En librairie : Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme, par Pièces et main d’oeuvre, nouvelle édition (Service compris, 2023)


Jean Malaurie et son monde sont morts. Son monde, c’est-à-dire, celui des Inuits de Thulé. Qui l’a tué ? L’engeance scientifreak, dont les transformateurs génétiques qui triomphent aujourd’hui au parlement européen sont des représentants fanatiques – aux côtés des atomistes, des cybernéticiens, des chimistes, des neurotechnologues, etc.

Ce lundi 5 février 2024, Jean Malaurie, anthropologue, explorateur du Grand Nord et défenseur des Inuits, est mort à 101 ans. Il fut le premier Occidental à rallier le pôle Nord, en 1951, « sans le vouloir, sans le savoir, sans radio, presque sans vivres, à l’esquimaude, avec les chiens et les traîneaux ». Malaurie a vécu parmi les Inuits l’effondrement de leur monde, qui est aussi le nôtre. « L’occident va à sa perte s’il continue de considérer que la science est synonyme de sagesse », disait-il lors d’un entretien radiophonique il y a 30 ans.

Le jour de sa mort, un millier de scientifiques européens ont mené sur les réseaux sociaux une opération de lobbying auprès du parlement européen, intitulée « #GiveGenesAChance » (« donnez une chance aux gènes »). Les 6 et 7 février, les députés européens débattaient de l’assouplissement des règles en matière d’OGM. Ils s’agissait d’autoriser les nouvelles techniques génomiques (NGT en jargon techno-globish), parmi lesquelles les « ciseaux génétiques » Crispr-Cas9.

Les jeunes chercheurs qui ont lancé cette opération postaient des photos de leurs équipes devant leurs labos avec des pancartes : « Science is clear, say yes to NGT », « Trust in CRISPR », « I love NGT », « Believe in scientist, believe in NGT », « Trust in science ». Il ne manque que la mélopée du serpent Kaa, « Trust in me [1] » en fond sonore. Ou l’orgue de la messe.

Pourquoi devrions-nous faire confiance à ces scientifiques et croire en leurs nouveaux outils de manipulations génétiques ? « Toute une génération de jeunes chercheurs européens [2] travaillant sur ces méthodes ignorent si leur travail trouvera des applications », se lamentent-ils dans une vidéo de 2021. Notre confiance, leur carrière. Au temps pour les nigauds qui s’imaginent encore que la connaissance désintéressée est le moteur de la conquête scientifique.

Ces jeunes gens veulent, à leur tour, transformer le monde, modifier le vivant et jouir de leur puiscience, sous la bannière vertueuse de l’adaptation à la catastrophe – c’est-à-dire de la soumission à la caste techno-scientiste. Leurs pancartes proclament leur volonté démiurgique de re-création. Nous devrions laisser ces bourreaux d’ADN et leurs « intelligences » artificielles fabriquer des organismes vivants modifiés, voire artificiels (biologie de synthèse), pour fournir l’alimentation, les carburants, les produits chimiques dont « l’industrie post-carbone » a besoin.

Ces scientifreaks sont poussés par de prétendues organisations environnementales réunies dans l’alliance WePlanet, parmi lesquelles Replanet (mobiliser le « génie humain (…) pour une vision positive du futur », avec notamment une lettre à Greenpeace : « Laissez tomber votre opposition à l’énergie nucléaire »), ÖkoProg (« Eco-Progressivism » en Allemagne) ou Eko-modernistit en version finnoise. En fait, des lobbys scientistes qui préconisent toujours plus de technologie pour nous sortir de l’impasse où nous ont conduits les technologies et les technocrates.
WePlanet est notamment financée par la Rodel Foundation, un machin de charité américain lui-même soutenu par la fondation Bill & Melinda Gates ; mais aussi par l’Anthropocene Institute, qui relie entrepreneurs, investisseurs et institutions pour développer les innovations contre le changement climatique, en particulier le nucléaire et les nanotechnologies au service de la fusion nucléaire (« solid-state fusion »), avec le projet de « tout électrifier ». Trust in science.

Pour faire pression sur les députés européens, WePlanet a publié une lettre ouverte signée par 37 prix Nobel et 1500 scientifiques (dont Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, les créatrices des ciseaux génétiques Crispr-Cas9) - en fait un prospectus publicitaire pour les nouvelles techniques génomiques, appelant à « rejeter l’obscurité de la culture de la peur anti-science ».

De son côté, la direction du CNRS mobilisait son personnel par mail :

« Chères directrices, chers directeurs d’unité,
Mardi 6 février, un débat autour des nouvelles techniques génomiques s’ouvre au sein du parlement européen de Strasbourg.
Le CNRS est en faveur d’un assouplissement de la réglementation des OGM sur les NGT afin d’accélérer la recherche et l’innovation à partir de ces nouvelles techniques.
A l’occasion de ce débat, WePlanet a coordonné l’écriture d’une lettre ouverte, notamment signée par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, Prix Nobel de chimie 2020, et envoyée aux membres du Parlement européen pour les inciter à voter en faveur d’une réglementation assouplie pour les nouvelles techniques génomiques.

WePlanet propose aux scientifiques européens de se prendre en photo devant leurs laboratoires et de publier leur image sur les réseaux sociaux en utilisant le #GiveGenesAChance et #NGTs, le 5 février prochain.
Afin de diffuser largement ce message aux institutions politiques et d’augmenter l’impact de cette action, CNRS Biologie prépare en parallèle une campagne de communication sur Twitter. Nous vous invitons donc à également identifier le compte X/Twitter de CNRS Biologie sur votre post. Vous trouverez en pièce jointe des exemples de posts pouvant être utilisés. Nous vous remercions par avance pour votre engagement. »

Dès juillet 2023, le CNRS et cinq organismes de recherche européens (le « G6 ») avaient publié un communiqué pour demander la levée des restrictions sur les OGM, se plaignant du retard de l’Europe dans l’utilisation des nouvelles techniques génomiques.

Ce mercredi 7 février 2024 en fin de journée, les eurodéputés ont obéi, votant la proposition de règlement de la Commission européenne, qui sabote l’encadrement des semences végétales issues des nouvelles techniques génomiques. « Science wins ! », exultent les technocrates.

Jean Malaurie est mort, mais rassurez-vous, grâce aux NGT et aux conquérants de la science, le Groënland va reverdir comme à l’époque de sa découverte par Erik le Rouge, autour de l’an Mil.

Pièces et main d’œuvre
7 février 2024

Lire aussi :
Innovation scientifreak : la biologie de synthèse, Pièces détachées 58 & 58’

Des manipulations génétiques aux manipulations politiques

• Pièces et main d’œuvre, Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme, Service compris, nouvelle édition 2023

[1Cf. le film Le livre de la jungle, W. Disney, 1967

[2C’est mieux en anglais : « European early-career researchers »