Contribution de simples citoyens au débat de la Metro du 31 mai 2002 sur le comité local d’éthique.
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Ainsi Le Pire est vaincu et la République sauvée. Qu’il soit permis à un simple citoyen de joindre sa voix à toutes celles qui du Daubé à Ras l’Front en passant par Le Petit Bulletin (l’hebdo gratuit des spectacles), SOS Racisme et toute la Résistance, ont appelé à cette mobilisation quasi-unanime "pour en finir avec les idées de l’extrême-droite et de Le Pen", comme le disait si bien un tract unitaire.
Maintenant qu’on est sûr de la Libération, que la bête immonde dont le ventre est encore fécond a été terrassée par deux rassemblements "records"(40 000 personnes le 27 avril, 60 000 le 1er mai) on peut bien le dire : on est soulagé. C’est que des faits récents auraient pu faire douter de la ferveur républicaine des Grenoblois.
Et d’abord la façon dont les communes de la Métro, contrevenant à leurs obligations légales, refusent depuis des années d’ouvrir des aires d’accueil aux gitans. Le prétexte étant le manque de terrains, et la réalité, l’hostilité des électeurs comme on l’a vu dans le douillet quartier de l’Ile Verte à Grenoble.
Que les gitans aient fini par trouver refuge sur le campus, cela semblait conforme aux vieilles franchises universitaires, à certaines traditions d’asile et d’insoumission, si mitées soient-elles. La dernière trace si l’on veut, de ces trois jours de barricades en 1970, pour interdire aux flics l’entrée du campus.
On se disait que cette jeunesse si avide de voyages sans frontières, de World Music (Taraf de Haïdouks, Gipsy Kings), et des films de Tony Gatlif (Latcho Drom, Gadjo dilo), se réjouirait de voir des caravanes ramener un peu de vie dans leur champ d’études. Nous a-t-on bassiné avec la grande misère du campus ; son isolement ; son éloignement du centre-ville, ses étudiants dépressifs et ses profs inaccessibles. On s’attendait à ce que des associations étudiantes, si pétries d’humanitaire et de multiculturalisme organisent des teufs avec ces hôtes de Hongrie - ou de l’Isère, d’ailleurs. Qu’elles les aident à bâtir des sanitaires, à obtenir les connexions d’eau et d’électricité, le ramassage des ordures, à scolariser les enfants. On s’attendait au moins à de la curiosité pour ces nouveaux voisins, qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Que font-ils ? Pourquoi sont-ils là ?
On avait tort bien sûr. Toute l’ouverture d’esprit de cette singerie mode et tendance consiste à frayer avec ses congénères vêtus des mêmes fringues de marque, dans ses boîtes réservées du centre-ville. Toute sa soif de vivre, à obtenir pour elle, l’implantation sur le campus du tramway et des commerces indispensables (cafétéria, sandwicherie, agence de voyage, banque, auto-école, laverie, reprographie, papeterie-librairie), afin de ne même plus avoir à se mêler au reste de la population.
Le Daubé du 15 avril 2002 : "En attendant que les caravanes partent, l’Université Joseph Fourier fermée sine die.
Une décision prise par Claude Feuerstein, président de l’UJF. Etudiants, personnels et enseignants sont venus exprimer devant la préfecture leur refus de voir le campus envahi par les gens du voyage. Si Claude Feuerstein espérait hier soir que certaines caravanes soient expulsées du campus, il semblerait que la police ait simplement demandé aux nomades de lever le camp aujourd’hui."
La police plus charitable qu’Ethique Feuerstein, ça ne s’invente pas.
Bref, le campus aux campusards et la France aux Français.
Il s’ensuit des manifestations (3000 personnes le 17 avril), la fermeture de l’INPG (Institut National Polytechnique), des universités Stendhal et Pierre Mendès-France, avec un "objectif zéro caravane", comme "délinquance zéro" ou "tolérance zéro"(en revanche, Feuerstein ne peut nous garantir "le risque zéro" à Biopolis). Des affiches, des banderoles réclament "le campus aux étudiants". Des assemblées générales, des tracts crient à l’insécurité, le maître-mot de toute la campagne présidentielle. Fait sans précédent, les présidents d’université (Claude Feuerstein, UJF. Paul Jacquet, INPG. Lise Dumasy, Stendhal. François Petit, Pierre Mendès-France) appellent à une manifestation le lundi 22 avril.
"Un bien commun en péril.
L’Université est un bien commun, situé sur domaine public, qui a pour mission d’assurer des activités de recherche et d’enseignement. La présence des gens du voyage sur les parkings et espaces verts du campus universitaire, récurrente depuis trop longtemps est devenue intolérable. Cela rend impossible la réalisation de cette mission dans des conditions normales d’hygiène et de sécurité."
Vous avez dit "Lepénisation des esprits" ?
Notez, s’il vous plait, cette manière papelarde de qualifier le campus de "bien commun", une expression à la mode dans la "gauche alternative" pour désigner l’air, l’eau, les plantes, les génomes etc, au moment même où Feuerstein et Cie s’approprient le campus et ses laboratoires, en vue de marchandiser lesdits "biens communs", via le brevetage et les nécrotechnologies.
En fait si la présence des gitans sur le campus n’avait qu’un heureux effet, ce serait précisément de rendre "impossible la réalisation de cette mission dans des conditions normales d’hygiène et de sécurité."
Notons aussi ce terme mûrement pesé et politiquement correct de "gens du voyage", comme l’on disait jadis "gens de couleur" pour ne pas dire "nègre" ; et "israélite" pour ne pas dire "juif ". Est-ce donc si méprisable d’être rom, gitan, tzigane, qu’on ne puisse appeler les gens par leur nom ? Et faut-il, comme les racistes polis, employer des euphémismes ?
Après quoi nos quatre mandarins ont l’ultime rouerie d’annuler la manifestation prévue au lendemain du premier tour des présidentielles "pour éviter tout risque d’amalgame"(sous-entendu avec la poussée lepéniste).
Trop tard Feuerstein, Jacquet, Demasy, Petit. On vous a vus. Entendus. On n’oubliera pas vos geignardises administratives, vos mesquineries de technocrates, votre égoïsme de fonction, ni comment vous avez trahi la vraie mission que votre république confie censément à votre caste universitaire : répandre la culture humaniste, former des esprits généreux et éveillés plutôt que des singes spécialisés. On n’oubliera pas comment vous avez dressé vos singes contre vos hôtes sur le campus, plutôt que de sauter sur cette chance pour leur enseigner un peu de cette fraternité dont ils se gargarisent à longueur de procession républicaine.
Le 3 mai, deux jours avant que le "référendum sur la République" n’offre à Jacques Chirac une victoire impériale, la police et la gendarmerie expulsent les soixante dernières caravanes qui stationnaient encore autour du restaurant Diderot.
"Lise, étudiante en première année de Deug de droit, a assisté, un rien étonnée, à l’évacuation des caravanes. C’est sûr que c’est bien qu’ils partent. Mais je me demande si le moment était bien choisi. Expulser des gitans pour les expédier vers des terrains insalubres à trois jours du deuxième tour de la présidentielle… Quand on connaît le contexte politique, il y a de quoi s’étonner ! "(Le Daubé. 4/05/2002)
En effet, le scandale n’est pas d’expulser les gitans, ni même de les expédier vers des terrains insalubres, ce n’est pas que la République se conduise d’aussi basse façon que le Front National, mais l’erreur de calendrier. Imaginez que des électeurs se troublent de ce nettoyage ethnique, que leur zèle civique en soit refroidi, qu’ils aillent se figurer on ne sait quelle similitude entre droite ordinaire et extrême, un peu comme (horresco referens), ils ont conclu à une certaine similitude de la droite et de la gauche - et que la République ne soit pas si bien élue ?
Mais que Lise se rassure, le "contexte politique" n’a rien empiré, au contraire. Durant les quinze jours d’agitation anti-gitans, on n’a entendu ni SOS Racisme, ni le MRAP, la LICRA, le Centre Inter Peuples ; ni aucune de ces officines qui font profession d’anti-racisme militant. Pas plus qu’on n’a entendu partis et particules de gauche - voire 100% à gauche - trop occupés à battre, tantôt la campagne, tantôt le pavé, "pour en finir avec les idées de l’extrême-droite et de Le Pen."
La palme de la veulerie revenant haut la main aux Verts dont deux responsables, Pierre Kermen (porte-parole, adjoint au maire de Grenoble) et Michel Wilson (candidat aux législatives dans la 8e circonscription de Vienne, cadeau du PS) sont respectivement chargé des relations publiques et secrétaire général de l’Université Joseph Fourier.
Ce cafard de Wilson allant jusqu’à "constater" dans Le Daubé du 4 mai. "En ce qui concerne le retour du campus à son usage principal on ne peut être que satisfait. On a mené une série d’actions en ce sens et on a finalement obtenu gain de cause. Reste que nous avions également posé comme conditions que les gens du voyage puissent bénéficier de terrains d’accueil décents et que leurs droits soient respectés. Nous restons préoccupés par ce problème…"
En somme, Pierre Kermen et Michel Wilson ne peuvent être que satisfaits du retour de l’UJF à ses malfaisances : Biopolis, pillage et marchandisation du vivant, dressage de singes savants, développement de nécrotechnologies pour l’emploi des singes. Et gageons qu’ils restent depuis quatre ans "préoccupés par ces problèmes", sans que leurs préoccupations ne les aient contraints au moindre murmure public.
"Le programme de séquençage du "génome humain" est à peine terminé que fleurissent partout d’importants projets de "protéomique". Leur but : recenser l’ensemble des protéines contenues dans une cellule, un tissu ou un organisme vivant. La tâche est considérable : il y a de vingt à trente fois plus de protéines humaines que de gènes." (Le Monde. 25/ 01/ 2002)
On apprend au passage que ces recherches serviront dans l’immédiat "du diagnostic des cancers à l’étude de la toxicité des médicaments", ce qui corrobore cette loi de la fuite en avant, suivant laquelle la technique sert toujours plus à résoudre des maux créés par la technique.
"Les apprentis sorciers de l’ADN inventent une nouvelle Genèse. En violant les lois du code génétique, des biologistes et des chimistes ont modifié la machinerie moléculaire de la synthèse des protéines. Ils commencent ainsi à créer des éléments vivants qui, naturellement n’auraient jamais dû voir le jour sur Terre. Jusqu’où iront-ils ?" (Le Monde 2/ 03/ 2002)
Quelle question. Ils iront jusqu’au bout, bien sûr, toujours plus loin dans cette nouvelle ruée vers l’or et les territoires vierges. Et suivant l’invariable tactique de la guerre éclair et du fait accompli. "On compte aujourd’hui une dizaine d’équipes spécialisées dans ce nouveau champ de recherche aux Etats Unis, au Japon, en Allemagne et en France. Leurs progrès sont observés par plusieurs géants de l’industrie pharmaceutique comme Roche ou Merck même si rien ne permet encore de situer avec précision quand pourront émerger les premières applications concrètes (…) Reste, pour l’heure, un problème majeur : celui de l’encadrement des travaux dont le caractère potentiellement dangereux ne peut être ignoré ni sous-estimé. A l’abri de leur originalité, ils échappent aux systèmes d’autorisation et de contrôle en vigueur. D’où l’urgence de prendre en compte, au delà de la manipulation génétique du vivant, la possibilité de transgresser les lois que l’on tenait, hier encore, pour immuables." (ibid)
Si l’on a pu dire dans les années 80 "qu’il n’y avait plus d’opposition", on doit maintenant douter qu’il y ait encore une conscience, tant celle-ci est saturée d’un constant bombardement de faits trop énormes pour être assimilés en temps réel, et encore moins anticipés, ce qui serait la condition sine qua non pour y faire face.
Où est le front ? Quel est son point stratégique ?
A peine quelques groupes et individus arrivent-ils à créer une opinion publique, à articuler des objections quant aux modifications génétiques et à leur marchandisation, que de nouvelles percées des techno-sciences bouleversent le champ de bataille. Que sur le fond ces percées vérifient leur critique générale n’empêche pas la transformation fulgurante du terrain sur lequel s’exerce cette critique, contraignant ses porteurs à la défensive, à de laborieuses mises à jour, à l’effilochement de leurs forces.
Ainsi, quelque bruit qu’ait fait l’opposition aux OGM, elle n’a clairement jamais approché l’ampleur de la contestation anti-nucléaire, défaite il y a 25 ans. Pour l’anecdote, si des chercheurs au CNRS et au CEA de Grenoble participent déjà à l’étude du protéome, la Frapna en est encore aux pieuses généralités sur "Le vivant et le marchand" (Isère Nature n°232, mai 2002), l’Ades et les Verts à feindre la découverte et la "préoccupation" sur Biopolis. C’est dire que se creuse l’écart entre la domination, sa réalité, ses moyens, et l’intelligence qu’en ont les dominés, au point de franchir un seuil irréversible. Pour le dire en vieux style, s’il y a lutte finale, nous sommes en train de perdre.
"Des électrodes dans le cerveau de rats pour les piloter. Des chercheurs sont parvenus à télécommander des "roborats" par radio grâce à trois électrodes stimulant leur cerveau. Les signaux, produits par un microprocesseur fixé sur le dos des animaux, sont émis à partir d’un ordinateur." (Le Monde. 5/6 mai 2002)
"Une puce greffée sous la peau permet de relier le porteur à son dossier médical. Les tags électroniques sont déjà là. Un grand pas vers la "traçabilité" humaine. Un œil interne pour Big Brother (…) Verichip constitue un progrès majeur pour la traçabilité du cheptel humain. On voit clairement comment son usage se répandra. D’abord en invoquant le prétexte humanitaire. La puce, nous dit-on, permet aux médecins d’intervenir plus vite en cas de problème. C’est ainsi que commencent toutes les dérives technologiques : voyez le clonage humain. Puis se construiront autour d’elle des systèmes toujours plus nombreux qui justifieront qu’on "empucèle" des couches toujours plus larges de la population. Un jour viendra où l’on ne pourra plus vivre sans elle - comme c’est déjà le cas sur Internet sans carte bancaire. Ce jour-là, on envisagera de l’implanter systématiquement à la naissance. Son port deviendra obligatoire. Se "dépuceler" sera criminel." (Jean-Michel Truong, fondateur de Cognitech, première société européenne spécialisée en Intelligence Artificielle. Libération 11/12 mai 2002)
Ces dépêches du front réjouiront sans doute les techno-rats grenoblois. Une responsable de la Métro gloussait récemment : "Je ne comprends pas qu’on s’en prenne comme ça à Biopolis, alors qu’à Minatec on fera des choses bien plus dangereuses…" Qu’à cela ne tienne. Ceux qui s’interrogent sur les raisons de notre opposition aux nano-bio-technologies en trouveront quelques-unes dans les lignes ci-dessus. Si elles ne suffisent pas, c’est que rien n’assouvira leur soif de servitude, fors la destruction de leur libre-arbitre, à travers son organe matériel décidément superflu.
"ST Microelectronics, Motorola et Philips vont investir 2,8 milliards d’euros à Crolles" (Les Echos 12/13 avril 2002).
"L’alliance des géants à Crolles. Il s’agit du plus gros investissement industriel en France depuis 10 ans : le franco-italien ST Microelectronics, l’américain Motorola et le néerlandais Philips ont décidé de s’engager ensemble dans un programme de recherche sur les semi-conducteurs. Un projet qui aboutira à la création de 600 emplois supplémentaires dans l’usine située près de Grenoble et de 4500 autres dans la région." (Le Daubé 13/04/2002)
"Dans les Alpes, l’aventure technologique de la vallée du Grésivaudan" (Le Monde. 17/04/2002)
Abrégeons. Une fois de plus, de la presse nationale à la communication locale (Isère Magazine, Les Nouvelles de Grenoble), on nous ressert l’article de Grenoble, "technopole des cimes", "capitale alpine de l’innovation" etc, censé flatter l’orgueil du techno-rat.
Le plus remarquable dans ce nouveau méga-projet (20 fois l’investissement de Minatec, déjà présenté comme le plus grand projet réalisé en Isère depuis vingt ans, c’est le sommet d’efficience atteint par le techno-gratin, fusion des pouvoirs politiques, économiques et scientifiques, pour accélérer sans cesse des décisions colossales.
"Une affaire bouclée en un temps record, dit Le Monde. Présenté le 5 avril aux responsables locaux, le montage financier a été avalisé par l’ensemble des parties six jours plus tard."
Le secret d’une telle célérité ? "Ici, les élus ont été vaccinés à la high-tech, résume le député PS François Brottes, par ailleurs premier adjoint du maire de Crolles. Cela permet d’avancer plus vite et d’éviter de se poser des questions métaphysiques." (ibid).
Par exemple, on ne demandera pas leur avis aux contribuables de l’Isère, du Grésivaudan, de Grenoble et de la Métro pour investir 120 millions d’euros dans cette "aventure technologique". Pourquoi le ferait-on puisqu’on peut s’en passer et qu’ils profiteront des retombées (emplois, taxes professionnelles, activité commerciale) ?
On ne s’interrogera pas sur l’arrivée de 6000 familles entre Grenoble et Chambéry, puisque l’augmentation des prix du logement, c’est bon pour le BTP et l’immobilier.
On n’examinera pas l’impact sur l’environnement de ces implantations industrielles et résidentielles, du surcroît de trafic automobile, de la disparition des terres agricoles.
On ne chipotera pas sur le travail de nuit, en combinaisons dans les salles blanches.
On ne questionnera pas la nécessité des puces, ni des objets qu’elles servent à fabriquer (télés, voitures, portables, électro-ménager, roborats), ni de la croissance - fut-elle durable - ni de la technification générale du monde.
On voit qu’en effet, on évite beaucoup de questions en limitant le pouvoir de décision à quelques élus "vaccinés à la high tech" et à leurs acolytes techno-industriels. C’est à se demander pourquoi l’on conserve le suffrage universel, sinon aux fins de communication (la démocratie, c’est "cause toujours"). Le simple citoyen se fait d’ailleurs de moins en moins d’illusions à ce sujet, si l’on considère l’évolution des taux d’abstention depuis vingt ans et singulièrement le 21 avril dernier, au premier tour des présidentielles. Un journaliste aussi peu suspect d’esprit critique que le rédacteur en chef d’Objectifs Rhône-Alpes ("Le gagazine de l’aventure économique") s’en alarmait dans son éditorial de mai 2002.
"Mais le plus étonnant, c’est que cette poussée lepéniste s’accompagne d’un double phénomène : une abstention record généralement de 30 % et un score impressionnant de l’extrême-gauche, généralement au dessus de 10 %. Trois indices combinés qui soulignent qu’aujourd’hui 60 % des électeurs, c’est à dire une large majorité ont choisi de dire clairement qu’ils rejettent le système. Et c’est sans aucun doute ça qui aujourd’hui est le plus grave.(…) Car un pouvoir quel qu’il soit a besoin de légitimité pour fonctionner. C’est une vieille leçon de l’histoire. Mais aujourd’hui, cette légitimité du pouvoir bute sur un rejet de plus en plus systématique et radical du pouvoir lui-même."
D’où l’urgence pour ce pouvoir de développer les nano-puces et les modifications génétiques, quand télé et tranquillisants ne suffisent plus à contrôler les techno-rats, et aboutir enfin au "roborat" pilotable par ordinateur.
Et ainsi un pur problème technique (la gestion du cheptel humain), aura trouvé sa solution technique (l’automatisation de ce même cheptel).
Sans les laboratoires d’électricité et d’électro-magnétisme créés à Grenoble au début du siècle dernier, Louis Néel n’aurait pu y implanter le Commissariat à l’Energie Atomique (1956). Du CEA naquit le Laboratoire d’Electronique et de Traitement de l’Information (LETI), et du Leti le pôle Minatec, sous l’autorité de Jean Therme, "l’homme fort" du CEA, et du véritable directoire mis en place par le techno-gratin pour gérer sans contrôle la technopole.
Sans le Leti donc, il n’y aurait eu ni Minatec, ni ST Microelectronics (ex-SGS Thompson, fabricant de semi-conducteurs franco-italien), ni bien sûr ce méga-projet de Crolles II, (ST Microelectronics allié à Philipps et Motorola) qui laisse les observateurs à court de superlatifs - en attendant le prochain giga-projet qui ne saurait tarder.
Les économistes appellent cela une filière, la filière électronique grenobloise, comme la filière bovine et ses vaches folles. Mais l’on voit bien que la croissance et le croisement de ces filières, planifié sur des décennies, tressent un système, et même le système : un réseau (du latin rete, filet), un net si l’on veut, qui quadrille peu à peu chaque parcelle du monde et des individus. C’est-à-dire qu’il n’y a plus d’individus mais des rouages du système, des cellules du cerveau, des puces de l’ordinateur, des fourmis de la fourmilière. La fourmilière étant l’individu, ce "tout indivisible", dont les fourmis, les puces, les cellules, les rouages, les hommes, ne sont que les parties.
Dans ce maillage général, Biopolis, selon Feuerstein, joue précisément le rôle de maillon entre les laboratoires de recherche et les entreprises industrielles ; les start-up. Mieux : "Les perspectives de développement sont synchrones et synergiques entre le pôle Minatec/Nanobio situé sur le polygone scientifique et celui des bio-industries plus spécifiquement dédiées aux sciences de la vie et de la santé prés du CHU". (Document Biopolis, page 14)
Aussi bien n’est-ce pas tant Biopolis, ses dangers et malfaisances particulières que nous refusons, que ces "perspectives de développement" dont Biopolis ne constitue qu’un maillon. Ce totalitarisme technocratique qui ici sous couvert de culture grenobloise, ailleurs de culture techno, de progrès, d’innovation, vise à la domestication irréversible de l’espèce humaine. Biopolis n’étant que le grelot agité pour sonner l’alarme, agitons.
Et d’abord cette remarque à l’adresse des amateurs de transparence, de débat citoyen, participatif, voire contradictoire : sans l’intervention de simples citoyens si décriée par nos tech-notables (Caune, Micoud, Migaud, Feuerstein), Biopolis serait passé inaperçu du public, comme 99 % des manigances de nos assemblées d’élus où tout se décide en interne, en commissions où l’on se tutoie entre collègues. Le peu de débat et de transparence dans cette affaire, ce sont de simples citoyens qui l’ont imposé.
Sans cela, Micoud le mandarin RPR ou Remande, le maire de La Tronche nous auraient-ils alertés sur l’implantation d’un pôle de nécrotechnologies en pleine zone inondable, sismique et d’éboulements ?
Caune, le communicastre de GO Citoyenneté, responsable de Biopolis à la Métro, aurait-il communiqué sur les liens entre le Centre de Recherche du Service de Santé des Armées (CRSSA), un labo spécialisé NBC, et l’Association de Développement des Biotechnologies de l’Agglomération Grenobloise (ADEBAG), l’appareil qui pilote Biopolis ?
Migaud, le "poisson-pilote" de Laurent Fabius et président de la Métro, aurait-il clamé que celle-ci investissait 6,1 millions d’euros de fonds publics pour générer des profits privés ? Mais on a vu qu’on pouvait faire beaucoup mieux et que le financement des technostructures drainait massivement l’argent public.
Feuerstein, le scientifique éthique, nous aurait-il informés des "20 % d’activités à risques" que Biopolis abritera ? (Quoi que signifie ce pourcentage sorti de ses manches et dont on aimerait connaître le détail.) Nous aurait-il avertis de son laboratoire P2 (manipulations d’agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les manipulateurs…) ? De son "animalerie de transit (petits animaux) - ou transgénique - pour laquelle il prévoit un budget de "400 000 frs hors taxes" (61 000 euros) ? De l’hébergement du projet PRETA (physiologie respiratoire et capteurs), issu d’un contrat avec la Défense ? Des projets de manipulations génétiques (thérapie génique, transgenèses animales et végétales, bio-matériaux, bio-puces et micro-organismes génétiquement modifiés) ? Des liens entre Biopolis et trois labos P3 de l’agglo (CRESSA, Institut Jean Roget, Institut Albert Bonniot) ? Aurions-nous su que l’UJF, via l’essaimage, ses pépinières et ses incubateurs, travaillait à la marchandisation de la recherche, au brevetage et au pillage du vivant ? Que ses étudiants, professeurs, administratifs - tous de bons républicains - n’étaient si pressés de chasser les gitans du campus que pour se remettre à combiner leurs start-up, filiales et sociétés anonymes ?
Et surtout, aurait-on publié que ce projet Biopolis "s’inscrivait dans une stratégie globale et harmonisée de valorisation des deux pôles de compétence biologiques du site, le pôle Santé à proximité du CHU et le pôle Minatec/Nanobio sur le polygone scientifique (…) en très forte complémentarité scientifique et technologique et vouées à des fertilisations croisées." (Document Biopolis page 8) ? C’est-à-dire dans ce processus de technification totalitaire, que le docte Caune qualifie de fantasmes obscurantistes, et qui constitue le fond de notre opposition.
Sans le bruit fait autour de ces projets, pôles et stratégies, se serait-il trouvé des journaux pour informer leurs lecteurs de leurs dangers immédiats et de leurs irrégularités administratives ? (cf Le Canard Enchaîné, 30/01, Le Daubé, 14/02, 19/03, 7/04, L’Ecologiste, mars 2002, Objectifs Rhône Alpes, avril 2002, Libération, 30/04, etc)
C’est ce bruit et non un quelconque désir de transparence qui a contraint un Didier Migaud "visiblement irrité" à une opération de relations publiques le 8 mars dernier à la Métro avec la participation de l’éthique Feuerstein. Aussi bien voit-on Jean-Michel Remande, le maire de La Tronche, celui qui a fait signer le permis de construire de Biopolis un 27 décembre en tapinois, tenter de se refaire une virginité démocratique en multipliant les réunions d’information. Avec ses conseillers municipaux, début mars au CRSSA (malheureusement, le département de biologie des agents transmissibles était fermé pour désinfection). Avec Ethique Feuerstein, le 18 mars au conseil municipal. Avec la population et Jacques Viret, directeur du CRSSA, ce mois ci. "Le directeur du CRSSA a rassuré les habitants en disant qu’il n’y a pas de contamination biologique possible pour la population. L’air qui sort du CRSSA est stérile. Le risque essentiel, c’est l’incendie à cause des produits chimiques." (Le Daubé, 17/05)
Si la population est rassurée, c’est qu’elle n’a jamais entendu parler d’attentats, d’accidents, ni de défaillances humaines, ce dont on doute tout de même.
C’est ce même bruit qui après quatre ans de silence a contraint les Verts à "s’interroger sur le projet Biopolis" (cf L’écho vert, mars 2002), dont grâce à Kermen et Wilson, ils ne connaissaient même pas le nom. Pour se donner l’air de faire quelque chose plutôt que rien, ils ont même déposé un recours gracieux le 26 février concernant le permis de construire Biopolis, ce qui fait ricaner jusqu’aux pisse-copies du Daubé, tant cette démarche de pure forme porte bien son nom. Un recours gracieux, c’est une lettre qu’on envoie à qui de droit pour signaler un vice de forme.
Encore un an d’"interrogations" et les Verts pourront venir énoncer leurs conclusions, durables et raisonnées, à l’inauguration du bâtiment.
Signalons enfin un dommage collatéral. Ce fringant patron de Dauphipâtes, proche d’Alain Carignon, avait résolu de faire don de sa personne à Corinne Lepage et à sa nef écolo-libérale, Cap 21, en tant que candidat aux législatives. Las. Ne voilà-t-il pas que Corinne Lepage, un rien plus vivace que les Verts, et dans le but de leur couper l’herbe sous le pied, se mêle de dénoncer Biopolis sur France 2 . Coup de sang du sieur Gros (dont l’épouse, selon Le Daubé, travaillait au projet Biopolis) qui saborde sa candidature à peine lancée. Il coule et ne flotte pas. Encore un marinier dans l’Isère profonde.
Qui lors de son prochain conseil le 31 mai, examinera le financement de Biopolis, ses modalités de gestion par l’Université Joseph Fourier et sa filiale (UJF S.A.S : Société Anonyme Simplifiée), les procédures de sélection des projets et des entreprises, et surtout, dans un éclat de rire général, la composition et le rôle du comité local d’éthique.
Si risible soit-il, ce comité constituerait un progrès par rapport aux positions antérieures de l’Adebag et de Ethique Feuerstein, qui prévoyait seulement la constitution en interne d’un groupe pluridisciplinaire de bioéthique d’accompagnement - de soins palliatifs, quoi. Mais peut-être s’agit-il de la même commission d’enterrement, sous deux noms différents. La com’ a ses finesses.
"Mission de ce groupe bioéthique :
– sensibiliser les porteurs de projet au questionnement éthique
– susciter la prise en compte de l’évaluation de risques éventuels et de leur contrôle : principe de responsabilité et de précaution
– favoriser la transparence et la communication vis-à-vis de l’extérieur et de la société civile autant que nécessaire." (communiqué de Feuerstein, le 21 février 2002.)
Sensibiliser, susciter, favoriser : on voit qu’il n’y a rien là de contraignant et que les cas de conscience pèseraient léger face au poids de l’or. Que dans ce groupe pluridisciplinaire ne siégeraient que des pairs scientifiques, tout à la fois juges et parties. Et qu’en fait ce "groupe bioéthique" serait juste l’inverse : un groupe de biotrafic pour interdire au simple citoyen (l’extérieur et la société civile), le contrôle direct de ses affaires.
Si un comité local d’éthique est quelque chose de plus qu’un simple groupe bioéthique, notons qu’il aura fallu des mois de critique pour aboutir à cette évolution sémantique : hommage du vice technocratique à la vertu démocratique. N’est-ce pas pour rapprocher science et société, pour développer une science de proximité (comme la police), et citoyenne (forcément citoyenne), pour renforcer le débat public sur les grands choix scientifiques et technologiques, que R.G Schwartzenberg, ex-ministre de la Recherche, proposait le 12 novembre 2001 de "créer des comités d’éthique consultatifs pour avis sur les recherches effectuées quand celles-ci peuvent poser des problèmes particuliers (OGM, nucléaire civil, etc)" ?
Mais si l’on suit Roger-Gérard, les comités d’éthique - consultatifs - devraient grouiller ! Rien qu’à Grenoble, combien de dizaines de labos se livrent à des recherches pouvant poser des problèmes particuliers. Le CRSSA par exemple, avec ses études sur les radiations, les virus et les toxiques. L’Institut de Biologie Structurale et l’Institut Jean Roget, avec leurs labos P3. Le Centre d’Etudes Nucléaires, l’Institut Laue-Langevin, Minatec, le futur Nanobio, sans compter nombre d’unités de l’Inserm, du CNRS et de laboratoires privés ! On voit bien que tout le personnel éthique de Grenoble (prêtres ? Sages ? Politiciens ? Citoyens éclairés ?) ne suffirait pas à peupler cette pléthore de comités - ou bien faudrait-il fonder une nouvelle profession, une nouvelle fonction publique d’éthiciens diplômés, rétribués à prix d’or pour les mettre à l’abri de la corruption ? Et cette impossibilité matérielle trahit la fumisterie du verbiage éthique. Moins on en fait, plus on en parle. Au mieux les comités d’éthique signalent par leur simple existence la nocivité d’une activité aux yeux des plus niais. Au pire, ils travaillent l’opinion publique pour lui faire accepter à l’usure ce qui d’abord la révoltait.
Qu’est-ce que ce Comité National d’Ethique où trône un Axel Kahn, biologiste vendu à Aventis ?
Qu’est-ce que ces lois de bioéthique que l’on révise tous les cinq ans "pour tenir compte de l’avancée des recherches" ? C’est à dire pour entériner les faits accomplis ?
A quoi bon un comité d’éthique pour Biopolis, quand cet "hôtel d’entreprises" n’est qu’un maillon "dans une stratégie globale et harmonisée" à l’échelle de l’agglo, planifiée par le techno-gratin pour survolter son expansion et sa domination ? Et c’est donc l’ensemble de cette stratégie, dont la Métro est un appareil directeur, qu’il faut juger et combattre en termes politiques.
Marcherait-on dans la combine éthique que Feuerstein et Cie ne susciteraient que la plus vive répulsion sur le sujet, l’expulsion des gitans balayant les derniers doutes quant à la bonne foi des drôles. Entendez la vibration éthique dans les propos de Thierry Vernet, directeur de labo à l’Institut de Biologie Structurale, membre du conseil scientifique de Protéin’Expert, et venu avec Feuerstein défendre Biopolis au conseil de la Métro le 8 mars : "Nous disposons de la base scientifique - une mine d’or - et il suffit de prendre une pioche pour creuser." (Présences, mensuel de la Chambre de Commerce et d’Industrie, mai 2002.)
"Pour réussir dans la création d’entreprises biotechs, il faut être multiculturel : les chercheurs doivent s’immerger dans le management", juge Emmanuel Drouet, professeur à l’Université Joseph Fourier." (ibid)
Okey, donnons un exemple multiculturel de management.
Depuis sa mise sur le marché en 1994, la Stavudine (un médicament anti-sida) a rapporté 292 millions d’euros à l’Université de Yale, représentant 90 % des royalties engrangées par celle-ci. Les universités américaines sont en effet propriétaires de leurs inventions, même si, à Yale comme ailleurs, 80 % des budgets de la recherche biomédicale sont financés sur fonds publics. Yale rétrocédant à l’inventeur de la Stavudine 30 % des redevances perçues ("une mine d’or"), quoique ce chercheur ait été dûment salarié pour son travail. En février 2001, Médecins Sans Frontières demande à Yale l’autorisation d’importer une version générique de la stavudine - trente-quatre fois moins chère - pour soigner les malades sud-africains. Yale refuse de renoncer à son brevet pour ne pas heurter ses relations avec le géant pharmaceutique Bristol-Myers Squibb (BMS) qui produit et commercialise la stavudine. La compagnie sponsorise en effet chaque année à Yale le symposium BMS ainsi que le Graduate Student Research Symposium, qui aide les diplômés en sciences médicales à rencontrer leur futur employeur. Des cadres dirigeants de chez BMS ont exercé de hautes responsabilités à Yale et la compagnie a financé des programmes de recherche sur la maladie d’Alzheimer, le cancer, le sida, etc…("Il suffit de prendre une pioche pour creuser") (cf Le Monde Diplomatique, février 2002)
Ethique Feuerstein à propos de Biopolis : "Il s’agit aussi d’une initiative porteuse de développement économique et d’emplois pour l’agglomération grenobloise. En tant que Président d’Université, et formateur, je suis soucieux du devenir des 4600 étudiants qui sont formés dans ces domaines. Ils ont aujourd’hui des difficultés d’insertion professionnelle et ils sont obligés, pour certains, de s’expatrier. (à Yale ?)" (Communiqué de l’UJF, le 21 février 2002)
Loyal Migaud à Objectifs Rhône-Alpes (avril 2002) : "…Rien qu’à Grenoble, on a 4600 étudiants qui étudient les biotechnologies. C’est toujours dommage de voir les jeunes chercheurs s’expatrier. Bref, je suis convaincu que les biotechnologies sont un secteur économique émergent mais très prometteur."
En effet, mieux vaut garder au pays ces jeunes chercheurs républicains, afin de piocher l’or du filon biotechnologique, notamment le marché du cancer qui grâce à un environnement propice (trafic routier, incinérateurs à déchets, industrie chimique, eau chlorée, additifs alimentaires, etc), est un secteur économique plus qu’émergent et prometteur.
Un détail donnera la mesure des préoccupations éthiques de Feuerstein, démocratiques de Migaud. Malgré l’inquiétude que soulève Biopolis et avant même que ne soit conclue la parodie de débat à la Métro ; celle-ci prévoit déjà d’en doubler la surface au sol construite "lorsque le PIG (plan d’inondation) sera levé autour de 2005-2007." C’est-à-dire que ne pouvant modifier les risques, elle se contente d’en modifier la définition.
Dans ses interventions publiques depuis quelques semaines, Raymond Avrillier, élu Ades à la Métro (et tombeur de Pinocchio) appelle à "remettre de la démocratie dans la science" (cf Objectifs Rhône-Alpes, avril 2002.) Ce mot d’ordre tardif, emprunté à un ouvrage universitaire, ne laisse pas d’étonner. Pour remettre de la démocratie dans la science, il faudrait qu’il y en eût hors la science, que nous soyions en démocratie, et non pas en technocratie. Ce n’est pas "la science" qui a décidé de lancer Grenoble dans la filière biotechnologique, mais Michel Destot et "120 présidents d’université, chefs d’entreprises de pointe et directeurs de laboratoires du creuset grenoblois." (Le Daubé. 22/11/97) Ce n’est pas "la science" qui a décidé la création de Biopolis, Minatec, Crolles II, "cette stratégie globale et harmonisée" suivant Feuerstein, "ce modèle de développement grenoblois" selon Vincent Comparat (Le Rouge et le Vert n°84), chercheur écolo-nucléaire et membre de l’Ades ; mais l’ensemble du techno-gratin où fusionnent les apparatchik politiques (Migaud, Micoud, Destot), économiques (Fellat-Pinet, start-up, ST Microelectronics) et scientifiques (Therme, Feuerstein, Joyard).
Aussi est-il oiseux de distinguer comme le font Raymond Avrillier et Maryse Oudjaoudi (Ades et Verts) entre ce qui serait "dangereux" à Biopolis (les manipulations génétiques), et les "technologies de pointe intéressantes" (résonances magnétiques, diagnostics par ordinateurs, imagerie médicale).
En clair, nous ne sommes pas face à un problème d’éthique, où les dérives dangereuses de la science exigeraient un sourcilleux contrôle des élus, mais face à un choix de société ; dans un champ politique où le techno-gratin peut tout ce qu’il veut (et bien sûr, modeler à son image l’Y grenoblois), quand les techno-serfs ne peuvent que subir leur technification accélérée, leur métamorphose en techno-rats, puis en roborats, comme y travaillent nos chercheurs républicains. C’est dans ce sentiment d’impuissance, dans ce mépris des élus et de la démocratie dite représentative, qu’il faut chercher la raison de cette massive grève du vote à Grenoble (56 % de non-inscrits, d’abstentionnistes, de votes blancs ou nuls le 21avril), qui effare, paraît-il, Raymond Avrillier (cf Le Daubé. 20/05/2002).
S’il tenait tant à "remettre de la démocratie dans la science", qui l’empêchait de mettre sur la place publique ces documents Biopolis, profus et détaillés, qui circulent depuis 1998 à la Métro ? - sinon une fâcheuse tendance à la rétention anale, une certaine avarice de pouvoir - car l’information c’est le pouvoir.
Il lui était facile, à lui et à tous les belu-e-s de l’Ades de nous alerter sur Minatec, Nanobio et Cie. De nous avertir des projets que le techno-gratin avait pour nous, au-delà de la simple dénonciation des risques (chez Rhodia, par exemple). N’est-ce pas "pour avoir accès aux dossiers", pour "sortir les dossiers", que les belu-es de l’Ades prétendent régulièrement à nos suffrages ? (Eux, les Verts et autres "alternatifs"). N’est-ce pas sur cette promesse d’être nos yeux, nos oreilles, les porte-parole des simples citoyens qu’ils se présentent aux élections ? Que nombre de concours leur furent spontanément apportés pour "tomber" Pinocchio par exemple, et parader à la tribune de la municipalité plurielle ?
Rendons-leur publiquement cette justice : depuis un an que l’on s’obstine à les aviser et à leur arracher des informations sur Biopolis et Cie ; ils ont été d’une parfaite solidarité de gestion avec leurs collègues, respectant scrupuleusement l’omerta des décideurs ; et d’une parfaite surdité envers les mécontents.
Et voilà comme croyant servir la contestation, on sert via ces agents doubles au renforcement de la domination.
Mais peut-être n’est-on pas assez audible ? Peut-être les "coups partis" (Cargo, Europole, Grand Stade, Minatec…) "imposent-ils leur logique", comme le dit Vincent Comparat (Le Rouge et le Vert n°83). Dans ce cas, que valent les rituels appels "à la vigilance" de belu-e-s qui en sont à leur troisième mandat municipal, s’ils ne voient pas même "partir les coups" ? Ni plus ni moins que leurs professions de foi "écologiques, démocratiques et solidaires" lorsqu’ils soutiennent de leurs votes, ou d’opportunes abstentions, la construction du multiplexe Chavant ou celle d’un grand stade de foot. Quitte à opérer des reculades entortillées sous le tollé de l’opinion. Ni plus ni moins que l’incinération de farines animales à la chaufferie de la Poterne ou le déplacement à la campagne des usines d’engrais et d’insecticides du Pont-de-Claix. Que des voisins se plaignent dans le premier cas, et l’Ades dénonce le syndrome Nimby (Not In My Backyard/Pas dans ma cour). Que l’Ades verse dans le même syndrome, dans le second cas, et voilà du développement durable.
Ainsi s’éclaire cette alliance contre-nature, littéralement, entre le PS et son croupion vert. Entre les nucléaristes et ceux qui réclament des pastilles d’iode pour les voisins des sites nucléaires. Entre les fauteurs de nuisances et les gestionnaires de nuisances. Entre ce gros proton de Destot et ce gluon de Kermen. Qu’après six ans d’embrassades haineuses, le plus sérieux grief que les écolo-citoyens puissent adresser audit proton soit "le cumul des mandats", en dit long sur leur réelle similitude. Sans doute guignent-ils ces mandats cumulés mais - grenouillots ! - un Destot à plein temps serait une catastrophe écologique pour une cuvette déjà saturée de risques et de maux divers !
D’où cette idéologie technico-étatiste, dominante dans toute la cuvette et dont le courant écolo-Frapna-Ades constitue la bonne conscience. Tel la charité des épouses d’industriels au 19e siècle. On collabore toute la semaine au CEA, chez HP ou à Elf Atochem et l’on pérore le week-end sur la démocratie participative et le développement durable. Ainsi, toute contestation est circonscrite d’emblée à la dénonciation des excès ou dérives ; et ravalée via le jeu des alliances électorales. (L’Ades avec GO, GO avec le PS, etc.) Les protestations restent platoniques et si le courant écolo enfle depuis trente ans, c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu, que face à l’accélération des catastrophes s’exprime un reste d’instinct de conservation. Toujours en retard sur le fléau. Hier le nucléaire, aujourd’hui l’effet de serre, le transgénique, l’empoisonnement de l’air et des aliments. En trente ans, le courant écolo n’a rien gagné que des voix et des postes pour ses représentants. SuperPhénix par exemple, s’écroulant sous le poids de son impossibilité technique et financière. Ecroulement habilement présenté par le gouvernement socialiste comme une concession aux écolos, leur offrant une pseudo-victoire pour les flatter et flatter leur base, tout en détournant sur eux l’ire des électro-poujadistes (EDF, CGT, élus et commerçants du canton).
Les meilleurs élus du monde ont des intérêts distincts, voire contradictoires avec ceux des électeurs. De plus en plus mal élus d’ailleurs, ce sont des Despotes à Durée Déterminée, sans mandat impératif, tandis que le despotisme lui-même est à durée indéterminée. Si les importants de la Métro prenaient au sérieux leur posture républicaine, il leur serait facile d’organiser un référendum local sur le développement des bio-nano-technologies à Grenoble, au lieu d’agiter l’épouvantail Le Pen pour imposer une sorte d’état d’urgence. Et peut-être verrait-on que cette technification de la cuvette ne s’accomplit qu’avec l’accord actif ou passif de ces masses républicaines. Si les alternatifs rouges et/ou verts prenaient au sérieux leur pose démocratique, il leur serait facile de combattre ici et maintenant les pires développements du techno-capitalisme, au lieu de toujours se précipiter dans toutes les diversions d’actualité ou de routine. Et l’on verrait peut-être que ce monde-ci ne va pas si mal à nos propagandistes d’un autre monde.
Sans doute ces protestations de simples citoyens sont-elles vouées à l’échec, ainsi qu’il ne manque pas de gens pour le dire (certains pour s’en réjouir), mais si l’échec nous est réservé, au moins aurons-nous fait en sorte de ne pas y acquiescer d’avance comme tant d’autres.