C’est la rentrée.
Bob Destot revient de la Silicon Valley (la vraie), où il a tenté de faire oublier les 1,8 millions d’euros versés par les collectivités locales pour attirer Hewlett Packard en Isère. Comme s’il n’avait pas voulu, lui et ses collègues, faire de "l’Y grenoblois", une technopole de compétitivité etc.
Comme si cette "compétitivité" n’entraînait pas de périodiques vagues de licenciements, délocalisations, absorptions, fermetures - bref le jeu normal de l’économie, "licenciements boursiers" compris -. Drôle d’ingénieur-maire, ce Bob Destot qui fait mine de découvrir les règles du jeu. Nous n’avons pas de jérémiades à répandre sur les troubles de croissance de Hewlett-Packard, STMicroelectronics, Schneider, de toutes ces entreprises qui ayant empoché l’argent public, se vouent au saccage et à la technification de la cuvette grenobloise. Nous avons trop à faire le bilan social, écologique et sanitaire de leurs malfaisances.
Pour autant PMO n’est pas devenu une organisation, un parti, un syndicat, une association même. Depuis quatre ans le site www.piecesetmaindoeuvre.com glane, compile et met en lien les informations disponibles pour tout un chacun, rien de plus, rien de moins. Une activité à la portée de tous, qui ne nécessite d’autres moyens qu’une paire de ciseaux, un papier, un crayon et un peu de jugeotte. De simples citoyens si peu organisés, si peu outillés, si peu avides de personnalisation, ont fait apparaître en "une" des journaux et des agendas politiques la question des nanotechnologies, que les responsables se gardaient de mettre en lumière par crainte d’un "scénario OGM" bis, et que les opposants officiels - écologistes, altermondialistes, anti-capitalistes, etc - ignoraient ou feignaient d’ignorer.
En somme, une mouche devant un attelage pressé. Mais une mouche de trop pour les décideurs, pour les élus socialistes si attachés aux valeurs démocratiques et humanistes en Palestine et en Irak.
Un marteau-pilon contre des moustiques
Ayant fui la cuvette et ses pics de pollution, nos lecteurs auront peut-être manqué les grands moments de politique locale de cet été. Brève chronique de rattrapage.
– Chacun sait que depuis quatre ans, 25 jeunes gens menaçaient la politique de logement social de la mairie de Grenoble en occupant les maisons abandonnées de la traverse des 400 Couverts. Un four à pain, des repas de quartier, une salle de spectacle, un jardin potager, une bibliothèque, des salles ouvertes aux artistes indépendants, associatifs en manque de locaux ou groupes de discussion, et des logements réhabilités par leurs habitants eux-mêmes - les 400 Couverts vivaient. La Ville a choisi le 2 août pour éliminer cette anomalie, et un plan d’action à la hauteur : 200 CRS armés, des agents en civils cagoulés, la grande échelle des pompiers, le bouclage complet du quartier, les béliers pneumatiques, un camion-nacelle ont eu raison de la bande de mômes réfugiée sur les toits de ses maisons. Du travail de professionnels.
– Après l’expulsion des accrobranchés et l’abattage des arbres du parc Paul Mistral, en février 2004, la Ville et la Métro s’étaient félicitées de cette « victoire de la démocratie ». Depuis, le chantier du méga-stade de foot se poursuit démocratiquement. Restait un problème : l’orme antique, préservé sur promesse de Destot et Migaud, narguait l’un et l’autre, dressé sous les fenêtres du premier, à quelques encablures du bureau du second. Ça ne pouvait plus durer. Le risque-zéro-n’existant-pas, les élus ont préféré appliquer le principe de précaution. Ils ont fait abattre le récalcitrant le 30 août. Et, pour l’exemple, ont descendu dans la foulée le gingko biloba voisin, initialement promis à une mise en terre dans un autre coin du parc. La sécurité n’a pas de prix.
– Le site Pièces et Main d’Œuvre, on l’a dit, diffuse depuis quatre ans une information accessible à tous. Ça ne se fait pas. C’est en substance ce qu’a expliqué la police judiciaire à la personne de PMO qu’elle a interpellée à son domicile le 6 juillet au matin. Perquisition, saisie de documents et d’ordinateur, garde à vue d’une journée dans les locaux de l’Hôtel de Police répondaient à la plainte contre X déposée par la Métro dans l’affaire du faux Métroscope. Bien que PMO ait toujours nié son implication dans la réalisation de ce document, il est le seul à avoir été inquiété sur cette question. Avant de la libérer sans suite, la police a menacé la personne gardée à vue de tracasseries policières à la moindre opposition contre les nécrotechnologies dans la cuvette, d’où qu’elle vienne et quelque forme qu’elle prenne, et a conseillé de fermer le site.
Pas de détail contre les indésirables : on ne viendra pas dire après ça que nos élus n’ont pas de pouvoir.
Une semaine plus tard l’un des organisateurs du débat anti-nanotechnologies du 17 juin dernier était à son tour convoqué par la police judiciaire, pour le même dossier.
A ce jour, un ordinateur est toujours confisqué, sans indication de date de retour.
"Une fois la polémique passée, tout le monde reconnaît que ce sont autant de réussites" (M. Destot)
Eliminer les adversaires - fussent-ils minoritaires - n’est pas suffisant pour nos élus. Ce qu’ils aimeraient, au fond, c’est notre assentiment unanime et spontané à leur projet de technification du monde. Quitte à y mettre le prix.
98 365,90 € HT pour être précis. C’est le budget du forum "Sciences et Démocratie" organisé par la Métro les 16 et 17 juin derniers à la MC2 (budget voté à l’unanimité, y compris les voix des écotechs Ades, Vincent Fristot, Christine Garnier et Raymond Avrillier). Un talk show à grands effets pour nous vendre Minatec, Crolles 2, Nanobio, Minalogic - chantiers déjà réalisés ou en cours - et plus largement la course à la Croissance techno-industrielle qui doit nous conduire d’ici 2020 à survivre dans une "continuité urbaine" de Genève à Valence, ce fameux "ruban technologique de l’arc alpin" que l’urbanisation intensive doit permettre de repérer par satellite.
100 000 €, des experts nationaux, des "grands témoins" - dont tous ne furent pas au rendez-vous - une salle de 1000 places à la MC2 - rarement remplie au-delà du tiers - des affiches et annonces presse, la « une » du Métroscope de septembre : quelle mobilisation de moyens, de cerveaux, de logistique coûteuse ! Pour quoi au fait ? Etouffer l’agitation née d’un « site de bricolage pour la construction d’un esprit critique à Grenoble », qui diffuse des informations publiques. Faut-il que ces données posent problème à ceux-là même qui les produisent pour déclencher une telle machinerie.
Ça n’est pas tout. Ce jeudi 22 septembre nous avons droit à une nouvelle démonstration, dans le cadre des "Jeudis du Projet d’agglomération" (à 18h30 à l’Institut de Géographie Alpine, 14 bis avenue Marie-Reynoard). Nous y retrouverons Pierre-Benoit Joly (sociologue expert en "démocratie technique" et en "gestion des crises" à l’INRA) et Claude Gilbert (spécialiste des risques technologiques à l’UPMF), qui présenteront les conclusions de l’étude commandée par la Métro sur le thème : "Science et technique : comment mener le débat permanent dans l’agglomération grenobloise". Montant de la commande : 15 600 € versés à l’INRA.
Les "experts en concertation" doivent exposer :
– "Un inventaire des forces en présence, des questionnements ;
– Un bilan des retombées de la communication initiée sur les projets à forte valeur technologique ;
– Un dispositif expérimental de participation à la définition de l’action publique."
A quoi cela rime-t-il, au juste ?
"Les forces en présence" : d’un côté de simples citoyens sans moyens mais en alerte et en colère devant l’inacceptable - les nanotechnologies et leur projet de monde-machine sous surveillance permanente ; de l’autre des élus socialistes et écotechs au pouvoir dans toutes les collectivités locales (mairie de Grenoble, Métro, Conseil général, Conseil régional), associés aux décideurs scientifiques et industriels, bardés de budgets de communication, d’agences de publicité, assistés des forces de police. L’inventaire est vite troussé, et chacun peut constater avec quelle réactivité les responsables répondent au plus petit aiguillon.
En juin dernier, Pierre-Benoit Joly avait contacté PMO pour une "audition", naturellement refusée, PMO n’ayant rien à dire aux experts chargés de rendre acceptable l’inacceptable. Le même Joly avait alors proposé son « résumé » des enquêtes de PMO sous forme de trois courts paragraphes "copiés-(mal) collés", indignes d’un lycéen.
Mais qu’importent à nos décideurs les fiascos politiques et les pertes de face publiques, ils ont tout leur temps et notre argent pour mener autant de campagnes de communication que nécessaire.
La seule force susceptible de modifier cette trajectoire désastreuse serait les habitants de la cuvette. Sans doute ils peuvent peu. Mais ils peuvent au moins s’occuper de ce qui les regarde, savoir et faire savoir.
Grenoble, le 21 septembre 2005