En librairie : Les Esperados et La vie dans les restes, par Yannick Blanc. Voir ici.
Blanc-Bec se promène sous le col de Vouivre entre l’Âge de Pierre et celui du Silicium. Entre Quairn et Le Sappin. Suivant l’heure et l’humeur, on y croise des êtres qu’on ne voit guère d’habitude, et qui passent sans vous voir, ni se voir entre eux. Des gens qui se croient nés d’ici, de l’humus et de l’humidité ; et c’est pourquoi ils se nomment les Humains, ou les Gendicis. Mais bien sûr, c’est une construction. Attendez un peu que des déconstructeurs leur disent leurs quatre vérités. Ils feront un peu moins les fiers, ces essentialistes !
En attendant, il leur faut bien produire leur pain quotidien - un kilo, un kilo et demi par bouche et par jour. Comptez une grosse journée pour moudre six à sept kilos de farine. Donc, une femme par famille, à plein temps, puisque le broyage du grain relève de leurs tâches nourricières, tandis que la fabrication des meules incombe aux hommes.
Il leur faut bien creuser des carrières et des mines pour extraire les pierres et les métaux nécessaires à la fabrication des meules, molettes et moulins. Comptez des dizaines, puis des dizaines de milliers d’esclaves pour creuser les gisements et tourner les roues des moulins à sang. Voici donc une chaîne de production et une filière industrielle datant de cinquante siècles. Au temps pour la bouleversante percée de ce tout récent concept d’« extractivisme ».
Heureusement, voici Quintus Candidus Benignus, l’ingénieur qui vers l’an 100, conçoit la meunerie industrielle d’Arelate (« Devant le marais »), équipée d’un moteur hydraulique activant huit paires de roues à la fois et produisant 4,5 tonnes de mouture quotidienne. Ce n’est désormais qu’une question de temps avant que tous les cours d’eaux ne soient domestiqués, artificialisés, transformés en fluides énergétiques afin d’alimenter la Machinerie générale.
Entretemps, il en est passé des gens sur les bords de la Vouivre, des tueurs, des mutants, des paysans bruns que l’on nomme Ligures, des envahisseurs blonds que l’on nomme Allobroges (« Ceux d’Ailleurs »), des conquérants venus de la Ville (Urbs) que l’on nomme Romains, des prêcheurs venus d’Orient que l’on nomme Juifs, puis Chrestiens, des maîtres, des esclaves, des artisans, des marchands, des prêtres, des rurbains, des télétravailleurs, etc. Mais qu’importe les péripéties guerrières, politiques, sociales ou religieuses ; il n’y a d’histoire que celle des sciences et techniques, tantôt freinées, tantôt accélérées par ces péripéties, mais toujours victorieuses dans leur perpétuelle conquête de la toute-puissance.
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