Des Bordelais, lecteurs de Jacques Ellul, nous envoient Du bluff technologique à l’esbroufe artistique : leur protestation contre un dispositif d’art contemporain censé honorer dans sa ville l’ennemi de la technologie et de l’art contemporain.
Jacques Ellul, l’un des plus précoces, des plus tenaces et des plus lucides critiques du capitalisme technologique, est aujourd’hui victime à Bordeaux d’une tentative de noyade dans les eaux troubles de l’art contemporain.
Il ne suffisait pas que la trissotine intelligentsia parisienne et universitaire ait ignoré, étouffé, enfoui ses travaux, sa vie durant, au profit des divaguants de la Rive gauche : communistes & cie.
Il ne suffisait pas que cette même clique, convertie à la French theory après les catastrophiques vérifications historiques de ses délires théoriques, ait persisté dans la dissimulation d’une critique qui démontait, il est vrai, chacun de ses sophismes et de ses lubies.
Jacques Ellul n’est pas seulement coupable d’avoir eu raison trop tôt – c’est-à-dire aussitôt - mais d’avoir chaque jour davantage raison dans sa critique de l’emballement technologique qui nous ouvre aujourd’hui pour tout avenir radieux, la perspective d’un homme-machine dans un monde-machine. Du cyborg dans la « smart city ».
Suzanne Treister, une tâcheronne de l’art contemporain, s’est donc attelée à la « création » d’un tryptique à 1,5 million d’euros, dont un « puits » destiné aux livres d’Ellul – pourquoi pas les oubliettes ? Il n’y manque ni le discours d’« hommage » (de récupération) à Ellul, ni la sournoise duplicité consistant à célébrer le critique des technologies par un dispositif technologique. Mais n’est-ce pas le sempiternel double-jeu de l’art contemporain, depuis un siècle, que de promouvoir ce qu’il prétend dénoncer, sous couvert d’ironie. De quoi nourrir une riche foire à la ferraille, sous le titre « L’art et la machine », au musée des Confluences, à Lyon, au même moment.
1912. Marcel Duchamp visite l’Exposition de la locomotion aérienne avec ses amis Fernand Léger et Constantin Brancusi. Il tombe en arrêt devant un moteur et s’exclame : « C’est fini, la peinture. Qui ferait mieux que cette hélice ? Dis, tu peux faire ça ? » (cf. Le Monde, 7/11/2015)
L’art contemporain est l’art du capitalisme technologique contemporain. On n’apprendra à personne que depuis un siècle ses artistes-machines n’ont cessé de produire des œuvres-machines à la hauteur des hélices, des fusées, des robots, des ordinateurs qui débarrassaient les paysages et les humains du paysage. Ainsi Suzanne Treister a également décidé de poser une soucoupe volante dans un bassin de Bordeaux « afin de donner chair au processus de transformation physique, de mutation de la ville ».
Voici donc un art inhumain, progressiste et obligatoire : l’art de notre temps.
Et nous, incurables humains, nostalgiques et réactionnaires, nous continuerons pour un temps encore, à défendre l’humain et ses paysages humanisés dans les peintures du temps passé.
(Pour lire le texte des Habitants de la Zac Euratlantique, ouvrir le document ci-dessous.)
Lire aussi : :
– Jacques Ellul, Le système technicien
– J. Ellul, Le bluff technologique (et quelques dizaines d’autres ouvrages)
– Jean-Luc Porquet, Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu
– Bordeaux, le grand déménagement
– Un cas de farce écologique en Aquitaine
– Ceci n’est pas de l’art (Pièce détachée n°2)
– Les rats de l’art, ou comment nous avons pris 2000 € au CEA (Pièce détachée n°52)