Dans un livre paru en 2007, préfacé par Serge Halimi (Le Monde diplomatique) et encensé par Jean Birnbaum (Le Monde), le journaliste américain Thomas Frank se demandait Pourquoi les pauvres votent à droite. Réponse selon nos trois journalistes de gauche : "le coup de génie des conservateurs : d’un côté, ils se sont réapproprié un thème largement abandonné par les démocrates, celui de la juste fureur des "masses" contre les élites ; de l’autre, ils ont substitué la "guerre culturelle" à la lutte de classes. Les valeurs d’abord ! "Ce qui divise les Américains, ce serait l’authenticité, et non quelque chose d’aussi complexe et dégoûtant que l’économie" (...). D’où la marginalisation des thèmes propres à la gauche (salaires, protections sociales…) et le triomphe d’enjeux touchant à l’avortement, à la religion, bref aux "modes de vie"."
Dans son éditorial de janvier 2014, Serge Halimi déplore une fois de plus la convergence entre socialistes et libéraux, qu’il fait remonter au "tournant de la rigueur" (1983) : "Quand, à partir de 1983, la gauche a rendu les armes sur les questions économiques et rompu le lien avec son histoire révolutionnaire, elle a tenté d’y substituer une utopie européenne, universaliste et antiraciste, un mélange d’Erasmus et de « Touche pas à mon pote » décliné par une camarilla d’artistes et de journalistes. À présent, ces leviers sont cassés ; ils sentiraient le procédé."
Autrement dit, on voit que la gauche a non moins manipulé les valeurs et les questions de modes de vie que la droite, et pour les mêmes raisons. Les deux partis centraux des classes centrales (qui représentent à eux seuls deux Français sur trois et 90 % des parlementaires) pratiquent au détail près la même politique. Non pas depuis 1983, mais depuis 1974. Cette politique a un nom : le libéralisme avancé. Economiquement libérale, "avancée" en matière sociétale.
La seule mesure marquante du quinquennat Hollande à ce jour est le mariage homosexuel. Les valeurs d’abord ! Les choses aussi "complexes et dégoûtantes que l’économie" (salaires, protections sociales...) ne sont pas plus l’affaire de la gauche que de la droite. Celles-ci n’ont plus comme signes de progressisme que l’innovation technologique et les réformes sociétales. D’abord on enrage le peuple, puis on l’accuse d’avoir la rage pour s’en débarrasser.
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