Quel rapport entre Airbus, Alcatel-Lucent et STMicroelectronics ? Voici trois méga-entreprises de haute technologie aussi gourmandes en subventions que ravageuses pour l’environnement, fabricants de nuisances écologiques et sociales, et qui malgré tout licencient et/ou déménagent à pleines charretées. Le vice n’est pas récompensé. Cela n’empêche pourtant pas la gauche industrielle, Besancenot , Buffet, Laguillier, de réclamer à l’unisson des syndicats de nouvelles aides d’Etat pour les fabricants de puces, de téléphones portables et de gros porteurs. L’emploi, c’est bon pour la flexibilité.

Prenez STMicroelectronics, à Crolles 2 (voir pièce jointe), vous souvenez-vous de l’inauguration par Chirac en février 2003 ? Quand, de Vallini à Destot, tous nos élus se gargarisaient du "plus gros investissement industriel en France depuis dix ans" ?
Janvier 2007. Coup de tonnerre sur la cuvette. NXP et Freescale annoncent leur départ de l’Alliance-Crolles 2. Le modèle de la "réussite grenobloise" est ridiculisé. STMicroelectronics, dernier des trois partenaires en place, programme la délocalisation de sa Recherche & Développement.

Leurs emplois menacés, les salariés de l’Alliance protestent contre cette "compétitivité" qu’ils applaudissaient tant qu’ils y gagnaient, qu’"on" doublait les Américains et les Asiatiques, fut-ce au prix d’un désastre écologique et social. La main-d’œuvre de la "Silicon Valley française" méprise les protestations contre le saccage de la vallée, le pillage de l’eau et des sols, la pollution, l’absurdité d’une vie sous monitoring électronique, au prétexte des "emplois créés" et du "progrès technologique".

Aujourd’hui ils découvrent qu’après l’environnement et le cadre de vie, ils ne constituaient eux aussi qu’une variable d’ajustement pour leur direction, un chiffre dans la colonne "input". Qu’est-ce qu’ils s’imaginaient ? Et de quoi se plaignent-ils ? Quand nous défendons l’environnement contre leur employeur, c’est eux aussi, leur vie, que nous défendons. On n’entendait guère leurs protestations quand leurs collègues des petites boites low tech de la vallée étaient vidés (papeteries, fonderies, etc). STMicro pompe les hommes comme elle pompe l’eau. Quand les hommes et l’eau sont épuisés, on va ailleurs.

Et maintenant, un dilemme cornélien pour les syndicalistes : vendredi 13 avril les salariés de la grande distribution et des autoroutes Escota protestaient contre l’automatisation de leurs caisses, c’est-à-dire contre l’invasion de ces puces électroniques, fierté des employés de ST.

La mise en place de caisses automatiques dans les supermarchés français menace 200 000 emplois - les bornes remplaçant les caissières, le client scannant lui-même ses articles. La CFDT pointe la "vraie menace" : les puces RFID qui remplaceront bientôt les codes-barres, les caissières et les caisses elles-mêmes (cf "RFID la police totale", Pièces et Main d’œuvre, mars 2006). Les RFID, qui sont l’un des grands débouchés de l’industrie des semi-conducteurs.

Caissière, c’est un sale boulot, mais pas plus sale que pingouin en salle blanche chez STMicro.
Qui les syndicats défendront-ils ?

On verra dans l’article ci-joint de Basile Pévin que Crolles 2 est aussi bien un désastre écologique et social qu’économique. Sa fin serait donc tout sauf une mauvaise nouvelle.

(Pour lire le texte intégral, cliquez sur les icônes ci-dessous.)

Depuis deux mois le bruit court en ville, dans les réunions syndicales, aux terrasses de cafés, dans les "zones d’activité" : STMicroelectronics envisagerait de fermer sa R&D (Recherche & Développement) du site de Crolles 2.
"ST a annoncé qu’elle ne veut pas poursuivre la recherche et le développement de la technologie sur Crolles, rappelle Marc Leroux, délégué CGT à STMicroelectronics" .
"Après les départs successifs de NXP et Freescale de l’Alliance Crolles 2, STMicroelectronics annonce son éventuelle intention de rejoindre, lui aussi une autre alliance aux Etats-unis ou en Asie pour poursuivre sa R&D sur le coeur de la prochaine génération technologique, celle des puces de 32 nanomètres. (...) Une décision qui placerait l’Europe hors de la course aux nanotechnologies."

Pourquoi ST fermerait-il le département qui fait la fierté de la "Silicon Valley française" ? Parce que ses deux associés de l’Alliance, NXP (ex-Philips) et Freescale (ex-Motorola) plieront bagages à la fin du contrat, en décembre 2007.

"NXP quitte l’Alliance : (...) NXP, a annoncé (...) que "sa participation actuelle dans l’Alliance ne serait pas prorogée au-delà de l’échéance initiale, fixée à fin 2007."
"Freescale se désengage de l’Alliance : C’est Freescale qui, à son tour, annonce vouloir emprunter le même chemin en rejoignant le pool d’IBM, à New York ! Et voilà de quoi laisser un grand sentiment de solitude au tout dernier mousquetaire, STMicroelectronics, désormais contraint de battre la campagne pour trouver des remplaçants financièrement prêts et technologiquement aptes à poursuivre l’aventure du 300 mm. Et, plus encore, à réussir le pari de mettre au point la nouvelle génération de puces informatiques, d’une finesse infinitésimale, de 32 nanomètres."

Tout seul, ST n’aura jamais les moyens de racheter à ses deux ex-partenaires des équipements hors de prix, ni de boucler le budget de fonctionnement de Crolles 2 (230 millions de dollars annuels, dont 62 % provenaient de NXP et Freescale). D’après les salariés du groupe et les "experts", les petites annonces matrimoniales de ST ont peu de chance de recevoir des réponses favorables. IBM, Freescale, Sony, Samsung, Toshiba, Infineon et AMD sont maqués ensemble, le taïwanais TSMC ne fait pas de R&D et est devenue "une filiale de NXP". De plus, qui oserait investir alors que les résultats de Crolles 2 sont loin d’être satisfaisants ? "Crolles 2 n’arrive pas à tenir ses promesses", tempère de son côté Jean-Pierre Della Mussia, rédacteur en chef d’Electronique International. Selon ce spécialiste du secteur, du fait d’une mauvais gestion de la production, l’Alliance ne serait pas compétitive. "Ses coûts de production dépassent largement 4000 dollars la tranche de silicium en technologie 90 nm, alors que le taïwanais TSMC le propose à 3000 dollars. Crolles 2 est donc en sous-régime, générant des problèmes d’amortissement des investissements. Par ailleurs, cette unité n’a toujours pas produit de circuits 65 nm en quantité, contrairement aux grands acteurs mondiaux."

Ah bon ? Mais on croyait que l’Alliance avait fait du Grésivaudan la "Vallée de l’Intelligence", la "nouvelle Silicon Valley", qu’elle représentait "une chance historique pour Grenoble et sa région urbaine" (M. Destot) justifiant les 543 millions d’euros de subventions publiques, dont 148 des collectivités locales ? On croyait que l’excellence grenobloise avait laminé les Asiatiques, négligés par le leader Motorola au profit de l’Isère (André Vallini, président du Conseil général de l’Isère, en 2002 : "Nous étions en concurrence avec Taïwan, il fallait agir vite") ?
En fait, non.

La fuite en Asie

"Semi-conducteurs : l’Asie capte l’essentiel des investissements. (...) Lundi 16 mai 2005, Carlo Bozotti, nouveau CEO (Chief Executive Officer) de Crolles 2, a annoncé la réduction des effectifs de l’ordre de 3000 emplois hors Asie. Amorcé en 2001, après l’explosion de la bulle Internet, le concept de "Go East", c’est-à-dire d’aller produire en Asie, reste plus que jamais d’actualité dans l’industrie des semi-conducteurs. (...) L’Europe est une des principales victimes de ce mouvement." "(...) STMicro confirme ainsi sa stratégie de rééquilibrage géographique de ses activités industrielles, au profit de l’Asie, engagée depuis 2 ans. Aujourd’hui, ce continent représente déjà 46 % de la production du groupe (en volume) contre 44 pour l’Europe, selon les syndicats. Il y a 5 ans, l’Europe comptait encore pour 60 et l’Asie pour 20."

Ces extraits résument la situation des semi-conducteurs. Déjà en 2003, ST fermait son site de Rennes au profit de Singapour, et en juin 2005 la CGT de ST-Grenoble s’inquiétait d’un risque de délocalisation. Depuis quelques mois, le mouvement s’accélère pour "réduire les effectifs", "investir en Asie" et "diminuer les frais en Europe". Patrick Chastagner, directeur de ST-Crolles : "Il est clair que, dans dix à quinze ans, les procédés inventés à Crolles seront à Singapour, remplacés à Crolles par ce sur quoi nous travaillons actuellement" . "Dans notre métier, on ne peut jamais vivre sur ses acquis, se contenter des lauriers qu’on a obtenus. Il faut sans cesse progresser, avancer, continuer à investir" .
Ce n’est pas le socialiste André Vallini qui contredirait cette leçon d’économie moderne, lui qui fit voter 50 millions d’euros de subventions du département à l’Alliance en déclarant : "C’est vrai que tout ça est lourd financièrement mais il faut savoir prendre des risques." Les élus isérois, en fidèles pratiquants de la Croissance et de la Compétition économique, ne doivent pas s’étonner de ce que des multinationales aillent trouver en Asie les conditions les plus favorables à leur expansion. N’est-ce pas le Projet d’agglomération de la Métro (Communauté d’agglo de Grenoble) qui insiste sur notre objectif à tous : "tirer parti de cette mondialisation" ?

Rappelons quelques règles de "cette mondialisation", illustrées par l’exemple des semi-conducteurs.

a) La compétition impose la fuite en avant

« La technologie devient très dispendieuse dans le secteur des semi-conducteurs. Il faut donc sans cesse investir, innover. Toute nouvelle usine coûte au bas mot 2 milliards de dollars. D’où la nécessité vitale pour les grands groupes de collaborer en matière de recherche-développement dans des plates-formes communes afin de réaliser des économies d’échelle, tout en restant concurrent sur les produits. »
À Crolles 1 depuis 1992 on fabrique des puces sur des tranches de silicium de 200 mm de diamètres. On les grave avec une précision de 130 nanomètres (nm), ce qui est bien, mais pas top. À la fin des années 1990, alors que le secteur de la microélectronique connaît une petite crise, le développement de nouvelles techniques issues des nanotechnologies appelle à une révolution dans ce secteur. Le but, c’est de passer à la fabrication de tranches de silicium de 300 mm de diamètre, afin de graver, avec le même nombre d’opérations, beaucoup plus de puces. Et surtout plus petites, c’est-à-dire avec une précision de 90, 65, 45 voire 32 nm à moyen terme. Qui dit compétition dit fuite en avant technique.

b) La concurrence conduit au monopole

"Cela fait maintenant vingt ans que nous posons régulièrement la question à des responsables de sociétés de semiconducteurs : "Le prix des usines augmente plus vite que le marché du semiconducteur. Quel sera donc le paysage industriel du secteur dans dix ou vingt ans ?" La réponse a toujours été : "Il y aura de moins en moins d’acteurs. Seuls les meilleurs survivront.""

Dans la jungle électronique, ST-tout-seul a du souci à se faire, y compris pour finir l’année 2007 et son nouveau programme (technologie du "45 nanomètres") avec ses partenaires encore dans la place : malgré le mot d’ordre de leurs patrons ("Stay Professional"), les ingénieurs de NXP et Freescale ont bien du mal à se motiver, tout occupés qu’ils sont à envoyer des CV un peu partout. Privé de ses alliés, combien de temps ST survivra-t-il ?

c) Les actionnaires sont les patrons

"Après Thomson et Siemens, Philips se sépare à son tour de ses semi-conducteurs. La vente par Philips de 80,1 % de son activité semi-conducteurs à un consortium de cinq fonds d’investissement interviendra au 4e trimestre, la nouvelle entité prenant le nom de NXP, a annoncé, vendredi 1er septembre, Frans Van Houten, son PDG."
Philips, en larguant son activité de semi-conducteurs, a suivi l’exemple de Motorola deux ans plus tôt, et s’inscrit dans une tendance d’abandon des activités de production. Aucun groupe ne maîtrise plus la chaîne de fabrication de semi-conducteurs. Chaque partie est de plus en plus spécialisée, certains groupes étant "fabless" (sans usine) ; tandis que les fondeurs, eux, ne s’occupent pas de R&D.
Dans les semi-conducteurs comme ailleurs, ce sont les actionnaires qui ont le pouvoir. Ces gens-là, comme chacun sait, n’ont d’autres préoccupation que la rentabilité financière. Et les ingénieurs es silicium de Crolles de découvrir avec effroi qu’ils sont, comme les ouvriers de la chimie lourde de Brignoud, une variable d’ajustement.

d) Les coûts doivent être réduits

"Les puces électroniques passent aux marges arrières - La lettre est arrivée fin novembre. Portant en-tête de la direction de STMicroelectronics, elle avait été adressée au niveau mondial, à l’ensemble des fournisseurs de matériaux et d’équipements de production du fabricant franco-italien de semi-conducteur. Elle priait ces derniers de bien vouloir consentir une remise équivalente à 2 % de leur chiffre d’affaires réalisé avec l’industriel européen en 2006. (...) "On connaissait les marges arrières dans la grande distribution, voilà un système équivalent dans l’industrie" commente, acerbe, l’un des destinataires de cette lettre."
Bref, chez ST c’est comme chez Carrefour, on étrangle les fournisseurs.

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La pratique usuelle des multinationales dans la mondialisation, c’est d’exploiter la servilité des élus, par le chantage à l’emploi, pour leur extorquer des fonds publics, des infrastructures, des ressources naturelles, des arrangements. Une fois ces largesses épuisées, elles déménagent pour recommencer ailleurs.
La pratique usuelle des élus dans la mondialisation, c’est de sacrifier le territoire, les ressources, la santé publique contre la promesse de jobs pour leurs électeurs et de retour d’image pour eux-mêmes. Ecoutons Michel Destot, maire PS de Grenoble : "Je veux donc dire ici avec force que l’Alliance est autant un succès social qu’un succès économique ou technologique : en allant bien au-delà des créations d’emplois espérées, l’Alliance a validé notre stratégie de développement qui entend favoriser la création d’emplois par tous les moyens, et d’abord par la croissance économique et donc l’innovation."

L’emploi n’a pas d’odeur

* Favoriser la création d’emplois par tous les moyens ?
C’est-à-dire ne pas se préoccuper de la nature et du sens de cet emploi. Au fait, à quoi joue-t-on à Crolles 2 ? À fabriquer des puces, de plus en plus petites, pour en nicher partout : téléphones portables multimédias, appareils photos, ordinateurs, Ipod, consoles de jeux, lecteurs de DVD, voitures ou frigos intelligents (...) : tout est bon pour trouver des débouchés inutiles mais indispensables à la survie de cette industrie. Peu importe de gaspiller sa vie à un emploi en salle blanche pour produire des gadgets, et de créer une dépendance – voire une aliénation – des "consommateurs" aux nouvelles technologies.

* Favoriser la création d’emplois par tous les moyens ?
C’est-à-dire n’avoir d’attention que pour le dynamisme économique sans se préoccuper de ses conséquences sociales (hausse des loyers et du coût de la vie). L’Alliance – et son afflux massif de cadres - a contribué à faire du Grésivaudan et de l’agglomération grenobloise un rêve de promoteur immobilier à tel point que la région est aujourd’hui considérée comme une des « plus chères de province » . Ainsi en témoignent quelques salariés de Crolles 2 :
Daniel : « C’est impossible de se loger à proximité. Crolles, c’est réservé aux chefs. Les prix sont exorbitants » Gaëlle (service R&D) : « Aujourd’hui nous cherchons à acheter mais les prix sont fortement élevés dans la vallée du Grésivaudan. Même lorsqu’on a deux salaires d’ingénieurs. Crolles 2 a sans doute contribué à la hausse des prix. »
"Vivre" dans la Silicon Valley, ça se mérite. Le socialisme grenoblois nous l’enseigne, par la voix du conseiller municipal Bernard Pecqueur : "C’est la tyrannie de la réussite, les pauvres laissent la place aux riches ».
Une philosophie partagée par feu Jean-Claude Paturel, ancien maire communiste de Crolles : « Quant aux réserves foncières disponibles sur la commune, elles sont déjà prévues pour Crolles 3 et 4. Car notre objectif est bien de pérenniser l’électronique sur le site. Nous avons besoin d’espaces pour permettre la construction de futures salles blanches. »

* Favoriser la création d’emplois par tous les moyens ?
C’est-à-dire obéir à la moindre doléance des entreprises, au prix du saccage de l’environnement. « Au prétexte qu’une entreprise peut potentiellement délocaliser un jour ou être en difficulté, il ne faudrait plus rien faire pour accompagner le développement économique, s’agace François Brottes, qui craint que les entreprises n’accélèrent leur délocalisation »
Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, que nos contribuables pourraient vous offrir ?

- L’Alliance a besoin de matière grise et de chercheurs zélés ? Aussitôt le CEA-Léti, maison-mère de STMicroelectronics et entremetteuse avec Motorola , met à disposition des employés, notamment par la plateforme Nanotec 300 (budget de 400 millions d’euros, 1000 m2 de salles blanches, pour la mise au point de nouveaux procédés de recherche pour l’industrie.) « Quatre-vingts chercheurs du Léti travaillent à Crolles et un nombre quasi équivalent de gens de STM, Philips ou Motorola, au Léti. Les plaques de Silicium voyagent de la même façon entre les sites. » C’est toute la magie de la fameuse liaison recherche-industrie : comment tout mettre en oeuvre pour aider les grands groupes à faire encore plus de profits. Depuis deux ans, les équipes du Léti sont ainsi priées de s’adapter aux exigences des industriels de l’Alliance, en travaillant en deux-huit (équipes du matin et du soir).

- L’Alliance n’est pas assez bien desservie ? Pas de problème, le Conseil Général et la Cosi (Communauté de communes du Grésivaudan) construisent une nouvelle bretelle de sortie de l’autoroute A 41.

- L’Alliance a besoin de beaucoup, d’énormément d’eau ? Ok, ok, on double les canalisations sur 18 km, pour 25 millions d’euros payés par les collectivités. La fourniture d’eau pour le nettoyage des plaques de silicium (l’Alliance en pompe 700 m3/heure) ne doit jamais être interrompue ? D’accord, le Sierg (Syndicat Intercommunal des Eaux de la Région Grenobloise) s’engage à payer 150 000 € de pénalités par heure d’arrêt. .
Pendant que les habitants s’efforcent de diminuer leur consommation d’eau, ST, Soitec, Memscap se lâchent : "l’année 2006 s’achève sur une baisse de 1 % de la consommation d’eau des communes alimentées par le Sierg. 26 des 28 communes alimentées, dont la consommation est principalement "domestique" connaissent une baisse de 3,5 %, tandis que Crolles et Bernin (pour lesquelles la part industrielle représente plus des 4/5e) ont une consommation en hausse de plus de 8 %".

- L’Alliance produit beaucoup de rejets toxiques ? Pas d’inquiétude, les élus couvrent et se chargent de calmer les contestations des riverains en détournant les pollutions. Les pêcheurs isérois ayant porté plainte pour la pollution des chantournes (canaux) de Bernin, "la commune vient de lancer la réalisation de travaux. Ces derniers consistent à prolonger le collecteur qui déversera les eaux usées polluées non plus dans la chantourne mais dans… l’Isère."

- L’Alliance a besoin de beaucoup, d’énormément d’énergie ? Ses fours RTP - "Rapid Thermal Processing" - passant en une seconde de 400° à 1000° et inversement, engloutissent les kilowattheures ? Très bien, RTE (Réseau de transport d’électricité) aménagera de nouvelles lignes à haute tension : "A court terme (d’ici 5 à 10 ans) les perspectives de développement industriel au Nord-Ouest (MINATEC) et au Nord-Est de Grenoble (microélectronique du Grésivaudan) nécessiteront que RTE procède à des évolutions de réseau de façon à accompagner le développement économique de la zone."
Le site de Crolles consomme au moins 40 millions de kWh d’électricité et 25 millions de kWh de gaz naturel par an . Sans que ceci ne pose aucun problème à ceux qui, des Verts à l’UMP en passant par Attac et les syndicats, incitent à signer le pacte écologique de Nicolas Hulot et à « recharger son téléphone portable en heures creuses ».

Les Verts et la microélectronique durable

Fidèles à leur tradition gestionnaire, les élus Verts et Ades s’activent sur les questions financières. Ils ont mené, lors du Conseil Municipal de Grenoble du 29 Janvier 2007, une « vaillante » charge contre les subventions à l’Alliance, demandant un bilan financier des aides apportées par les collectivités . Pauvres écologistes : piqués par les attaques des opposants aux nécrotechnologies, ils auraient voulu se montrer contestataires après l’annonce du départ de NXP et Freescale. Peine perdue : leur sortie fut autant ridicule – le maire prit un malin plaisir à démontrer la "rentabilité" des subventions en taxe professionnelle - que stupide : il y a tant de choses à dénoncer dans l’Alliance (gaspillage d’eau et d’électricité, pollutions, impacts sur le territoire, inutilité sociale...) qu’il est absurde de s’en tenir aux financements. Michel Destot eut beau jeu de leur faire la leçon :

« Favoriser des emplois socialement et écologiquement utiles ? Bien sûr, mais peut-on dire que les emplois du projet Schneider Electric au sein du pôle de compétitivité Minalogic pour développer des armoires intelligentes de gestion énergétique des bâtiments, ne sont pas utiles économiquement, socialement et écologiquement ? Peut-on dire que ceux du pôle Tennerdis pour développer des capteurs solaires qui peuvent faire passer le rendement de 20 % à plus de 80 %, grâce aux fils nanométriques qui captent toutes les longueurs d’ondes du rayonnement, ne sont pas écologiquement utiles ? »

Eh bien oui on peut le dire – quoique les Verts s’en soient bien gardé. Quand on passe des quantités astronomiques d’eau, d’électricité, de gaz naturels, de produits chimiques pour produire des panneaux solaires, on peut dire qu’ils ne sont pas "écologiquement utiles". Quand, pour créer une ou deux applications surfant sur le développement durable, on crée des dizaines de gadgets inutiles, d’armes suprapuissantes, d’outils de contrôle social, eh bien oui on peut dire qu’ils ne sont pas "socialement et écologiquement utiles". Quand on détruit un territoire à coup de labos, centres de recherche, usines, lotissements, ronds-points, rocades, eh bien oui on peut dire que tout ça est socialement et écologiquement nuisible. À propos de l’Alliance – Crolles 2, la seule perspective « socialement et écologiquement utile », c’est sa fermeture définitive.

Cette perspective – de moins en moins improbable – suscite néanmoins quelques interrogations :

* La cellule d’accueil des nouveaux arrivants, à la préfecture, mise en place en 2002 pour faciliter les démarches des ingénieurs américains et hollandais débarquant dans la région va-t-elle se reconvertir pour l’aide aux partants, leur achetant leur billet d’avion et leurs cadeaux souvenirs de l’Isère ? Repartiront-ils avec un sac de noix ou une tranche de silicium ? Va-t-elle se consacrer à un accueil décent des arrivants kurdes et roumains non ingénieurs ?

* La « tyrannie de la réussite » va-t-elle s’inverser, les riches vont-ils laisser la place aux pauvres ? Avis aux squatteurs et autres expulsés de Grenoble-la-citoyenne : il pourrait y avoir quelques villas vides dans le Grésivaudan fin 2007. À quand une zone de gratuité dans une ancienne piscine ultra-chlorée ?

* Pour sauver leur honneur et la Croissance, les élus poursuivront-ils la fuite en avant "par tous les moyens » ? Michel Destot s’accrochera-t-il longtemps à son « Crolles 3 pour très bientôt » ? Les syndicats réclameront-ils encore du "pouvoir d’achat" et des "emplois" à tout prix quand le manque d’eau et de terres agricoles révolutionnera nos vies ? Les ingénieurs seront-ils toujours attirés par l’Isère quand la neige aura complètement déserté les stations de ski ?

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Les Asiatiques récoltent depuis longtemps nos déchets électroniques, qui empoisonnent les ouvriers du "recyclage", polluent leurs nappes phréatiques et leurs sols. Avec la délocalisation des usines, ils vont récupérer les nuisances amont et reconstituer toute la chaîne de destruction de l’industrie des semi-conducteurs. Nous ne pouvons que leur exprimer notre solidarité dans cette mondialisation du saccage.

Basile Pévin

Grenoble, le 3 avril 2007