A l’automne 2014, un prof de Tourcoing est contraint de fermer son blog après une menace de blâme par le rectorat de Lille. Son crime : avoir critiqué l’usage du numérique à l’école en affirmant, par exemple : « Le numérique n’est que vernis. Là où on l’impose, c’est de la pédagogie qu’il faut prodiguer. » (1) Ce pionnier parle d’expérience, après dix ans d’utilisation des « technologies de l’information et de la communication pour l’école » (TICE).

Hollande a fait de l’ « e-education » une priorité à un milliard d’euros ; on ne critique pas impunément le numérique à l’école quand on est prof. En cette rentrée 2015, d’autres enseignants s’y risquent pourtant. Pour leur malheur, leur établissement est l’un des 200 « collèges connectés » désignés par le ministère de l’Education nationale. Leurs élèves, déjà plantés devant des écrans 4 heure 30 par jour en moyenne (2), sont désormais greffés à des tablettes durant les heures de classe.

Dans le texte qu’ils diffusent à leurs collègues (à ouvrir ci-dessous), ils détaillent les effets du numérique sur les élèves, sur le métier d’enseignant, sur l’acquisition des savoirs.

Non seulement ce texte est poignant quant à ce qu’il révèle de scrupule et de conscience professionnelle, mais il analyse de façon minutieuse les mutilations induites par l’usage de l’informatique à l’école. Il oppose des faits et des idées forgées par l’expérience à la propagande techno-progressiste sur le bonheur – et l’obligation – d’une existence machinale.

Les « smart cities », ces métropoles connectées auto-régulant l’existence des citoyens-machines par le biais de leurs « objets communicants », n’ont pas besoin d’individus intelligents, capables de penser par eux-mêmes. Comme le demandent deux cyber-universitaires dans un livre intitulé La Fin de l’école (3) : « qu’est-il encore utile de stocker dans le cerveau humain ? » Savoir coder et parler anglais suffira aux bacheliers pour devenir des employés-robots - tant que les robots leur laisseront des emplois. La masse n’a pas besoin de savoir le latin ni le grec, ni même d’articuler correctement plusieurs idées. Elle a besoin des compétences correspondant aux niches d’emplois non automatisables, de 6 ou 7 heures d’écran quotidiennes, de profils virtuels à jour, bref, de la diversion numérique la plus totale.

Comment réveiller les cerveaux sous hypnose électronique ? En débranchant les écrans. En apprenant aux enfants à lire et à penser à travers l’appréhension sensible du monde. C’est ce que veulent ces enseignants réfractaires. Si vous pensez qu’ils ont raison, diffusez leur texte auprès des profs, des parents, des élèves, exprimez publiquement votre refus du décervelage électronique. Faites comme Steve Job, patron d’Apple, et comme les patrons de Google, de Yahoo et des monstres numériques de la Silicon Valley : mettez vos enfants dans des écoles révolutionnaires, avec des tableaux noirs, des livres, des cahiers et des crayons.

Notes
(1) Voir Libération, 20/10/14
(2) Moyenne française. Les enfants américains de 8 à 18 ans en sont à 7 h 40 quotidiennes. On est encore à la traîne.
(3) La Fin de l’école, F. Durpaire, B. Mabillon-Bonfils (PUF, 2014)

(Pour ouvrir le document, cliquer sur l’icône ci-dessous.)

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