Julien est un faux boulanger, qui fabrique du faux pain dans une usine à faux pain. Celui que nous achetons dans nos fausses boulangeries – débits de panasse insipide et nocive. Peu de gens s’en plaindraient d’ailleurs, si ce néo-pain frelaté ne les rendait malades. En-dehors des connaisseurs, le goût du pain s’est perdu avec ceux qui avaient pu le connaître de leur vivant. Si l’on est ce que l’on mange, nous ne pouvons être aujourd’hui que les produits maladifs de l’industrie agro-alimentaire.

Nous avons rencontré Julien en août 2016 dans un bourg de l’Isère, lors d’une réunion en vue d’agir contre la « malbouffe » industrielle. La complainte du mauvais pain, née après la guerre, est devenue une rengaine jusque dans les laboratoires de l’Inra et les pages du Monde. Un chercheur l’avouait récemment : « La qualité de notre baguette est bien inférieure à celle du pain au levain d’antan, confectionné avec des farines produites à la meule de pierre » (Le Monde, 23/12/16). Le pain, c’était mieux avant. Mais pas question, ajoutait ce chercheur, de revenir au « passé révolu », alors que nos scientifiques viennent de mettre au point une nouvelle « révolution dans l’art de faire du pain ».
En attendant que celle-ci ait produit une nouvelle vague de dégoûts et de dégâts, nous avons questionné Julien sur son travail de technicien à la Boulangerie Industrielle.
Nous avons été frappés par la précision, le concret et l’étrangeté de ses propos. Julien décrit sa boîte, son fonctionnement, ses produits, ses machines, ses collègues – qui ne sont que des aides-machines - et c’est à partir de là qu’il tente de penser sa situation et ses issues de secours, personnelles ou collectives.

Cet échange, recueilli par écrit, a duré plusieurs semaines. Julien a depuis quitté sa boîte, après 18 mois de travail.

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