En librairie : De la technocratie. La classe puissante à l’ère technologique, par Marius Blouin (Service compris, 2023) et Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme, par Pièces et main d’oeuvre, nouvelle édition (Service compris, 2023)


Qu’aurait pensé le philosophe Antonio Gramsci (1891-1937), cofondateur du Parti communiste italien (1921), de l’artificialisation et de la marchandisation de la reproduction humaine, telles qu’elles se développent aujourd’hui, en attendant de devenir la norme ? Que pensait-il de l’eugénisme/transhumanisme, déjà hégémonique de son temps, parmi les biologistes et les adeptes du « socialisme scientifique » (Trotski, Bogdanov & Cie) ? Il se trouve que le petit bossu à grosse tête a publié là-dessus, en 1918, un article que nous remettons ici en circulation.
L’occasion de rappeler quelques épisodes et personnages de cette parabole d’un siècle ; depuis le projet de prélever et de fournir des organes reproductifs à des personnes stériles, jusqu’à l’émergence récente des greffes d’ovaires, d’utérus, trompes de Fallope, etc. Non seulement Gramsci aurait été révulsé par la GPA, apparue, semble-t-il, en 1986 [1] ; mais il n’aurait pas accueilli sans malaise les « étranges monstres biologiques, créatures d’une race nouvelle, marchandises eux aussi, produits naturels de l’industrie des humains de substitution » : FIV, DPI, machinations génétiques, etc. Ce n’est évidemment pas le cas des journalistes et experts du Monde et du Monde diplomatique, partisans comme on le verra ci-dessous d’un eugénisme « de gauche », pour tous et toutes, pris en charge par le service public. Une position d’autant plus altruiste que leur lectorat – la base sociologique de la social-technocratie – se recrute massivement parmi les CSP + et ++. Loin devant celui des Échos et du Figaro, comme s’en vantent leurs services publicitaires. Merci Gramsci de nous faire penser et chercher par nous-mêmes.

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Notre ami Istrixistrix, traducteur de l’édition italienne du Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme, nous a rappelé un article d’Antonio Gramsci (1891-1937) ; philosophe et théoricien, cofondateur du Parti communiste italien (1921).

Gramsci vit alors à Turin où il anime un cercle d’éducation ouvrière et participe à l’insurrection d’août 1917 – vaincue après cinq jours de combat, 500 morts et 2000 blessés. Il en tire un Rapport sur le mouvement turinois des conseils d’usine, adressé en 1920 à l’Internationale communiste. En 1918, le jeune homme (27 ans) tient une chronique intitulée « Sotto la mole » (« Sous la masse »), dans Avanti !, le journal du Parti socialiste italien ; aperçus lucides et caustiques du monde et du temps vus de Turin. C’est dans « Marchandise », son article du 6 juin 1918, qu’il se livre – quelle surprise – à une critique anticapitaliste de la science (voir ci-dessous l’article et sa traduction par nos soins). On connaît la thèse :

« La science a le devoir désintéressé de chercher des rapports nouveaux entre les énergies et entre les choses. Elle ne faillit que lorsqu’elle devient charlatanerie. Les hommes se servent des découvertes pour tuer et massacrer au lieu de se défendre du mal et des forces aveugles de la nature ? Entre en jeu une volonté étrangère à la science, qui n’est pas désintéressée, mais dépend intrinsèquement de la société, de la forme de société où l’on vit. La découverte scientifique subit le sort commun de tous les produits humains en régime capitaliste ; elle devient marchandise, objet d’échange et se plie donc à la plupart des fins propres à ce régime, au massacre et à la destruction. »

C’est donc la volonté de profit, la marchandisation, qui dévoie la science selon Gramsci. En elle-même, cette dernière est aussi ambivalente que l’agriculture ou la calligraphie. On ne condamne pas la première si quelqu’un se sert d’une pioche pour fracasser un crâne. Ni la seconde qui peut tout aussi bien servir à falsifier des écritures qu’à expédier des lettres anonymes. Cependant ses exemples suivants ne manquent pas de troubler son raisonnement. Gramsci est contemporain d’Alexis Carrel (1873-1944), le célèbre chirurgien eugéniste [2], prix Nobel 1912, et pionnier des greffes d’organes. Déjà un zoologiste comme Edmond Perrier – alors président de la Société française d’eugénique – et le Pr Laurent envisagent de remplacer un cerveau par un autre, les organes malades des vivants (cœur, foies, reins, etc.), par les organes sains des morts.
Autant de prouesses aujourd’hui banalisées – enfin presque. Si le professeur Dubernard (1941-2011), disciple revendiqué d’Alexis Carrel, réalise une première greffe de visage en 2005, il est vite concurrencé par son jeune collègue, Laurent Lantieri, qui réalise, lui, en juin 2010, la première greffe totale de visage, et 7 des 36 greffes de visage dans le monde, à ce jour. Mais le visage n’est pas la tête. Sergio Canavero, compatriote d’Antonio Gramsci et neurochirurgien à Turin, tombe à 16 ans sur un article consacré à l’Américain Robert White (1926-2010), qui en 1970, avait transplanté la tête d’un singe sur le corps décapité d’un autre singe. « – Quoi !? (…) Mon destin était scellé, il fallait que je fasse une greffe de tête humaine. » Monkey sees, monkey does.

« Le surnom de Frankenstein arrive vite et Sergio Canavero est attaqué sur des points éthiques. Le coût énorme de l’opération (entre 10 et 100 millions de dollars – 8,7 à 87 millions d’euros – suivant le pays où elle sera réalisée ) ne la réservera-t-il pas à une caste de milliardaires à l’agonie, seuls à même de s’offrir une rallonge de vie ? Cela ne va-t-il pas entraîner un trafic de corps ou priver certains patients d’organes alors que les donneurs sont déjà en nombre insuffisant ? Quel sera l’impact sur l’identité de la personne recevant un nouveau corps ? Quid de la descendance si la personne utilise les gamètes du mort pour avoir un bébé ? Etc.
L’éthique n’est pas le problème de Sergio Canavero : "Je suis un technicien. Je propose quelque chose. Vous en discutez et vous décidez si c’est bien ou mal" (…) C’est d’ailleurs de Chine que Sergio Canavero – sans affectation depuis qu’il a quitté son poste de neurochirurgien à Turin – a reçu son plus grand soutien, en la personne de Ren Xiaoping, de l’université de Harbin. Tous deux ont mené plusieurs expériences et notamment, en 2017, la première greffe de tête humaine réalisée sur des cadavres. [3] »

Peut-être envieux de tout ce tapage, Laurent Lantieri, « l’auteur de la première greffe totale de visage » et professeur de chirurgie plastique à l’université Paris-Descartes, consent à critiquer son confrère :

« Je ne plonge pas dans les grandes questions métaphysiques, souligne-t-il. Je n’aborde que les aspects techniques et je constate que beaucoup de problèmes sont loin d’être résolus. Cela commence par la réparation de la moelle épinière. Hormis une série sur des rats dont un s’est mis à remarcher, il n’y a pas d’expériences sur de grands animaux. Il est donc difficile de faire le pont jusqu’à l’homme.
Laurent Lantieri poursuit de manière précise et implacable : "Il n’est pas clair non plus sur la motricité du diaphragme, car le nerf phrénique, qui permet de respirer, descend le long du cou. Quant au protocole immunologique, il ne fait l’objet d’aucune phrase. Or le donneur va léguer une grande quantité de moelle osseuse et le corps fera tout pour rejeter la tête. Je ne vais pas dire que la greffe n’arrivera jamais, mais ce que Sergio Canavero présente est très en-deçà de ses prétentions. Je ne dis pas non plus que c’est un fou mais on peut se demander si c’est un vrai scientifique ou un fantaisiste" [4]. »

Sergio Canavero qui annonce une publication prochaine sur le singe, se contente de répondre : « Suis-je un pionnier ? En tout cas je suis quelqu’un qui veut refaçonner l’avenir, car les humains sont une expérience ratée, des créatures ratées [5]. »
« Refaçonner l’humain, cette créature ratée », c’est ni plus ni moins que l’énoncé du projet eugéniste/transhumaniste. Le terme de « créature » renvoyant par ailleurs à celui de « créateur ». L’histrion Canavero comme tous ses confrères transhumanistes – croyants ou non – ambitionne la toute-puiscience divine. Ni plus, ni moins que « le pur technicien » Laurent Lantieri qui « ne plonge pas dans les grandes questions métaphysiques », ou leurs prédécesseurs, Jean-Michel Dubernard, Alexis Carrel et tutti quanti.

Devenus objets d’échanges, les organes sont du même coup devenus des marchandises, souligne Gramsci. Les prolétaires désormais ne vendront plus seulement leur force de travail ou la jouissance de leur corps, mais leurs organes mêmes. Ce que n’importe quel pauvre hère ayant dû vendre, ou s’étant fait voler, un rein, peut aujourd’hui vous confirmer [6].
La gauche techno-progressiste dont Le Monde diplomatique est le canard amiral n’a toujours pas dépassé aujourd’hui les bornes anticapitalistes de cette critique. Le mensuel « altermondialiste » publie ainsi dans son numéro de janvier 2020, un article intitulé « Des riches génétiquement modifiés », par Laura Hercher [7].
Son problème ? Le problème du Monde diplomatique et de ses lecteurs ? L’inégalité d’accès à un eugénisme sournois :

« La médecine génétique et les manipulations d’ADN suscitent de nombreuses craintes. Sitôt ces mots prononcés, certains imaginent des développements effrayants, à base d’expériences qui tournent mal, de créatures de Frankenstein, de mondes dominés par des surhommes génétiquement modifiés. »

Certes le surhomme arrive sur des pattes de colombe. « D’après une étude menée en 2018 [8] par l’université de Chicago, ils (NdR : « les Américains ») seraient favorables aux interventions destinées à réduire le risque de cancer chez un enfant, mais rejetteraient la possibilité de choisir la couleur de ses yeux ou d’optimiser son intelligence. Des bébés en bonne santé, mais pas des bébés sur catalogue, en somme. »

Mais si la possibilité technique leur était offerte par les scientifiques de composer leur projet parental sur mesure ? Si d’autres le font – les Jones-d’en-face par exemple, ou les Chinois – que feront les Smith, que feront Laura Hercher et « les Américains » ? Se priveront-ils du plaisir de choisir la couleur de ses yeux ou d’optimiser son intelligence ? Priveront-ils leur produit infantile d’un avantage compétitif ?
On n’en est pas là, selon notre Directrice de recherche, qui récuse ces « scénarios lointains » de « science-fiction ». Où en sommes-nous alors ?

« Plusieurs indices laissent pourtant penser que les tests prénataux pourraient devenir un luxe réservé à une élite, transformant certaines maladies génétiques en problème "qui n’arrive qu’aux autres". (…) L’accès aux tests prénataux a ainsi modifié l’incidence de la trisomie 21 au point d’en faire un marqueur géographique et de classe. Comme les familles aisées ont de moins en moins d’enfants qui en sont atteints, il est de plus en plus associé à d’autres milieux. Il existe des milliers de maladies génétiques, et bientôt nous pourrons en diagnostiquer encore davantage pendant la grossesse. »

Quoi de neuf ? Les riches sont égoïstes, les pauvres veulent devenir riches et les découvertes de la science servent à défendre les hommes du mal et des forces aveugles de la nature.

« De nombreuses offres sont récemment arrivées sur le marché, qui permettent de dépister des centaines de maladies rares (…) Ces tests coûtent cher, et ce n’est rien à côté de ce qu’il faut débourser pour en utiliser les informations. Imaginons que M. et Mme Smith apprennent qu’ils sont tous deux porteurs du gène de l’hypophosphatasie – leurs enfants auront une chance sur quatre de naître avec des os fragiles et difformes et de mourir en bas âge. »

Ce que veut Laura Hercher, ce que veulent Le Monde diplomatique et ses lecteurs anticapitalistes – mais obtusement techno-progressistes – c’est l’eugénisme pour tous, pris en charge par la sécurité sociale. Mais voici une lueur d’espoir : « La situation est très différente quand il s’agit de choisir entre plusieurs embryons dans le cadre d’une fécondation in vitro (FIV). Ce secteur est en plein essor aux Etats-Unis, en partie grâce au test génétique préimplantatoire (Preimplantation Genectic Testing, PGT), qui consiste à prélever un petit échantillon de cellules sur un embryon à l’état précoce afin d’analyser son ADN. »
Pour éviter le triste sort des enfants Smith, il suffit que leurs parents en passent par le PGT (Diagnostic Pré-Implantatoire). « La FIV leur coûtera alors 20 000 dollars (18 000 euros) par cycle, auxquels s’ajouteront 10 000 dollars de frais de laboratoire pour déterminer quels embryons ne sont pas porteurs de la maladie. »
Pour un couple de riches, c’est peanuts. L’équivalent d’une année de frais universitaires pour leur futur produit parental. Avec en prime la possibilité d’éliminer d’autres maux (Alzheimer, maladies coronariennes), s’ils produisent assez d’embryons pour faire davantage le tri.
Le Monde, organe central de la technocratie dirigeante, par-delà ses chamailleries droite-gauche, abonde dans le sens de Laura Hercher et du Monde diplomatique. Dans M, son supplément hebdomadaire, Raphaëlle Besse Desmoulières, nous fait le portrait critique de Malcolm et Simone Collins, un couple de techies « ultra-connectés » de la Silicon Valley, déjà parents de trois enfants et qui, dans l’attente d’un quatrième, souhaitent en avoir sept. Malcolm a fait ses études à Stanford et Simone a travaillé pour Peter Thiel, fondateur de PayPal et, en vrac, homosexuel, transhumaniste et élitiste, richissime soutien de Donald Trump, de la cause LGBT et de la Singularity University.

« N’essayez pas de leur objecter qu’élever des enfants coûte cher, surtout aux Etats-Unis. (…) Mais les époux ont des problèmes de fertilité. Ils ont eu recours à des fécondations in vitro (FIV) et disposent encore d’une trentaine d’embryons congelés. Un traitement douloureux et très coûteux, rarement pris en charge aux Etats-Unis – ils ont dépensé près de 20 000 dollars (soit 18 810 euros) par cycle. "Se battre contre l’infertilité n’est pas la chose la plus drôle au monde, reconnaît Simone. Mais je suis tellement reconnaissante que cette technologie existe. Et c’est aussi génial de pouvoir sélectionner pour nos enfants ce qu’on veut leur éviter, comme les risques d’anxiété, de cancer, la schizophrénie" … [9] »

Dans leur quête du meilleur produit infantile possible, les Collins ont fait du shopping auprès de plusieurs fournisseurs dont Genomic Prediction.

« L’entreprise propose aux futurs parents, avant qu’ils procèdent à une FIV, d’effectuer des tests génétiques complexes, appelés "scores polygéniques", sur deux embryons. La promesse est d’évaluer les risques de maladies dans lesquelles interviennent de très nombreux gènes : certains types de diabète, de cancers, de maladies cardiaques ou la schizophrénie. Une fois leurs résultats en poche, les Collins ont établi un classement et choisi l’embryon qui leur semblait correspondre le mieux à leurs attentes. Pour l’enfant que Simone attend, ils prétendent être allés plus loin encore. "A ma connaissance, il s’agit du premier bébé qui sera sélectionné pour son intelligence", s’enthousiasme la mère de famille, qui refuse d’en dire plus sur ceux avec qui ils ont travaillé pour ne pas que ces derniers soient "blacklistés". "C’est encore très controversé", euphémise-t-elle [10]. »

Le problème de Raphaëlle Besse Desmoulières ? Le problème du Monde et de ses lecteurs ? L’eugénisme n’est critiquable que lorsqu’il est pratiqué par des « gens de droite ».
1) Les Collins se présentent comme « pronatalistes », « laïcs mais de tradition calviniste ». « (Ils) ont mis sur pied la Pronatalist Foundation, dont ils préfèrent taire le budget. » Une officine de documentation et de mise en relation à destination des familles pronatalistes et des entreprises de biotechnologie.
2) Les Collins sont des admirateurs de Donald Trump et d’Elon Musk. « Lui-même père de onze enfants qu’il a eus avec trois femmes, le fondateur de Space X entend s’ériger en exemple : il a donné son sperme à l’une de ses employées qui a eu des jumeaux qu’il a reconnus, a trouvé un donneur de sperme à sa sœur et a eu recours à une mère porteuse pour son dernier enfant [11]. »
3) Les Collins nous rappellent les heures les plus sombres de l’eugénisme américain dont les législations, imposant la stérilisation de certains malades et criminels, ont servi de modèles à l’Allemagne nazie. Certes, suivant la sociologue Katie Hasson, du Center for Genetics and Society, une ONG « qui milite pour une utilisation responsable des biotechnologies », « ce n’est pas la même chose que l’eugénisme de masse promu par l’État au début du XXe siècle. Il s’agit davantage d’une approche individuelle, facilitée par la technologie, mais qui pourrait conduire aux mêmes résultats. »
« Les Collins utilisent un vocabulaire qui tourne autour du droit de sélectionner des embryons et tentent de remettre cela au centre des discussions autour de la reproduction. C’est presque exactement le même type de langage que celui des eugénistes du début du XXe siècle [12] », confirme Laura Lovett, professeure à l’université de Pittsburgh.
« Il faut décortiquer leurs propos et les implications réelles de ce qu’ils disent, qui revient à expliquer que certains êtres humains sont à privilégier par rapport à d’autres et qu’en quelque sorte il faut plus de pronatalisme pour les enfants en bonne santé et moins pour les enfants avec des problèmes de santé. Volontairement ou pas, les Collins s’inspirent des idées d’extrême droite d’une manière hautement problématique », conclut Alexandra Stern, autre professeure d’histoire à l’Institute for Society and Genetics de l’université de Californie, à Los Angeles.

Bref, c’est « presque la même chose ».
L’approche individuelle permise par la technologie aboutit aux mêmes résultats que l’eugénisme de masse imposé ou promu par l’État. Alors que proposent Laura Lovett, Katie Hasson, Alexandra Stern et Raphaëlle Besse Desmoulières qui recueille et orchestre leurs critiques pour combattre l’eugénisme, individuel ou étatique ?
Interdire le DPI (diagnostic pré-implantatoire) ? Mais pour que cette interdiction soit efficace, il faudrait qu’elle soit mondiale et effectivement appliquée par tous les États sous contrôle d’un organisme global. Comme l’interdiction du trafic de fentanyl ou de technologie nucléaire. Ce qui stimulerait l’activité des laboratoires clandestins au service des riches et des puissants. Et il en serait évidemment de même de toute règlementation, vouée à être plus violée qu’une frontière entre le Nord et le Sud.
Interdire la PMA, voie d’accès au tri génétique et à l’eugénisme ? Vous n’y pensez pas ! Obscurantiste, réactionnaire et religieux ! Je dirais même plus, naturien et biocentré sinon fasciste ! Ce ne serait d’ailleurs pas plus possible que d’interdire le DPI et pour les mêmes raisons.
De toute évidence, on ne « désinventera » pas plus la reproduction artificielle de l’humain , qu’on ne « désinventera » la technologie nucléaire ou celle du fentanyl. Si la journaliste du Monde et ses expertes reconnaissent le lien de moyen à finalité entre PMA et eugénisme, elles ne critiquent nullement ce moyen. Elles ne le discutent même pas. Toute leur « mise en alerte » se réduit au soupçon de racisme et de droitisme envers les Collins – malgré leurs démentis ingénus. L’eugénisme et la PMA ne troublent pas nos lanceuses d’alerte, s’ils sont pratiqués par des diversitaires de gauche. Il ne s’agit plus alors que de science consciente, égalitaire et sociale comme la souhaiterait Laura Hercher, leur consœur du Monde Diplomatique, indignée du coût prohibitif des FIV et DPI réservés aux privilégiés de la classe classe supérieure (Blancs ? Juifs ? Asiatiques ?) :

« Pour d’autres familles, ces dépenses sont rédhibitoires, d’autant que rien n’est fait pour rendre la FIV plus accessible. Aux Etats-Unis, un peu moins de 2 % des nouveaux-nés sont conçus ainsi ; dans les pays qui assignent des fonds publics à la procréation médicalement assistée – comme Israël, le Danemark ou la Belgique –, les chiffres sont deux à trois fois supérieurs. Quarante ans après son introduction, la technique reste hors de portée de nombreuses bourses américaines [13]. »

Déplorons avec Laura Hercher la platitude des bourses américaines, et exigeons avec Le Monde diplomatique (et ses lecteurs-trices), l’instauration d’un service public de la production infantile pour tous et toutes. Gageons que la Chine et sa technocratie absolutiste seront les premières à créer ce service d’amélioration prénatale ; et à le rendre obligatoire pour tous-tes les Chinois-es. L’engendrement est une chose trop sérieuse pour la confier aux géniteurs, et d’ailleurs eux-mêmes y tiennent de moins en moins. Il y a tellement d’autres êtres plus chics, moins chers et moins chiants que les enfants, comme accessoires et créatures de compagnie. A défaut d’un tel service public, avertit Laura Hercher, les ménages modestes « sortiront à coup sûr perdants des "olympiades des maladies [14] ", ce jeu à somme nulle où les groupes de pression cherchent à orienter les fonds alloués à la recherche et aux soins vers la maladie qui les préoccupe. »

Tiens, on se demande quel est le revenu moyen des rédacteurs et lecteurs du Monde diplomatique ? Et de quelles maladies, ils aimeraient se débarrasser, eux personnellement. Non pas les étudiants en début de carrière qui font des petits boulots et s’endettent (investissent), pour obtenir des diplômes et des postes lucratifs et prestigieux. Mais toute cette corporation universitaire qui fournit les scientifiques et les idéologues, de gauche ou de droite, dont la technocratie dirigeante a besoin pour assurer et justifier sa domination.
On se demande vers quels traitements, Laura Hercher, les rédacteurs-trices et lecteurs-trices du Monde diplomatique aimeraient orienter « les fonds alloués à la recherche » ? Eux qui, haineux et envieux des « ultra-riches », des « 1% les plus riches », prospèrent sur l’exploitation des « familles modestes » et profitent du ruissellement financier nécessaire au fonctionnement du monde-machine et de ses composants.
Voudraient-ils le cœur d’un coureur des hauts plateaux ? Les poumons d’une pêcheuse de perles ? Le QI d’un génie du go ou des mathématiques ? Voudraient-ils s’incorporer leurs gènes ou ceux, encore plus performants, d’autres espèces animales ou végétales ? Ou mieux encore fabriquer les gènes désirés in vitro, sur mesure, grâce aux cellules souches et aux nouvelles techniques génétiques ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir Laura Hercher, Laura Lovett, Katie Hasson, Alexandra Stern, Raphaëlle Besse Desmoulières et à vous tous, lecteurs-trices et rédacteurs-trices du Monde et du Diplo ? – Au fait le site de la Société des Lecteurs du Monde, consulté le 2 janvier 2024, répond à nos questions.
Le Monde diplomatique compte 1,4 million de lecteurs dont 42 % des catégories sociales supérieures et +. Quant au Monde, d’après son site publicitaire, ses lecteurs seraient en avril 2022 plus nombreux que ceux du Figaro et des Échos parmi les CSP+ (912 000/jour), les CSP++ (595 000/jour), les gens d’affaires et les cadres (513 000/jour). Voilà aujourd’hui la base sociologique de la social-technocratie. Des Franco-ricains qui gémissent perpétuellement du « retard français » et propagent impérieusement l’idéologie de leurs maîtres et modèles.

S’agissant d’eugénisme, le ver était dans le fruit dès la conception de Louise Brown, le premier « bébé éprouvette » en 1978, par Robert Edwards (1925-2013), prix Nobel 2010 et partisan revendiqué de « l’amélioration de l’espèce humaine ». Toute technique est vouée à se perfectionner et à réaliser ce qui n’était pas possible auparavant. Quand Jacques Testart, ex- spécialiste de la reproduction bovine à l’Inra et « père scientifique » d’Amandine, le premier bébé éprouvette français (1982), prétend opposer le « mauvais » tri des embryons (DPI, Diagnostic pré-implantatoire), technique eugéniste ; à la « bonne » FIV, technique de reproduction artificielle pour femmes ou couples en mal d’enfant ; il ne fait qu’exhiber sa mauvaise conscience et sa mauvaise foi, à défaut de reconnaître sa mauvaise action [15]. Le Monde diplomatique n’en demande pas plus, qui a publié depuis 1990 une quinzaine de ses articles, faisant de lui sa référence en matière d’eugénisme et d’écotartufferie, comme dit La Décroissance qui s’y connait.

Certes, concède Gramsci – 60 ans avant la production de Louise Brown – la science n’a pas encore vaincu la mort, comme annoncé par Bergson dans L’évolution créatrice (1907), mais on y arrivera. Et la vie elle-même deviendra une marchandise, si l’on n’abolit pas le régime capitaliste.
Pauvre Gramsci qui n’avait pas anticipé le don d’organes altruiste, avec ses affectueuses campagnes de pression médiatiques ; ni la cannibalisation licite des cadavres non inscrits au Registre National des Refus [16]. Il s’apitoie donc sur ce père de famille contraint d’échanger son cœur vigoureux contre un autre à bout de souffle, afin d’assurer la pitance familiale et l’avenir de ses enfants. Le patriarcat, ce n’est pas tous les jours la fête des pères. Et déjà, s’indigne-t-il, le Dr Voronoff a annoncé la possibilité de greffes d’ovaires.

Comment, amis progressistes ! Vous ne connaissez pas le docteur Voronoff ? Encore un grand savant tombé dans l’oubli. Ce chirurgien français d’origine russe, né en 1866, est un émule et ami d’Alexis Carrel, dont il partage l’idéal eugéniste. Voronoff est un pionnier des greffes, du style créatif. Dans les années 1910-1920, il transplante notamment des testicules de criminels exécutés sur de riches cobayes volontaires. Ces proto-transhumanistes en quête de jouvence sont si nombreux que l’approvisionnement ne suit plus. Qu’à cela ne tienne : les chimpanzés y pourvoiront. La première greffe officielle de « glande de singe » sur un humain a lieu en 1920. Avertissement aux Chimpanzés du futur : les transhumanistes ne font pas de quartier avec la matière première.
Voronoff reçoit en 1921 la direction du laboratoire de chirurgie expérimentale, au Collège de France, et « reprend le flambeau de la greffe de glandes – de singes, cette fois – qu’il élève par centaines dans le somptueux domaine de Grimaldi. Le sens publicitaire et l’intérêt commercial lui tiennent lieu, hélas ! de rigueur scientifique, et font sa gloire et surtout sa fortune [17]. »

Les chirurgiens du monde entier applaudissent l’exploit en 1923. Une voix critique s’est pourtant exprimée dès 1918, celle – inaudible – du malheureux Gramsci, dans cet article sans doute aussitôt oublié de ses lecteurs et ignoré de ses contemporains. Que disait Gramsci ?

« Le docteur Voronoff a déjà annoncé la possibilité de la greffe des ovaires. Un nouveau débouché commercial ouvert à l’activité exploratrice de l’entreprise individuelle. Les filles pauvres pourront se faire facilement une dot. A quoi leur sert l’organe de la maternité ? Elles le cèderont à une riche femme infertile qui désire une progéniture pour hériter du magot du mari amassé à la sueur de son front. Ces pauvres filles gagneront des sous et se sauveront d’un danger. Elles vendent déjà leur blonde chevelure pour les têtes chauves des cocottes qui prennent mari et veulent rentrer dans la bonne société. Elles vendront la possibilité de devenir mère, elle offriront la fécondité à des vieilles fripées, aux gâtées qui se sont trop amusées et veulent rattraper le temps perdu.
Les enfants nés après une greffe ? Étranges monstres biologiques, créatures d’une race nouvelle, marchandises eux aussi, produits naturels de l’industrie des humains de substitution, nécessaires à la transmission de l’hérédité des charcutiers enrichis.
La vieille noblesse avait sans nul doute bien meilleur goût que la classe dirigeante qui lui a succédé au pouvoir. L’argent dégrade, abrutit tout ce qui tombe sous sa loi implacable et féroce.
La vie, toute la vie, pas seulement l’activité mécanique des arts, mais la source même de l’activité physiologique, se détache de l’âme et devient marchandise à troquer ; tel est le destin de Midas aux mains fatales, symbole du capitalisme moderne [18]. »

Vous avez bien lu ?

Vous avez bien lu, techno-progressistes et biocommunistes de toutes nuances ; Marc Peschanski, René Frydman, François Olivennes ? Non seulement Gramsci refuse que les filles pauvres vendent leurs organes reproducteurs, comme Fantine vendait ses cheveux et ses dents aux rombières de son temps afin de nourrir Cosette ; comme le font les Ukrainiennes pauvres d’aujourd’hui qui vendent leurs ventres aux riches couples gay et hétéros – refus de l’exploitation bourgeoise des corps prolétaires ; mais il critique le principe même, l’opération technique et le résultat de cette opération. « Les enfants nés après une greffe ? Étranges monstres biologiques, créatures d’une race nouvelle, marchandises eux aussi, produits naturels de l’industrie des humains de substitution… »

Gramsci ne pense pas qu’il faille faire tout ce qui est techniquement possible. Il ne pense pas qu’il faille sans cesse perfectionner la technique afin de faire ce qu’il n’était pas d’abord possible de faire. Ni qu’il faille créer « une race nouvelle » de « monstres biologiques », « produits de l’industrie des humains de substitution ». Même si les prolétaires détenaient cette industrie par le biais de leurs conseils d’usine – en fait l’État et sa technostructure – et mettaient cette industrie procréatique à leur propre service. Son refus éthique et philosophique va au-delà de la critique du capitalisme, même si dans ce billet, c’est au capitalisme que le jeune militant attribue, par réflexe plus que par réflexion, la culpabilité de ces hideuses métamorphoses. Car nombre de militants, parmi les bolcheviques qui viennent de prendre le pouvoir, et que Gramsci admire tant, épousent et radicalisent les idées eugénistes/transhumanistes d’Alexis Carrel et de Voronoff. A commencer par Léon Trotski (1879-1940), pour qui :

« L’homme doit se regarder et se voir comme une matière première, ou au mieux comme un produit semi-manufacturé et se dire : "Enfin, mon cher Homo sapiens, je vais travailler sur toi". »

Ou encore :

« L’espèce humaine, figée en homo sapiens, entrera à nouveau dans une phase de transformation radicale, et s’appliquera à elle-même les méthodes les plus complexes de sélection artificielle et d’entraînement psycho-physique. (…) L’homme s’efforcera de commander à ses propres sentiments, d’élever ses instincts à la hauteur du conscient et de les rendre transparents, de faire pénétrer sa volonté dans les replis de l’inconscient et, par-là, il se haussera à un niveau plus élevé, il créera un type biologique supérieur ou, si vous voulez, un surhomme [19]. »

Mais aussi Alexandre Bogdanov (1873-1928), médecin, écrivain, auteur de L’étoile rouge (1908), roman de science-fiction communiste, membre du comité central bolchevique de 1905 à 1909, précurseur de la cybernétique et adepte du rajeunissement par transfusions sanguines (il en mourra à cause d’une contamination). C’est que la volonté, l’avidité de puiscience est sans limite ni patience parmi les « révolutionnaires professionnels » et les « professionnels révolutionnaires » qui, sous couvert de révolution prolétarienne, accomplissent une révolution technocratique [20].

Ces adeptes du « socialisme scientifique » connaissent-ils les attaques de Gramsci contre « les greffes d’ovaires », quand il les rejoint à Moscou en mai 1922 ? Sans doute ont-ils d’autres urgences à débattre en pleines révolutions, guerres civiles et montée du fascisme – le vrai, celui de Mussolini au pouvoir depuis le 30 octobre. Non pas le prétendu « fascisme » de quiconque pense différemment du Parti, notamment en matière de sexe et de reproduction. Gramsci, délégué du Parti italien à l’Internationale communiste (Komintern), passe deux ans à Moscou, le temps de se marier et de faire un enfant. En décembre 1923, il est envoyé à Vienne, en Autriche, pour réorganiser de l’extérieur un parti en pleine débandade sous la répression fasciste (la vraie). Élu député au sein de la petite fraction parlementaire qui subsiste, il rentre à Rome en 1924, effectue un nouveau voyage à Moscou en mars 1925 – le temps de faire un deuxième enfant – dirige un congrès en exil à Lyon, en janvier 1926. Le 8 novembre, il est arrêté en dépit de son immunité parlementaire et agonise onze ans en prison, avant d’y mourir en avril 1937. Cette agonie, conforme à l’étymologie du mot, étant l’affreux combat, l’héroïque combat, intellectuel, spirituel et physiologique que Gramsci mène seul contre tout ; torturé par le mal de Pott, la tuberculose osseuse qui rabougrit le petit bossu à grosse tête ; étouffé par ses « camarades », le Parti et l’Internationale, qui ne tiennent pas à entendre, ni à laisser entendre ses vues dissidentes ; et bien sûr, enfoui aux oubliettes par la dictature fasciste – la vraie.

Seul à l’exception de Tatiana, sa belle-sœur installée en Italie, la seule autorisée à lui rendre visite, qui recueille ses écrits de prison, les envoie à Londres, à Piero Sraffa – économiste et ami de jeunesse de Gramsci – qui lui-même les retransmet à Moscou, au Parti et à la famille de Gramsci.

Celui-ci ne devient Gramsci, théoricien mondialement étudié de générations d’intellectuels et d’universitaires militants que trois ans après la guerre et onze ans après sa mort. En 1948, le parti communiste italien en quête de héros et de martyrs exhume précautionneusement ses 30 cahiers de prison, de notes et de fragments, sur lesquels tant d’interprètes vont consumer des années de lectures, froncer les sourcils et se livrer à des exégèses tortueuses et proliférantes.
Le libre penseur Gramsci ne risque plus de critiquer la ligne, ni les dirigeants du Parti, comme Palmiro Togliatti (1893-1964), son camarade d’école et de parti, devenu contremaître de Staline à la tête du parti italien, comme Thorez à la tête du parti français. Les 30 cahiers de Gramsci que ni les fascistes, ni les communistes ne tenaient à voir paraître – qui auraient fort bien pu disparaître – se sont transformés en bibliothèques.

Un siècle après la protestation de Gramsci contre la marchandisation et le dévoiement transhumaniste de la science, les greffes d’ovaires dont il dénonçait l’avènement prochain sont devenues courantes. Un élève de Robert Edwards, le Britannique Roger Gosden – après s’être exercé sur des brebis – réussit d’abord au New York Methodist Hospital, le 18 février 1999, une « autogreffe » ovarienne, sur Margaret Lloyd-Hart. Une patiente de 30 ans, contrainte de subir l’ablation de ses deux ovaires pour des raisons médicales, mais qui avait pris la précaution de les faire congeler. Jean-Yves Nau, médecin et journaliste au Monde, rapporte ainsi cette première :

« Après avoir décongelé soixante des soixante-douze fragments de tissu ovarien de la patiente, le professeur Gosden les a, quatre heures durant, suturés de manière à reconstruire une forme tissulaire. Celle-ci a été ensuite implantée sous anesthésie générale dans l’une des régions ovariennes de Margaret Lloyd-Hart. Si cette dernière n’a pas encore retrouvé un cycle hormonal, les premiers essais biologiques – une stimulation par hormones – pratiqués six mois après l’intervention ont démontré que le tissu ovarien ainsi reconstitué était capable de produire un ovocyte [21]. »

Jean-Yves Nau envisage aussitôt toutes sortes de perspectives en matière de reproduction humaine, même si : « Nul doute que de telles pratiques déclencheront de vives polémiques ».

« On pourrait prélever des tissus ovariens avant la ménopause (lorsque les ovocytes sont de "meilleure qualité biologique") et les greffer ensuite. On pourrait aussi imaginer le développement de prélèvements post mortem (au même titre que le prélèvement de différents tissus ou organes). Voire, ce qui ne manquera pas de soulever un débat éthique, celui de prélèvements sur des fœtus féminins issus d’avortements (comme cela se fait avec des cellules fœtales cérébrales pour tenter de pallier les effets de certaines affections neurodégénératives) [22]. »

Tout ce qui est imaginé sera réalisé. Les polémiques et « débats éthiques » ne servent qu’à promouvoir et célébrer le caractère transgressif de l’avancée scientifique. Trois ans plus tard, le Pr Zheng Wei de l’hôpital de Hangzhou, dans l’est de la Chine, réussit la première transplantation – et non pas autogreffe - d’ovaire non congelé. C’est de ce moment, pour parler comme Gramsci, que l’ovaire est devenu une marchandise : il peut être échangé, il peut être acheté. Personne n’ira prétendre que la Chine ne vit pas sous un régime capitaliste où les découvertes scientifiques subissent le sort commun de tous les produits humains. En l’occurrence, il s’agit encore d’un don d’organe de Tang Yezi, 24 ans, à Tang Fangfang, sa sœur aînée de 34 ans, opérée d’un cancer des ovaires et qui, vieillie prématurément, ne peut plus avoir de menstruations ni produire les hormones nécessaires. Nulle réaction de rejet.

« Des experts cités par le quotidien de langue anglaise China Daily ont souligné que la greffe d’un ovaire non préalablement congelé pouvait accroître les chances des femmes d’avoir des enfants car les ovaires décongelés produisent beaucoup moins d’ovules. « Nous maîtrisons maintenant la technologie permettant de prolonger la période de menstruation d’une femme et de ralentir son vieillissement », a affirmé un expert médical anonyme cité par le China Daily [23]. »

C’est de Belgique, aux cliniques universitaires de Saint-Luc, à Louvain, que le Pr Jacques Donnez émet son faire-part de triomphe, le 25 janvier 2011. « Une petite fille de 3,150 kg est née grâce à une greffe de tissu ovarien entre sœurs non jumelles génétiquement différentes. » La greffe ayant réussi (pas de rejet), et la fonction ovarienne restaurée, la patiente a subi une stimulation hormonale produisant trois ovocytes, ponctionnés dans l’ovaire greffé. Une FIV donne deux embryons, l’un congelé (ça peut toujours servir), l’autre implanté – la petite fille ayant vu le jour grâce à ce procédé d’ingénierie industrielle et à l’investissement de mécènes que le Pr. Donnez s’empresse de remercier dans son communiqué : « (avec le soutien) du Fonds National pour la Recherche Scientifique (FNRS), du Télévie, de la Fondation Saint-Luc, de la Fédération belge contre le cancer et de donations du Baron Frère, du Vicomte Philippe de Spoelberch et de la famille Ferrero. »
Comme on le voit, pas le genre d’individus ni d’organisations susceptibles de marchandiser les produits de la science et /ou de poursuivre la création d’une espèce biologique supérieure.

Et puis voilà que La Libre Belgique raconte une autre histoire [24]. Soupçons de fraudes, d’omissions ou d’erreurs scientifiques envers le Pr Donnez. Vol de son ordinateur et dénonciation anonyme d’un de ses confrères pour transgressions éthiques, auprès du vice-recteur de l’Université Catholique de Louvain, qui, au vu des « divergences » avec le Pr Donnez, retire le rapport de ses propres services. Incendie criminel du laboratoire du Pr Donnez. Accusations de menaces d’exclusion envers ses collaborateurs refusant de manipuler les résultats d’expériences ou leurs comptes-rendus. Intimidations. Jeux de pouvoir. Contre-plaintes et conférences de presse du Pr Donnez et de son avocat, Maître Bonhivers.

Un professeur Van Sterteighem, éditeur en chef de Human reproduction, réclame des précisions après lecture des « communications scientifiques » du Pr Donnez sur sa première mondiale. La patiente avait-elle ou non des follicules (les cavités où se développent les ovules), suite à la chimiothérapie subie dans son adolescence ? Expertise indépendante. Il lui en restait quelques-uns, mais « totalement inactifs, fibrosés, en apoptose », dit le Pr Donnez. Même pas la peine d’en parler et de gaspiller l’espace réduit, imparti à ses articles. Plutôt s’en tenir aux faits pertinents. Le cas d’une patiente qui, en ménopause prématurée à 32 ans, refuse pour des raisons personnelles le don – ou l’achat – d’ovocytes. Greffe d’une partie d’ovaire de sa sœur. Trois mois et demi plus tard, les ultrasons et les prises de sang prouvent la restauration de l’activité ovarienne. De même que les analyses génétiques, après la naissance de la petite fille, « prouvent à 100 % » que sa mère biologique est bien la donneuse du greffon (la sœur de la patiente) et non pas la receveuse.

Le Pr Donnez, scientifique de renommée mondiale, a depuis quitté ses fonctions, en septembre 2012, à la tête du service de procréatique des cliniques de l’Université de Louvain. Sans lien aucun avec les polémiques et « débats éthiques » ayant entouré ses recherches. Mais d’autres assurent évidemment sa succession et l’avenir du type biologique supérieur.

Gramsci étant momentanément indisponible, jusqu’à ce que les scientifiques cosmistes et transhumanistes l’aient ressuscité, on laissera au lecteur le soin de méditer par lui-même cette parabole sur cent ans de puiscience.

Pièces et main d’œuvre
Grenopolis, le 5 janvier 2024

Annexes

A. Gramsci, in L’Avanti !, 6 juin 1918, Cité in Scritti 1913-1926, Einaudi, Torino 1984, p. 88

(Notre traduction, qu’on espère la moins fautive possible.)

Marchandise

Quelque fatuité a proclamé pour la énième fois la défaite de la science. Chimie appliquée aux gaz asphyxiants, lacrymogènes, irritants ; mécanique appliquée aux canons de longue portée… Oui, mais la pioche peut aussi fendre les crânes, l’écriture peut aussi servir à falsifier des lettres de change et à répandre des lettres anonymes… Et l’on ne proclame pas pour autant la défaite de l’agriculture et de la calligraphie.
La science a le devoir désintéressé de chercher des rapports nouveaux entre les énergies et entre les choses. Elle ne faillit que lorsqu’elle devient charlatanerie. Les hommes se servent des découvertes pour tuer et massacrer au lieu de se défendre du mal et des forces aveugles de la nature ? Entre en jeu une volonté étrangère à la science, qui n’est pas désintéressée, mais dépend intrinsèquement de la société, de la forme de société où l’on vit. La découverte scientifique subit le sort commun de tous les produits humains en régime capitaliste ; elle devient marchandise, objet d’échange et se plie donc à la plupart des fins propres à ce régime, au massacre et à la destruction.
Voilà que le docteur Carrel a ouvert une voie nouvelle à la chirurgie : les possibilités de greffes humaines se multiplient. Nous n’en sommes pas encore au stade prévu par Edmond Perrier : greffe du cerveau, substitution des organes sains des cadavres aux organes usés, correspondants, des vivants. Nous sommes encore loin de la victoire scientifique sur la mort, promise par Bergson : Pour maintenant la mort triomphe et pour triompher plus rapidement se sert avec prodigalité de la science et de ses secrets. Mais nous y arriverons. La vie deviendra elle aussi une marchandise, si le régime capitaliste n’est pas remplacé, si la marchandise n’est pas abolie.
Suivant une communication faite à l’Académie de médecine de Paris , le professeur Laurent a réussi à remplacer le cœur de Fox par celui de Bob, et vice-versa, sans que les deux chiens innocents n’aient trop souffert, sans troubler en rien la vie des viscères délicats.
De ce moment le cœur est devenu une marchandise : il peut être échangé, il peut être acheté. Qui veut changer son cœur épuisé, souffrant de palpitations, contre un cœur rouge, flambant neuf, pauvre, mais sain, pauvre mais ayant toujours honnêtement palpité ? Une bonne proposition : il y a la famille à entretenir, l’avenir des enfants préoccupe le père ; on échange donc de cœur pour ne pas avoir l’air d’en être dépourvu.
Le docteur Voronoff a déjà annoncé la possibilité de la greffe des ovaires. Un nouveau débouché commercial ouvert à l’activité exploratrice de l’entreprise individuelle. Les filles pauvres pourront se faire facilement une dot. A quoi leur sert l’organe de la maternité ? Elles le cèderont à une riche femme infertile qui désire une progéniture pour hériter du magot du mari amassé à la sueur de son front. Ces pauvres filles gagneront des sous et se sauveront d’un danger. Elles vendent déjà leur blonde chevelure pour les têtes chauves des cocottes qui prennent mari et veulent rentrer dans la bonne société. Elles vendront la possibilité de devenir mère, elle offriront la fécondité à des vieilles fripées, aux gâtées qui se sont trop amusées et veulent rattraper le temps perdu.
Les enfants nés après une greffe ? Étranges monstres biologiques, créatures d’une race nouvelle, marchandises eux aussi, produits naturels de l’industrie des humains de substitution, nécessaires à la transmission de l’hérédité des charcutiers enrichis.
La vieille noblesse avait sans nul doute bien meilleur goût que la classe dirigeante qui lui a succédé au pouvoir. L’argent dégrade, abrutit tout ce qui tombe sous sa loi implacable et féroce.
La vie, toute la vie, pas seulement l’activité mécanique des arts, mais la source même de l’activité physiologique, se détache de l’âme et devient marchandise à troquer ; tel est le destin de Midas aux mains fatales, symbole du capitalisme moderne.


Merce

Qualche vanerello ha proclamato per l’ennesima volta la disfatta della scienza.
Chimica applicata ai gas asfissianti, lacrimogeni, ulceranti ; meccanica applicata ai cannoni di lunga portata ... Sì, ma anche la zappa può spaccare i crani, la scrittura può anche servire a falsificare cambiali e a stendere lettere anonime ... E non perciò si proclama la disfatta dell’agricoltura e della calligrafia.
La scienza ha il compito disinteressato di rintracciare rapporti nuovi tra le energie, tra le cose. Fallisce solo quando diventa ciarlataneria. Gli uomini si servono dei ritrovati per straziare e uccidere invece che per difendersi dal male e dalle cieche forze naturali ? Entra in gioco una volontà che è estranea alla scienza, che non è disinteressata, ma dipende intrinsecamente dalla società, dalla forma di società in cui si vive. Il ritrovato scientifico segue la sorte comune di tutti i prodotti umani in regime capitalistico ; diventa merce, oggetto di scambio e quindi viene rivolto ai fini prevalentemente propri del regime, a straziare e distruggere.
Ecco che il dottor Carrel ha aperto una via nuova alla chirurgia : le possibilità di innesti umani si moltiplicano. Non siamo ancora giunti all’intensità prevista da Edmondo Perrier : l’innesto del cervello, l’uso degli organi sani dei cadaveri da sostituire nei viventi ai corrispondenti organi logorati. Siamo ancora lontani dalla vittoria scientifica sulla morte promessa da Bergson : per ora la morte è la trionfatrice e per trionfare più rapidamente si serve con prodigalità della scienza e dei suoi segreti. Ma arriveremo. La vita diventerà anch’essa una merce, se il regime capitalistico non sarà stato sostituito, se la merce non sarà stata abolita.
Secondo una comunicazione fatta all’Accademia di medicina di Parigi, il professore Laurent è riuscito a sostituire il cuore di Fox con quello di Bob, e viceversa, senza che i due innocenti cani abbiano troppo sofferto, senza turbare per nulla la vita del viscere delicato. Da questo momento il cuore è diventato una merce : può essere scambiato, può essere comprato. Chi vuol cambiare il suo cuore logoro, sofferente di palpitazioni, con un cuore vermiglio di zecca, povero, ma sano, povero, ma che ha sempre onestamente palpitato ? Una buona offerta : c’è la famiglia da mantenere, l’avvenire dei figli preoccupa il genitore ; si cambi dunque il cuore per non apparire di esserne sprovvisto.
Il dottor Voronof ha già annunziato la possibilità dell’innesto delle ovaie. Una nuova strada commerciale aperta all’attività esploratrice dell’iniziativa individuale. Le povere fanciulle potranno farsi facilmente una dote. A che serve loro l’organo della maternità ? Lo cederanno alla ricca signora infeconda che desidera prole per l’eredità dei sudati risparmi maritali. Le povere fanciulle guadagneranno quattrini e si libereranno di un pericolo. Vendono già ora le bionde capigliature per le teste calve delle cocottes che prendono marito e vogliono entrare nella buona società. Venderanno la possibilità di diventar madri : daranno fecondità alle vecchie gualcite, alle guaste signore che troppo si sono divertite e vogliono ricuperare il numero perduto. I figli nati dopo un innesto ? Strani mostri biologici, creature di una nuova razza, merce anch’essi, prodotto genuino dell’azienda dei surrogati umani, necessari per tramandare la stirpe dei pizzicagnoli arricchiti. La vecchia nobiltà aveva indubbiamente maggior buon gusto della classe dirigente che le è successa al potere. Il quattrino deturpa, abbrutisce tutto ciò che cade sotto la sua legge implacabilmente feroce.
La vita, tutta la vita, non solo l’attività meccanica degli arti, ma la stessa sorgente fisiologica dell’attività, si distacca dall’anima e diventa merce da baratto ; è il destino di Mida dalle mani fatale, simbolo del capitalismo moderno.

[1Cf. Bonnie Johnson, « And Baby Makes Four : For The First Time a Surrogate Bears a Child Genetically Not Her Own », People Mag, 4 mai 1987

[2Cf. L’homme, cet inconnu,1935

[3Pierre Barthélémy. Le Monde, 23/12/2018

[4Pierre Barthélémy. Le Monde, 23/12/2018

[5Pierre Barthélémy. Le Monde, 23/12/2018, cité in Pièces et main d’œuvre, Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme (2017), Service compris, 2023

[6Cf. Céline Lafontaine, Le Corps-marché : la marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie. Le Seuil, 2014

[7« Directrice de recherche au sein du programme de génétique humaine Joan H. Marks au Sarah Lawrence College et animatrice du podcast The Beagle Has Landed. Une version longue de cet article est parue dans le magazine américain The Nation (23 août 2019). »

[8Cf. « The december 2018 AP-NORC center poll », The Associated Press-NORC Center for Public Affairs Research de l’université de Chicago, décembre 2018, www.apnorc.org

[9Raphaëlle Besse Desmoulières, “Les croisés de la natalité”. M Le Monde, 28 août 2023

[10Raphaëlle Besse Desmoulières, “Les croisés de la natalité”. M Le Monde, 28 août 2023

[11Cf. Walter Isaacson, Elon Musk. Simon & Schuster, Fayard, 2023

[12Cf. Conceiving the Future : pronatalism, Reproduction, and the Family in the United States, 1890-1938. University of North Carolina Press, 2007

[13Laura Hercher, “Des riches génétiquement modifiés”, Le Monde diplomatique, janvier 2020

[14Cf. Virginia Hugues, “the disease olympic”, 6 mars 2013, www.virginiahugues.com

[15Cf. Jacques Testart, « Vers l’humain génétiquement modifié » , La Décroissance n° 205, décembre 23/janvier 24

[16https://registrenationaldesrefus.fr, cf. Yannick Blanc, « Dans l’homme tout est bon (homo homini porcus) », in La vie dans les restes, Editions Service compris, 2023

[17Cf. Docteur Escoffier-Lambiotte, Le Monde 5 octobre 1967

[18Voir ci après

[19Littérature et Révolution, 1924, cité in Pièces et main d’œuvre, Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme (2017), Service compris, 2023

[20Cf. Marius Blouin, De la Technocratie. La classe puissante à l’ère technologique. 2023, Service compris

[21Jean-Yves Nau, Le Monde 25 septembre 1999

[22Idem

[24La Libre Belgique, 16 juin 2011, 17 juillet 2012, 20 juillet 2012, 20 août 2012