Le 8 Juillet 2013 s’est tenue à Londres "Synbio 6.0", la principale conférence internationale de chercheurs en biologie synthétique organisée par la Biobricks Foundation.

Au programme : design du vivant, « recherche et innovation responsables », modification génétique des plantes et « transcending industrialization ».

On voit dans une vidéo disponible en anglais sur Internet que les nécro-biologistes se pressent à Synthetic Biology 6.0 d’abord pour recevoir de nouveaux financements. Le ministre des Universités et de la Science, David Willetts, leur annonce que le « gouvernement (britannique) s’apprête à supporter plus massivement la biologie de synthèse » : 126 millions de livres sterling (près de 150 millions d’euros) pour financer des centres de recherches, des partenariats universités-industries, des fonds de soutiens aux start-up, etc. Quand une scientifique s’inquiète d’un rejet de l’opinion, comme pour les OGM, Willetts renvoie à la « stratégie Agritech », censée rattraper le « retard » de la productivité agricole britannique et européen, suite au moratoire sur les OGM. Et d’ajouter : « Nous allons tout faire au niveau européen afin d’autoriser des technologies agricoles sûres et efficaces, notamment des OGM ». Au Royaume-Uni comme en France, la biologie de synthèse déborde des laboratoires.

Ce 8 juillet 2013, des militants de Luddites200 et Biofuelwatch ont distribué un tract aux participants à la conférence Synbio 6.0, à Londres,

Le voici, précédé de leur introduction.

(Voir aussi leur site : http://www.luddites200.org.uk/)

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À notre avis, la biologie synthétique est l’une des technologies en cours d’élaboration les plus dangereuses actuellement, qui exprime sous une forme extrême de nombreuses idées technocratiques que les Luddites combattaient. Lors de la révolution industrielle, les machines étaient considérées comme plus efficace que les travailleurs ; avec la biologie synthétique, l’objectif est de remodeler génétiquement vie elle-même conformément aux principes d’ingénierie, afin de la rendre « plus efficace » que les résultats issus du bricolage de l’évolution.

Voici le texte que nous leur avons distribué.

Lettre ouverte aux participants de Synbio 6.0.

En arrivant à cette conférence, vous êtes certainement très excité à l’idée des innombrables possibilités que semble offrir cette nouvelle technologie. Ce message est destiné à vous inciter à réfléchir à quelques unes de vos brillantes idées, deux fois plutôt qu’une.

Le fond du problème avec la biologie synthétique est la compréhension réductionniste des organismes vivants sur laquelle elle repose et l’attitude générale de mépris envers l’« inefficacité » des produits de l’évolution naturelle. Nous comprenons bien peu de choses du fonctionnement des organismes et des écosystèmes, pourtant cela refroidit à peine votre empressement à les manipuler. La vie n’est tout simplement pas, et ne sera jamais, construite selon la logique des ingénieurs : ses éléments ne sont pas des écrous ou des boulons standardisés, ni des pièces interchangeables, et moins encore les organismes vivants sont-ils semblables à des ordinateurs. C’est donc sans surprise que la plupart du temps vos « BioBricks » ne fonctionnent pas (1). Essayer de faire entrer de force la vie dans votre système est une forme de violence.

Participant de cette tendance du capitalisme à exploiter la nature sans limite, c’est pourtant cette attitude de domination envers la nature qui a produit la catastrophe environnementale que nous connaissons aujourd’hui. En fait, avec la biologie synthétique, la domination cherche à atteindre de nouveaux sommets. Depuis la révolution scientifique (dont les philosophes ont exprimé le projet de domination de manière très claire), la technocratie a adopté une attitude impérialiste envers la nature : « vous allez faire ce que nous voulons ». Avec la biologie synthétique, comme avec la politique au XXe siècle, l’impérialisme devient totalitarisme : « Nous sommes les auteurs de la nature, vous n’existez plus en tant qu’entité indépendante ».

Si le problème était juste académique, il ne serait pas si grave. Mais les projets technocratiques de la biologie synthétique risquent d’avoir des conséquences pratiques désastreuses. A maintes reprises, la cause de ces catastrophes est la mentalité technocratique qui vous amène à mal définir le problème : vous le croyez simplement technique, lorsque sa véritable cause est d’ordre social. Votre outil est un marteau, de sorte que vous regardez chaque problème comme un clou. La véritable cause du changement climatique, c’est le capitalisme industriel, et il ne peut être résolu par des biocarburants. Ces solutions technologiques servent toujours à maintenir en place le système qui est à l’origine du problème. Et parce qu’elles font partie du problème, elles le perpétuent : dans la quête pour alimenter notre surconsommation absurde d’énergie et remplir les caisses des sociétés multinationales, les biocarburants conduisent déjà à des dommages environnementaux, à la faim et à l’accaparement des terres des paysans du tiers-monde.

Et comment sera-t-il possible de seulement deviner les conséquences écologiques de vos « organismes synthétiques » quand ils s’échapperont de vos laboratoires et de vos usines ? A moins que vous les disséminez délibérément dans l’environnement ? Nous savons que c’est déjà très difficile avec des organismes qui ont un ou deux nouveaux gènes, mais les « organismes synthétiques » seront une nouveautés radicale pour les écosystèmes de la planète. Plutôt qu’une approche précautionneuse, nous assistons au contraire, avec le mouvement des « biohackers » qui comprennent également peu de choses à la biologie, à une attitude anti-précaution qui est la conséquence logique de la manière dont les chercheurs en biologie synthétique ne veulent pas penser les êtres vivants et la nature.

Mais vous êtes des bienfaiteurs de l’humanité, n’est-ce pas ? Eh bien, il serait temps que vous compreniez que votre désir bien intentionné d’utiliser la science pour prétendument aider l’humanité souffrante, combiné avec votre attitude arrogante envers la nature est aujourd’hui l’une des forces les plus dangereuses au monde. Nous ne préconisons pas la philosophie tout aussi naïve d’un « retour à la nature », mais si l’humanité veut sortir du trou que le capitalisme industriel a creusé, nous devons arrêter de creuser.

Si vous souhaitez prendre part à une discussion sur ces questions, contactez .

Luddites200 et Biofuelwatch

Traduit de l’anglais par Jacques Hardeau

1. « Lors d’une conférence Synbio en juillet 2010, des participants ont signalé que sur les 13.413 “biobricks” alors disponibles, 11.084 ne fonctionnaient pas. » S. Kean, “A lab of their own”, Science, 2 septembre 2011.