mais habitant la Communauté de La Monta, donc proche du noyau le plus dur comme de la bouillie la plus molle, du mouvement ; ayant un titre de directeur, respectable aux autorités, et l’habitude de négocier avec elles, en intermédiaire des « jeunes », comme des militants désormais. Le personnage avait de surcroît la jovialité, l’optimisme et l’amabilité des gens qui ont toutes raisons d’être contents d’eux. Bref, il était positif, ce qui plait toujours au gros de la troupe, lequel nourrit une aversion symétrique pour les individus et les idées négatives. Pragmatique en diable, Michel Bonhomme devait plus tard s’illustrer dans l’entreprenariat vert en fondant «  Vallorga  », pour valoriser les déchets tout en produisant de l’énergie ; entreprise, hélas, malheureuse, le procédé, semble-t-il, n’étant pas au point.

Sous le porte-parolat de Michel Bonhomme, le débat (si l’on ose dire), violent/non-violent s’enflamme de plus belle, à chaque réunion d’un comité, à chaque coordination des comités, et dans chaque numéro des feuilles sympathisantes, conduisant à des prodiges de double-langage et de surenchère émotionnelle. La Gueule Ouverte , qui a fusionné avec Combat Non-Violent , consacre désormais des dossiers à «  Comment prendre Malville  » ou à «  La technique pour prendre Malville  », rédigés par Jean-Michel Asselin, actuellement contremaître aux Editions Glénat - un groupe qui marchandise la montagne, et dont les journaux ont pour mission de rendre les cerveaux de leurs lecteurs disponibles aux publicités de Rossignol, Lafuma, Patagonia etc.

Un article de Christian Treillard publié dans La Gueule Ouverte et repris en éditorial de Superpholix «  rend le mieux compte de l’ambiance de détermination et des décisions qui ont prévalu lors de la réunion de coordination du 2 avril  » :

«  Superphénix on sait parfaitement ce que ce serait. Superphénix, ce serait du plutonium à la tonne, ce serait l’installation irréversible d’une société qui aurait terrifié Hitler lui-même, (...) ce serait Auschwitz à l’échelle planétaire ! Et je ne crois pas que l’image soit suffisamment forte...

Contre Superphénix, la légitime défense est donc invoquée. Le temps n’est plus aux paroles, même acerbes. Il est aux actes mûrement réfléchis. (...)

Il faut le savoir dès maintenant, et le préparer. Ce sera surtout le DERNIER rassemblement à Malville ! Cela aussi, faut bien se le mettre dans la tête ! L’équation légitime défense plus échéance impérative accouchera d’un savoureux volcan...

Ainsi le rassemblement du 30 juillet n’aura pas Trigano comme supporter, mais plutôt Manufrance si vous voyez ce que je veux dire...

Les objectifs de ce rassemblement sont clairs et précis : récupérer le site et stopper les travaux. (...)

Enfoncez-vous bien ça dans le crâne : le Mai 68 écologique est annoncé pour le 30 juillet 77 ! Cette date historique est le seul fait qui vous soit mâché à l’avance.

En venant cet été à Malville, il y aura des risques. Le cacher serait malhonnête. Mais le véritable risque, qui efface tous les autres, n’est-il pas de voir diverger (ndr : entrer en service) en 1983 Superphénix ? (...)

Il faudra venir à Malville, équipés, en petits groupes autonomes (si vous n’êtes pas fichus de vous autogérer durant trois jours sur la bouffe par exemple, s’il-vous-plaît, ne parlez plus d’An 01, et ne prenez pas la coordination pour l’Armée du Salut) (...)

Il y aura du flic, beaucoup de flics, et outillés. (...) Vu l’enjeu de Superphénix, pierre angulaire du programme nucléaire français, cocorico, je crains que le pouvoir, acculé, ne sorte sa panoplie d’armes sophistiquées comme il les a déjà utilisées en Allemagne fédérale à plusieurs reprises, et pour les mêmes motifs... Mieux vaut être préparé que pas du tout. (...)

La question fondamentale qui annule toutes les autres, et que nous devons nous poser en conscience - et nous disposons de moins de quatre mois pour la retourner dans tous les sens - est de savoir si oui ou non chacun de nous est véritablement motivé au plus profond de ses tripes pour s’engager dans la bataille qui visera à bloquer la société du plutonium. (...) Dés aujourd’hui, contre le monstre Superphénix, proclamons le branle-bas de combat ! Perdre cette lutte anti-nucléaire, c’est signer notre arrêt de mort. La gagner, c’est entrer concrètement et de plein fouet dans l’utopie. (...)

Superphénix est un effroyable projet de génocide, calculé par une clique de technocrates asexués. (...)

Tout cela fait assez grandiloquent. Et pourtant, nous en sommes arrivés là : Malville, c’est de la vraie science-fiction ! »

Le chapeau de cet article précise : «  La coordination contre Superphénix Rhône-Alpes réunie à Genève le 2 avril a pris une décision de première importance : l’objectif du rassemblement du 30 juillet 1977, c’est de pénétrer sur le site de Superphénix pour y détruire tout ce qu’il sera possible d’y détruire.

Le rassemblement de juillet 1977 sera une action menée par des femmes et des hommes debout décidés à l’offensive : passer outre aux barrages de flics et aux barbelés !

On ne peut être plus clair, ni plus éloigné de la pastorale de Grenoble Ecologie. Le ton apocalyptique de ce texte, amplifié par bien d’autres, représente en effet ce moment et la majorité militante des comités Malville, à Grenoble et dans les villes. La conséquence de ces discours devait être la préparation des affrontements annoncés. A priori cela ne semble pas insurmontable. Les anti-nucléaires allemands, à Brockdorf, ont enfoncé le barrage policier. On tire alors dans les manifestations italiennes. A Paris, les services d’ordre gauchistes, notamment celui de la Ligue Communiste et de l’Organisation Communiste des Travailleurs, présentes dans les comités Malville, valent bien celui de la police. A tout point de vue d’ailleurs. Cependant, la police française pratique une violence beaucoup plus brutale que son homologue allemande et l’enjeu stratégique, le défi à l’Etat nucléaire, annonce une répression féroce. Celle-ci peut aligner plus de troupes, mieux organisées, et infiniment mieux armées que la contestation. Bref, une bataille rangée, tout de go, sur rendez-vous et en rase campagne, semble la pire folie à tout le monde, et en particulier à ces anciens maos et à leurs proches, imbus de guérilla et de résistance, qui peuplent, surtout à Grenoble, le mouvement anti-nucléaire.

Ceux là louchent plutôt sur l’exemple corse. Il est constant que depuis l’émeute de Bastia contre les déversements des boues rouges de la Montedison (1973), et l’occupation armée de la cave d’Aléria (1975), les petits clans sordides de cette petite population insulaire (200 000 habitants), tiennent tête à l’Etat et, grosso modo, préservent leur environnement naturel. Ils ont justement pour eux l’avantage de l’unité culturelle sur un territoire restreint et défini, une tradition de violence, et des enjeux relativement indifférents à «  l’Etat colonial » . Reste à voir s’ils auraient pu résister à l’implantation d’une base spatiale ou d’un surgénérateur.

Les cinquante comités Malville de la région sont loin de rassembler tous les anti-nucléaires, ou plutôt tous les « anti-systèmes » mobilisés contre Superphénix. Beaucoup font partie d’autres groupes, ne veulent pas discuter avec les écolo-pacifistes, ou refusent simplement de s’organiser. C’est pourtant cette nébuleuse qu’il s’agit d’unifier, si l’on veut entraîner la population dans un mouvement d’ensemble, et fournir le cadre nécessaire à des actions de sabotage. De même faudrait-il mailler le territoire bien avant le rassemblement du 30 juillet pour le rendre hostile aux forces de police et les harceler avant tout choc frontal.

«  Savez-vous que :

arbres sciés + pneus enflammés = convoi bloqué ? (recette des viticulteurs languedociens)
  Pouvons-nous en nous appuyant sur la population et les comités locaux organiser l’encerclement des CRS ?
  Pouvons-nous leur porter suffisamment de coups AVANT pour que le 30 juillet n’exige pas forcément de nous un héroïsme désespéré ?
  Pouvons-nous avant eux mettre la région en état de siège ? »

(Yannick «  trouillard de l’active  ». Superpholix n°12. Juin 77. Il s’agit de ce même mao, animateur du Casse-Noix et membre de la communauté de La Monta).

Ces fantasmes tactico-héroïques, plagiés du Président, représentent à l’époque un choix possible. Des gens d’âge mûr et d’expérience en discutent. Il y a la Cause, les troupes, un rapport de forces inimaginable aujourd’hui. Ces idées se discutent au grand jour dans des assemblées de centaines de personnes et dans des journaux lus par des milliers d’autres. Exemple extrême, Le Casse-Noix publie des appels à la violence, des outrages aux préfets et aux policiers grenoblois nommés individuellement, des recettes d’explosifs et de sabotage, sans encourir la moindre poursuite. Et repoussant du coup, très loin, les limites de la liberté de la presse.

De telles perspectives sont aussi odieuses aux écolo-pacifistes qu’aux gaucho-légalistes, si bien qu’à peine acquises les décisions des Assises de Morestel et de la coordination de Genève, dûement publiés par Superpholix , ils se mettent en peine de renverser les verdicts et la majorité qui les a rendus. On a vu comment Pierre Boisgontier s’était retiré sous sa tente, privant le courant violent du meilleur orateur, et de loin, du mouvement anti-nucléaire, et le seul capable de retourner une salle. On a vu comment, forts de la puissance de diffusion de La Gueule Ouverte , les putchistes non-violents, court-circuitant les comités Malville, lançaient d’en haut des appels contradictoires aux décisions déjà prises, rouvrant sans cesse «  le débat  » pour saboter l’application de ces décisions, et semer la confusion jusqu’à ce que, faute de temps, d’accord et de préparation, on en soit réduit à l’expédient d’une énième procession festive. L’informalité des comités Malville favorise leurs manipulations. Il n’y a évidemment ni statuts ni adhésions. La réunion du comité décide par consensus à peu près général sur le plus petit dénominateur commun. On ne se souvient pas de votes, encore qu’il y en eût peut-être. A ces réunions, vient qui veut, applique les décisions qui veut, pas forcément ceux qui les ont proposées. Personne n’est tenu par ses engagements, ni ne rend de compte sauf, très peu, les délégués aux coordinations. Dans la pratique, il suffit de mobiliser ses acolytes lors de telle réunion pour l’emporter - au moins, cette fois. Entre-temps on prépare la prochaine réunion plutôt que le rassemblement du 30 juillet. La démocratie prétendue directe aboutit à une bureaucratisation plus ou moins occulte. A la fin du printemps, les réunions quotidiennes au local de l’impasse du Four (rue Saint Laurent), rassemblent de 50 à 80 personnes, assises et fumant sur la moquette. Et ce n’est qu’un des cinquante comités Malville, le principal, il est vrai. A défaut de mettre la main à la pâte, chacun met son grain de sel. De même pour les réunions de coordination où chaque comité envoie - avec quelles affres anti-autoritaires - ses représentants, mais où chacun peut se rendre et prendre la parole, ce qui les transforme en énième assemblée générale vouée au Débat - on sait lequel.

Du reste ce blocage pratique manifeste un blocage politique. Il serait vain et malhonnête de passer outre, pour sauver la face de l’organisation. Quant à une scission, aucune des factions ne tient, à ce moment-là, à lâcher la proie des comités Malville pour l’ombre de son inexistence séparée. Chacun souscrit d’ailleurs à l’intérêt supérieur du rassemblement dont on espère un rapport de forces amélioré et un dépassement des contradictions. Bref, la fuite en avant.

Pour enrayer les décisions de Morestel et de Genève, les non-violents, et à un moindre degré, les asticots trotskystes, jouent sur le défaitisme, la peur, et la démagogie, voilés derrière le « sens des responsabilités ». Le défaitisme des premiers nie la possibilité de rallier la population à un mouvement d’opposition violente contre Superphénix. Pour les seconds il s’agit, sempiternellement, de ne pas se couper de cette gauche (PC, PS, syndicats) qui encadre selon eux cette population. Les uns comme les autres comptent pour si peu leurs propres capacités d’action, et celles d’autonomie de la population, qu’ils se refusent même à faire le premier pas de toute réelle tentative de résistance. Au lieu de quoi, ils régalent les réunions de visions sanglantes qui blêmissent les visages et écarquillent les yeux : «  Ça va être un massacre !  », «  On ne peut pas envoyer les gens au casse-pipe !  », «  Il y a des familles qui vont venir, des enfants... » Sous prétexte de protection des familles, ils effraient les plus impressionnables. Le sentiment funèbre d’aller à l’abattoir baigne cette période. Pas de fanfaronnade. Il ne s’agit pas de jouer les bravaches et la peur est, comme le bon sens, la chose du monde la mieux partagée.

«  Juste avant les premiers affrontements, les CRS et les gardes mobiles crevaient visiblement de peur. Il y a eu d’ailleurs plusieurs mouvements de panique dans leurs rangs, notamment quand l’un d’entre eux a perdu une main en dépouillant une grenade. » ( Libération . 1/08/1977)

La peur est la moindre des choses. Maintenant comme alors, on ne peut s’empêcher de songer que ces affrontements anticipés, au lieu d’être subis, auraient changé la peur de camp ; peut-être l’issue de cette journée, et la suite du mouvement anti-nucléaire.

«  Mais les comités locaux ne seront pas d’accord.  »

Les «  comités locaux  », c’est l’ersatz de peuple, la fausse direction du mouvement contre Superphénix. Quelques personnes (Maurice François, la famille Jourdan, Louis Vollat, madame Putignier), timides et dépassées, dont le courant non-violent monopolise l’accès et la représentation, et qu’il invoque chaque fois qu’il veut censurer une idée trop fantaisiste ou hardie pour son goût.

«  A chaque réunion de coordination des comités Malville, c’est la même chose : les comités locaux sont les premiers concernés, c’est aux comités locaux de juger, ce sont les comités locaux qui doivent décider, les comités locaux ont l’œil du paysan qui voit juste !

De même qu’il y a des gauchos qui font de l’ouvriérisme, il y a des anti-nucléaires qui font du comitélocalisme. » (Eric Marty. Le Casse-Noix n°6. Juillet 77)

La légitimité de ces comités locaux, la prétention à leur faire jouer le rôle d’oracles du mouvement est plus que douteuse. D’une part, il y a peu d’espoir de rallier une population socialement hétérogène, clairsemée aux limites de trois départements (Isère, Rhône, Ain), politiquement amorphe, et sensible à la manne d’EDF. Dès 1974, 45 propriétaires dont une dizaine d’exploitants agricoles avaient vendu leurs terrains à EDF. L’actuel maire de Creys, qui a succédé à son père explique : « Rien que la taxe sur le foncier bâti de la centrale nous assure 75 % de nos recettes. » Tout est neuf ou rénové, aujourd’hui dans la petite commune de Creys-Mépieu (1100 habitants) : les réseaux d’assainissement et d’adduction d’eau, l’école, la mairie, le stade ; le restaurant scolaire est en voie d’achèvement. » ( Le Monde . 8/08/2003)

En fait ce sont les affrontements du 30 juillet et la conduite des forces de l’ordre qui révolteront les locaux et les dresseront, brièvement, aux côtés des anti-nucléaires. ( Libération , 1er et 2 août 77)

D’autre part, du point de vue social comme du point de vue du risque, les populations locales ne sont pas plus concernées que celles de Lyon, Genève ou Grenoble, où résident les forces vives du mouvement.

« Le Larzac a été l’un de nos modèles. On s’est toujours efforcé de laisser le leadership de la lutte aux populations locales. Et c’est peut-être d’ailleurs cela qui explique notre échec », raconte aujourd’hui Georges David. » ( Le Monde . 8/08/2003)

Georges David, alors directeur de Superpholix , ayant effectué son «  retour à la terre » dans un village voisin de Creys-Malville, reconnaît mezzo-voce ce que les violents s’époumonaient à expliquer. L’enjeu d’un surgénérateur nucléaire n’est pas celui d’un terrain de manoeuvre militaire. Les 103 paysans du Larzac, unis, et accrochés à leur terre, présentaient face à l’armée un bloc introuvable dans ce coin de «  mauvaises terres agricoles  » du Nord-Isère. Qu’importe ces fausses justifications a posteriori . L’essentiel pour les non-violents n’est-il pas de «  se servir du nucléaire pour faire entrer l’écologie dans les têtes.  » Au moins Georges David a-t-il l’honnêteté de reconnaître «  notre échec  », quand un Raymond Avrillier s’imagine encore pouvoir revendiquer sa victoire contre Superphénix. Mais on y viendra.

VI

Le 21 mai 77, après deux mois d’hystérie, de chantage, d’ergotage et de main forcée, les non-violents arrachent à la coordination des comités Malville de Courtenay l’abolition de la décision prise à Genève d’appeler à «  pénétrer sur le site de Superphénix pour y détruire tout ce qu’il sera possible de détruire. »

Une partie des anti-nucléaires, plutôt d’accord avec les violents, a cédé à la lassitude et reculé devant la division. Pour autant les violents révoltés de l’escroquerie parlementaire, des intrigues non-violentes, sûrs par ailleurs du bien-fondé de leurs positions, n’en lâchent pas un pouce. C’est ce jour là que Michel Bonhomme, «  porte-parole  » des comités, et devenu de fait l’arbitre des rapports de force internes, donne la mesure de sa finesse. Après quelques approximations repoussées tantôt par l’une, tantôt par l’autre partie de l’assemblée, le «  rassemblement offensif  », puis «  non-violent  », puis «  non-violent offensif  », puis «  contre-violent  », devient par sa formulation «  Marche pacifique offensive » .

Marche , parce qu’il ne s’agit pas d’un rassemblement statique mais d’aller quelque part : au site.

Pacifique , parce que les non-violents ne veulent pas de violence, tandis que les violents refusent d’endosser l’idéologie non-violente. Nonobstant ils acceptent une manifestation pacifique, se réservant le droit de légitime défense en cas d’agression policière.

Offensive , parce qu’au moment même où l’on recule dans les faits, il importe à tous, non-violents comme violents de prétendre le contraire, et d’inscrire, au moins dans les mots, un degré de radicalité supérieur par rapport au rassemblement précédent.

En fait, Bonhomme et l’assemblée de Courtenay ont redécouvert l’oxymore, cette figure poétique qui permet d’exprimer l’impossible par un alliage de mots contradictoires : obscure clarté, vierge enceinte, roue carrée etc.

Dans la pratique, cette unité de façade revient à dire : «  Chacun fait ce qu’il lui plait, du moment qu’il ne viole pas la lettre du mot d’ordre. » La couverture du numéro 12 de Superpholix (juin 77), dessinée par Eric Marty publie avec ingénuité ce tour de passe-passe.

Sous la manchette : « Compte-rendu de la coordination du 21 mai :

30 et 31 juillet 77 à Malville : Occupation de la région, rassemblements multiples et marche pacifique vers le site. »

On voit une foule immense converger de toutes parts vers l’inscription «  Malville  », en portant des banderoles «  Groupe pacifique non-violent  », «  Groupe pacifique d’autodéfense  », «  Groupe pacifique offensif  », la légende précisant en gros caractères : «  Tous ceux qui voudront marcher marcheront . »

Un texte anonyme, «  Les Mythes décisifs  », dédié aux écoeurés de Malville et daté du quatrième trimestre 77, résume :

«  Cependant cette « résolution » (ndr : celle de Morestel) ne tarda pas à être remise en cause par La Gueule Ouverte , crachotage écologiste hebdomadaire, pas même fort en gueule. Pour ce torchon, ce peu était déjà trop, ce qui ne surprend pas venant de la part d’illuminés qui croient au miracle de la non-violence. Et comme les non-violents sont justement médiocres en tout, sauf dans la manipulation, ils se mirent au travail. La réunion de Courtenay, autant que celles qui suivirent, ressemblait bien plus à une auberge espagnole qu’à une assemblée. On y toléra tout parce que l’on n’y voulait déjà plus rien : On y parla pêle-mêle de marche pacifique, de contre-violence, on y conçut même un accouplement monstrueux d’idées telles que la « non-violence offensive ». Bref, on nageait, et toutes les résolutions ne faisaient qu’accroître la confusion. (...) Si l’on se proposait sérieusement une manifestation pacifique, il était stupide de ne pas prévoir qu’elle serait accueillie belliqueusement. S’il fallait s’attendre à une lutte véritable, il était vraiment original de désarmer les gens du désir de s’armer. » (Texte entrevu sur le site http://netmc.9online.fr)

Comme de juste, la formule magique de «  marche pacifique offensive  » censée rassembler, répugne à tout le monde. «  Offensif  » est de trop pour les non-violents, malgré leur volonté affichée (mais fictive) de «  reprendre Malville  ». Il est probable que dans leurs cervelles glaireuses de religiosité, il faut prendre cet objectif de façon symbolique. Qui sait ? Peut-être même prendre notre « Malville intérieur ». On ne compte pas les marches pacifiques - même pas offensives - tournées en affrontements, le plus souvent du fait de la police. Bref «  offensif  » annule «  pacifique  », lance un appel à peine voilé à la violence. Les violents de leur côté, rient amèrement de ce pacifisme offensif, ne prévoyant que trop l’accueil qui lui sera fait. Mais ils n’ont pas plus qu’auparavant les moyens (ni le désir ?), d’une organisation séparée. Ils multiplient les mises en garde, incitant au moins à former des petits groupes d’auto-protection. Ils ferraillent encore pour que placée devant la révoltante contradiction entre «  pacifisme  » et «  offensive  », la masse du comité, radicalisée par l’enjeu, et avide de dépasser la procession de l’an passé, revienne au mot d’ordre de Morestel et en tire les conséquences pratiques.

Pendant le «  débat  », la préparation continue. Des commissions, juridiques, médicales, logistiques, fonctionnent cahin-caha. Des jumelages s’organisent entre comités lointains et comités locaux pour l’hébergement et l’accueil sur le terrain. Ces arrangements sont publiés au fur et à mesure dans La Gueule Ouverte qui a l’avantage sur Superpholix d’être distribuée chaque semaine, nationalement. De fait, cela déplace la direction du mouvement vers l’hebdo non-violent. A Grenoble, le minuscule Casse-Noix riposte par deux salves de satires, graffiti, dessins, recettes et conseils pratiques, vociférations et exhortations grandiloquentes, entretiens avec Françoise d’Eaubonne, écrivain éco-féministe et volubile partisane de la «  Contre-violence  » (juin et juillet 77). Il paraît qu’il circula plus qu’on ne le croyait à l’époque, véhiculant à tort la rumeur d’un groupe grenoblois organisé et résolu. On l’a dit, ce n’est qu’un courant, dispersé et élusif, auquel deux jeunes gens donnent une voix et un ton, bien au-dessus de ses capacités.

Tout ce brouhaha avait débordé des comités Malville. Il s’était étendu au reste du mouvement anti-nucléaire, aux organisations écologistes et gauchistes, aux partis et aux syndicats, aux autorités et bien sûr à la police. On en parle à Marseille et à Paris. On en entend parler en Allemagne où ont eu lieu à la même époque de fortes et violentes manifestations anti-nucléaires.

Tandis que le mouvement contre Superphénix tiré à hue et à dia, fonce tout droit dans l’indécision, certains le quittent et d’autres le rallient. Abandons et ralliements s’opérant à raison les uns des autres. On l’ignore à Grenoble, mais il semble que les traditionnels «  éléments incontrôlés  » aient décidé de délaisser le pavé de la République pour l’herbe du Bas-Dauphiné. Brice Lalonde, au nom des «  Amis de la Terre  », envoie un ultimatum le 5 juillet à La Gueule Ouverte .

«  Ignorant tout de la réalité militante et politique des soi-disants « Comités Malville » ou des soi-disants « coordinations », nous refuserons d’appeler aux manifestations de Creys-Malville si

1) L’engagement n’est pas pris par les organisateurs de se donner tous les moyens d’interdire les provocations et actes de violence concertés

2) et que cet engagement n’est pas garanti par un collectif d’organisations comprenant au moins les organisations locales, MAN (ndr Mouvement pour une Alternative Non-violente) , PSU, CFDT avec les groupes locaux. »

Si le mouvement contre Malville n’avait rendu qu’un seul service, ce serait d’avoir carbonisé ce jour là le maquereau de l’écologie, futur ministre de Mitterrand, allié de Madelin, et de tous ceux qui auraient bien voulu l’employer, fut-ce avec des pincettes.

Le même numéro de La Gueule Ouverte enregistre la défection, pour des raisons opposées, de Françoise d’Eaubonne, Eric Marty, Vincent Roulet, et Francis Fratzène.

«  Si nous ne venons pas à Malville, ce sera pour une crainte légitime et à deux niveaux :

1) Physique. Affronter à la fois les flics et le service d’ordre « Non-Violent », c’est trop. (...)

2) Politique. Nous prévoyons de graves désordres en raison même de l’orientation pacifique et non-violente d’une action qui, pour être de légitime défense, se devait d’être contre-violente. (...)

Nous refusons de porter le chapeau et prévenons aujourd’hui les non-violents que si ces craintes se justifient, nous tiendrons pour responsables ceux qui possédant le Pouvoir dans la coordination, ont reculé jusqu’à l’extrême limite une confrontation indispensable, sabotant ainsi toute possibilité d’une option différente de la leur... »

A vrai dire, cette grave déclaration a de quoi faire sourire. Nul ne songe, et nul ne fera «  porter de chapeau  » aux quatre «  isolés réunis  », ainsi qu’ils signent. Deux d’entre eux, parce qu’il se sont si peu fait remarquer dans la polémique qu’il faut cette lettre pour que leurs noms soient connus. Et les deux autres, parce que si joviaux et bons enfants, nonobstant leurs martiales tirades, qu’on ne peut les imaginer capables de quelque voie de fait que ce soit ; aussi sont-ils populaires jusque chez les non-violents. En fait les seuls boucs émissaires éligibles en cas de désastre sont Le Casse-Noix en tant que brûlot, ou «  les violents  », cette vague entité. Et c’est en effet sur cette vague entité que les autorités et les non-violents crieront haro après coup ; mais sans entrer dans les noms ni les détails, tant ils craignaient de véritables explications ; et sans insistance, pressés qu’ils seront de se débarrasser du cadavre du comité Malville.

En 1973, au Larzac, il avait fallu un début d’échauffourée pour extirper cette ronce de Mitterrand qui s’inscrustait au rassemblement anti-militariste. On le sait, on y était avec quelques amis arabes qui se souvenaient du ministre de l’Intérieur, du temps de la guerre d’Algérie.

En 1977, malgré de languides appels au «  dialogue  », tout ce que les écolo-pacifistes obtiennent du PS, c’est une creuse discussion publique avec Louis Mermaz, lieutenant de Mitterrand et maire de Vienne (Isère).

A l‘évidence, le nucléaire et Superphénix ne sont pas des sujets prêtant à récupération.

Le 8 juillet, le Comité d’Action Contre les Crapules Atomiques (CACCA) fait sauter le domicile de Marcel Boiteux, directeur général d’EDF. Un acte «  navrant pour la démocratie  » selon ce dernier. C’était ce même Boiteux qui avait expliqué un an plus tôt lors d’une réunion interne de la NERSA : «  Nous ressentons de la manière la plus nette que la meilleure façon de contrecarrer la contestation se développant au plan local et national est d’engager au plus vite, de manière irréversible, l’opération et de rendre publique cette décision. »

Dans un communiqué publié par Libération et La Gueule Ouverte , le CACCA déclare : «  Passons toutes et tous au plan de résistance, vu la persistance d’EDF, dans l’anti-démocratisme, vu le mépris avec lequel les crapules politicardes traitent la vie des populations, vu le danger du nucléaire (un millionième de gramme de plutonium tue un homme), vu le techno-fascisme entraîné par un tel projet ». ( La Gueule Ouverte . 14/07/77)

La CFDT à son tour annule sa participation au rassemblement pour tenir réunion à Morestel, à 15 km du site. Quant à Théodore Durand, maire de Morestel, il a déjà averti dans Le Daubé du 30 mai : «  Le Bas-Dauphiné ne doit pas devenir un terrain d’affrontements permanents  », ce qui est en quelque sorte, annoncer les affrontements à venir, pour effrayer les populations comme les plus timorés des opposants. Cette tension concentrée sur Superphénix et le rassemblement de Malville ne résulte pas seulement d’enjeux propres à la question du nucléaire ou limités au «  Bas-Dauphiné  ». 1976/1978 c’est le moment paroxystique où en Angleterre, en Allemagne, en Italie, la révolte joue son va-tout sous des formes parfois suicidaires, dévoyées, activistes, tandis que l’Etat exaspéré par cet ultime retour de flamme s’acharne à liquider les soubresauts du Mai européen. Mouvement punk ( no future ) contre Thatcher. Terrorisme de la RAF contre terrorisme de la RFA (interdictions professionnelles, délations, tortures « blanches » et liquidations en prison). Attentats et batailles de rues en Italie. Cet air du temps, le mouvement contre Malville le respire à pleines bouffées. Il l’exprime en France, et au-delà des comités Malville, tout le mouvement anti-nucléaire surinvesti par l’ultra-gauche (anars, libertaires « éléments incontrôlés »), d’où une floraison d’explosions contre EDF (les prémisses d’Action Directe ?). Libération crache le morceau un an plus tard : «  c’est à Malville que les autonomes ont pris naissance. » (2/08/78)

VII

Durant ce long et chaud mois de juillet, les nerfs et les discussions ont le temps de se tendre. Petit à petit, les regards se tournent vers Malville. Les premiers manifestants arrivent sur place une semaine avant le rassemblement. Le préfet Jannin interdit le camping six kilomètres à la ronde. Les carrefours sont contrôlés, les personnes et les voitures fouillées. Les media braquent l’attention sur Malville. Du 28 juillet au 2 août, Libération publie plusieurs pages quotidiennes, non pour soutenir mais pour exploiter l’événement. Le samedi 30, à six heures du matin, un millier de policiers ratissent le camping de Morestel où la coordination a isolé les allemands et d’autres étrangers. A la même heure, la ferme François, à 1,5 km du site est fouillée par 200 CRS, soi-disant à la recherche d’explosifs. Le maire de Morestel et le préfet Jannin brodent sur la xénophobie : «  Nous avons libéré Morestel en 39-45 de l’occupation allemande, nous la libérerons une deuxième fois.  » «  Messieurs, j’ai déjà été occupé une fois par les Nazis, je ne tolérerai pas que leurs descendants viennent faire ici la loi une seconde fois. »

« L’hystérie a commencé jeudi. Le préfet de l’Isère annonce l’arrivée d’ « extrémistes allemands aux commandos bien entraînés et bien organisés ». A Morestel, la population croit qu’ils sont 20 000 à descendre de Hambourg et que là-bas, ils cassent systématiquement toutes les installations nucléaires, et qu’ils sont entraînés par la bande à Baader. (...) Un journaliste d’une radio allemande révèle qu’on vient de projeter aux forces de l’ordre qui protègent Malville, le film de la Polizei sur les manifestations de Brockdorf.

On ne sait toujours pas pourquoi les organisateurs de la Coordination ont dirigé tous les étrangers sur le même camp, à Morestel. (...) Mais c’est ce qui se passe peut-être aussi dans la tête de certains militants non-violents, les manifestants de Brockdorf, Gronthe (RFA) ou Gosgen (Suisse), leur font peur, parce que les affrontements y furent violents. D’ailleurs, les premiers intéressés ne s’en cachent pas : « On n’a pas fait 2000 kilomètres pour un simple sit-in sous la pluie, tout en ajoutant aussitôt, mais nous défendrons notre point de vue démocratiquement en assemblée générale et nous nous plierons à la majorité. (...) Vendredi soir, première AG du camp. Les Français proches de la coordination rappellent les consignes pacifistes. Les vétérans d’Outre-Rhin rappellent leurs formes d’action. Genève trouve le compromis qui satisfait la majorité : « maximum de dégâts matériels sur le site nucléaire sans une seule goutte de sang versée. » ( Libération, Jean-Louis Hurst. 1/08/77)

C’est-à-dire qu’en quelques heures, sous la pression de l’assemblée générale des « étrangers », on est, ou l’on serait, revenu au mot d’ordre des Assises de Morestel en février. N’en croyez rien. La coordination, toute aux mains des non-violents s’est désormais émancipée du gros de la troupe et, suivant un processus familier, ce qu’elle a perdu dans une assemblée, elle le reprend dans une autre.

«  Vers 17 heures, la coordination Malville appelle à une réunion pour discuter de la marche. La coordination rappelle devant 5000 personnes (ndr : 10 000 selon J.L Hurst) son objectif : une marche pacifique et non-violente. (ndr : « non-violente » ayant remplacé « offensive » : ceinture et bretelles ) De toute évidence, une bonne partie des manifestants ne sont pas venus là pour ça. Quand on leur demande de tenir compte du point de vue de la population locale qui est pour une marche non violente, ils répondent : « Superphénix nous concerne aussi. » La réunion est très dure. Beaucoup de manifestants gueulent contre la carence, l’inorganisation, l’impréparation de la coordination. Ils ont raison. Les Allemands proposent une manifestation unique, la coordination rappelle une fois de plus le caractère pacifique de la manifestation. Louis Vollat, paysan, membre des comités locaux dit au micro : « C’est nous les locaux qui resteront ici après le 31, nous vous lançons un appel pathétique, respectez les consignes qu’on vous donnera. » Pendant deux heures, les marcheurs s’engueuleront sur l’objectif de la marche. Assez agressifs. » ( Libération. Claire Brière et Pierre Blanchet. 1/08/77)

C’est-à-dire qu’après un an de « préparation » et de mobilisation, la veille de son déroulement, le rassemblement de Malville s’improvise dans le plus grand désordre, et encore désuni sur l’objectif. Au soir, la coordination accouche enfin d’un ordre de marche. Il y en aura trois, partant de Courtenay, Montalieu et Poleyrieu, pour converger sur Faverges : le dernier hameau avant le site.

«  Dans l’attente du lendemain, on échafaudait les hypothèses les plus délirantes, car il est commun que la crédulité augmente la croyance aux miracles. On évoquait avec crainte ou envie, la puissance et l’organisation des Allemands dont on pouvait tout attendre. A ce point de l’illusion, on n’était plus très éloigné des propos de préfet Jannin. La réunion des « têtes de marche » du samedi soir se figurait être un état-major, mais ils parlaient comme des gens qui voulaient la guerre, et agissaient en fait comme des gens qui préparaient la paix. Sous prétexte de secret de guerre, les délégués de la coordination, au lieu de rendre publique les informations nécessaires dans un tel moment déterminant, jugèrent préférable de ne rien dire. Il en résulta ce qui arrive toujours à ceux à qui il manque certains éléments dans les moments qui sont capitaux et décisifs dans les grandes affaires. Comme personne ne voyait plus de bon parti à prendre, tout le monde prit selon son goût ce qui lui parut le moins mauvais. » ( Les Mythes Décisifs . Opus cité)

Ce lendemain se lève sur un jour grisâtre dans une atmosphère d’état de siège : «  Des hélicoptères pour surveiller en permanence la région interdite, des véhicules amphibies et des ponts mobiles pour amener rapidement sur place des renforts de l’autre rive du Rhône, trois hommes grenouilles détachés du Havre, un régiment de gendarmes parachutistes aéroportés de Mont-de-Marsan et des membres de la brigade anti-émeutes venus de Paris. » ( Le Matin . 31/07/77)

«  J’ai l’ordre de protéger le site à n’importe quel prix » déclare le préfet Jannin, «  le gouvernement m’a donné l’autorisation de décider et de décider seul, s’il est nécessaire d’ouvrir le feu. »

Voici ce qu’on a vu à Malville.

«  Dimanche 7 heures. La marche s’ébranle (...)

Sous une pluie battante, les gens se serrent sous les parapluies, se calfeutrent dans les cirés. Casques et branches en guise de barres. (...) Dès le départ, en avant du cortège, une cinquantaine, puis une centaine de manifestants harnachés de pied en cap, précède le gros de la manifestation. La coordination ne cessera d’appeler « ceux qui veulent affronter directement les forces de l’ordre à prendre leur autonomie. » (ndr : c’est bien ce qu’ils firent) Tout au long du trajet qui de Courtenay va nous mener à Faverges, zone interdite, il y aura le cordon sanitaire à la tête du cortège. Mais ceux qui précèdent avec casques et matraques rétorquent : « Les flics ne nous laisseront pas passer, si on reste non-violents, on va se faire massacrer. »

Pendant des kilomètres et des kilomètres, on marche sous une pluie battante. A travers les petites routes la longue cohorte des manifestants est impressionnante. Impressionnant aussi le silence. On doit théoriquement rejoindre les deux autres marches, celles de Montalieu et celle de Poleyrieu. (...)

On arrive à Faverges vers midi, les CRS et les mobiles sont en bas de la côte et bouclent le village. La coordination organise une chaîne pour détourner la manifestation sur la droite. (...) Quelques manifestants débordent par les champs et vont narguer les mobiles. C’est le début de l’affrontement, tirs de lance-patates, de grenades lacrymogènes, mais aussi de grenades offensives. » ( Libération . 1/08/77. Claire Brière & Pierre Blanchet)

Le préfet Jannin déclare au Monde du 4 août. «  J’ai été averti le matin par un responsable de la coordination que le rassemblement des manifestants s’effectuerait à Faverges, à l’intérieur du périmètre interdit. »

C’est-à-dire que la coordination a passé un deal avec le préfet dans le dos des manifestants. Ces derniers ne sont pas informés que le bouclage policier les attend à Faverges, devenu le but réel de leur marche, en lieu et place du site. Juste retour de bâton, des milliers de manifestants s’émancipent à leur tour de la coordination, et passant outre chaîne et consignes, débouchent face aux flics.

Bordés de petits bois, les prairies boueuses et les champs de maïs dévalent en entonnoir vers le bouclage policier. On descend, doucement d’abord, par petits groupes épars jusqu’à se retrouver deux cents au bord d’un talus, à quelques dizaines de mètres des flics. On s’enhardit. Par deux fois, on saute le talus en criant et on fait mine de charger. Les flics grenadent. Les plus intrépides arrivent à une vingtaine de mètres du bouclage avant de faire demi-tour. Certains ont vu des bâtons, des barres de fer, des cocktails molotov, des jets de pierre : c’est possible. On n’a vu, quant à soi, que des branches arrachées aux arbres, quelques triques, de courtes matraques, des jets de mottes plutôt que des jets de pierres, et des jets de pierres plutôt petites, éparses, aucun cocktail molotov. On n’a vu personne arriver assez près des flics pour que son jet puisse les atteindre. Il n’y a guère de projectiles à glaner dans ces champs et ces prés. L’efficacité même des cocktails molotov eût été nulle sur l’herbe et sous la pluie. A fortiori, pas un flic ne reçut le moindre coup de bâton. Les blessures policières sont toutes dûes à des accidents, et ces accidents, à la panique. C’est que derrière la première ligne, ils voient des milliers de manifestants au sommet de la pente. Ce qu’ils ne voient pas, ce sont les dizaines de milliers embouteillés derrière.

Le Casse-Noix - pour ce que portaient ses appels - avait appelé à ne pas se battre lors du Rassemblement, mais à réaliser le maximum de sabotages avant et après. La plupart des violents grenoblois viennent à Malville - comment n’y pas venir - la rage au cœur, désarmés (sauf les casques), et sans se battre. Ils ne croient pas judicieux de charger en ordre dispersé dans un barrage de grenades. Ils ne croient pas, compte tenu de leur faible nombre et de leur inorganisation pouvoir changer quelque chose au déroulement de cette journée. Certains évènements sont comparables à la course d’un paquebot vers un iceberg. On a beau les voir arriver de loin, comme au ralenti, on ne peut modifier leur trajectoire au dernier moment. Ils viennent, même celui qui avait dit qu’il s’abstiendrait, pour accompagner leurs amis et partager le désastre commun.

Cependant la situation s’éternise. Les champs se couvrent d’épaisses fumées âcres et piquantes. Des petites meutes asticotent les flics. Des petites équipes d’Allemands, casqués et en cirés jaunes (ils ont pensé à la pluie !... Ils ont pensé à tout !), éloignent les grenades et transportent les manifestants incommodés. Les flics commencent à remonter la pente, alternant les tirs de grenades et les progressions. Il y a risque d’encerclement ou de se faire ramasser par des groupes mobiles. Certains appellent à contourner le dispositif par les bois. «  Y’a un gars du pays qui connaît le chemin.  » Peut-être. Et que faire seul, ou à une dizaine, isolés au milieu des lignes de police ? Sur le terrain, au dernier moment, seule une armée pourrait combattre une armée. Un prix trop cher à payer pour la plupart des anti-nucléaires, violents ou non-violents. Au-dessus de ce chaos, au-dessus des cris, des détonations, des courses, de la fumée, de la pluie, tous ceux qui lassés du vacarme et de la cohue, lèvent les yeux au ciel pour s’échapper un instant, voient tournoyer des mouettes et des hirondelles.

En haut de la pente, on a un tressaillement en découvrant un bataillon de manifestants casqués. L’armée secrète ?... Les Allemands ?... Les gauchistes vont-ils sauver la journée ? Est-ce le coup de théâtre ?... Le plan de bataille qui se dévoile ?... Ces braves vont-ils ouvrir la brèche aux 60 000 piétons massés derrière ? Las, la honte le dispute au burlesque. Les phalanges serrées de l’Organisation Communiste des Travailleurs (une scission de la Ligue Communiste), marquent le pas sur place en chantant des hymnes bolcheviques. Elles empêchent ainsi les manifestants qui le souhaitent d’aller de l’avant. Que croient-ils faire ? Protéger la manifestation ? En assurer la police ? De quel droit ? Est-ce encore un deal de la coordination ? Sur le flanc, Daniel Rouzier, aujourd’hui élu écologiste à Meylan, crie au mégaphone : «  Repliez-vous !... On se replie dans le calme !... On n’a rien à voir avec les provocateurs ! » Les badauds commentent sur le vif : « - Ça sert à quoi d’aller se battre ? - C’est con, mais je les comprends. - S’ils se prennent des coups, c’est bien fait pour leurs gueules ! »

«  Le contact avec la police, dit l’Anonyme, se fit dans les conditions les plus mauvaises, et l’on eût voulu plus mal faire que l’on n’y serait point parvenu. Imaginez 50 000 personnes en rang par cinq sur une route de 3 mètres de large !  » ( Les Mythes Décisifs )

De fait, la manifestation moulinée par les non-violents et barrée par le service d’ordre trotskyste continue de (se) défiler en colonne, au lieu de s’aligner face à l’objectif. Il n’est pas douteux que 60 000 personnes dévalant sur un front de centaines de mètres, eussent emporté le barrage policier. Personne n’est capable de dire si Jannin eut fait tirer comme il en avait menacé. Mais il n’est de toute façon plus question de «  marche pacifique offensive  », s’il en a jamais été question. La coordination paniquée de ne plus rien « coordonner », c’est-à-dire d’ordonner sans être obéie, ne cherche plus qu’à disperser au plus vite cette foule qu’on a mis un an à rassembler. Elle découvre trop tard qu’on ne peut pas mentir tout le temps à tout le monde ; que beaucoup ont pris au sérieux ses appels apocalyptiques à «  arrêter le nucléaire à Malville  ». Elle n’a pas réuni qu’un troupeau de moutons. Nombre de manifestants, indifférents à la polémique violents/non-violents voulaient aller au moins jusqu’aux grilles, comme l’année précédente, et s’y accrocher ; humiliés d’être réduits à un défilé à la sauvette, à trois kilomètres du site.

Tandis que le service d’ordre de l’OCT et les agents de la coordination dévient la manifestation, la police s’enhardissant et avançant en tirant, a remonté la pente, et lance ses premières charges. Elles arrivent bientôt à Faverges.

« L’atmosphère devient irrespirable, derrière le cordon des CRS, les gens du village sont écoeurés (...). Quelques mobiles tirent à tir tendu. A un moment, un manifestant brûle, réflexion d’un mobile : « C’est bien, tu as vu, il y a un type qui brûle. » Petit à petit, ça tire de partout, des groupes harcèlent les gardes mobiles et les CRS. Un des points chauds de l’affrontement a lieu juste à côté de la maison d’une vieille dame de 81 ans, madame Dubuisson. Les grenades éclatent sous ses fenêtres, dans son jardin. Les gaz lacrymogènes pénètrent dans sa cuisine. (...) Un peu plus tard la police arrive à remonter vers une autre maison qui abrite le centre de secours de la manifestation. Il y a des blessés dont l’un est allongé et vomit parce qu’il a pris un coup de matraque. Les CRS rentrent dans la maison et commencent à taper sur les gens qui sont dans l’entrée, y compris sur des médecins. »

( Libération . 1/08/77. Claire Brière et Pierre Blanchet)

« La dernière charge a été menée par les CRS surexcités, venus renforcer les gardes mobiles dans la bagarre depuis deux heures. Le grand pré qui fait face à Faverges est progressivement dégagé. Quand les escadrons disparaissent dans les bois, les villageois aperçoivent un corps étendu dans l’herbe. » ( Libération. 1/08/77. Jean-Louis Hurst)

On apprend en fin d’après midi par les flash radio, que ce corps est celui d’un mort.

«  Le bilan est lourd : un mort, Vital Michalon tué par le souffle d’une grenade offensive, trois mutilés, plusieurs centaines de blessés, des dizaines d’interpellations... 12 personnes maintenues en détention (sept Allemands, trois Français et deux Suisses) qui seront jugées le 6 août à Bourgoin-Jallieu (Isère) et en appel à Grenoble le 21 août. »

( Aujourd’hui Malville...Demain la France. Collectif d’enquête. 1978. Ed. La Pensée Sauvage)

Le lendemain, lundi, il faisait très beau.

VIII

La défaite sur le terrain s’aggrave d’une capitulation politique. Le « porte-parole » Michel Bonhomme bredouille à la télévision, «  on peut regretter que des manifestants aient voulu passer en force, mais il faut les comprendre. » ( Libération . 1/08/77)

Les comprendre ? Vos mots dépassent votre pensée, porte-parole.

«  La coordination des Comités Malville est déchirée. L’un des principaux dirigeants s’est enfui aux premières charges. Un autre appelait au repli alors qu’une dizaine de manifestants se faisait matraquer. D’autres au contraire, voulaient avancer derrière la brèche, qu’avait un moment, ouvert ceux qui se battaient. » ( Libération . 2/08/77)

«  Du côté de ceux qui ont appelé à la manifestation, on mesure tout le poids d’un pacifisme qui a peut-être coûté cher. « Un mort dont on se sent quand même responsable », dit Maurice François. Il a peur. (...) Pourtant sa non-violence érigée en dogme, a quelque chose de suspect : il n’est pas loin, il n’est pas proche non plus, c’est difficile à démêler, des explications de la préfecture. « Il y a eu des violents qui se sont glissés parmi les manifestants. Il est difficile de les désavouer. Mais s’ils sont anti-nucléaires, ces gens-là nous ont trompé. S’ils ne voulaient pas être pacifistes, ils n’avaient qu’à manifester à part. »

Louis Volat, après quelques hésitations se dit qu’au nom du spontanéisme « on ne peut pas cautionner cette violence là. » (id)

«  Alors ? Pourquoi ce refus obstiné de la violence ? La réponse est peut-être contenue dans ce postulat : « C’est jamais valable de se battre contre les forces de l’ordre, on est toujours les plus faibles. » Et quand on lui fait remarquer que ce genre de raisonnement est le début de la soumission, Mr Jourdan l’admet, ajoutant simplement : « Comment faire autrement ? » ( Libération. 3/08/77)

Admirons l’entourloupe. Libération , le journal de « l’autre France » qui a refusé d’appeler au rassemblement de Malville, dont les dirigeants soixante-huitards étouffent sournoisement les nouvelles contestations, continue de rouler des mécaniques et de donner des leçons d’insoumission. Cependant, pas une fois , le journal ne donnera le point de vue, ni la parole aux violents. C’est qu’ils en auraient dit trop long.

Quant à Maurice François, individu trouble et inconsistant, monté en épingle pour les besoins de la cause non-violente, vaniteux 26 ans plus tard d’avoir reçu des « grands noms » chez lui (Lanza Del Vasto, René Dumont, Théodore Monod), et remis de sa peur ; mais non de son fiel ; il répète au journaliste du Monde  : «  C’était la guerre, il (ndr : Vital Michalon) était enseignant et officier de réserve. » Ces mots économes sont sa façon à lui de rappeler que les participants de cet été-là à la grande marche contre Superphénix n’étaient pas tous « des excités », « des drogués », « des casseurs », « des irresponsables ». (8/08/2003)

De son côté, Madeleine Nutchey, directrice de Silence (mensuel d’écologie alternative et non-violente), ancienne militante du Comité Malville de La Tronche, geint doucement, pudiquement : «  Malgré les travaux qui se poursuivaient sur le site, on a lancé la grande manif de 1977 qui s’est si mal terminée avec la mort de Vital Michalon. Cette fois, on a été débordé par le nombre des manifestants dont un groupe incontrôlable, et par l’ampleur de la répression. Profondément choqués, les fondateurs du comité ont abandonné la partie. » ( Malville, une sûre génération d’opposants. Silence n° 285/286. Eté 2002)

Quand on ne veut pas être «  débordé par le nombre  », on ne lance pas une «  grande manif  ». Quand on ne veut pas de «  groupe incontrôlable » («  Excités ?  » «  Drogués ?  » « Casseurs ? «  Irresponsables ?  »), on n’appelle pas au refus du contrôle techno-policier, ni à l’instinct de survie. On convoque ses ouailles en privé et on fait son jeûne de purification. Quand on ne veut pas de répression, on ne feint pas de se révolter. Mais il est vrai que cet article consacré à «  une sûre génération d’opposants  » se réduit en fait au panygérique de Jean Jonot «  un des principaux acteurs d’alors  », et l’un des quatre signataires de l’appel «  Pour un rassemblement non-violent  » ( La Gueule Ouverte n°155). Ci-devant militant du CERES, le peloton de l’adjudant Chevènement au sein du PS, et membre de la commission « énergie » de ce même PS. (cf. Pierre Frappat. Grenoble, Le Mythe blessé. 1979. Ed. Alain Moreau) Après Malville, nous dit Madeleine, «  Jean a rejoint Les Amis de la Terre » ( ndr : les Godillots de Brice Lalonde) pour élargir l’action écologiste, avec la CFDT et La CED (Coordination Energie Développement, jointure entre syndicats et écolos)  ». (...) Puis «  Jean » a participé à «  la lutte contre la construction de l’autoroute A51, à partir de 1989.  » Sans doute sous sa bénévolente influence «  des sessions de formation à la non-violence se sont mises en place pour acquérir des techniques permettant de bloquer un chantier. Tout cela a abouti à ce qui a été considéré comme une « défaite militaire » pour les gardes mobiles qu’on avait, par précaution, fait venir du Var en juillet 95. Il y a eu 85 procès-verbaux dressés...  » Avec son imperturbable sens du comique, Madeleine Nutchey conclut : «  Après, un peu épuisés, les contestataires ont connu une sorte de traversée du désert. »

Un opposant à l’A51 a écrit une brochure sur le sujet. On y découvre la hantise de Jonot : «  Ne pas recommencer comme à Malville. »

« On comprend bien. Il y a dix-huit ans donc, la révolte était passée par-dessus toutes les espèces d’appareils, par-dessus les velléités de service d’ordre, et non le contraire, et par-dessus Jonot bien entendu, apprenti pompier social qui comptait pour du beurre à l’époque (à la première assemblée générale des opposants, à Varces le 3 avril 1995, on a vu qu’il lui était resté en travers de la gorge, l’os de la colère de Malville) ; non, en effet, lui, Jonot, ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. Ce dandy au look sans âge, impersonnel, qui parle à « ses militants » les bras raides vers le sol le petit doigt tendu sur la couture du jean, de quoi parle-t-il ? De démocratie directe. (...) Jean Jonot, c’est la mâchoire serrée, gérée par les curés de l’Espace Non-Violence, le M.A.N et la Gauche. Les petites règles qu’il s’est prescrites, il veut les dicter à tous ; (...) Jonot aura tous les jours à imposer sa fatigante vanité aux opposants ; il se maintiendra, d’autorité. On a renvoyé son livret militaire, après le service toutefois mais pas la « casquette Bollardière » (du nom d’un général antimilitariste qui constitua en 1973 une équipe de surveillance des essais atomiques dans le pacifique...).  »

(Jean-François Labrugères. Avis contre les combinaisons politiques de l’armée de réserve d’une époque de bureaucratisation, à Vif, Varces et Grenoble, en avril 1995 )

Sautons quelques lignes de CV.

Quoique on lui ait dit son fait, Jonot poursuit de ses assiduités les contestaires qui, autour de "Pièces et Main d’œuvre" notamment, se livrent à la critique des nécrotechnologies et de l’urbanisme grenoblois. Il faut repousser de louches propositions de collaboration à la communication de la Frapna . Dépité, «  Jean  » comprend enfin ce qu’on lui reproche.

«  Pour beaucoup, pour les pouvoirs en place, pour certains journalistes, nous les écolos, sommes les « anti-tout » : anti-mondialisation, anti-OGM, anti-progrès, anti-grands travaux. En bref les éternels zopposants. Pour d’autres, moins nombreux il est vrai, nous sommes des écolocrates, tirant pouvoir de la gestion de la crise écologique, et de fait, collaborateurs des bétonneurs, pollueurs, gaspilleurs. (...)

Qui affronter en priorité ? Je choisirais plutôt les radicaux purs et durs, car on les voit surtout dans les salles de réunion, et rarement sur les lieux où nous risquons de rencontrer les commandos du BTP dont les manches de pioche armés de haine sont autrement redoutables. »

(Jean Jonot. Ecolos Zopposants ou écolos kollabos . Isère Nature n°242. Mensuel de la Frapna. Mai 2003)

Quoi de neuf ? Dès Malville, les écolocrates préféraient affronter les radicaux purs et durs , plutôt que les pouvoirs en place .

Jean-François Noblet, permanent Frapna, et autre signataire de l’appel au «  Rassemblement non violent  », se soulage de sa peur et de son autorité bafouée, dans Superpholix.

«  Malville la Rupture

Malville pour moi c’est la rupture avec les partis politiques et les sectes gauchistes (...)

Nous n’avons rien à voir avec ces individus qui ont à Faverges ignoré les mots d’ordre de la coordination, entraîné l’engrenage fatal et qui nous ont mis dans l’impuissance d’agir devant une situation qui nous échappait.

Et dire que les violents, « contre-violents » offensifs ou défensifs osent nous reprocher l’inefficacité de la non-violence ! Alors que nous 50 000 personnes réunies, sous la pluie et dans la boue, déterminées, avons signé ensemble le plus formidable acte de non-violence, la plus grande manif anti-nucléaire française. Le défilé c’est notre victoire. Le reste je ne m’en sens pas responsable et solidaire. Le reste, l’affrontement et la mort ne sont pas de notre ressort. Pire, j’affirme que la mort que vous portez dans les yeux et dans les mains est la même que celle de SUPERPHENIX. (...)

Nous arrêterons SUPERPHENIX . »

Comme il arrive, Jean-François Noblet n’arrêta jamais Superphénix. Quant à sa rupture avec les partis, les gauchistes, et les «  individus  » de Faverges, elle l’emmena loin. En février 88, il tire pour Combat Nature «  les leçons d’une réussite  », celle de la Frapna Isère. «  Mais le troisième secret de la réussite de la FRAPNA réside dans le fait que le professionnalisme reste la priorité. A bas le snobisme de la crasse, la sempiternelle obstination des marginaux qui refusent jusqu’à la mort la soi-disant compromission avec les gens qui savent faire (...) La FRAPNA, elle, a besoin aujourd’hui d’une meilleure gestion, d’une plus grande rigueur dans l’organisation du travail et la communication interne. »

JFN cultive son look écolo bon enfant : gros pull, grosses barbe, petites lunettes rondes. Fort de sa compétence en chauves-souris, il est recruté comme chargé de mission au conseil général de l’Isère, par Alain Carignon, maire de Grenoble et ex-ministre de l’Environnement, «  pour contrer Raymond Avrillier  » son rival écotech, «  sur le terrain de l’écologie. » ( Libération . 27/11/91) «  Ce qui est dommage » explique Noblet, «  c’est que la municipalité n’utilise pas les apports d’Avrillier et que celui-ci n’utilise pas les informations de la mairie. Alors qu’il y a convergence entre Avrillier et Carignon.  »

Avrillier, rappelons-le, est cet élu vert qui n’a eu de cesse de prouver la corruption de Carignon, à travers l’affaire «  Dauphiné News  ». «  Mais c’est surtout la lutte anti-nucléaire et l’opposition à Superphénix qui lui permettent de faire ses premières armes militantes et juridiques. » ( Politis. 5/04/2001)

Il revient sur cet épisode dans son livre «  Le Système Carignon. (Co-écrit avec P. Descamps. 1995. Ed. La Découverte)

«  Jean-François Noblet justifie son choix : « En prévision des élections municipales du mois de mars dernier, Alain Carignon m’a appelé en novembre 1988 et m’a proposé d’être adjoint au maire. J’ai refusé. C’était trop engagé et puis j’étais candidat à Meylan. Il a réitéré sa proposition, mais cette fois, pour faire avancer les dossiers du conseil général. (...) Si je peux démontrer que je suis capable de me mettre au service de la droite, ça me plait. » ( Le Daubé . 5/11/1989)

Il en est capable.

«  Parmi les actions que propose Jean-François Noblet figure la « valorisation de l’action du conseil général en matière d’environnement dans les media. » Le résultat est probant dès les six premiers mois : cent cinq articles de presse, quatorze émissions de radio, trois émissions de télévision.

Au début de son deuxième mandat, l’entregent de Jean-François Noblet permet également à Alain Carignon de placer « tout naturellement » un des membres de son cabinet du conseil général à la présidence de la FRAPNA...(...) « Avec l’aide de Jean-François Noblet, Brice Lalonde (ndr : alors ministre de l’Environnement) organise le parachutage d’un membre de son cabinet dans une circonscription qu’il considère alors comme gagnable avec l’appui d’Alain Carignon. Ce candidat sera d’ailleurs sponsorisé par des filiales de la Lyonnaise des Eaux, dont Monin Ordures Services et Créteil Incinération Energie. » (id)

Ce parachutiste de «  Génération Ecologie  » n’est autre que Cédric Philibert ( Hello freaks ! ), le troisième signataire de l’appel «  Pour un Rassemblement non-violent » . Passé de La Gueule Ouverte à Libération , du journalisme au cabinet de Brice Lalonde, puis de celui-ci au poste de conseiller du directeur général de l’Agence pour l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe), il entre en 1999 à l’Agence Internationale de l’Energie, d’où il nous recommande : «  Nous devons apprendre à vivre dans un monde plus chaud. » ( Le Monde . 2/09/2003)

Concrètement il s’agit «  d’étaler tout au long de l’année les arrêts pour révision des centrales nucléaires, qui interviennent actuellement pendant l’été  » et «  d’apprendre le bon usage de la climatisation  » (id). Ainsi s’éclaire ce paragraphe sibyllin de l’appel «  Pour un Rassemblement non-violent  » qui avait fait tressaillir tant de lecteurs.

«  Notre objectif n’est pas de récupérer le site. Il n’est pas non plus d’arrêter Superphénix. Il est au-delà, dans la modification de rapports économiques, sociaux, humains, que Superphénix et l’industrie nucléaire ont justement le tort de figer. » ( La Gueule Ouverte n°155)

Quant à Jean-François Noblet, toujours au conseil général de l’Isère, il prouve qu’il est aussi capable de «  se mettre au service de la gauche  » en multipliant, dans l’un des départements les plus sinistrés par les stations de ski, les sites Seveso, les zones high tech, les autoroutes et l’urbanisation, les «  crapauducs  », les nichoirs et les «  corridors biologiques  » indispensables au «  développement durable » .

Allons, ces gens sont tombés du côté où ils penchaient. Mais a-t-on jamais noté que c’est à la réputation « écolo » de Grenoble, que Carignon avait dû son passage au ministère de l’Environnement ? Sachant ce que cette réputation doit au rassemblement contre Superphénix, on voit que le mort et les blessés de Malville ne sont pas tombés pour rien, que la piétaille des comités n’a pas en vain trimé un an durant.

IX

Les 60 000 manifestants de Malville ne sont plus que 4000, le 6 août à Bourgoin-Jallieu, au procès des 12 personnes (7 Allemands, 3 Français et 2 Suisses), raflées sur le terrain. Dans l’abasourdissement du Comité Malville et du mouvement antinucléaire, Le Casse-Noix est la seule feuille capable de réaction. Un millier d’exemplaires diffusés en quelques heures dénoncent : «  Jannin ivrogne, assassin !  » La satire du soudard de la préfecture, surnommé «  Jannin Walker  » par tout Grenoble, dresse le portrait d’une brute, telle que les guerres coloniales en ont légué des cohortes, et insulte l’Etat dans la personne de son représentant. Un papier détaille sa biographie, ses responsabilités et celles du gouvernement. Avant la manifestation : «  J’ai l’ordre de protéger le site à n’importe quel prix. » Ensuite : «  L’ensemble du dispositif policier était sous son autorité : il exécutait les directives dont le Président de la République et le ministre de l’Intérieur ont été constamment informés. » (Le ministre de l’Intérieur)

D’autres articles démontent la grenade offensive («  inoffensive  » d’après un colonel), liste des idées de sabotages (depuis le 1er août, toutes sortes d’actions frappent un peu partout des officines EDF), donne des informations juridiques, appelle à rendre la visite aux Allemands, lors du rassemblement de Kalkar, le 24 septembre. Le journal interpelle la coordination sur ses manipulations, sur l’abandon et l’ostracisation des Allemands et des bagarreurs. «  Ce qui ne signifie pas que nous sortions indemnes de tout reproche. Les contre-violents n’ont rien organisé d’autonome, nous étions dispersés, atomisés, soulagés au fond de ne pas avoir de responsabilité. Beaucoup ont tapé le style « retiens-moi ou je fais un malheur. »  » (Yannick)

«  Puis un large débat s’est ouvert sur le rôle de la coordination des comités Malville lors de la manifestation du 31 juillet. Le journal « Le Casse-Noix », paru samedi matin, posait d’ailleurs plusieurs questions aux organisateurs de la manifestation : « Quel responsable de la coordination a pris contact avec le préfet de l’Isère ? Les têtes de la manifestation savaient-elles dès le matin que le bouclage était à Faverges ? Est-ce que par hasard on n’aurait pas été un tout petit peu manipulé ? » L’un des membres de la coordination, M.Daniel Rouzier, répondit à ces interrogations. Il précisa que personne n’avait pris contact avec le préfet de l’Isère le dimanche 31 au matin, et déclara ensuite qu’aucun membre de la coordination « ne savait que le bouclage était à Faverges » : contrairement à ce qu’a indiqué M. René Jannin préfet de l’Isère (Le Monde du 4 août). « A aucun moment la Coordination n’a analysé la progression des marches en termes militaires. Nous sommes allés droit dans le piège, comme des innocents », a ajouté M.Rouzier. » (Claude Francillon. Le Monde . 8/08/77)

En fait le refoulement du mouvement de Malville est déjà à l’œuvre sous diverses formes : désertions, régressions, dispersions. En quelques semaines des dizaines de milliers de contestataires retournent à la vie civile. On ne voit plus ses amis aux réunions, on ne les croise plus dans la rue. On croit d’abord à une trêve estivale après un an d’activisme forcené, mais à la mi-août 50 000 manifestants se réunissent à nouveau au Larzac, contre l’extension du camp militaire. Le Larzac, c’est le bon mouvement ; soleil, veillées, pop-musique, sœurs sourires et bons sentiments ; contre le mauvais mouvement, les maudits de Malville, gueux, boueux et vaincus. Quoique les deux événements rassemblent en partie le même public, on n’a déjà plus tellement envie de parler de Malville au Larzac. Il y a des modes dans la contestation, une versatilité bien antérieure au zapping . Un opposant connu aux OGM confiait voici peu comme il avait fait salle vide lors d’une réunion à Lyon, quand voici deux ans l’on aurait refusé du monde à la porte. Les « contestataires » n’aiment pas les causes perdues. Il faut à l’altermondanité du neuf et du positif. Les jeunes « alternatifs » froncent le sourcil quand il est question d’ « anti-nucléaire », «  ça fait vieux » , même si la nucléarisation du monde est plus que jamais à l’ordre du jour.

Dans l’ensemble, le moins que l’on puisse dire, c’est que «  l’idéologie sacrificielle du militantisme  », pour parler jargon, n’a guère prévalu depuis quelques décennies, au contraire du «  droit à la paresse  ». La déliquescence du gauchisme a commencé lorsque le principe de plaisir a supplanté le principe tout court. «  Faire un effort  » nous enseigne l’étymologie, c’est se rendre plus fort. Dans le peuple, on appelle cela «  se donner du mal  ». Aux alentours de 1973, une curieuse expression, sexuellement connotée, envahit le langage militant : «  C’est le pied, c’est pas le pied. » A partir du moment où l’action se mesure à cette aune, il est clair qu’elle cédera bientôt à la passivité, tellement plus familière et, partant, plus agréable.

Le Larzac, c’est le pied . Malville, c’est pas le pied.

Les majorités des comités Malville partent en vacances et ne reviennent pas. Les rats quittent le navire qui ne coule pas tout de suite. Les trotskystes de la Ligue Communiste et de l’Organisation Communiste des Travailleurs, ayant tiré ce qu’ils pouvaient tirer du mouvement dans sa phase ascendante, s’esbignent avec leur élégance coutumière. Les non-violents s’évaporent d’un Comité Malville réputé à son tour « incontrôlable ». Du nucléaire et de Superphénix, il n’est plus guère question. Rituellement c’est la « répression » qui obsède les débris du Comité Malville et divers groupes périphériques. De ce moment date une tradition martyrologique qui doit faire sourire les rescapés de Charonne et du 17 octobre 61. Un mort et deux blessés, c’est trop mais c’est peu compte tenu du dispositif policier : Jannin malin a plus aboyé que mordu. Cela suffisait. D’ailleurs, à quoi s’attendre quand on a proclamé son intention d’affronter l’Etat nucléaire, d’envahir Superphénix - y compris par des moyens pacifiques : quand on a dénoncé un «  projet démentiel  », «  Auschwitz à l’échelle planétaire  » ; que La Gueule Ouverte et Superpholix ont retenti pendant des mois, du débat violents/non-violents ? Un bon exemple de cette dérobade vient d ‘un «  collectif d’enquête  » grenoblois qui «  à l’aide des dizaines de documents de presse, des témoignages et des photos inédites  » , «  veut établir la vérité sur les journées des 30 et 31 juillet 1977 à Malville. » (cf. Aujourd’hui Malville, demain la France ! Livre noir. Ed. La Pensée Sauvage. 1978)

Deux ans de contestation ramenés à deux jours de répression. Ce livre constitue le testament du mouvement Malville par ses fossoyeurs même. Il est une tentative de négocier et de fixer une vérité officielle, référence obligée pour la postérité. Nonobstant, on est alors trop près des événements auxquels trop de gens ont participé, pour qu’on puisse les réécrire crûment.

«  Les 60 000 marcheurs ont décidé d’être offensifs, d’aller le plus loin possible vers le site. Les militants anti-nucléaires savent qu’il faut faire plus qu’une simple démonstration de force, un simple défilé. (...) Les marcheurs savent que derrière Malville et l’E.D.F il y a le gouvernement et sa police, qu’il va falloir s’y confronter pour arrêter Superphénix. Ils savent qu’il faut faire plus que l’année précédente, et pas seulement en rassemblant plus de manifestants. Tout cela ils le savent, mais de façon confuse, intuitive. Certains n’ont pas oublié les matraquages de l’année précédente. Ils connaissent l’enjeu que représente le nucléaire pour le pouvoir et savent ce dont il est capable lorsqu’il est réellement mis en cause. La marche se veut offensive, elle se veut aussi pacifique. Une partie des manifestants s’attend à des violences de la police et veut qu’on s’y prépare. D’autres n’y croient pas. Tous veulent un rassemblement de masse, très large. Tous veulent que la marche établisse dès aujourd’hui de nouveaux rapports entre les gens. (...) »

L’introduction résume aussi ce qui restera le noyau d’analyse commun à tous les marcheurs de Malville : «  Le gouvernement justifie son programme électro-nucléaire par un type de société fondé sur une croissance maximale déterminée en fonction des gros intérêts privés et non des intérêts d’ensemble de la population. Cela passe entre autre par le conditionnement à la cause de la consommation, la publicité, le gaspillage. Le nucléaire est aussi une excellente manifestation de la centralisation à la fois économique et politique. Il s’agit d’une technique où la connaissance et le pouvoir de décision sont concentrés dans un minimum de mains alors que le grand nombre connaît la parcellisation des taches, la spécialisation. Il s’agit aussi d’un produit extrêmement dangereux, mettant en danger l’avenir de tous, justifiant l’élargissement de l’arsenal répressif dirigé contre la population, arsenal pourtant déjà très impressionnant.

Qu’il soit civil ou militaire, le nucléaire est l’invention la plus élaborée où convergent toutes les tendances autoritaires dans les domaines du militaire, du politique, du social, de l’idéologie. Le nucléaire est fait pour se passer du peuple.

C’est ce monstre que nous avions en face de nous à Faverges. »

On peut juger ces lignes approximatives. Post-situs, crypto-situs, para-situs, pro-situs (horresco referens) y trouvèrent et y trouveraient beaucoup à redire. Si l’on veut bien se souvenir que les plus aigus des théoriciens donnèrent dans le mirage de la société technologique d’abondance (cf. Dans le chaudron du négatif . Joël Mandosio. 2004. Encyclopédie des Nuisances), et qu’il leur fallut attendre 1972 - après les manifestations anti-nucléaires de Fessenheim et du Bugey (1971) - pour intégrer la destruction industrielle du milieu dans leur critique, on se dit que le mouvement de masse anti-nucléaire, et notamment le Comité Malville, est celui qui a porté le plus loin la contestation de son époque.

Le Livre Noir consacre une page (p. 35) sur 245 au débat violent/non-violent. Encore s’agit-il d’une page d’escamotage où la polémique éperdue qui a secoué le mouvement pendant des mois est réduite au simple courrier des lecteurs du n°12 de Superpholix , présenté comme un complément d’information à des décisions claires et irréversibles. «  D’où cette large et copieuse tribune libre exprimant les différents courants représentés dans la coordination. Ceci dit, il est vrai que l’introduction à cette tribune libre était d’une ambiguïté telle qu’elle laissait sous-entendre que l’appel de Courtenay (ndr : celui à une «  marche pacifique offensive » ) pouvait à nouveau être remis en cause . »

Il le pouvait si bien qu’il le fut massivement, jusqu’à la veille de la manifestation, dans les assemblées générales.

X

Le mouvement contre Superphénix né à Grenoble y revint mourir. Le mélange entre écolo-pacifistes, scientifiques, trotskystes organisés, gauchistes désorganisés etc., lui avait été plus que bénéfique dans sa phase ascendante, où ces différences se combinaient fructueusement, jusqu’au moment où l’inévitable contradiction précipita le mouvement dans une spirale inverse et déclinante. Hors la fuite des effectifs et la régression dans la protestation anti-policière, stupide réflexe pavlovien, une marque certaine de l’effondrement fut la prééminence nouvelle des arguments scientifiques et juridiques. Ainsi, est-ce un «  dossier technique  » du CUSGPAPN (Comité Universitaire et Scientifique Grenoblois Pour l’Arrêt du Programme Nucléaire) « Superphénix : un pari dangereux » , qui clôt Le Livre Noir . Un an plus tard (2/08/78), Libération signale que « De Grenoble est parti un appel à des scientifiques de diverses disciplines afin de réaliser un dossier : « Malville catastrophe maximum ». L’objectif serait pour la première fois en France, de décrire quantitativement la plus grande catastrophe que pourrait engendrer le surgénérateur » . Dès les débuts le Comité Malville avait utilisé aussi des arguments scientifiques questionnant la fiabilité et la possibilité de Superphénix, et des procédures attaquant la légalité du projet. Le consensus étant leur emploi tactique, la stratégie restant l’argument et le rapport de forces politiques. L’expertise désormais se substitua au mouvement, et l’expert au groupe. Ce fut l’ère de Raymond Avrillier : «  Ingénieur d’études au Centre d’Etudes des Pratiques Sociales de l’Université II de Grenoble. Chercheur à l’Université II de Grenoble. Membre du GSIEN (Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire), et de la Coordination Energie-Développement de l’Isère, et à ce titre membre de la Commission Locale d’Information auprès de Superphénix, représentant de la FRAPNA-Région lors des procédures engagées auprès du tribunal administratif de Grenoble. » ( Combat Nature n°85. Mai 89)

Il n’avait été dans la période précédant le Rassemblement, qu’un parmi tant d’opposants à Superphénix ; s’il n’en resta qu’un ensuite, ce fut lui, et durant de longues années d’hiver nucléaire. Saluons cet héroïsme solitaire quoique au fond, l’intéressé peu suspect de promiscuité et de sociabilité, se soit plutôt senti délivré d’un essaim de babillards ineffectifs. Nul doute que dans son esprit, l’argutie technique et le recours juridique n’aient d’abord constitué que des expédients, des palliatifs à la béance militante, des moyens de maintenir un fantôme d’opposition à Superphénix. Le Comité Malville avait réclamé l’arrêt pur et simple du surgénérateur et du programme nucléaire. Avrillier et quelques uns de ses collègues chicanèrent le coût de Superphénix et du kilowatt-heure, l’insuffisance du refroidissement dans le cœur de la centrale, le danger des «  accidents de confinement  », l’impossibilité de se passer du «  barillet  », ( Dauphiné News n°3. Décembre 88). Ils plaidèrent pour «  l’information  » et la «  transparence  », exigeant des « débats sur le nucléaire » .

A la haute époque du mouvement anti-nucléaire, l’arsenal technico-juridique avait servi d’appoint aux manifestations et à l’action directe. Désormais «  Questions, lettres et délégations, informations auprès de tous les élus de la région, réunions publiques, conférences de presse européennes, entrevues avec le ministre, brochures d’explication, pétitions, cartes postales, manifestations... (1500 à Grenoble)  », servirent d’appoint aux actions en justice. ( Combat Nature n°85. Mai 89) Il n’y avait plus de comités Malville avec leurs brouillonnes assemblées générales, mais des « associations » policées, riches en adhérents, pauvres en dévouements (Frapna, UFC « Que choisir », CFDT), trop heureuses de déléguer à quelques capacités le soin de les représenter. Les écotechs se prirent au jeu. Ils connurent la centrale aussi bien que le directeur et son personnel, partageant avec ceux-ci une proximité fondée sur la similitude des « profils » socio-professionnels, et le partage des mêmes valeurs et compétences techniciennes. Ils tinrent la chronique des avaries et des vices de procédure. Ils devinrent le service de sécurité de Superphénix. Si possible, ils en auraient amélioré le fonctionnement, comme ils le firent ailleurs dans le cadre du « nucléaire durable ». Les plus éclairés des nucléocrates n’eurent qu’à se louer de cette collaboration bénévole qui leur permettait, ensemble, de pallier les failles de la machine, de la rendre plus sûre et plus acceptable, de renforcer la hantise et les mesures sécuritaires, tout en manifestant leur esprit d’ouverture. Déjà pointait «  la culture du risque » . («  A risques majeurs, citoyens majeurs. » Combat Nature n°85. Mai 89) Dès lors, il n’est plus question d’obvier à l’absence de contestation. Celle-ci ne sert plus que de prétexte aux écotechs qui redoutent autant la réapparition de la contestation que la disparition des nuisances. Les expédients technico-juridiques sont devenus la règle de nos délégués écolos. L’arbre du risque leur cache la forêt du nucléaire étatique que le Comité Malville avait su pointer. Apôtres et gestionnaires du moindre mal, ils ne peuvent qu’en souhaiter la perpétuation. Que deviendrait sinon, leur rogaton de pouvoir, comment pourraient-ils jouer les nécessaires au sein de la «  démocratie technico-scientifique »  ? Leur intérêt est que le rapport de forces reste en faveur du pouvoir afin de continuer à se poser en médiateurs entre celui-ci et «  les gens  ». D’où leur fameux et sempiternel double-langage. Aux «  gens  » comme au pouvoir, les écotechs assurent en confidence «  On est d’accord, mais ce n’est pas possible.  » Ce qui est possible pour eux, c’est ce qui est déjà, ce qui est permis. Dire la vérité par exemple, ce n’est pas possible : ils y perdraient leurs sièges, leurs indemnités, le sentiment de leur importance. Ils ne peuvent que funambuler sur la ligne médiane, l’optimisation du système, en serinant au pouvoir comme aux sans-pouvoir, que c’est la seule voie possible. Et en effet, il n’y a qu’une voie possible aux écotechs.

La «  transparence  » pour Raymond Avrillier, c’est quand Migaud, Président de la Métro, le prend à part dans son bureau : «  Raymond, il faudrait qu’on se parle. » Le «  concret  », c’est le culte du détail monté en épingle. La «  victoire  », c’est le respect de la loi, une fois prouvé aux juristes et aux ingénieurs qu’il connaît mieux qu’eux son code civil ou son cahier des charges.

Bien sûr, il n’est pas assez bête pour penser qu’il gagne vraiment. Mais qu’importe pour ce misanthrope et pessimiste, c’est un jeu, dont le règlement fourni par le pouvoir, lui permet de jouer seul (l’Ades n’étant jamais que son pseudonyme collectif), et dont chaque partie recommence après jugement d’un tribunal. Il y joue en attendant qu’une plaque signale un jour « l’impasse Raymond Avrillier » ou le « tunnel Raymond Avrillier ». Il s’y forge au passage un personnage et une reconnaissance qui ne le chatouille pas désagréablement, mais au fond le plaisir du jeu suffirait.

On connaît la déchéance actuelle des écotechs grenoblois qui réclament des exercices d’alerte et des pilules d’iode pour les voisins de l’Institut Laue-Langevin. Ils copulent avec le PS nucléariste en la personne de Destot, le vice-maire du Commissariat à l’Energie Atomique. Ce même Destot qui, chargé de la communication dans la municipalité Dubedout (autre ingénieur CEA), défendait Superphénix et le projet de centrale nucléaire «  Thermos  » pour chauffer Grenoble. Mais il est vrai que Vincent Comparat, le porte-parole de l’Ades, «  centralien, directeur de recherche à l’Institut des sciences nucléaires (...) n’est pas anti-nucléaire, mais critique par rapport aux choix énergétiques. » ( L’Essentiel . 4/10/2000).

Comment ceux qui furent incapables de nous empêcher « d’entrer dans le nucléaire », voici 30 ans, quand la résistance culminait, pourraient aujourd’hui nous en sortir, alors qu’elle est au plus bas. Vraie ou fausse naïveté, ils tentent de raisonner le pouvoir , leur interlocuteur naturel, dans la lignée du despotisme éclairé. L’Etat nucléaire, exportateur de centrales, qui s’apprête à renouveler son propre parc et à implanter ITER à Cadarache, ne peut se moquer davantage de leurs «  scénarios alternatifs  ». Il organise déjà la production industrielle de l’éolien, du solaire, et de la pile à combustible (au CEA de Grenoble). Il saura très bien imposer le rationnement de l’énergie, si nécessaire.

Le dada de l’Ades aujourd’hui, c’est l’équilibre budgétaire de la Métro, si l’on en croit le dernier papier qui nous tombe des mains. ( Le Daubé . 10/05/05) C’est «  le modèle de développement grenoblois » (Minatec) qu’il faut «  soutenir fermement  » ( Le Rouge et le Vert n° 84. Février/mars 2002) «  Le patrimoine public de formation et de recherche grenoblois  » permettant «  un développement original et contrôlé où l’argent public (est) valorisé dans des opérations de long terme (...) la synergie habituelle entre public et privé qui (permettrait) de se développer et d’aider à travers des contrats équilibrés des transferts de technologies vers l’industrie en prévoyant des contreparties solides venant rembourser la mise publique en cas de succès : contrats de licences, de procédés, vente de brevets, brevets en copropriété... » ( Le Rouge et le Vert n°95. Nov -déc 2004)

Tout ça pour ça.

Ainsi s’achève la parabole de cet écologisme électoral qui lors de son apparition, voici trente ans, «  pour autogérer la cité  », avait fait son beurre du mouvement contre Superphénix, et qui n’aspire plus, comme on s’en doutait, qu’à « gérer la cité » (logements, transports, services publics), pour le compte du Commissariat à l’Energie Atomique et du complexe scientifico-industriel.

XI

A Malville, on l’a dit, la défaite avait été essentiellement morale et marginalement militaire. Il arrive chaque jour dans bien des pays, que des manifestants meurent dans des cortèges. Cela suffit rarement à écraser le mouvement. Il faut bien avouer que le combat contre Superphénix n’est pas pour la masse des anti-nucléaires la question de vie ou de mort qu’ils ont prétendue. Puis la militance est ingrate quand nul succès ne vient l’encourager. Beaucoup de soixantedizards abordent le cap de la trentaine après des années de lutte à contre-courant. Comme les soixante-huitards cinq à sept ans plus tôt, ils se rangent, imitant à l’échelon provincial et socialement inférieur, les carrières « d’ex » de leurs aînés.

Une liquéfaction aussi radicale n’a pu s’opérer que dans des consciences déjà minées d’arrière-pensées. La récupération suit le contestataire comme son ombre. D’où cette impression de fuite en avant qui se dégage de toute l’équipée. Virevoltes tactiques, proliférations de « fronts », et de comités fantômes. Une absence de suite dans les idées qui préfigure la braderie finale. Les réunions internes ressemblent aux parties de poker menteur. Du bluff pour tirer son épingle du jeu ; le soupçon généralisé que l’autre n’a pas brûlé ses vaisseaux, qu’il se ménage une issue de secours ; la crainte de rester pris sous le naufrage de la galère, dindon de la farce, d’avoir tiré les marrons du feu pour les malins.

A Grenoble, le Comité Malville se trouve réduit aux opiniâtres et aux violents. Fidèles à leur promesse, ceux là remplissent un car pour se rendre à la manifestation de Kalkar, le 24 septembre 77. Le Casse-Noix n°8 (sept. 77) cite avec délectation les articles du Daubé sur les attentats nucléaires dans la région. (Contre le régie d’électricité de Grenoble, les locaux EDF de Voiron, la carrière Vicat de Montalieu) C’est trop beau pour durer. Début décembre, Joël Larivé, un habitant de la communauté de La Monta, et Patrick Bunoz, de Lhuis, dans l’Ain, se font poisser à quelques centaines de mètres de Superphénix avec un pain de dynamite et des cocktails molotov. Ces arrestations entraînent la perquisition d’une trentaine de flics à La Monta, plusieurs autres en ville et chez Georges David, directeur de Superpholix , à Lhuis, des gardes à vue (Pierre Boisgontier, Vincent Tonnelier), ainsi qu’un regain d’unité et d’activité du mouvement contre Superphénix. A vrai dire, beaucoup aimeraient «  se démarquer  » des saboteurs emprisonnés mais, outre le réflexe anti-répressif, ils se sentent tenus par l’appel de Morestel, jamais démenti, «  à toute action qui peut retarder ou bloquer les travaux, la seule condition étant le respect des personnes  ». La culpabilité travaille ceux qui quatre mois après le Rassemblement n’ont plus levé un petit doigt contre Superphénix. Cahin caha, le Comité Malville de Grenoble (ce qu’il en reste), les comités locaux, la coordination, font connaître leur soutien aux emprisonnés. Cédric Philibert et Jean-Michel Asselin y vont de leur article dans La Gueule Ouverte . ( « Malville c’est une bombe » ). Et un Comité de Défense des Antinucléaires Emprisonnés organise un «  réveillon antinucléaire » le 24 décembre. Banderole, distributions de tracts, montage-vidéo toute l’après-midi, place Grenette et manifestation le soir, de 700 personnes.

«  A la veille de Noël, une manifestation a un petit côté insolite qui n’échappe à personne : chez les manifestants, on ressentait un certain plaisir qui faisait claquer les slogans beaucoup plus qu’à l’ordinaire. Côté passants, en revanche, on frôlait la panique : des parents serrant leurs enfants contre eux, d’autres s’enfuyant pour aller « garer la voiture un peu plus loin »... Des réactions qui avaient toutes un sens très clair : « Une manifestation un soir de Noël, ça doit être grave... » Et du même coup, malgré les regards un peu affolés, toutes les mains se tendaient vers les tracts pour savoir « de quoi il s’agissait ». ( Libération. Philippe Merlant. 26/12/77)

Ce qu’ont prévu les organisateurs, c’est le tour du centre-ville et des interventions, à minuit, dans toutes les églises. Ce qu’ils n’ont pas prévu, c’est le «  Groupe détergent : Section tornade blanche » .

«  Arrivé devant les « Dames de France », grand magasin un peu luxueux, un groupe d’une vingtaine de personnes se dégageait du cortège, entrait dans l’établissement et saccageait une partie de la marchandise. (...) Une bagarre s’ensuivait (...) et deux filles étaient interpellées par la police. Du coup, une partie de la manifestation revenait aux Dames de France (...) et se trouvait nez à nez avec les CRS. » ( Libération )

Rebelote à l’hôtel de police où une trentaine de CRS charge une délégation venue s’informer des prisonnières. «  Ajoutez à cela les mines d’autres individus - indicateurs ou militants fachos - rencontrés à chaque point névralgique de la ville, et les rondes des voitures de RG, et l’on aura une petite idée du climat oppressant qui régnait vers 19 heures. (...) Plus tard (...) les mêmes clivages réapparaissaient entre les partisans d’une action d’information en faveur de Patrick et Joël (tracts, interventions « pacifiques » dans les églises) et ceux qui préféraient insister sur une « dénonciation de Noël » (qui se réduisait le plus souvent à « faire chier le bourgeois »).  »

Des incursions ont lieu avec des fortunes diverses dans les trois églises du centre-ville. A Saint-André l’assistance se scinde en deux factions qui se dressent l’une pour huer, l’autre pour applaudir les manifestants. A Saint-Louis, les fidèles écoutent poliment le discours des «  camarades  » (dixit le curé). A Notre-Dame «  certains manifestants qui en ont « marre de ces interventions catho » jettent des boules puantes dans l’église. Résultat : près de la moitié de l’assistance quitte les lieux. »

Un communiqué du «  Groupe détergent  » complète le comte rendu de Libération.

«  Dans le cadre de la manifestation de soutien à Patrick et à Joël, un groupe de manifestants a pénétré aux « Dames de France » dans l’intention de répondre à la provocation qu’est pour nous Noël et de saccager.

Nous, irresponsables incontrôlés et décidés à le rester, avons pris l’initiative de commencer à débarrasser notre espace vital de tous les objets malfaisants qui nous étouffent. Devant l’importance de la tâche et les dangers présentés par les produits infects à détruire, nous nous étions protégés le visage.

Nous nous sommes rendus compte que le nettoyage sera long car le retard que nous avons pris sur l’Histoire a permis un développement sans précédent de toutes sortes de saloperies. Il a fallu y aller à la javel concentrée.

Notre solidarité à tout inculpé et toute action de ce genre ne sera pas humanitaire et ne peut que consister dans la multiplication de tels actes. A suivre... »

De suite, il n’y eut pas. Et la solidarité du Groupe Détergent - section tornade blanche - avec ses deux membres inculpés et emprisonnés ne consista nullement dans la multiplication de tels actes , mais bel et bien dans de piteuses et classiques arguties juridiques, modulées par l’avocat attitré de l’extrême gauche grenobloise. (absence de préméditation, contestation des faits) Ce qui fortunément valut aux deux filles la peine minimale, six mois avec sursis.

Passons sur la branquignolade dans l’organisation et l’exécution de l’action, on en a vu d’autres chez des gens qui n’avaient pas l’excuse de l’étourderie ou du libertarisme. Ce sont les intentions qui comptent. Celles du Groupe Détergent, malgré la limpidité de son communiqué, parurent au mieux confuses, au pis intempestives, à ceux qui n’en faisaient pas partie.

Sans doute, l’on peut soutenir que tout est dans tout, et que le règne de la marchandise exige une consommation croissante d’énergie, et donc le recours au nucléaire. Mais sauf soulèvement général (mai 68), ces considérations sont trop abstraites et intemporelles pour qu’on aille à tout bout de champ assaillir n’importe quel symbole. L’affaire de l’heure, c’était Superphénix et le nucléaire, qui, justement, cristallisaient l’opposition la plus large et la plus dure à l’ordre social. Fait exceptionnel, le mouvement anti-nucléaire, non-violents compris, avait par avance proclamé son soutien aux sabotages visant EDF et les entreprises travaillant pour EDF. Ils tenaient même parole ! Il suffisait à ceux qui brûlaient de manifester leur soutien à Patrick et Joël, de piocher l’interminable liste des agences EDF, locaux techniques, transformateurs, pylônes, chantiers et entreprises sous-traitantes pour multiplier de « Tels actes » qui avaient conduit ceux-ci en prison.

Grenoble a connu en janvier 2003 des manifestations de soutien à des faucheurs de chimères génétiques en procès. C’était comme si, passant devant La Redoute (qui a remplacé Les Dames de France ), un groupe s’était précipité pour saccager la marchandise exposée au lieu de poursuivre les fauchages - ou mieux encore de rendre visite aux laboratoires grenoblois qui travaillent aux OGM. Enfin c’était un coup. Une action sans hier ni lendemain qui tombait comme une mouche dans la soupe, et que le Groupe Détergent ne se soucia pas plus d’expliquer qu’il ne s’était soucié de la préparer. Tout ce que l’on put arracher de ses membre butés et boudeurs fut : «  Superphénix et Les Dames de France c’est pareil » ou encore «  Tous ceux qui pouvaient comprendre ont déjà compris.  » ( Le Casse-Noix n°11. Janvier 78)

«  En face réactions très dures : « Si vous pouvez pas vous expliquer, nous on peut pas être solidaires de vous ». Bref il a fallu trois jours pour arriver à rédiger un tract commun, qui ne reflète vraiment l’avis de personne. Quand « Tornade Blanche » voit son action « resituée » dans le cadre de la « protestation générale contre le système actuel de gaspillage, de surproduction et de misère dont se sert le gouvernement pour justifier la construction de monstres comme la centrale nucléaire Superphénix », il y a de quoi leur donner des boutons, à eux qui refusent justement tout « resituage », et, à la limite toute autre explication que leur acte lui-même... » (Œil Extérieur, dans Le Casse-Noix n°11. Janvier 78)

Et s’ils avaient raison ? Si par hasard, leur acte se suffisait à lui-même ? Chacun pérore, opine là-dessus, pour ou contre, comme on le fait dans ce grand Café du Commerce qu’est ce pays. Or, dit le Président, «  je persiste à soutenir qu’à moins d’avoir enquêté, on ne peut prétendre au droit à la parole. » Le Casse-Noix s’en va donc aux Dames de France recueillir l’avis des masses (le directeur, la militante CGT, une chef de rayon, le surveillant, trois vendeuses), dans le droit fil de Vérité-Rhône-Alpes , «  le magnétophone du peuple. » Et comme chaque fois que l’on revient au réel, c’est surprenant. Sans doute y-avait-il eu de l’effroi devant cette charge inattendue, des crises de nerf, des réflexes syndicalo-corporatistes,, mais les sentiments dominants restaient le perplexité et la curiosité «  Pourquoi ont-ils fait ça ?... J’aimerais bien qu’on nous explique. »

Dans sa quête de sens, le personnel songe d’abord à une action de représaille de loubards, suite à une bagarre antérieure. Le soir de Noël, des clients sont partis avec des brassées de marchandises, au lieu de la détruire . Une vendeuse rit de l’œil poché du directeur. La chef de rayon a bien noté que «  les filles arrêtées avaient eu la chance d’aller à l’école jusqu’à 23 ans. » La même trouve «  invraisemblable  » d’arrêter des saboteurs anti-nucléaires «  alors qu’on laisse courir des grands criminels. »

« Pendant la Résistance, il y a eu beaucoup d’actes de ce genre, tout le monde se baladait avec de la dynamite.

- Vous êtes contre Superphénix ?

- Oui ! Je suis contre Superphénix... J’ai voté pour les écologistes et faire sauter cette clôture (ndr : celle du chantier) , c’est légitime !

- Légitime ?

- Oui légitime... Il n’y a que ça... s’ils veulent l’empêcher, il n’y a plus que ça. Mais là je n’ai plus compris. Les gens de Malville qui veulent la paix et qui cassent tout !

- Vous vous êtes sentie visée ?

- Ils n’ont pas été méchants avec nous, non ce n’était pas contre nous, mais quand on est contre la consommation, on fout une bombe à minuit... Sincèrement les gens ont eu peur. Je ne crois pas qu’il y ait de haine. Mais ils ne comprennent pas. J’aimerais bien qu’on nous explique. » (Le Casse-Noix n°11. Janvier 78)

Le directeur - mais faut-il se fier à la parole d’un directeur ? - dit de ses employés. «  Ils n’ont pas compris non plus, ils cherchent aussi la relation avec Superphénix » , il envisageait d’aller à la réunion hebdomadaire du Comité Malville, le jeudi soir, «  mais j’ai peur d’être mal accueilli. »

Bref, tous ceux qui pouvaient comprendre n’ont pas compris, mais nul ne daigne leur expliquer. Ce serait déchoir d’une certaine hauteur radicale.

Politiquement cette anecdote constitue la réplique locale de la secousse des autonomes parisiens, eux-mêmes frustres imitateurs des autonomes italiens. Squats (et donc Il faut que Grenoble ait son squat. Question de standing et non de nécessité politique), «  baskets  » (détaler sans payer d’un restaurant), entrées en force dans les concerts, cognes dans les manifs. Les autonomes, queue de comète de la contestation, flambèrent quelques mois sur le pavé parisien.

Psychologiquement, l’incidenticule relève du narcissisme de la petite différence au sein des violents. Anars/zonards ressentant le prestige de la nébuleuse ex-mao et assimilés dans ce reliquat d’activisme anti-nucléaire, et à l’hôtel de police. Après tout, c’est de la communauté de La Monta, que sortent Le Casse-Noix , Superpholix , et même, l’un des saboteurs emprisonnés. C’est la communauté de La Monta que ciblent un lanceur de grenades et les perquisitions policières. Pourquoi iraient-elles inquiéter, par exemple, les imprimeurs de la CNT, sympathiques organisateurs d’un concert folk ( Imago ), au théâtre de Grenoble ? Comble d’avanie, quand Le Monde publie son inévitable dossier sur les autonomes, Le Casse-Noix y figure en encadré.

«  Passionnément anti-autoritaire, extrêmement méfiante à l’égard de toutes les organisations, l’équipe de « Casse-Noix » assemble une dizaine de personnes : quelques étudiants, quelques anciens militants d’extrême-gauche, des « zonards ». Aucun d’entre eux n’a vécu Mai 68, mais beaucoup ont milité activement contre la loi Debré en 1973. L’un est ajusteur, un autre cableur ; elle est sténo-dactylo à la faculté ; il travaille dans une société d’intérim ; ils sont chômeurs. » (Claude Francillon. Le Monde . Février 78)

Qu’on se rassure, dans les colonnes du Casse-Noix , comme dans la brochette passionnément anti-autoritaire qui s’en vient poser sur le divan du Monde , figurent de sourcilleux affiliés du Groupe Détergent. C’est que les autonomes le sont souvent par antiphrase, et que les ennemis des media, du vedettariat et du spectacle, tout aussi souvent, crèvent secrètement d’envie d’y paraître. Toute cette «  mouvance  » comme l’on dit, se décompose vite entre fiers à bras et forts en gueule («  ma critique est plus grosse que la tienne » ), dans la puérilité et la marginalisation galopante.

Les écolos-alternatifs ont déjà pris le pli. Aux législatives de mars, ils se présentent mécaniquement sous le label «  Ecologie 78  » (79, 80, 81, etc), avec Michel Bonhomme à Grenoble pour presser les dernières gouttes de sang de la haridelle anti-nucléaire. Quelques violents évoquent l’idée d’occuper en armes le site de Superphénix, le jour des élections et y renoncent. Ils ne croient pas s’en tirer aussi favorablement que les Corses, trois ans plus tôt, à Aléria. Ils ne croient plus assez à la cause ni au mouvement antinucléaire pour y jouer leur vie. En disant ces mots, trente ans plus tard, on en vient à douter même, de ces brefs chuchotements dans un coin de cuisine matinal. Au fil des numéros, Le Casse-Noix n’est plus seulement «  spontanique  » ni activiste, mais hystérique, frénétique, délirant, vociférateur insensé. Le désespoir politique frisant la monomanie et la vésanie.

L’ultime initiative que l’on impulsa fut l’organisation d’un rassemblement anti-nucléaire à la Cité Mistral, le 11 mars 78, la veille des élections. L’idée est de prendre au sérieux le discours écologiste et antinucléaire ; de l’arracher à son public petit-bourgeois (bergers et bergères de la rue Saint Laurent), et de le rendre aux premiers concernés, cette population casernée et cernée de nuisances des « quartiers », dont Mistral figure le pire lieu. Et du coup, d’insuffler à ce discours la force, le nombre, l’irréductibilité, que la clientèle verte des enseignants et cultureux ne sera jamais capable de lui donner.

Trente ans plus tard, on n’a pas changé d’avis. Si le techno-totalitarisme menace toute l’humanité, les chances d’une résistance ne peuvent résulter que de la fusion entre une critique sociale actualisée et un peuple des abymes aussi révolté de ses conditions d’existence, que dessaoulé du « pouvoir d’achat ». Il se peut d’ailleurs très bien que cette histoire aboutisse «  à la destruction commune des classes en lutte  » (Marx), c’est à dire à celle de l’humanité.

L’on se réunit via de communes relations (le cinéaste Renaud Victor, le journaliste Bernard Vergne), avec le groupe des jeunes de la cité dont quelques-uns cherchaient justement à briser leur lugubre incarcération entre ces quelques barres au bord de l’autoroute. Un ou deux jeunes aigris à l’idée de cet afflux de beaux parleurs maugréèrent que «  si des gadjos venaient dans le quartier  », ils leur «  pétaient la gueule  », mais la majorité acquiesça de bon gré à ce projet. Peine perdue : malgré une propagande considérable, y compris les mises en garde de la mairie et de la préfecture contre ce rassemblement, il n’y eut guère qu’une centaine de personnes à se réunir sur le parking à l’entrée de la cité. Les «  gadjos » avaient eu peur des coups des «  lascars  », et les «  lascars  » avaient eu peur des mots des «  gadjos  », et des deux côtés, ce n’était pas des craintes entièrement vaines. Cette manifestation organisée par le Comité Malville et le comité de soutien aux saboteurs emprisonnés réclamait la libération de ces derniers et l’arrêt de la construction de Superphénix. Mais les anti-nucléaires lassés de réclamer l’arrêt de Superphénix, se dirent que les saboteurs finiraient bien par sortir, qu’on le demande ou non. Quant à la population du quartier, il aurait fallu pour qu’elle s’intéresse à la question du nucléaire un travail préalable qui n’avait pas eu lieu. Et bien sûr, le nucléaire n’offrait pas forcément le meilleur moyen de l’initier à la critique écologique.

Pendant que l’attention policière se concentrait sur ce rassemblement, quelques personnes s’éclipsaient en voiture et s’en allèrent en convoi, suivi par la fidèle 2CV du correspondant du Monde , fouiller les bureaux de la Société Industrielle des Combustibles Nucléaires, à Veurey. Les documents saisis ne révélant rien d’intéressant.

Pour clore le feuilleton du Casse-Noix . Son «  essoufflement est aussi une conséquence directe du désarroi total qui touche le mouvement antinucléaire et partant le mouvement écologiste après Malville 77. Ainsi les tentatives élaborées par le Casse-Noix pour relancer les mobilisations et les actions se soldent par un superbe cavalier seul de l’équipe qui l’anime.

Ainsi les numéros 13 et 14 ne sont-ils pas réalisés par cette dernière.

Le numéro 13, 20 pages avril 78, est consacré à la marée noire de l’Amoco Cadix, résultat d’une enquête sur le terrain menée pendant une semaine, ce travail n’est pas déconnecté du contexte local puisqu’une part du journal fait le rapprochement entre cette marée noire et les éventuelles catastrophes engendrées par des accidents à Progil ou au surgénérateur de Creys-Malville (« Histoire d’un événement loufoque : la catastrophe de l’Amoco Phenix. 16 mars 1984 : 50 000 morts »)

Le numéro 14 (ndr : le dernier numéro) est réalisé pratiquement par le COBA (Comité de Boycott de la coupe du monde de football en Argentine) (...) L’apport de l’équipe du Casse-Noix se limite à la bande dessinée habituelle et une rétrospective sur 3 ans de Casse-Noix : avec comme philosophie l’article intitulé « triste, triste anniversaire . » (M. De Bernardy de Sigoyer. La Contre-Information. Un système d’expression. Le cas de Grenoble . Mai 1980)

L’ambition journalistique de « Yannick » (Blanc), le principal animateur du Casse-Noix , trouva un médiocre débouché dans quelques piges à Libération Rhône-Alpes , puis dans ses reportages d’ Actuel , mensuel «  nouveau et intéressant  », où il importa l’imposture dans ses enquêtes sur le racisme et le Front National. De ses trois livres publiés, l’un, «  Les Esperados » (R. Laffont. 1984) est un si noir récit de «  l’affaire des tueurs fous de l’Ardèche » (1977), désastreuse équipée d’une communauté rurale, qu’il faut bien y voir du mauvais esprit. Au reste, une mesure de la prétention du personnage, réside dans la signature systématique de ses moindres griffonnages, lorsque l’anonymat constituait la règle de la « contre-presse ». Naturellement sous prétexte d’en prendre la responsabilité publique. L’échec commercial a sanctionné ces piètres productions et l’auteur, s’il n’a pas coulé son dernier éditeur (Noël Blandin. 1992), semble avoir sombré avec lui.

XII

Au dérisoire activisme des violents fin 77 et début 78 répond l’insigne passivité des non-violents. En 79, les violents ayant débarrassé le terrain de l’anti-nucléaire et le comité Malville de Grenoble ayant décédé en silence et dans la solitude, les comités locaux regroupés dans l’Association de la Région de Malville Opposée à Superphénix (ARMOS), s’attelant à bâtir une «  maison autonome  » pour montrer l’existence d’ « alternatives au « tout-nucléaire ». Ce fut une longue et glorieuse affaire : souscriptions en Allemagne, en Suisse, en Italie, subventions du PS via le conseil général de l’Isère, financement de la Camif, chantiers de jeunesse, assistanat de l’école d’architecture de Grenoble, techniques écolo-durables (ferro-ciment, panneaux solaires, chauffage au bois). Tout ceci pour aboutir vers 1985/1986 «  alors que le gros œuvre était presque terminé » à un «  problème de vol et de déprédation. » (Georges David, ancien directeur de Superpholix et secrétaire de l’AMEN : Après Malville Energies Nouvelles. Silence n°285 -286. Eté 2002) C’est que cette «  maison autonome  » se passait même d’habitant. Un vide rempli en 1999, depuis qu’un sculpteur y poursuit son œuvre «  dans l’esprit du « récup’ Art » (...) en recyclant des débris et des parcelles d’objets industriels en bout de course. »

On ne saurait mieux dire.

Les individus passent, les clivages demeurent. On aura compris qu’au delà des personnalités singulières, parfois très singulières, qui se disaient ou se croyaient violentes, non-violentes, de façon gauche et approximative, se dissimulait un conflit évident aujourd’hui entre ennemis et partisans de l’Etat. Entre ceux qui se battent pour le pouvoir et ceux qui se battent contre le pouvoir. Entre ceux qui prétendent lutter contre les « risques majeurs » par un surcroît constant de contrôle et de technologies, et ceux pour qui le contrôle et la technologie constituent « le risque majeur ». Entre ceux qui ayant contribué à la catastrophe nous proposent paternellement de nous encadrer et de nous régir à travers cette catastrophe, et ceux qui ayant résisté de toutes leurs forces aux coupables de la catastrophe, veulent de surcroît détruire leurs télécommandes. Entre ingénieurs progressistes et ingénus réfractaires. Entre pompiers pyromanes et ceux qui veulent noyer l’incendie en y jetant « l’eau du bain » avec l’affreux bébé de la recherche-industrie. Nous n’avons pas peur, nous sommes en colère. Nous ne voulons pas davantage de recherches sur les nuisances, de mesures, de normes de pollutions, de « culture du risque », de « niveau d’alerte », ni de négociations avec nos technarques pour nous accorder sur le degré d’empoisonnement, le taux d’accidents, le seuil de destruction du milieu, le niveau de techno-despotisme que nous serions prêts à subir. Nous ne voulons pas de «  démocratie techno-scientifique  », ni de «  comité d’éthique  », ni de «  forum hybrides  ». Nous ne voulons pas de vous : est-ce enfin clair. Face à la criminalité scientifique nous réclamons la tolérance zéro. La destruction de la machinerie totalitaire et la libération des techno-serfs.

XIII

1980. A Grenoble, c’est la confuse affaire «  Thermos  ». Le Commissariat à l’Energie Atomique propose à son vice-maire, Dubedout, le raccord du réseau de chauffage urbain à un réacteur nucléaire. Dubedout n’est pas contre. Quelques années plus tôt, il a déjà approuvé l’idée de chauffer Grenoble à l’aide d’un réacteur nucléaire, édifié par Rhône Poulenc sur la zone chimique de Pont-de-Claix. Un sondage indique que 76 % des Grenoblois y sont favorables. La Frapna et les Amis de la Terre réclament un référendum. Michel Destot, conseiller municipal en charge de la communication «  (lui aussi ingénieur au CENG) estime pour sa part que, si référendum il y a celui-ci n’interviendra qu’au terme d’un débat préalable. » ( Libération )

Dilemme. Aux municipales de 77, les écologistes ont atteint 20 % des voix dans un quartier comme La Villeneuve. «  C’est la question du surgénérateur qui nous a apporté autant de voix » , admettent-ils. ( Libération. 10/03/78)

Finalement, Thermos paraît trop coûteux financièrement et électoralement aux socialo-nucléaires qui remisent le projet.

1982. Le 18 janvier, vers 22h30, cinq roquettes frappent Superphénix. Une centrale qui à terme doit contenir 5,7 tonnes de plutonium (produit radio-actif pendant des dizaines de milliers d’années et servant à la fabrication des bombes), et 5000 tonnes de sodium, lequel s’enflamme spontanément au contact de l’air. Le jour de l’attentat, 2 tonnes de sodium reposent à moins de cent mètres du réacteur. Malgré la revendication téléphonique d’un «  groupe écologiste pacifiste  », les enquêteurs et Le Daubé attribuent l’action à «  des terroristes plutôt que des écologistes  ». ( Le Daubé. 23/01/82) Cependant ni les comités Malville locaux (l’Armos), ni le Comité Anti-Nucléaire de Grenoble, ni la Coordination Nationale Anti-Nucléaire n’acceptent de dénoncer l’attentat qui démontre la vulnérabilité de Superphénix à une véritable attaque terroriste ou militaire. Toujours la jurisprudence de Morestel ? Le retour à la «  légitime défense »  ? Notons qu’en-dehors de cet attentat spectaculaire, aucune cause n’a provoqué sur le sol continental autant de jets de cocktails molotov, de plasticages et de sabotages divers que la lutte contre le nucléaire. De Fessenheim à Golfech et de Plogoff à Malville, c’est au fil des années une opposition armée de basse intensité qui tantôt bloque effectivement un chantier (Fessenheim), tantôt détruit des objectifs symboliques ou coûte de l’argent. Il faudrait pour avoir une juste idée du phénomène accéder aux archives d’EDF et de la police, passer au peigne fin les entrefilets de la presse provinciale depuis 1975. Sauf erreur, aucune de ces actions n’a entraîné la moindre goutte de sang, preuve de la retenue et de l’humanité des anti-nucléaires. On ne saurait évidemment en dire autant des tueurs de Vital Michalon, des naufrageurs du Rainbow Warrior , des matraqueurs de tant de manifestants désarmés. Pour une approche du sujet, on doit lire l’énorme compilation «  Golfech le Nucléaire, implantations et résistances (1942-1999), (édition CRAS. Collectif La Rotonde BP 492. 31 100 Toulouse cedex 06)

«  Vingt ans après avoir attaqué le surgénérateur Superphénix de Creys-Malville (Isère) à la roquette, Chaïm Nissim, un écologiste suisse de 53 ans a révélé sa rocambolesque aventure. (...) Il a raconté comment il était entré en contact avec le groupe terroriste dirigé par Carlos, en avait obtenu un lance-roquette russe et, pendant la nuit du 18 janvier 1982, avait tiré sur la centrale en construction : deux roquettes avaient traversé le dôme, mais sans toucher de pièce vitale. La police n’était jamais parvenue à identifier le tireur. Chaïm Nissim est devenu député vert à Genève de 1985 à 1999. Cette révélation intervient alors que les électeurs helvétiques se prononcent dimanche, sur la sortie du nucléaire. » ( Le Monde . 17/05/2003)

1984. «  Camp de la paix  » à Malville. Rassemblement de 4000 anti-nucléaires et anti-militaristes dans l’indifférence générale. On ne relance pas à volonté le mouvement qu’on a soi-même brisé et enterré.

1986. Libération le 15 janvier.

«  Le plus puissant surrégénérateur nucléaire a commencé à entrer en service hier à Creys-Malville. Mais pas vraiment en fanfare. Il aura coûté la bagatelle de 25 milliards de francs et produira de l’électricité deux fois et demie plus chère qu’une centrale nucléaire classique. »

L’esprit critique progresse à «  Libé  ». L’argumentation est de plus en plus relevée et «  pointue  ». Pas un mot du rassemblement de 77.

26 avril. Catastrophe de Tchernobyl. Alain Carignon, maire de Grenoble et ministre de l’Environnement «  arrête le nuage à la frontière « .

1987. En juin, à la suite d’une fuite de vingt tonnes de sodium demeurée indécelée pendant un mois, Superphénix est arrêté. En deux ans de mise en service, le surgénérateur n’aura tourné que trente heures.

1988. Depuis cinq ans le gauchisme et l’écologisme résiduels pleurnichent sous le règne de Carignon. «  Il est trop médiatique... on peut rien faire. » C’est pourtant Dauphiné News, son mensuel électoral qui remet Superphénix à la Une ( sondage exclusif. 69,5 % des Grenoblois ont peur de Malville ), avec un dossier de douze pages à la tonalité écotech. (le coût du kilowatt et de Superphénix, le « risque majeur », une interview de Raymond Avrillier, etc) Sans doute faut-il y voir la main de Yannick Blanc, l’ancien boutefeu du Casse-Noix , devenu «  conseiller à la rédaction  » de Dauphiné News . Où l’on voit que le journalisme mène à tout .

1990. «  Tout ce que nous avancions en 1977 se confirme. Le suréquipement nucléaire français est de 7 (chiffre EDF) à 15 centrales nucléaires de trop. » (Raymond Avrillier. Le Courrier du Hérisson. N°100, mai 1990)

Vraiment ? Voilà «  ce que nous avancions en 1977 »  ? Qui est ce «  nous  » qu’on ne voyait guère «  avancer  » alors ? Et quel nombre de centrales nucléaires «  nous  » paraîtrait raisonnable ? Quel degré de nucléarisation du territoire ?

1994. Du 9 avril au 8 mai, marche Malville-Matignon organisé par le Comité Malville de Lyon, Contratom (Suisse), la Frapna, Greenpeace, GSIEN (Isère) et WWF : 1500 personnes à l’arrivée à Paris.

Le 4 août, Superphénix est remis en marche après quatre ans de panne.

1997. Le 19 juin, Jospin , premier ministre de la « gauche plurielle » annonce l’arrêt définitif de Superphénix. Habilement présentée comme une concession à Dominique Voynet, ministre de l’Ecologie, et à ses alliés Verts, cette décision permet d’une pierre trois coups ; d’enrayer une hémorragie financière ; de flatter les dirigeants verts et leurs troupes en leur faisant croire à leur importance ; de détourner sur eux l’ire de tous les électro-poujadistes du canton de Morestel, ces fameux «  locaux  » qui se révèlent bien plus nombreux et résolus que leurs homologues anti-nucléaires de 77. Des manifestations rassemblent jusqu’à 1000 personnes à l’appel de la CGT, du PC, du patronat local et de la droite, jusqu’au Front National. A Grenoble le 8 octobre, une manifestation pour le maintien de Superphénix réunit 2500 personnes dont des personnalités de droite et d’extrême-droite. Le comité de soutien à Superphénix est subventionné par la direction de la centrale et par deux mairies du canton. A Lyon, le 23 octobre, lors d’une manifestation contre la fermeture de Superphénix, le local des Européens contre Superphénix est attaqué par une soixantaine de personnes dont des employés syndiqués de la centrale. (cf Golfech le Nucléaire. Implantations et résistances. Opus cité)

Le Monde livre le secret de polichinelle de cette «  victoire  ».

«  Ce n’est pas tant les écologistes qui ont gagné dans cette affaire que les financiers, qui ont fini par convaincre les politiques de mettre un terme à des années d’atermoiements. Dans un rapport de 1996, la cour des comptes avait estimé à 60 milliards de francs (9,15 milliards d’euros) le coût complet de la centrale, de l’investissement initial (4,27 milliards d’euros) à la « déconstruction totale et au traitement des déchets, en passant par les quelques années d’exploitation. » ( Le Monde . 8/08/2003)

Jospin a arrêté une machine qui coûtait cher et qui ne marchait pas, pour mieux poursuivre le programme nucléaire, par ailleurs, voilà tout.

2000. Le démantèlement de Superphénix se poursuit. (...) Le fond de développement économique (10 millions de francs par an pendant cinq ans dont 5 millions apportés par EDF), doit permettre de favoriser la création d’emplois dans le Nord-Isère via les projets liés à la création où au développement des entreprises. ( L’Essor de l’Isère . 21/01/00)

Le Daubé 13 juillet 2000

«  Superphénix : que faire du sodium ?

Trois ans après la décision de mise à l’arrêt définitif du surgénérateur Superphénix, le devenir des 5500 tonnes de sodium plus ou moins contaminé, que contient l’installation reste suspendu à un décret minsitériel... qui n’existe pas encore ! »

L’Essor de l’Isère . 2 mars 2001

« La fin de Superphénix en 2025

La vidange des 6000 tonnes de sodium des différents circuits, fait actuellement l’objet d’un lourd dossier de sûreté avec une orientation retenue par EDF de traiter ce métal dans les meilleurs délais. Pour transformer ce sodium en simple soude, la nécessité de construire une usine est requise et cette installation nouvelle fera l’objet d’une enquête d’utilité publique. La première transformation de ce sodium ne devrait pas débuter, dans un cas favorable, seulement après 2005 et durer plus de huit années. Ensuite pourra alors commencer le démantèlement des matériels du réacteur. L’actuel planning annonce la déconstruction finale de Superphénix, totalement achevée, en 2005.  »

Le Daubé . 20 novembre 2001

« Superphénix : du sodium au béton

Les experts ont réfléchi et opté pour la destruction pure et simple de ce sodium. Il sera transformé en un vulgaire sel dont ce sodium est issu à la base, opération nécessitant la construction d’une installation capable de réaliser cette transformation.

Transformer ce sodium en soude est une première étape. Cette soude qui sera neutralisée pour en faire un sulfate, qu’en fera-t-on ensuite ? Le choix a été fait de diminuer plus encore le facteur d’activité contenu dans ce sulfate produit en l’intégrant dans des blocs de béton. (...) Seule contrainte, esthétique celle-là, le volume de ces blocs de béton contenant ce sulfate sera identique à la surface d’un terrain de football de première division nationale entièrement rempli avec une dizaine de mètres de hauteur. »

Le Daubé . 12 avril 2002

« Superphénix : le démantèlement en panne

La chute accidentelle d’un assemblage « fertile » de combustible nucléaire lors d’une opération de déchargement du cœur de Superphénix interrompt sans doute pour plusieurs mois, la mise à l’arrêt définitif du surgénérateur. »

Le Daubé . 3 mai 2002

«  Superphénix : le sodium en parpaings. (...) La soude entrera dans la fabrication de blocs de béton, des parpaings d’un mètre-cube qui seront entreposés sur le site. Au bout du compte, et d’ici à 2009, quelque 39 000 m 3 de béton seront ainsi fabriqués à Malville (dans l’actuelle salle des machines), leur impact radiologique sur l’environnement étant nul. Ces colis de béton seront entreposés localement selon les règles qui régissent une décharge industrielle. A terme, ils pourraient être dirigés sur d’autres sites contrôlés par l’Anvar. »

Le Daubé. 26 septembre 2002

«  Scénario catastrophe à Laue-Langevin (ndr : à Fontaine dans la banlieue grenobloise)

L’alerte sera donnée dés 8 heures du matin. La cellule de crise interne à l’I.L.L se mettra en place avec déclenchement du plan d’urgence interne de l’établissement, un P.C opérationnel sera également dépêché sur place, le tout relié au P.C fixe, installé dans les locaux de la préfecture. La circulation sera « virtuellement » coupée. (...) A partir de 14 heures, les populations - 4500 personnes sont comptabilisées - seront invitées à se mettre à l’abri - en situation de confinement - dans un rayon de 500 mètres autour du réacteur.

Cette zone concernera le personnel des établissements du polygone scientifique et les habitants d’une partie de la commune de Fontaine (le quartier de l’Argentière) qui auront été préalablement sensibilisés par la mairie. Un sas de contrôle et de traitement des personnes susceptibles d’avoir été contaminées sera installé. Il n’y aura pas de déclenchement des sirènes, le signal sera donné à partir d’ensembles mobiles d’alerte (EMA) du Service départemental d’incendie et de secours qui circuleront dans la zone concernée.

Les hauts-parleurs diffuseront le message suivant : »Mettez-vous à l’abri dans un local et écoutez la radio qui vous donnera les informations sur la situation. »

Connaissez-vous l’EPR ?... En bref, l’ European Pressurized Reactor est un «  vieux projet né au milieu des années quatre-vingt » , selon le réseau «  Sortir du nucléaire »  ; un projet de «  nouveau réacteur conçu par Areva  », selon Le Monde . (18/07/04) «  D’une puissance électrique annoncée de 1600 Mwe - ce qui en ferait le plus puissant du monde -, il s’inscrit dans la perspective du renouvellement du parc nucléaire à l’horizon 2020. »

Naturellement, on voir le réseau «  Sortir du Nucléaire », héritier de la filière légaliste/non-violente des années 70, en appeler à la raison du « bon Etat », et radoter les critiques technico-commerciales qui avaient si bien servi contre Superphénix : « L’EPR est obsolète », « L’EPR est dangereux », « L’EPR est coûteux », « L’EPR est une grave erreur de tratégie industrielle. »

Ouais. Ecoutons les stratèges industriels de «  Sortir du Nucléaire ».

Le Daubé . 5 mai 2003.

« Nucléaire : le réacteur qui divise. Alors que le conseil régional souhaite que le futur réacteur européen à eau pressurisée soit implanté en Rhône-Alpes, les associations anti-nucléaires dénoncent le « débat gadget » lancé par le gouvernement sur la politique énergétique du pays. Le site de Creys-Malville pourrait accueillir le futur réacteur européen. »

Le Daubé. 13 octobre 2003

« Le site de Malville candidat à l’EPR. D’ici à vingt ans, le site encore occupé par Superphénix sera rendu à son état initial. Propriété d’Electricité de France, le terrain pourrait alors accueillir l’EPR, réacteur de troisième génération. Dans la région de Morestel, nombre de décideurs l’appellent de leurs vœux. (...)

Les regards se tournent vers la vallée du Rhône mais également du côté de Creys-Malville où le surgénérateur Superphénix est en cours de démantèlement. Outre que les divers chantiers de mise à l’arrêt définitif devraient se poursuivre encore pendant 20 ans, il est acquis qu’Electricité de France conservera la maîtrise du terrain lorsqu’il sera vierge de toute installation. Et ce terrain sera tout à fait disponible lorsque l’EPR sera opérationnel en 2020. (...)

Dans la région de Morestel, sinistrée par l’abandon de Superphénix (qui a entraîné la disparition de quelques 2000 emplois, y compris les emplois induits), nombreux sont les décideurs qui verraient d’un bon œil le nucléaire reprendre du service... et approvisionner les fiances locales. Une sorte de revanche sur le destin, en quelque sorte. »

Le Daubé 23 octobre 2003

« Le fonds de reconversion économique prolongé. Le comité d’engagement du fonds de développement économique de Creys-Malville s’est réuni à La Tour-Du-Pin. Un bilan de l’action menée a été dressé, et les perspectives pour les deux ans à venir exposées. »

Le Monde 22 octobre 2004

« Le nouveau réacteur nucléaire EPR sera implanté dans le département de la Manche. (...) Ce n’est pas un hasard. Claude Gatignol (ndr : député UMP de Valognes et Flamanville) estime en effet que l’acceptation de la population cotentinoise a pesé lourd dans la décision gouvernementale.

Soulagement et déception en Rhône-Alpes. »

Simples Citoyens

Grenoble, le 14 juin 2005