A un demi-siècle de distance, Pierre Messmer, premier ministre, et Emmanuel Macron, président de la République, tiennent deux discours si frappants de similitude, qu’on ne peut y voir que des versions successives d’un même discours fondamental. L’un à la télévision, le 6 mars 1974 ; l’autre à Belfort, le 10 février 2022. (Voir les textes en annexe)
Face à la similitude des contextes - le choc pétrolier suivant la « guerre du Kippour », en 1974 ; et la crise énergétique, résultant en 2022 de l’explosion de la consommation, de la raréfaction des ressources, et du renoncement aux énergies carbonées (pétrole, charbon) ; l’Etat français réagit de la même façon. Le développement éperdu de sa filière électronucléaire accompagné d’une offensive rhétorique visant à justifier et à glorifier cette ruée vers l’atome.
L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, soit 14 jours après le discours de Macron, et les divers embargos, d’origine russe ou occidentale, frappant les exportations de gaz, de charbon et de pétrole russes, ne peuvent que renforcer cette impression de déjà-vu.

De ce discours du nucléaire, on peut relever quelques lieux communs.

1) La revendication du « progrès » fondé sur la rationalité techno-scientifique. C’était déjà l’ultima ratio de Pierre et Marie Curie, lors de leur discours de Stockholm, le 6 juin 1905 : « Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l’humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles (1). »

2) La revendication d’une tradition et d’une excellence nationales en la matière, remontant aux héroïques époux Curie, et poursuivie par leur fille et leur gendre, Irène et Frédéric Joliot-Curie, eux-mêmes pionniers de la Bombe et fondateurs du Commissariat à l’énergie atomique (2). Cette même excellence étant censée garantir la sécurité des Français vis-vis de tout risque de pollution radioactive ou d’accident nucléaire.

3) La défense de l’indépendance et de la souveraineté nationales, grâce au nucléaire, que ce soit en matière d’énergie ou en matière militaire – les deux étant d’ailleurs intrinsèquement liées, puisque toute technologie est duale, civile et militaire.

4) La « chasse aux gaspis » (1974). « L’énergie est notre avenir, économisons-la » (2022). L’appel aux citoyens et aux particuliers pour réduire, sinon pour rationner leurs dépenses énergétiques (chauffage, éclairage), afin de maintenir l’alimentation de l’Etat industriel. Cette participation au devoir civique induisant une soumission indiscutée aux consignes gouvernementales jugées vertueuses puisque, précisément, il s’agit de réduire la gabegie.

5) L’« ouverture » et même le « soutien » aux « énergies alternatives » et « renouvelables », éolienne, solaire, hydroélectrique, etc., censés prouver que l’Etat nucléaire n’est pas monopolistique. A condition bien sûr que ces « énergies de flux », qui ne peuvent fournir pour le moment qu’une « énergie d’appoint », soient technologisées et industrialisées – notamment sous la direction du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (3).

6) La lutte contre l’effet de serre et le réchauffement climatique, mise en avant dès 1976 par Louis Néel, directeur-fondateur du Commissariat à l’énergie atomique de Grenoble (1956), et prix Nobel de physique 1970, pour justifier l’industrie nucléaire et la construction de Superphénix, puisqu’il n’est pas question de remettre en cause « une société de consommation », avec une « certaine expansion industrielle (4) ». Où l’on voit ce que signifie vraiment cette injonction à « écouter les scientifiques », aussi bien répétée par Greta Thurnberg, la petite mascotte du pseudo - « mouvement climat », que par toutes les autorités politiques et médiatiques.

Bref. Nous avons demandé à Jean-Manuel Traimond et à ses amis du collectif Passerelle de lire pour nous ces deux discours de Messmer et de Macron, tels qu’ils se dupliquent à un demi-siècle de distance. On trouvera ci-dessous leur introduction, suivie des deux textes en question.

NOTES
1) Eve Curie, Madame Curie, Hachette, 1958, p.175
2) Cf. Françoise d’Eaubonne à Grenoble, par Le Casse-Noix (ici)
3) Cf. Frédéric Gaillard, Le soleil en face, rapport sur les calamités de l’industrie solaire et des prétendues énergies alternatives, L’Echappée, 2012
4) Cf. Françoise d’Eaubonne à Grenoble, par Le Casse-Noix ; « Creys-Malville, le dernier mot » (ici) et dans Memento Malville, Pièce détachée n°14

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