"Le grand public est au centre de notre mission", proclame la Commission particulière du débat public Nanotechnologies sur son site. Et Bergougnoux, son président, d’espérer dans Le Monde, le jour du lancement de sa campagne d’acceptabilité, la participation de 10 000 à 12 000 personnes aux pseudo-débats – soit une moyenne de 590 à 700 participants par ville.

Les compte-rendus des sept premières réunions, établis par la CNDP elle-même, nous informent que seules 200 à 300 personnes se déplacent en moyenne, soit moins de la moitié que prévu. Un échec pour la CNDP ? Certes non. En réalité, l’organisation de ces réunions bidon écarte minutieusement le "grand public" pour réserver le prétendu débat aux experts et contre-experts du nanomonde.

A Strasbourg, Toulouse, Orléans, Bordeaux, Lille, Clermont-Ferrand, Besançon et Grenoble, nul n’a vu d’affiches sur les murs, ni reçu de tract dans sa boîte aux lettres. A chaque étape le même refrain chez les habitants interrogés : personne n’est au courant. Ce n’est certes pas faute de budget – deux millions d’euros pour cette campagne de promotion – si la CNDP néglige la plus élémentaire information de la population.

Au contraire son agence de manipulations publiques, I&E Consultants, envoie-t-elle en masse des invitations insistantes aux universités, laboratoires, instituts de recherche. A Grenoble les chercheurs de l’Université Joseph-Fourier (scientifique) et des instituts de sciences dures du CNRS ont ainsi reçu des mails les incitant à bourrer la salle pour soutenir la tribune et riposter à d’éventuelles manifestations d’opposition. I&E invite également les associations environnementalistes ou de consommateurs à étaler leur contre-expertise pour un échange démocratique sur les taux de nano-pollution admissibles. Ainsi s’assure-t-on le respect de la consigne délivrée par Jean-Louis Borloo dans le film d’introduction aux réunions : "Notre façon de vivre va être bouleversée par ces nanotechnologies, la question c’est pas d’être pour ou contre" (sic).

Résumons : 250 personnes dans la salle. Les premiers rangs réservés aux représentants des sept ministères maîtres d’ouvrage. Des intervenants officiels disséminés dans le public. Les invités issus des labos, de la Chambre de commerce, des boîtes locales ; et des citoyens spécialistes délégués par leurs associations. Combien d’anonymes du "grand public" dans ces débats bidon ? Leur présence est si peu souhaitée que d’honorables représentants de ceci-cela ont pu s’offusquer de la distribution par des contestataires sans appartenance, de tracts "sans signature d’association". La CNDP quant à elle le déclare tout de go : "Nous ne sommes pas intéressés par les slogans et les déclarations anonymes". D’autant moins que la commission, tout en invitant le public à "éclairer les décisions du gouvernement", a établi à l’avance la liste des 147 questions susceptibles d’être soulevées en réunion, ainsi que les thèmes à exclure du débat (la biologie synthétique, le transhumanisme, les sciences cognitives – bref, l’homme-machine dans le monde-machine). Cette liste a été rendue publique par Pièces et Main d’œuvre sur les sites www.piecesetmaindoeuvre.com et www.nanomonde.org.

A Besançon, le dispositif anti-public est monté d’un cran sécuritaire. Les participants, accueillis par un triple contrôle de vigiles, furent priés, une fois à l’intérieur, de signer un engagement à ne pas "perturber le débat".

A Grenoble, c’est dans un bunker que le grand public est invité à s’exprimer en toute liberté. Police partout, vigiles privés en nombre renforcé ont été convoqués pour le show dans la capitale des nanos, à Alpexpo. La sécurité, nous dira l’honnête Bergougnoux, est l’affaire du responsable de la salle ; la CNDP ne touchant pas à ces basses œuvres. Ça tombe bien, le patron d’Alpexpo est un expert en la matière. Guy Chanal, également patron du Palais des Sports et de la course cycliste des "Six Jours de Grenoble", est réputé pour sa poigne qui lui vaut une réputation de "cow-boy" parmi ses employés. Son expertise en maintien de l’ordre fait de lui depuis 2007 le conseiller technique auprès du préfet de l’Isère en matière de grands rassemblements, "en liaison avec le chef du service interministériel de défense et de protection civile" (prefecture.isere.fr). Nous voilà rassurés.

Tel qu’il est, avec ses multiples trucages et manipulations, ce pseudo-débat de la CNDP ne peut se dérouler autrement, puisque précisément il est destiné à simuler un exercice de démocratie impossible. Les opposants au nanomonde ayant dénoncé cette mascarade organisée trois ans après l’inauguration de Minatec à Grenoble, il ne restait à la CNDP qu’à ramasser les gestionnaires des nuisances pour servir de marionnettes dans ses numéros de ventriloques.

Il est notoire que les seuls débats publics sur les nanotechnologies depuis 2003 ont eu lieu à l’initiative obstinée des opposants et que celui de la CNDP n’existerait pas s’il ne s’agissait d’enfouir ces manifestations critiques. Du reste, serions-nous seuls contre tous à clamer notre opposition au nanomonde, que nous persisterions.

Une chose est sûre : OGM, déchets nucléaires, ITER ou nanotechnologies, l’hostilité croît vis-à-vis de la "démocratie technique", des sociologues de l’acceptabilité et des organisateurs de la fausse concertation qui mettent en œuvre la devise de leurs collègues de France Telecom : "Faire participer, c’est faire accepter". Pas plus que les OGM ou le nucléaire, les nanotechnologies ne se gèrent. Face au nanomonde nous ne pouvons nous satisfaire de règlements à la marge. Voilà pourquoi nous ne participerons pas au débat bidon de la CNDP à Grenoble le 1er décembre.

Pièces et Main d’œuvre

Grenoble, le 28 novembre 2009