Il est généralement recommandé, en raison du grand nombre de nécessiteux, d’être économe de son mépris. On le réservera donc aujourd’hui aux élus Verts, qui après avoir soutenu le projet Minatec et fait la sourde oreille depuis quatre ans aux alertes de Pièces et Main d’Oeuvre au sujet des nanotechnologies et des technologies convergentes, découvrent en 48 h l’urgente nécessité de s’y opposer.

Cette nécessité découlant bien sûr de la campagne contre Minatec menée depuis cinq mois par l’Opposition Grenobloise aux Nécrotechnologies, et de la manifestation organisée par celle-ci le 1er juin à Grenoble.

Les Verts, comme d’autres, ont le droit de changer d’avis. L’honnêteté commanderait qu’ils nous disent quand et pourquoi ils ont changé d’avis. Du reste, nous ne nous faisons pas d’illusion : sitôt l’actualité passée, ils retourneront à leur morne routine avec leurs alliés de la gauche plurielle. Il ne s’agit que de faire le gros dos en attendant que la vague passe.

Le travail d’enquête et d’opposition effectué par PMO n’a pas pour objet d’alimenter en foin politique les stériles ruminations du bétail militant. Il ne s’agit pas pour nous d’"encadrer" les nanotechnologies (un "tsunami"- d’après Jean-Pierre Dupuy - ne s’encadre pas). Il s’agit d’aller aux racines des nécrotechnologies, et c’est à ce démontage du "laboratoire grenoblois" avec sa liaison recherche-industrie-pouvoirs locaux, que nous nous sommes livré.

Bref, nous ne luttons pas pour la gestion des nuisances, mais pour leur suppression. Nous ne voulons pas contrôler le nanomonde, nous refusons le nanomonde.

A bon entendeur, Saludd.

"Nous attendons depuis plusieurs années que le choix du développement massif des nanosciences fasse l’objet d’un véritable débat à l’échelle locale, européenne et mondiale. Une fois de plus, les choix qui engagent l’avenir de nos sociétés ont été le fait de quelques-uns. Il y a pourtant eu des alertes répétées de la part des élus écologistes et des militants Verts mais nous n’avons pas été entendus. Aujourd’hui, nous continuons à nous interroger sur le développement rapide, dévoreur de finances publiques et surtout non débattu, des nanosciences."

Ainsi débute le tract des Verts Isère diffusé en cette fin mai pour annoncer un débat public sur les nanotechnologies le 1er juin au soir. Alors que la contestation "monte en puissance", dixit le Daubé, à la veille de l’inauguration de Minatec, et que l’Opposition grenobloise aux nécrotechnologies attend des manifestants de toute la France ce même 1er juin, les Verts sortent du bois pour occuper le terrain. Ce réveil in extremis ne suffira certes pas à rassurer nos hôtes d’Ardèche ou du Tarn, mais on sait la capacité de la com’ à réécrire l’histoire. Le jeu en vaut la chandelle : il s’agit de faire oublier compromissions et lâchetés accumulées depuis des années. Les Verts, parti organisé, dont les élus siègent dans des assemblées décisionnaires (mairie, Métro, département, région), ont un accès privilégié à l’information, disposent de budgets, se réunissent en universités d’été, etc, attendent un "véritable débat". Les simples citoyens, eux, n’ont attendu ni le techno-gratin ni les écotechs pour lancer la controverse et alerter l’opinion. Sans organisation ni moyens, ils ont enquêté depuis quatre ans dans la cuvette grenobloise, et organisé une cinquantaine de réunions dans toute la France depuis cinq mois. On comprend la honte des militants écologistes de base, le ressentiment et les mensonges de leurs leaders.

Quelles sont ces "alertes répétées de la part des élus écologistes et des militants Verts" ?

Le 9 juillet 2001 a lieu le premier vote de soutien de la mairie de Grenoble au projet Minatec. Sur les 11 élus Ades/Verts/Alternatifs de la majorité plurielle, quatre s’abstiennent, un ne prend pas part au vote, les six autres votent pour. L’alerte est donnée.

En septembre de la même année, les mêmes, comptant sans doute sur la distraction de leurs électeurs, votent à l’unanimité avec le reste du conseil municipal la création de la ZAC (Zone d’aménagement concerté) Minatec.

Pierre Kermen, adjoint Vert à l’urbanisme : "Ce pôle doit permettre de favoriser en un même lieu les échanges entre l’enseignement, la recherche appliquée et le développement des applications industrielles afin d’assurer le partage et la complémentarité des compétences et des moyens du CEA-Léti et de l’INPG (...) Sur le plan de l’aménagement urbain cette opération permettra de poursuivre l’aménagement d’un quartier charnière entre Europole, Berriat et la presqu’île scientifique."

Détail piquant : les écotechs accordent par leur vote l’exonération de la taxe locale d’équipement pour les constructeurs de Minatec.

Trois mois plus tard, les mêmes élus grenoblois s’abstiennent unanimement, lors du vote autorisant la Ville à signer la convention-cadre du pôle d’innovation Minatec. Pierre Kermen, à nouveau :

"Mes chers collègues,
Les nanotechnologies et leur développement sont probablement dans la suite normale des recherches scientifiques du site grenoblois. De ce point de vue, le partenariat entre la formation, la recherche et la valorisation va dans ce sens. En même temps, il est vrai que ce projet est porté par le CEA, la dénucléarisation du site de Grenoble est donc une évolution souhaitable et nous la soutenons.
Cela dit, nous ne pouvons pas porter le même regard sur le soutien financier des collectivités locales et en particulier celui de la Ville de Grenoble. En effet, tout est scientifique dans ce projet, sauf l’évaluation financière. (...) Nous ne nous interrogeons pas sur l’intérêt de ce projet, mais sur ses modalités de mise en œuvre par les collectivités. (...)
Nous nous abstiendrons compte tenu de nos fortes réserves sur les modalités de financement de l’investissement de la collectivité pour des engagements que nous jugeons trop importants."

Les militants écologistes qui compteraient sur leurs élus pour les alerter des projets mortifères du techno-gratin sont rassurés : ce n’est pas l’intérêt du projet Minatec qui est en cause, mais son mode de financement. Un peu de vigilance comptable rétablira le bon équilibre du développement grenoblois. Car les écotechs, comme leurs partenaires PS, PC et GO de la mairie et de la Métro, sont pour la croissance. C’est Vincent Comparat, porte-parole de l’Ades, qui le rappelle quelques mois plus tard :

"Minatec (...) Les recherches effectuées ne sont pas pilotées par des intérêts militaires (même si elles peuvent avoir des implications militaires) et ne posent pas à priori de problèmes d’éthique importants. Elles visent à assurer à Grenoble une position de leader sur les développements futurs dans les micro et nanotechnologies. (...)
C’est la poursuite du modèle de développement grenoblois qui a été une réussite par le passé, et qui avait tendance à s’essouffler à cause d’une concurrence beaucoup plus forte d’autres pôles universitaires et de recherche. C’est aussi la poursuite du modèle qui associe recherche, formation et transfert vers l’industrie. De ce point de vue les collectivités, conseil général, Métro et Ville de Grenoble, se devaient de soutenir fermement cette initiative."

Manque de chance, trois mois plus tard le CEA et la Délégation générale à l’armement signaient une convention ouvrant à l’armée les recherches de Minatec, confirmant le caractère dual des nécrotechnologies, maintes fois établi et superbement ignoré par les écotechs.

Attention, nous disent les Verts-Isère organisateurs du débat du 1er juin : ne nous confondez pas avec les élus Ades, écoutez notre différence ! Soit, écoutons Catherine Brette, vice-présidente Verte de la commission recherche et développement économique du Conseil général de l’Isère. "Comme se plait à le rappeler Catherine Brette, le projet Minatec ne doit son existence qu’à la foi de ceux qui l’ont porté. Au premier rang desquels, Jean Therme. "Il y a une part de lobbying, de force de conviction des personnes dans la réussite du projet. Celle-ci s’incarne dans la personne de Jean Therme qui a su persuader du bien-fondé de Minatec à travers toute l’Europe" affirme la conseillère générale. "Certes, le contexte économique n’est pas des plus favorable, mais d’ici à 2005, le marché repartira et nous serons à pied d’œuvre pour embrasser la demande", extrapole André Vallini. "Même s’il est incertain, vu les progrès réalisés dans la conception des puces, les nanotechnologies représentent l’avenir", renchérit Catherine Brette."

On voit que les différences entre Verts grenoblois et isérois sont, elles aussi, nanométriques.

Fin 2004, les opposants occupent une grue du chantier Minatec, portant la question sur la place publique. Une occasion pour les écotechs de s’emparer du débat tant attendu, quitte à reconnaître leur égarement passé.

Olivier Bertrand, conseiller général Vert : "Nous avons toujours été critiques sur l’opération Minatec, notamment dans sa capacité à générer des recettes nouvelles pour les collectivités locales à l’avenir. D’autre part, le débat sur les nanotechnologies en général n’a jamais eu lieu dans l’agglomération, qui comprend pourtant une population tout à fait apte à comprendre ce débat-là. Mais en tant que parti, nous ne pouvons pas nous positionner aujourd’hui sur l’action menée." Encore raté.

Contrairement à leur propagande, les écotechs n’ont jamais été critiques sur les nécrotechnologies. Toute l’étendue de leurs réserves se borne à regretter le manque de recettes pour les collectivités. Assurez-leur des rentrées d’argent, ils signent de bon cœur. Comme leurs alliés socialistes, ils sont prêts à sacrifier la cuvette et la vie de ses habitants au développement et à l’emploi, ainsi qu’en témoigne leur communiqué commun avec les élus Verts de Rennes pour s’associer “aux manifestations des salariés de Rennes pour le maintien de l’activité et de l’emploi ” quand STMicro menace de délocaliser en 2003.

Depuis 2004 nul ne peut ignorer que la contestation des nanotechnologies est portée par de simples citoyens, contre les écotechs. Rappelons que ceux-ci ont voté sans sourciller les 100 000 € débloqués par la Métro pour organiser en juin 2005 le talk show "Sciences et démocratie" destiné à nous faire avaler les nécrotechnologies. Verts de rage d’avoir été démasqués, ils tentent désormais de justifier leur participation au désastre. Comme le disent sans honte Pierre Kermen et Raymond Avrillier, élus Ades à la Ville et à la Métro : "S’il y a eu une réorientation du budget vers plus de solidarité, d’écologie, c’est grâce à nous" .

Raymond Avrillier a raison d’affirmer : "Nous sommes la majorité municipale" . L’Ades peut prendre à son compte le succès de la technopole grenobloise et la durabilité de son développement. N’a-t-elle pas fait de son mieux pour rendre plus acceptable la Silicon Valley française à coups de recours administratifs ? "Rester (NDR : au conseil municipal de Grenoble) c’était faire en sorte que cette ville demeure plus vivable" , se félicite Christine Garnier, élue Ades. Par exemple en imposant une construction Haute Qualité Environnementale du bâtiment Minatec - un pansement en coton bio sur une jambe de bois.

Inutile d’attendre mieux de ces écologistes-là. Enchaînés par leurs accords avec la gauche plurielle, ils ne peuvent contester le projet-phare de Destot et de Vallini. Tout juste chipoteront-ils les crédits publics accordés aux boîtes privées. Issus eux aussi des labos - nombre d’entre eux sont ingénieurs ou chercheurs - les écotechs partagent la culture grenobloise qui répond toujours à la question "comment ?" et jamais à la question "pourquoi ?". Migaud peut sans inquiétude leur assurer : "nous avons tant de choses à faire ensemble."

Comme leurs alter ego de la majorité, ils ne connaissent d’autres réponses que techniques aux problèmes politiques.

Les nanoparticules constituent un risque sanitaire et environnemental ? Exigeons "des systèmes de contrôles indépendants". Les libertés individuelles sont menacées ? Instaurons un "strict contrôle de la mise sur le marché organisé". La population est exclue des choix techno-industriels imposés par les décideurs ? Réclamons un "forum financé par les collectivités et les organismes de recherche". Bref, évitons les rapports de force politiques et l’exigence vis-à-vis des élus, mettons en place des dispositifs d’acceptabilité et des écrans de fumée entre citoyens et élus.

Dans un ultime communiqué de presse daté du 30 mai, les Verts-Isère enfoncent le clou : "Les Verts ne s’opposent pas aux recherches dans le domaine du tout petit, ils demandent que ces recherches soient encadrées et contrôlées par des commissions d’éthique qui elles-mêmes animent des conférences citoyennes."

Le lecteur attentif découvrira avec hilarité dans le tract des Verts-Isère l’art du copier-coller-déformer. Il est plaisant de découvrir, en mai 2006, l’alerte des écotechs sur des points soulevés depuis des années par les simples citoyens : danger des nanobiotechnologies (les Verts n’ont pas encore intégré la notion de "technologies convergentes"), menaces sur les libertés, absence de neutralité de la technologie, etc. N’attendez pas cependant de retour à l’envoyeur - tout juste est-il fait mention de "réactions négatives" (tombées du ciel ?) ayant entraîné un débat tardif. Les écotechs, eux, ne citent pas leurs sources, et les déforment en évoquant la "peur" et l’"inquiétude" face aux "dérives éventuelles". Nos lecteurs savent que nous n’avons pas peur : nous sommes en colère.

Enfin, contester aujourd’hui les nécrotechnologies donnerait raison aux opposants qui n’ont pas attendu un "véritable débat" pour exposer leurs griefs. Une blessure d’orgueil qui trouble les esprits écotechs, au point de leur faire perdre leurs repères temporels. Gérard Leras, interrogé par Le Daubé , annonce une manifestation des Verts contre Minatec le "jeudi 2 juin à 14h".

Soyons précis : la manifestation contre Minatec organisée par l’Opposition grenobloise aux nécrotechnologies (http://ogn.ouvaton.org) aura lieu le jeudi 1er juin à midi, place Félix Poulat. La rue est à tout le monde et les élus Verts peuvent toujours la suivre, encore faudrait-il qu’ils ne réécrivent ni l’histoire ni le calendrier.