Des contributions grenobloises à l’automatisation du cheptel humain.

I- D’où l’on parle

Qu’on s’en félicite ou qu’on s’en défie, chacun s’accorde à voir dans la "liaison recherche-industrie" le moteur de l’économie grenobloise depuis la domestication de la "houille blanche" en 1869 par l’entrepreneur Aristide Bergès : ingénieur et patron.
Ce que personne ne voit ou ne veut voir, ce sont les rapports de production, l’ordre social, les effets sur le milieu et somme toute l’évolution politique qu’entraîne de cycle en cycle ce moteur économique. Les uns parce qu’ils y trouvent leur avantage, si mince et illusoire soit-il. Les autres par aveuglement véritable ou veulerie enragée. Car ils ne veulent ni agir suivant leurs idées ni perdre la face en avouant leurs redditions. Et changeraient-ils d’avis qu’ils le feraient sans le dire, ou en expliquant encore pourquoi ils avaient raison d’avoir tort.

Pourquoi s’en prendre au Centre d’Etudes Nucléaires Grenoblois (CENG), quand un quelconque comité Chiapas vous pourvoit en bonne conscience à bon marché ? Il est bien plus judicieux pour un chercheur à l’INRA de s’opposer à Le Pen qu’aux chimères génétiques ; comme il est bien plus gratifiant pour un écolo-citoyen de perpétuellement chicaner les effets de cette liaison recherche-industrie (nuisances, risques majeurs, abus de pouvoir) plutôt que de dénoncer cette liaison et par là de s’attaquer enfin aux causes. Mais il est vrai qu’on quitterait alors l’expertise technicienne pour la contestation politique, ce qui serait anti-grenoblois.

Ces choses-là ne sont pas mystérieuses. Il n’y a pas besoin de diplôme pour dire que le roi est nu. Ni que cette cuvette est le fief d’une techno-caste au règne à peine troublé de quelques remontrances issues de ses propres rangs (Ades, Verts, Frapna). Si un ingénieur nucléaire encadre l’Adès (l’Hadès !... Tout de même ! qui n’a pas tressailli à ce lapsus militaro-mortifère ?), que le directeur général et le chargé de relations publiques de l’université Joseph Fourier (biotechs et Biopolis) administrent les Verts entre deux expulsions de gitans, pourquoi le rédacteur en chef d’Isère Nature (mensuel de la Frapna) ne serait-il pas aussi l’ex-chargé de com’ de Schneider, conseiller municipal à La Tronche et défenseur des labos militaires sis sur sa commune ? (cf Isère Nature, juin 2002)

On finit par en rire. Et si ces banalités égrenées dans quelques papiers, lors de quelques réunions publiques, ont pu faire sensation, tout le mérite en revient au silence, à l’interdit, aux dénégations qui les recouvraient. Voici trente ans qu’elles auraient pu, qu’elles auraient dû se dire ; certains avaient commencé dans les années 70 à dénoncer "la fac au service des patrons", qui par un prodigieux tête-à-queue, célébrèrent finalement les "grains de technopole" et le "territoire endogène innovant" (c’est Grenoble). N’importe quel économiste ou sociologue, dans une ville où ils se marchent dessus, aurait pu en dire autant à condition d’avoir la moindre conscience professionnelle. N’importe quels républicains, révolutionnaires et radicaux, dans une ville où l’on éclate de bouffissure progressiste, auraient dû en dire autant, s’ils avaient eu la moindre conscience politique.

Mais voilà des décennies que les uns font carrière tandis que les autres font des comités Chiapas, braient que le fascisme ne passera pas, réclament des pilules de sodium pour les voisins de l’Institut Laüe Langevin ou fustigent "la fausse conscience" en doctes conciliabules. Sans jamais s’aviser, les uns que leur carrière mène aux horreurs, les autres que si les zapatistes avaient passé leur temps à faire des comités Dauphiné, leur cause n’aurait jamais franchi les lisières de la forêt Lacandon ; que le fascisme à front de taureau est une solution archaïque par rapport à ce qui se mijote dans nos laboratoires technopolitains ; que les pilules de sodium ne suppriment ni les réacteurs nucléaires ni les nucléocrates ; que fustiger la "fausse conscience" reste de la fausse conscience tant qu’elle en reste là.

C’est devant ce constat de mutisme que le premier venu, pour peu qu’il lui reste un brin d’échine, peut faire œuvre utile quoi qu’en disant ce que tout le monde tait. D’où l’on voit qu’il serait abusif d’attribuer à d’autres qu’au simple citoyen des discours trop communs pour mériter des noms propres. Ce qui présente le double avantage de retourner le mot de citoyen contre ceux qui s’imaginent l’avoir déposé, et de rire des transes radicales à sa moindre mention.

A vrai dire, le titre de simple mitoyen, piéton et résident de cette mitée, suffisait pour dire ce que n’importe qui aurait dû dire. La preuve. Et si c’est encore trop, l’on dira comme tel autre : "C’est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatrième chant."

II- La prochaine révolution industrielle

Le temps file cependant, à Grenoble toujours plus vite qu’ailleurs, toujours avec un temps d’avance, et c’est ici plutôt qu’ailleurs que se fomente la prochaine révolution industrielle : celle des nanotechnologies. On parle de Minatec, bien sûr, le méga-projet européen qui ne se reconnaît que deux rivaux, à Los Angeles et à Tsukuba (Japon). Minatec en fait n’étant que la pièce centrale (formation, recherche et applications) d’un dispositif qui comprend Nanotec 300 (fabrication de plaquettes de silicium) et Crolles 2 (site de recherche et de production co-fondé par Philips, Motorola et STMicroelectronics).

Quelques chiffres, ça fait sérieux.

Minatec, de source officielle, c’est 150 millions d’euros d’investissement (mais Le Point du 4/10/02 dit 170 millions, et Les Echos du 15/04/02, 180 millions d’euros). Soit près de 127 millions d’investissement public, dont 113 environ des collectivités locales.
On comprend devant ces chiffres que Jean Therme, le directeur local du Commissariat à l’Energie Atomique, ait rendu un hommage insistant aux élus de l’Isère pour leur "courage" et "les risques" qu’ils savaient prendre avec l’argent public (cf conférence au CRDP de Grenoble le 27/11/02).

De Nanotec 300, Pascal Colombani, administrateur général du CEA, nous dit que c’est un projet à 400 millions d’euros, plus du double de Minatec, à négocier "avec les financeurs potentiels, collectivités locales, industriels, Etat..." (Le Daubé, 01/06/02)
Enfin Crolles 2, c’est 2,8 milliards d’euros d’ici 2007, le plus gros investissement industriel en France depuis la construction des dernières centrales nucléaires, "grâce à des aides publiques massives atteignant 543 millions d’euros (395 de l’Etat et 148 des collectivités locales)" selon l’AFP (12/04/02).

Soit au bas mot 3,350 milliards d’euros dans les nanotechnologies grenobloises, dont 670 millions d’argent public, comprenant 261 millions de financement local - hors Nanotec 300, bien sûr, dont le montage reste à négocier.

Commence-t-on à voir tout le prix que nos technarques attachent à ces projets ? Et s’il se trouvait encore des citoyens assez simples pour croire à leur "démocratie", n’auraient-ils pas dû débattre avec eux de ces colossales largesses, au lieu d’en trancher entre élus ? Las, même sur cette question de gros sous qui touche à leur fonds de commerce, les économes de l’Adès n’auront pas dépassé une courageuse abstention de vote.

Quant aux ressources humaines et matérielles, elles seront à la hauteur de ces crédits mirifiques.

Minatec : 60 000 m2 de bâtiments sur le Polygone scientifique, 4500 profs, ingénieurs, étudiants, etc.

Nanotec 300 : 150 chercheurs et "un nouveau bâtiment évolutif" avec des salles blanches.

Crolles 2 : 5000 m2 de salles blanches, 550 chercheurs, 650 ingénieurs et techniciens et 4500 emplois indirects (sous-traitants, sous-traités, etc).
A quoi s’ajoutent "les 4 milliards d’euros déjà mobilisés en dix ans par les acteurs de la filière microélectronique avec le soutien des collectivités locales", "une filière innovante" avec dans la cuvette 3000 chercheurs qui déposent chaque année 300 brevets de portée mondiale, 15 000 salariés répartis dans 200 établissements, les plus grandes firmes du secteur (Atmel, STMicroelectronics, Philips, Motorola, Infineon, On Semiconductor, Soitec, Memscap, Thales, ASML, Applied Materials, Silvaco, Air Liquide, Synopsis), "plus de 25 start up à fort potentiel" créées dans les cinq dernières années (Tronics, Apibio, Team Photonics, Iroc Technologies, Xenox, Opsitec, Polyspace...). Ladite filière s’adossant par ailleurs à 220 laboratoires, 5 centres de recherche, etc (cf Lettre de Minatec, n°4, sept 02).

Il est vrai que certains contestent cette nanovision. Le secteur des nouvelles technologies compte 35 000 salariés à Grenoble. Depuis la ZIRST de Montbonnot, Jean-Pierre Verjus, dircom’ de l’Institut National de Recherche en Informatique et Automatique (INRIA) proclame que "parler de Grenoble comme de la capitale des nano et microtechnologies est une erreur stratégique. L’industrie des logiciels emploie la moitié des effectifs dans les high tech du bassin d’emploi. Surtout les logiciels sont devenus indissociables du matériel. Dans un téléphone mobile, il y a autant de puces que de logiciels. Mieux vaut nous présenter comme la capitale du numérique." (L’Essentiel de Grenoble et de l’Isère, 7/02/01)

De leur côté, Raymond Avrillier et Christine Garnier, écologistes grenoblois, estiment au conseil de la Métro que "les créations d’emplois prévues à Minatec (1200 chercheurs publics, 1000 emplois industriels directs) sont surestimés, qu’il n’y a pas de financeurs privés alors que cet argent public va bénéficier entre autres à des entreprises privées - les start up - qui vont peut-être, par la suite, partir ailleurs faire bénéficier d’autres territoires (notamment le Voironnais) de leurs taxes professionnelles." (Le Daubé 22/12/01)

Alors ? Grenoble est-elle la capitale du nano ou du numérique ? Devons-nous guerroyer contre les félons voironnais qui braconnent nos taxes professionnelles ? Et si les nécrotechnologies créaient bel et bien de l’emploi, de la croissance, des revenus, devrions-nous en vouloir pour autant ?

Ceci dit pour rappeler aux lecteurs du Monde Diplomatique, aux voyageurs de l’anti-mondialisation, aux pourfendeurs de la marchandisation, où ils vivent et de quoi ils vivent, eux qui prétendent un peu vite que leurs vies ne sont pas à vendre. Si ces étourneaux sautillent et se dispersent d’une action à l’autre, suivant l’actualité du jour, les maîtres du monde qu’ils disent combattre savent bien, eux, où se trouve le front. Ils savent où concentrer leur effort de guerre pour ouvrir au marché de nouveaux espaces, de nouveaux profits, et surtout de nouveaux pouvoirs. "Le Vivant, nouveau carburant de l’industrie", nous explique sur quatre pages Le Monde du 10 septembre 2002. "A l’aube du XXIe siècle, les progrès obtenus dans l’ingénierie à l’échelle nanométrique des organismes vivants permettent d’extraire la même brique de base, la molécule de carbone, et de la transformer, comme le fait la pétrochimie, en lessives, textiles, plastiques, carburants, etc."

"La commission (NDR européenne) veut promouvoir les nanotechnologies", rapporte le Pan European du 15 juin 2002. "... c’est la raison pour laquelle l’exécutif de l’Union européenne a décidé de lui allouer 700 millions d’euros au titre du 6e programme cadre de Recherche et Développement (2002-06). Ce thème devrait faire l’objet d’une journée d’information présidée par le commissaire européen chargé de la Recherche, Philippe Busquin, le 14 juin à Grenoble (France), au centre de recherche de pointe du CEA-Minatec... Avec les contributions du secteur privé, l’investissement global devrait atteindre un milliard d’euros."

Le gouvernement américain, de son côté, injecte chaque année 600 à 700 millions de dollars dans ce secteur.

Tim Harper, directeur exécutif de l’European Nanobusiness Association, note sobrement : "Le montant communément accepté du marché mondial des nanotechnologies en 2015 est au-dessus d’un trillion d’euros." Mille milliards si l’on préfère. Soit un quarantième du PIB de la planète en 2000 (Courrier de l’Unesco, nov. 2000). Mais encore une fois, c’est l’intention qui compte, la maîtrise de la matière, et non l’argent qu’on y met.

On s’étonne d’autant plus d’avoir à insister sur ce mécanisme que la "liaison recherche-industrie" est une idée reçue du capitalisme, depuis la machine de Watt (1736-1819) et la première révolution industrielle. Grenoble ne se signalant que par un certain paroxysme, une obsession locale, faute de matières premières ou de possibilités commerciales, de devenir ce fameux laboratoire où les techno-rats s’enorgueillissent tant d’expérimenter les effets de la technification du monde.

"Ce qui se joue à Grenoble est réellement essentiel pour l’avenir de notre économie. Ces retombées iront bien au-delà des quelques 8000 emplois que Crolles 2, Minatec et Nanotec créeront dans les prochaines années. C’est l’affirmation de la volonté de l’Europe d’occuper une position stratégique sur l’échiquier mondial des technologies majeures qui façonnent le XXIe siècle." (Pascal Colombani, administrateur général du CEA, in Lettre de Minatec n°4, sept 02).

III- Découvrons les nanotechnologies

Mais qu’est-ce que les nanotechnologies finalement, et en quoi servent-elles ce projet ? Le préfixe "nano" fait référence au milliardième de mètre, soit environ un cent millième de l’épaisseur d’un cheveu. Né en 1981 dans le laboratoire d’IBM à Zürich, le microscope à effet tunnel est le premier outil à avoir permis l’observation de la matière à l’échelle de l’atome, entre 0,2 et 0,3 nanomètre. A l’aide d’une sonde métallique, il "palpe", la surface à étudier en mesurant les interactions entre la pointe de la sonde et les atomes de l’échantillon, dont il reconstitue l’image par ordinateur avec une précision de 0,01 nanomètre. Avec cet instrument, voir c’est toucher. Il devient possible de manipuler des atomes, un par un, pour dessiner par exemple le logo d’IBM à l’aide de 35 atomes de xénon.

La nanotechnologie concerne la fabrication et la reproduction de mécanismes et de produits élaborés de toutes pièces à partir d’atomes ou de molécules. Le matériel génétique et la matière inerte deviennent ainsi des jeux de Légo manipulables à volonté, dans les nano-usines du futur. Exactement comme la nature produit des arbres, des montagnes et des êtres vivants avec de la matière première moléculaire. Il ne s’agit plus de refaçonner les éléments puisés dans l’environnement mais bel et bien d’instaurer une nouvelle nature : des nanorobots capables d’auto-reproduction et programmés pour assembler atome par atome les matériaux qui transformeront l’eau en vin, le charbon en diamant, etc. Modifier un matériau à l’échelle macroscopique, c’est en effet changer radicalement ses priorités. On sait que les propriétés de nombreux matériaux naturels aux qualités mécaniques exceptionnelles tiennent en bonne partie à leur structure à l’échelle nanométrique, et non à leur seule composition chimique. Ainsi les nanotubes de carbone, dotés de propriétés extraordinaires, permettent de fabriquer des diodes et des transistors de taille moléculaire. Outre l’ordinateur miniature, ils pourraient donner naissance à des matériaux composites d’un type nouveau, des câbles souples ultra-résistants ou des conteneurs d’hydrogène liquide.

La nanotechnologie est à la matière inerte ce que la biotechnologie est au vivant. La recherche sur les nanotechnologies s’intéresse actuellement surtout aux molécules de carbone, mais elle pourrait s’étendre à la table complète des éléments. Entre 10 et 100 nanomètres notamment, la nature réalise de nombreuses machines moléculaires. Les virus sont des robots chimiques, les bactériophages, des nano-machines, les flagelles des spermatozoïdes, des micro-moteurs biologiques. D’où la continuité entre bio et nanotechnologies, aboutissant aux nanobiotechnologies. Les chercheurs savent déjà manipuler des bactéries pour leur faire produire des substances particulières, notamment médicamenteuses. En manipulant atomes et molécules un à un, on revient au stade antérieur à l’apparition de la vie. Autrement dit, si je peux rassembler comme je veux atomes et molécules, je peux créer une autre vie. Virus artificiels, connexions entre nerfs et ordinateurs, transparence absolue du génome, machines microscopiques et donc invisibles, biopuces pour effectuer des tests biologiques ou génétiques en un clin d’œil et avec un encombrement minimal. Une compagnie d’assurance ou un employeur pourrait ainsi déterminer instantanément les prédispositions génétiques d’un individu, à l’aide d’une infime prise de sang (compression de Libération du 2-3/12/00, de Science et Vie de février 2000, janvier 2001, octobre 2002 et de Défis du CEA, mai-juin 2002).

Dans l’immédiat c’est en électronique, pour la fabrications des "puces", que s’imposent micro et nanotechnologies. Une puce est une plaquette de silicium sur laquelle sont gravés les composants élémentaires, les transistors, qui par extension ont donné leur nom aux postes de radio de l’époque yéyé. Depuis 1975, le nombre de transistors par plaquette de silicium double tous les 18 mois, de 2300 jadis à 55 millions aujourd’hui, tandis que leur prix chute verticalement. En 1973, le coût d’un million de transistors équivalait à celui d’une maison : 76 000 € ; en 2005, il ne vaudra plus que le prix d’un Post-It : 0,004€. Concurrence oblige. Mais inversement le volume des investissements nécessaires pour suivre une telle croissance double tous les quatre ans. A tel point que l’industrie de l’électronique est devenue la plus coûteuse, devant l’automobile et le nucléaire (cf Chroniques du CEA, n°7, mars 2002). "Les budgets investis ont doublé en dix ans", confirme Joël Monier, directeur de la R&D de STMicroelectronics (Isère Magazine, mai 2002). Dans Le Monde, il estime que ce coût a été "multiplié par dix en trois ans". On ne dispose pas du chiffre énoncé dans une troisième interview, mais bref, le financement est si élevé qu’il contraint certains groupes à s’allier pour éviter que la concurrence ne conduise prématurément au monopole. C’est pour fabriquer des puces que ST, Philips et Motorola ont bâti leur usine de Crolles 2, à 3 milliards d’euros. c’est pour mettre au point les nouvelles technologies du silicium que le CEA bâtit Nanotec 300, son centre de recherche à 400 millions d’euros. Et c’est pour dépasser le silicium, grâce aux nanopuces, aux transistors moléculaires, aux ordinateurs à ADN (cf Demain le nanomonde, Jean-Louis Pautrat, éditions Fayard), que ce même CEA allié à l’INPG nous inflige son Minatec à 150 ?... 180 millions d’euros ? Avec l’appui du ministère de la Recherche et du commissaire européen à la Recherche. Comprenons bien : avec 208 milliards de dollars en l’an 2000, le marché des composants est le premier au monde (cf Chroniques du CEA, n°71, mars 2002).

Mais pourquoi tant de puces ?

IV - A quoi servent les nanotechnologies ?

Le Pan European du 15/06/02 nous résume. "La nanotechnologie permet déjà de nouvelles applications dans des secteurs aussi divers que les technologies de l’information (TI), l’industrie automobile, les cosmétiques, les produits chimiques et les emballages. Elle devrait également ouvrir la voie à de nouvelles applications et favoriser le développement de nouveaux secteurs industriels. Le stockage et la distribution d’énergie, la détection, les mesures et les essais, les processeurs et les techniques d’affichage, la bio-analyse et l’administration des médicaments, la robotique et les appareils médicaux figurent parmi les secteurs les plus prometteurs."

On croirait entendre le Senhor Olivares, le blanc-qui-vend-tout, dans les albums de Tintin. Ne sommes-nous pas ces sauvages que les trafiquants dépouillaient de leurs richesses et de leur liberté en échange de leur camelote ; gris-gris, verroteries, eau-de-feu ? Ne sommes-nous pas ces gogos que Pérec décrivait dans Les Choses (une histoire des années soixante) et qui comblent d’objets fétiches, leur vide intérieur ?
Ce futur est tellement obsolète que nous imposent nos technarques. Quand on entend Jean Therme et ses pareils nous agiter leur pacotille sous le nez, outre la honte que l’on ressent d’être à ce point insulté, on ne peut s’empêcher de songer que c’est justement à ces achats de pacotille, qu’ils mesurent "le moral des ménages". Que leur bonheur, c’est décidément le taux de croissance. On songe encore aux pathétiques appels à la "consommation patriotique" qui aux Etats-Unis et en France suivirent les attentats du 11 septembre 2001. A Bush le père, déclarant "non-négociable" "notre niveau de vie", alors qu’il faudrait 12 planètes comme la nôtre d’ici 2050 pour étendre au reste du monde ce "niveau de vie", sous lequel déjà succombe la terre. (cf Silence n°280, fév 2002)

Mais qu’importe puisque nos technarques ont inventé le feu rafraîchissant et le développement durable ? Puisque Jean Therme, directeur de cette "entreprise citoyenne" qu’est le CEA, a signé avec l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) un "partenariat" pour "optimiser" ses "gestions de déplacements et d’énergie". (Le Daubé. 27/03/02) Ce qui somme toute ne peut pas faire plus de mal qu’un sparadrap sur une jambe de bois.

Quand on lit la propagande des nanotechnologies dans leurs dossiers de presse, dûment régurgités par celle-ci, que l’on a deux fois assisté au même numéro communicationnel, avec les mêmes transparents, de Jean-Charles Guibert (responsable des programmes de partenariat à Minatec) ou de Jean Therme (directeur du CEA-LETI), on reste finalement effaré de ce qu’ils nous offrent pour vendre leurs projets.
A quoi servent les puces ? A tout. Vous aurez tout pour rien : une cafetière (1 puce), un pèse-personne (1 puce), une carte bancaire (1 puce), un radio-réveil (3 puces), un auto-radio, un organizer (6 puces), une télé, un portable (10 puces), un micro-ordinateur (50 puces !), sous oublier la sempiternelle 607 Peugeot-qui-embarque-autantd’électro-nique-qu’un-Airbus-d’il-y-a-dix-ans.

"Demain de nouveaux produits bourrés de composants électroniques miniaturisés envahiront notre quotidien" nous avertissent les Nouvelles de Grenoble (sept 2002). "Nos mobiles deviendront de véritables instruments multimédias connectés à Internet. Nos stylos communiqueront à distance avec des ordinateurs. Santé, mais aussi matériaux, vêtements, voitures... plein de domaines bénéficieront d’améliorations encore insoupçonnées ou de totales transformations." Minatec : Maxitoc.
Et Chronique (trimestriel du CEA Grenoble) de renchérir numéro après numéro, nous promettant "des jeux vidéos, des télécommandes, des téléphones du 3e type, l’écharpe multimédia, des biopuces etc" qui "changeront en profondeur notre vie quotidienne" (n°69, p.6)

Sans doute. Et à elle seule cette prédiction justifierait un de ces débats-spectacles dont la société du même nom a le rituel. Mais il est typique de nos technarques de changer d’abord "en profondeur notre vie quotidienne", puis de nous communiquer ensuite, le caractère souhaitable et souhaité de ces changements.

Science et Vie d’octobre 2002 ajoute au catalogue : des disques durs à haute densité, de l’anti-polluant pour diesel, du verre auto-nettoyant, du béton ultra-haute performance, des "boîtes quantiques" pour suivre à la trace les protéines d’une cellule, tandis que Isère Magazine de décembre 2002 nous rabâche encore l’écharpe et le frigo "communicants" (et d’ailleurs qu’ils se débrouillent entre eux, ces objets n’ont plus besoin de nous) ou l’étiquette de supermarché "intelligente", quoique son QI n’ait pas été divulgué.

V- Grenoble et les nano-armes

Quand elles ne sont pas futiles, les applications des nanotechnologies sont effroyables. Aussi nos technarques communiquent-ils le moins possible sur le côté militaire et policier de leurs technologies duales. Pour compenser, on reproduira in extenso, cet articulet du Daubé paru le 3 avril 2001 :

"Les microtechnologies, un enjeu de taille pour la Défense.
La journée "Science et Défense" menée par la Direction Générale pour l’Armement, inaugurait hier les 2e rencontres internationales des micro et nanotechnologies, Minatec 2001, qui se déroulent au World Trade Center jusqu’au 6 avril.
"La pertinence d’une journée "Science et défense" dans le cadre de la semaine Minatec, provient du fait que les performances de nombreux équipements et systèmes de défense dépendent très directement des caractéristiques et de la disponibilité des composants issus de la microélectronique et des microtechnologies. Une tendance renforcée par l’évolution de ces mêmes technologies qui génère des améliorations majeures de performances, économiques ou techniques, voire des ruptures dans l’architecture ou les concepts d’emploi."

Une introduction de Laurent Malier, responsable du départements Composants de la Direction Générale pour l’Armement, pour mettre en lumière le rôle déterminant des technologies dans les systèmes de défense (missiles, éléments structuraux, radars...)
Cette journée était l’occasion d’exposer, aux quelques 200 congressistes, les priorités déduites des besoins de défense et ce, par le biais de différentes conférences réparties selon trois grandes thématiques : microtechnologies pour l’électronique et le traitement du signal, capteurs intégrés pour la maîtrise du renseignement et enfin, matériaux et structures "intelligents" ou nanostructurés.

L’objectif ? Tisser des liens pour une prise en compte optimale des besoins de défense.
Avec, en 2000, près de 90 MdF de commandes passées à l’industrie (niveau record depuis dix ans), un investissement en recherche et développements technologiques sur les trois dernières années représentant plus de 300 MF dont environ un tiers portant sur les technologies génériques, la Direction Générale pour l’Armement vise à devenir un acteur majeur de l’Europe de la Défense, tant au niveau de la conception des programmes d’armement que de leur réalisation.

Un objectif auquel cette journée devrait contribuer, sans compter sur le fait qu’elle propulse également Grenoble au rang de capitale internationale.

Pourquoi avoir choisi la capitale dauphinoise ? Pour son rayonnement mondial à travers ses nombreux laboratoires, centres de recherches et universités qui constituent une source inépuisable d’innovations dans laquelle la Direction Générale pour l’Armement pioche régulièrement. Un choix qui, selon Laurent Malier, s’est imposé tout naturellement."

Tout naturellement.

On imagine en effet "le rayonnement mondial" de notre "capitale internationale" quand des populations d’Irak, du Liban, du Kurdistan et autres Palestines reçoivent sur la tête ces "matériaux et structures "intelligents" ou nanostructurés", dont nos laboratoires, centres de recherches et universités "constituent une source inépuisable". C’est là qu’on mesure toute la pertinence de ces internationalistes qui loin de se concentrer sur des mesquineries locales, combattent par procuration dans des guerres lointaines. Et il doit être bien doux pour ces bombardés exotiques de savoir qu’à Technopolis, après une dure semaine au service de "l’innovation", le progressiste grenoblois trouve encore la force de manifester contre leur massacre.

Dans La Guerre au XXIe siècle (Editions Odile Jacob, janvier 2000) un certain Laurent Murawiec, ex (?) militant d’extrême-droite, ex-consultant du ministère de la Défense et chargé de conférences à l’EHESS, désormais analyste à la Rand Corporation, la boîte à idées du Pentagone, disserte sur "Mems, robots et silicone" (cf p.183)

"Les MEMS (NDR Systèmes Micro-Electro-Mécaniques) sont les premières générations de micro-machines : il s’agit de capteurs et de moteurs miniatures de la taille d’un grain de poussière dont les prototypes entrent déjà en service aujourd’hui dans l’industrie (...) L’airbag qui équipe les voitures comporte un détecteur de mouvement de la taille d’un cheveu ; ce petit morceau de silicone détecte une accélération brutale du véhicule avant de déclencher le gonflement du ballon.(...) Plus l’ingénierie au niveau atomique, déjà courante, maîtrisera la construction atome par atome, plus on pourra passer du niveau microscopique au niveau du nanomonde, de l’infiniment petit. Plus tard, après 2020 peut-être, ce seront les machines moléculaires qui prendront leur essor, capteurs moléculaires, nanotubes de carbone à partir desquels on construira des transistors moléculaires...
La Défense se sera emparée de ce nouveau microcosme pour y porter l’attaque et la défense. Une application des MEMS actuellement à l’étude serait une "poussière de surveillance" qui serait vaporisée au-dessus d’un champ de bataille, ou d’une aire sous observation ;(...) Les pionniers de la technologie des MEMS, les utilisent déjà dans l’aéronautique pour améliorer la portance des ailes des avions en réduisant les turbulences.(...)

La technologie MEMS a et aura des applications militaires multiples : elle contribuera à rendre l’obus "intelligent", à stabiliser les missiles (un MEMS à 20$ au lieu d’un gyroscope à 1000$ !), à améliorer l’analyse des menaces (en remplaçant les spectomètres de laboratoires à 17 000 $ l’unité) (...)

La robotique de bataille a devant elle un brillant avenir. Contrairement aux anticipations de la science-fiction, il s’agit moins de robots-guerriers que de petits robots légers, peu coûteux, versatiles, monofonction, micro ou nanorobots utilisés comme capteurs ou transmetteurs, ou comme armes hautement spécialisées. Les chercheurs ambitionnent de faire coopérer ces micro-unités sous la forme de réseaux neuronaux de bataille.(...) Le triage et la modélisation des données seraient effectués par une architecture englobante d’intelligence artificielle (...)

Les androïdes de la science-fiction viendront plus tard, les androïdes de guerre en particulier, avec le développement de la puissance de calcul, des réseaux neuronaux, de la reconnaissance de forme et des capacités de simulation. C’est donc la robotique plus que les robots qui sera exploitée par la guerre (...)

On passera ensuite aux ordinateurs à molécules d’ADN pour exploiter leurs prodigieuses capacités de stockage. On passera également aux ordinateurs quantiques, et finalement à la bionique, c’est à dire à l’intégration directe entre l’homme et la machine - qui fait aujourd’hui ses premiers pas en chirurgie, pour donner aux tétraplégiques la capacité de mouvoir un curseur d’ordinateur par la pensée, c’est à dire par l’intermédiaire d’un entrelacement de l’organique et du silicone au niveau neuronal."

Certes, quand la guerre devient chirurgicale, la moindre des choses est que la chirurgie répare ensuite ses dégâts et serait-on tétraplégique, qu’on rêverait sans doute de cette prothèse intégrée. Mais à supposer que ladite prothèse ne soit pas un pur leurre, on voit comme les nécrotechnologies avancent toujours sous couvert civil, humanitaire ou médical. Ce qui avait conduit le mathématicien Grothendieck, médaille Fields 1966, à renoncer et appeler au renoncement à toute recherche . Les plus abstraites portant leurs applications en elles, comme la nuée l’orage.

On n’a pas ici de ces vains scrupules et la technocom grenobloise s’égosille à célébrer Tronic’s et PHS Mems, deux "essaimages" du CEA-LETI fabricants de MEMS. Créée en 1997, Tronic’s va augmenter sa capacité de production de quelques milliers de capteurs à plusieurs millions par an. Tronic’s bénéficiera pour cette opération d’une aide exceptionnelle de 275 000 € du conseil général de l’Isère. La société emploie 20 personnes et a réalisé en 2001 un chiffre d’affaires de 1,5 M€ (Lettre de Minatec n°3, avril 2002). Mais la perle de "l’essaimage" grenoblois, la gloire des start up locales, c’est Memscap, un scion de l’INPG (Institut National Polytechnique de Grenoble). "Sans-fil et optique pour Memscap" (Le Monde 31/01/02). "MEMS, comment des microsystèmes ont fait la fortune d’un chercheur grenoblois" (Objectif Rhône-Alpes, avril 2001). "Memscap, une réussite grenobloise" (Le Daubé, avril 2002) "Memscap vers le futur" (Le Daubé 5/11/02). On ne reproduira pas tout le press book mais puisque le technogratin se rengorge sur la valeur exemplaire de cette boîte, autant s’y arrêter un peu.

A l’origine de cette parabole, Jean-Michel Karam, un étudiant de l’Esiee (Ecole Supérieure d’Ingénieurs en Electrotechnique et Electronique, à Paris) et du laboratoire Tima (Techniques de l’Informatique et de la Microélectronique pour l’Architecture des ordinateurs) de l’INPG. "Quand je suis arrivé dans ce laboratoire en 94, j’ai tout de suite créé un groupe de recherche spécialisé dans les Mems qui est devenu rapidement le premier laboratoire public à faire des produits technologiques pour l’industrie. C’est là que j’ai vu qu’il y avait un marché énorme et que c’était le moment de monter ma boîte. Du coup, j’ai quitté mon poste de chercheur où j’avais la sécurité de l’emploi pour lancer Memscap." (Objectif Rhône-Alpes, avril 01)

Détail touchant, Karam "débauche" le prof qui l’avait poussé dans cette voie, retour de "débauche" en somme. En 1997, à 27 ans, il lance Memscap avec 400 000 F de fonds propres et 12 millions de frs de filiales de France Telecom et de la Banque Populaire. En avril 2000, il "lève" encore 72 millions de frs auprès des mêmes et d’un groupe suisse. En avril 2001, "il crée la surprise en levant 760 millions de frs alors que le Nasdaq est au plus bas." "Même si aujourd’hui Memscap ne réalise que 20 millions de frs de chiffre d’affaire avec 100 salariés, cette entreprise est valorisée en bourse à 2,8 milliards de frs. Et ce n’est qu’un début pour son PDG, Jean-Michel Karam qui affiche sans complexe son ambition : devenir le leader mondial dans son secteur." (id)

Un an plus tard, c’est chose faite et le Daubé revient sur "le fabuleux destin de la jeune entreprise". Implantée dans huit pays. Présente sur tous les marchés. Disposant déjà de 73 brevets. Avec une nouvelle usine à 520 millions de francs, construite à Bernin dans le Grésivaudan et un chiffre qui double chaque année. Dans moins de cinq ans, Memscap vaudra au moins des dizaines de milliards de dollars selon Jean-Michel Karam. "Dans l’une des salles de conférence situées au rez-de-chaussée de l’immense et toute nouvelle usine -la "fab"- du spécialiste des "Microelectromechanicals Systems", et en présence du consul général des Etats-Unis à Lyon, Cameron Scott Thomson, on fait le point sur le marché mondial de ces étonnants micro-composants électroniques qui croît sans faiblir, sur les perspectives de Memscap, sur ses résultats du troisième trimestre." (Le Daubé 5/11/02)

Principaux clients ? La Nasa, Kodak, Microsoft, Motorola, Bosch, Xerox, Samsung et STMicroelectronics. "Rappelons que les MEMS de la société rebondissent dans les secteurs des communications sans fil et optiques, du médical et du biomédical, de l’aérospatial et du militaire." (id)

Rebondissons. Comme le dit Jean-Charles Guibert, "ambassadeur itinérant de Minatec" : "La vocation in fine, c’est de créer de l’industrie et des emplois" (Chronique du CEA n°73, automne 2002). Comme le répète Vincent Comparat, simultanément directeur de recherches à l’Institut des Sciences Nucléaires et du Rouge et le Vert, bulletin de l’Ades : "Minatec(...) Les recherches effectuées ne sont pas pilotées par des intérêts militaires (même si elles peuvent avoir des implications militaires) et ne posent pas à priori de problèmes d’éthique importants. Elles visent à assurer à Grenoble une position de leader sur les développements futurs dans les micro et nanotechnologies.(...) C’est la poursuite du modèle de développement grenoblois qui a été une réussite par le passé, et qui avait tendance à s’essouffler à cause d’une concurrence beaucoup plus forte d’autres pôles universitaires et de recherche. C’est aussi la poursuite du modèle qui associe recherche, formation et transfert vers l’industrie. De ce point de vue les collectivités, conseil général, Métro et Ville de Grenoble, se devaient de soutenir fermement cette initiative." (Le Rouge et le Vert N°84 fév/mars 2002)

En somme "le développement grenoblois" (recherche, industrie, emplois) n’a pas d’odeur. Notre niveau de vie n’est pas négociable. Les comparatistes ne voient nulle objection aux nanotechnologies tant qu’elles servent à remplir les magasins d’électro-ménager. Et ces gens qui sont pourtant les mieux placés pour savoir (écolo-citoyens, mais aussi scientifiques, économistes, sociologues etc.), ignorent ce que sait n’importe quel lecteur du Daubé : "Le rayonnement mondial" de notre "capitale internationale", "à travers ses nombreux laboratoires, centres de recherches et universités qui constituent une source inépuisable d’innovations dans laquelle la Direction Générale pour l’Armement pioche régulièrement."

Où l’on voit que le "développement grenoblois" était du "développement durable" avant la lettre.

VI - La robotique folle

C’est bien l’avis de Geneviève Fioraso (adjointe au développement économique, à l’innovation, au commerce et à l’artisanat à la ville de Grenoble), qui n’est pas une techno-dinde puisqu’elle parle couramment l’anglais, et même en chaque occasion. Dans chacun de ses glougloutements, respectueusement reproduits par les Affiches (31/05/02), Le Daubé (18/09/02), les Nouvelles de Grenoble (sept 2002), elle nous serine : "A Grenoble, innover pour développer les emplois, les services et la culture des nouvelles technologies".

"Le numérique, des micro et nanotechnologies aux services sur Internet en passant par le développement logiciel, les multimédias, la robotique et les télécommunications : plus de 30 000 emplois directs aujourd’hui dans l’agglomération, les biotechnologies, les nouvelles technologies de l’énergie."

Notons au passage ce techno-pidgin : ces gens parlent comme ils pensent, en style télégraphique. Et intéressons-nous à la robotique en effet proliférante dans la cuvette. Que ce soit à l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et Automatique), à l’INPG et bientôt à Minatec. Peu importe que cette robotique soit "civile" ou "militaire", que ces automates soient soudeurs, guerriers, chirurgiens ou polyvalents, quand leur destin réside dans la volonté de leurs ingénieurs. Ainsi le laboratoire Intelligent Autonomous Systems de Bristol (Grande-Bretagne) a mis au points des slugbots, des robots carnivores qui chassent les limaces et les broient pour en tirer l’énergie nécessaire à leur alimentation. Pourquoi des limaces ? "Pour débuter nous n’avions pas la prétention de construire un robot puma capable de chasser un zèbre, explique Ian Kelly, chercheur en fin d’études qui refuse d’être pris en photo après avoir avoué qu’il craint des représailles des associations de défense des animaux." (Science et Vie, nov 2000). A défaut de les dévorer, les robots chasseurs d’hommes (drones) survolent déjà certaines régions pour tuer leurs proies à l’improviste et nul doute qu’on ne les emploie toujours plus au maintien de l’ordre. Il semble cependant que leur malfaisance augmente avec leur miniaturisation. Si les chercheurs nous leurrent avec "des machines à récurer les artères, des correcteurs de gènes, des tueurs de virus et de tumeurs, des puces mille fois plus puissantes que les ordinateurs actuels, des capteurs d’énergie solaire à haut rendement ou des armées de milliards de robots capables de dépolluer sols et nappes phréatiques" (Libération, 2-3/12/00), il s’en trouve au sein du système pour trahir leur effroi.

"Les technologies que je pointerais du doigt comme particulièrement inquiétantes pour les cent prochaines années sont les nanotechnologies, l’intelligence artificielle et les biotechnologies (...). Avec les nanotechnologies (c’est-à-dire la possibilité de créer des robots minuscules capables de manipuler directement les atomes) se pose le problème de la masse visqueuse grise : ces nano-entités pourraient se multiplier jusqu’à réduire le monde à une masse gluante. Quant aux biotechnologies, il est évident que nous avons là un gros problème, car elles se rapprochent des nanotechnologies et de l’intelligence artificielle. Une fois que nous aurons commencé à implanter des nanotechnologies dans des organismes et que nous nous mettrons à élever des bactéries à capacités nanotechnologiques, nous serons en mesure d’aller bien plus loin que le Borg (un être monstrueux amalgame de technologie et de chair) de Startrek. Et ces organismes surhumains pourraient ne pas beaucoup nous aimer..." (Ian Pearson, chercheur en cybernétique. New Scientist dans Courrier International, oct 02).

"L’impact des technologies de l’information sur les cinquante prochaines années sera plus important que tout ce que nous connaissions jusqu’alors, puisque les ordinateurs nous permettront de modéliser puis de transformer le monde physique. Le Human Genome Project marque les débuts de la biologie en tant que science de l’information, et la nanotechnologie, qui offrira les moyens de concevoir et de manufacturer des produits à l’échelle de l’atome, n’est pas loin derrière (...). Ces nouvelles sciences du XXIe siècle - génétique, nanotechnologie et robotique (nous abrègerons en GNR) - pourraient bien créer une masse gigantesque de nouvelles richesses, peut-être de l’ordre d’un million de milliards de dollars. Cette prodigieuse création de richesses, accompagnée des autres impacts des nouvelles technologies, débouchera sur des changements infiniment plus importants que ceux des deux premières phases de la révolution industrielle (...).

Très certainement, l’ingénierie génétique pourra permettre l’eugénisme, ce qui nous obligera à décider qui nous voulons être ; les spécialistes de la nanotechnologie pourront changer arbitrairement le monde physique, et il nous reviendra de décider dans quel genre de monde nous souhaitons vivre ; les ingénieurs de la robotique pourront mettre en marche des machines plus puissantes et plus intelligentes, dont le pouvoir nous menacera, de sorte que nous devrons décider, avant de créer de telles espèces, si nous (du genre homo sapiens) voulons continuer à exister (...).
Grâce aux biotechnologies, les nanotechnologies seraient à même de détruire la biosphère, une armée de robots complètement cinglés comme nous n’en voyons encore que dans les films pourrait débouler (...). Plus encore, certaines technologies sont si dangereuses - les nanotechnologies illimitées, par exemple - que nous devrions purement et simplement en interdire la pratique, comme le reconnaissent certains des nanotechniciens les plus en pointe"
(Libération, 24/08/00).

L’auteur de ces lignes, Bill Joy, est directeur scientifique et co-fondateur de Sun Microsystems, l’une des plus grosses boîtes d’informatique américaines, il a été nommé vice-président du Comité présidentiel consultatif des technologies de l’information des Etats-Unis, créé pour servir de "guide et de conseil dans tous les secteurs de l’information high tech, d’accélérateur du développement des technologies de l’information, vitales pour la prospérité américaine du XXIe siècle".

Pour les internautes, il est surtout l’inventeur du langage Java, "cet incontournable standard du net", dit le Daubé, dans son compte-rendu d’inauguration du nouveau site de recherche et développement de Sun Microsystems, voici un mois, à Montbonnot.
"Pour les personnalités invitées, à commencer par le préfet, Alain Rondepierre, cette ouverture vient renforcer "l’intelligence" d’une vallée qui déploie ses seniors de l’innovation technologique jusqu’à Crolles et son prometteur triptyque STMicroelectronics) Philips - Motorola. Une opinion partagée par Jim Mitchell et David Nelson-Gal, vice-présidents du Sun Microsystems, Richard Cazenave, député, Bernard Saugey, sénateur, Mathieu Chamussy, conseiller régional, Edmond Roy, vice-président du Conseil Général et, bien sûr, André Eymery, maire de Montbonnot-Saint-Martin..." (Le Daubé, 15/11/02).

Dommage que Bill Joy n’ait pas été là pour leur faire part de son horreur devant ces "innovations" auxquelles il contribue pourtant avec ses collègues chercheurs. Avec Jean-Louis Pautrat par exemple, physicien au CEA-LETI de Grenoble, l’un des initiateurs de Minatec, qui dans un livre en forme de prophétie auto-réalisatrice (Demain le nanomonde, J.L Pautrat. Editions Fayard, 2002), conclut par l’éthico-verbiage de routine, citant un article de ce même Bill Joy ("Why the future doesn’t need us", Wired, 8/04/00)

"Le comble serait atteint le jour où ces robots deviendraient capables de se reproduire... Certains, comme Ray Kurzweill (The Age of Spiritual Machines, Penguin Books, 1999), affirment déjà qu’il sera possible de fabriquer un calculateur simulant le fonctionnement du cerveau humain et de ses milliards de neurones. Par une opération semblable à la copie du disque dur d’un ordinateur, on pourrait alors transférer au calculateur l’ensemble de l’activité cérébrale d’un individu. Nous avons aussi montré que des progrès convaincants avaient été réalisés dans l’utilisation de l’ADN comme support et programme d’automates logiques. L’auto-réplication est bien une autre propriété de l’ADN, voire de certains peptides. Ainsi le gray goo problem (NDR la matière grise gluante) n’est peut-être pas tout à fait à exclure du champ des hypothèses.
La menace paraît suffisamment sérieuse à Bill Joy pour qu’il souhaite voir apparaître une mobilisation des esprits semblables à celle qui a permis dans la seconde moitié du XXe siècle, d’aboutir à un relatif mais jusqu’à présent efficace contrôle des armes nucléaires. Il en appelle à une prise de conscience des dangers courus par la société et à une active contribution des scientifiques à la mission de vigilance. En d’autres termes, gardons-nous de nous engager dans la mise au point d’entités capables de s’auto-reproduire, qu’elles soient issues de la robotique, de la génétique ou de l’association des deux."
(Demain le nanomonde)

Dans son article de Wired, Bill Joy explique ce "gray goo problem", ce problème de "matière grise gluante" ou plutôt grouillante qui alarme les technologues américains. "Concrètement, les robots, les organismes génétiquement modifiés et les nanorobots sont unis par un redoutable facteur aggravant : ils ont la capacité de s’auto-reproduire. Une bombe n’explose qu’une fois ; un robot, en revanche, peut se démultiplier, et rapidement échapper à tout contrôle."
Si cela vous rappelle "l’apprenti-sorcier", dites-vous pourtant que nous ne sommes pas dans un dessin animé, que ces robots ne sont pas de simples balais-porteurs d’eau, et qu’il n’y aura pas de maître-sorcier pour enrayer le cataclysme juste à temps.

Tout l’effort de conscience d’un Pautrat consiste à citer Bill Joy, qui cite Ray Kurzweill, qui cite Theodore Kaczynski, l’un des plus lucides critiques des nécrotechnologies, mieux connu sous le nom d’Unabomber. Gagnons du temps : lisons La Société industrielle et son avenir par Theodore Kaczynski (Editions de L’Encyclopédie des Nuisances).

Tout l’effort de conscience d’un Bill Joy consiste à suer son angoisse et ses remords, et à en appeler à la conscience de ses pairs, pour contrôler les technos folles qu’ils ont mises au point. La comparaison avec le nucléaire est lumineuse. Faut-il rappeler à l’honnête Pautrat, physicien au Commissariat à l’Energie Atomique, que le contrôle "relativement efficace" de l’arme nucléaire aboutit à sa dissémination dans 70 pays, en grande partie grâce à la France et au CEA (cf Affaires atomiques, D. Lorenz. Editions des Arènes), à l’usage de munitions à l’uranium appauvri, à la hantise des "bombes sales" aux déchets radioactifs, sans compter les ravages de l’atome civil. Mais comme titrait Le Monde au lendemain d’Hiroshima : "Une révolution scientifique".

Des états d’âme de Bill Joy et Cie, on peut dire ce que disaient André Breton et les surréalistes à propos d’Oppenheimer et Cie. "Les protestations contre la course aux armements que certains physiciens affectent de signer aujourd’hui, nous éclairent au plus sur leur complexe de culpabilité, qui est bien dans tous les cas l’un des vices les plus infâmes de l’homme. La poitrine qu’on se frappe trop tard, la caution donnée aux mornes bêlements du troupeau par la même main qui arme le boucher, nous connaissons cette antienne. Le christianisme et ses miroirs grossissants que sont les dictatures policières nous y ont habitués.

Des noms parés de titres officiels, au bas d’avertissements adressés à des instances incapables d’égaler l’ampleur du cataclysme, ne sont pas à nos yeux un passe-droit moral pour ces messieurs, qui continuent en même temps à réclamer des crédits, des écoles et de la chair fraîche. De Jésus en croix au laborantin "angoissé" mais incapable de renoncer à fabriquer de la mort, l’hypocrisie et le masochisme se valent."
"Démasquez les physiciens, videz les laboratoires" proclamait ce tract qui, depuis le 18 février 1958, n’a fait que gagner en urgence, tandis que nous ne cessions de perdre du temps, en attendant qu’il soit trop tard.

VII - Tout le pouvoir aux puces

"Nos amies les puces prennent le pouvoir partout" bêtifiait Le Daubé du 4 avril 2001, dans un énième article à la gloire des nécrotechnologies locales. "Les puces font des sauts de géant. Minatec déroule son tapis d’innovations à Grenoble. Un rendez-vous des micro et nanotechnologies consacré par ses intervenants internationaux, et qui promet de surprenantes révolutions dans notre quotidien très miniaturisé. GemPlus, par exemple. Les cinq mille ingénieurs du premier fournisseur mondiales de solutions pour cartes à puces travaillent au... tout petit et tout intelligent dans une épaisseur de plastique d’un millimètre. Et même moins pour le système puce et antenne noyé dedans, l’antenne permettant de communiquer à distance avec un lecteur, permettant à un utilisateur de régler son accès à un tramway, une remontée mécanique ou un immeuble sécurisé... Et même mieux, puisque, selon Jean-Luc Ledys, de GemPlus, on pourra sur la carte inclure du film, des images, du son, avec de la reconnaissance vocale !" Nos amies les puces prennent le pouvoir partout. "Bosch les positionne partout dans l’automobile. Philips comme Nokia, propose des "vidéo-tablettes" permettant de suivre son trajet auto ou train partout sur la planète... Voilà de quoi motiver nos chercheurs, tout particulièrement portés par les mesures d’accompagnement du ministère français de la Recherche, qui regardent de près les innovations levées au CEA, et tout particulièrement au LETI/CEA-Grenoble, fer de lance du projet de pôle Minatec."
On ne saurait mieux que ce valet de com’ dire que les chercheurs sont des mercenaires, les commandos de choc du techno-capitalisme. Et il n’est que trop vrai qu’ils travaillent à la révolution et à la miniaturisation de notre quotidien. Mais, s’il vous plait, quand nous a-t-on demandé notre avis sur cette prise de pouvoir "par les puces" ? Et qui peut croire qu’elle se limitera à la sotte bimbeloterie dont on bourre nos vacuités contemporaines ?

Applied Digital Solutions, une boîte de Floride, commercialise depuis l’an dernier "VeriChip", une puce de la taille d’un grain de riz, qu’un simple piqûre injecte dans le corps humain. VeriChip fonctionne comme un émetteur radio. Quand on l’active grâce à un scanner, elle livre le "code d’identification" du porteur. Il suffit alors d’introduire ce code dans une banque de données informatiques pour récupérer le dossier de la personne concernée (patient, victime, suspect, etc.). VeriChip est la version up to date de la carte d’identité, une des inventions les plus liberticides de la Révolution française. Qui s’offusque de VeriChip doit réclamer l’abolition de la carte d’identité, à l’introduction de laquelle les anglais ont résisté deux cents ans. Selon son vice-président, Keith Bolton, Applied Digital Solutions aurait signé des contrats avec des sociétés d’Amérique du Sud, avides d’acquérir la technologie VeriChip pour identifier leurs employés. La puce coûte environ 220 €, le scanner environ 1650. (cf. Libération 11-12/05/02)

VeriChip peut être dotée d’un système GPS relié au réseau satellitaire qui permettra de surveiller tous les mouvements du porteur. "Là encore, selon Keith Bolton, ce sont les états d’Amérique du Sud qui le réclament. Face à leurs problèmes de kidnapping, ils pensent que cet appareil de détection serait la solution immédiate." A Sâo Paulo, par exemple, l’homme d’affaires Antonio de Cunha Lima s’apprête à lancer VeriChip. "C’est un garde du corps électronique, explique Lima, qui refuse d’en révéler le prix. Il est ce qu’il y a de plus sûr contre l’enlèvement. Il aura un grand succès au Brésil. J’ai déjà une liste d’attente : des hommes d’affaires, des professions libérales..." (Libération 26/07/02)

En septembre 2002, nos amies les puces font de nouveaux sauts de géant dans les esprits. Après le meurtre de deux fillettes, Holly et Jessica, dans la petite ville de Soham (Grande-Bretagne), Kevin Warwick, un chercheur en cybernétique de l’Université de Reading, propose d’implanter VeriChip dans le bras ou l’estomac des enfants pour prévenir les enlèvements. Cette proposition rencontre un vif succès, suivant l’agence Reuters (3/09/02). "Après l’affaire Holly et Jessica, nous avons discuté en famille de ce que nous pourrions faire... je sais que rien n’est infaillible, mais nous pensons que la puce jouera un certain rôle pour la protéger" déclare la maman d’une petite Wendy, dans les colonnes du Daily Mirror.

Mais qui protégera la petite Wendy de sa maman ? Et comment pourra-t-elle "vivre sa vie" quand à toute heure du jour et de la nuit, sa maman saura où elle se trouve, ce qu’elle fait et à qui elle parle ? Comme il est désuet ce "panoptikon" dont Foucault nous parlait dans Surveiller et Punir, habile dispositif architectural pour "tout voir" dans les lieux du pouvoir. Nos amies les puces prennent le pouvoir partout. Parallèlement à VeriChip, Applied Digital Solutions commercialise une montre reliée au système GPS. Cette montre est utilisée par les autorités pénitencières de Californie pour surveiller les prisonniers en liberté conditionnelle. Trop facile à ôter estime-t-on à Londres, au Ministère de la Peur. "La dernière idée en vogue consisterait à implanter sous la peau des pédophiles déjà condamnés un "tag" électronique apte à signaler les indices avant-coureurs d’une possible récidive. Cette puce en silicone serait mise en place sous simple anesthésie locale.

Selon des documents obtenus par l’hebdomadaire The Observer, ce minuscule équipement, relié à un satellite, enregistrerait les battements de cœur et la tension artérielle de l’individu surveillé, et alerterait sur l’imminence d’un éventuel acte de délinquance. Il décèlerait non pas l’état d’excitation sexuelle du pédophile, mais sa nervosité et sa peur. Le système fonctionnerait de la même manière que celui qui permet de retrouver la trace d’un véhicule disparu. La mise au point de ce système a d’ailleurs été demandé à la compagnie Tracker, qui gère le plus grand réseau de recherche des voitures volées. Cette innovation perfectionnerait les méthodes de contrôle actuelles, qui ne permettent que de localiser le délinquant sans enregistrer ses pulsions.

Le projet, salué par les associations de lutte contre les crimes sexuels, suscite l’hostilité des défenseurs des droits civiques. John Wadham, directeur de l’Organisation Liberty, dénonce cette "vision effrayante de l’avenir". "Où s’arrêtera-t-on, demande-t-il. Implantera-t-on ensuite des puces sous la peau des marginaux ou des demandeurs d’asile ?" (Le Monde 19/11/02)

John Wadham est bien naïf. C’est sous sa peau à lui, sous la peau de tous les mal-pensants, de chaque individu, qu’on implantera cet électroflic. Et avec empressement. "De nombreux adolescents réclament la VeriChip parce qu’ils pensent que c’est cool" dit le vice-président d’Applied Digital Systems. (Libération 12/05/02)

Cool. Les années 2000 seront gaies, vigoureuses, technologiques et actives, comme disent les médias branchés.

"A terme, selon Libération (id), certains imaginent d’implanter des puces près du cerveau ou de la moelle épinière, ce qui permettrait d’agir sur les émotions ou les mouvements."

Le terme, c’est maintenant. Voici treize ans déjà, qu’à l’hôpital de Grenoble on implante des électrodes dans l’hypothalamus des victimes de la maladie de Parkinson pour calmer leurs tremblements à l’aide de stimulations électriques. (cf Dauphiné News n°4, janv 1989)

Louable invention. Au Downstate Medical Center de Brooklyn, l’équipe de John Chapin implante également des électrodes dans le cerveau de roborats (ou de rabots comme préfère le dire Jean-Louis Pautrat), téléguidés ensuite par radio. Les signaux produits par une micropuce fixée sur le dos des animaux, sont émis à partir d’un ordinateur (Le Monde 5-6/05/02). Pour dresser les rats, il suffit comme avec les hommes, de stimuler les zones de plaisir et de douleur. Jean-Louis Pautrat note plaisamment "qu’au cours du réglage d’une de ces installations de thérapie, la patiente aurait même affirmé que le système stimulait parfaitement l’orgasme ! Sommes-nous en présence des futures cyberdrogues ?" (cf Demain le nanomonde, p.229)

Mais après tout si l’avenir de la reproduction passe par les fivettes, les mères-porteuses, le clonage et le Procédé Bokanovsky, pourquoi le plaisir ne jaillirait-il pas d’une connexion électronique ?

Une expérience célèbre avait montré comment des rats équipés d’électrodes, et disposant d’une pédale pour déclencher à volonté ce spasme de plaisir, finissaient par mourir de faim, mais heureux, à force d’appuyer sans relâche sur leur pédale.
On voit toute la richesse d’application que technarques et maîtres-rats sauront tirer de ces ingénieux dispositifs, et qui laissera loin derrière les grossières expériences des docteurs nazis. Ne serait-ce qu’en termes militaires, les performances de roborats, robots-singes, robots-pigeons ou robots-dauphins pourraient surpasser celles de purs automates. En terme de maintien de l’ordre, une population "électronifiée" offrirait enfin la solution finale aux troubles à l’ordre public. Aussi la Darpa, une agence du Ministère de la Défense américain, a-t-elle bien raison de financer ces recherches.

Selon le précieux Pautrat, John K. Chapin, reconnaît que "ce ne serait certainement pas une bonne idée de répéter ces expériences sur des primates ou des hommes". Ces travaux impliquent en effet une forme de prise de contrôle propre à soulever nombre de questions éthiques si elles s’exerçaient sur des animaux supérieurs. Habituer un individu à recevoir des impulsions de récompense reviendrait, dit encore Chapin, à créer une situation proche de la dépendance à la cocaïne."
Cool.

Dans Le Monde, ce même Chapin indique que : "Nous essayons d’éviter le recours à des animaux plus gros à cause des problèmes éthiques". Cette réserve affichée par les chercheurs permet d’esquiver une autre question plus délicate encore : sera-t-il un jour possible de piloter ainsi des êtres humains ?"

Sachant à quelle vitesse on modifie les lois de bioéthique "compte-tenu de l’avancée des connaissances" on voit bien que cette enfilade d’euphémismes et de périphrases signifie en réalité : Il sera un jour possible de piloter ainsi des êtres humains. Mais ce jour est si proche, si fort l’obscurantisme techno, si puissante la technocaste, que ce journaliste n’ose sans doute pas s’avouer à lui-même ce qu’il murmure à mots couverts, de crainte d’être mal vu. Et l’on sent bien que les minauderies "éthiques" d’un Chapin ou d’un Pautrat ne sont que des camouflages de pure forme à de prochains faits accomplis.
"Les problèmes éthiques" sont juste le problème que constitue l’existence d’opposants à l’automatisation de l’espèce humaine.

"VeriChip constitue un progrès majeur pour la traçabilité du cheptel humain. On voit clairement comment son usage se répandra. D’abord en invoquant le prétexte humanitaire. La puce, nous dit-on, permet aux médecins d’intervenir plus vite en cas de problème. C’est ainsi que commencent toutes les dérives technologiques : voyez le clonage humain. Puis se construiront autour d’elle des systèmes toujours plus nombreux, qui justifieront qu’on "empucèle" des couches toujours plus larges de la population. Un jour viendra où l’on ne pourra plus vivre sans elle - comme c’est déjà le cas sur Internet sans carte bancaire. Ce jour-là, on envisagera de l’implanter systématiquement à la naissance. Son port deviendra obligatoire. Se "dépuceler" sera criminel". (Jean-Michel Truong, chercheur en Intelligence Artificielle, Libération du 11-12/05/02)

Ce que l’histrion Warwick confirme à corps et à cri. Ce cyber-intégriste ne se contente pas de prêcher l’implantation de mouchards chez les enfants. Il s’est truffé le bras de puces, ainsi que celui de sa femme, pour échanger leurs sensations à distance et se connecter sur ordinateur. Warwick espère ainsi commander un robot par signaux électriques émis du cortex. Des macaques équipés ont déjà réussi à remplacer la commande manuelle par la commande cérébrale. Si l’ordinateur renvoie le signal vers le cerveau, c’est lui qui prend la commande du geste. Prétexte humanitaire ? Warwick dit qu’il espère ainsi faire marcher les paralytiques. Mais évidemment il pourra faire marcher n’importe qui. Ses ambitions visent d’ailleurs rien moins que l’interconnexion de l’humain à l’ordinateur pour accéder au savoir total de l’humanité et créer ainsi l’espèce supérieure des cyborgs. "Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur."(id)

"Warwick espère provoquer le débat, comme la naissance de Dolly a alimenté celui sur le clonage. Bien qu’il attende d’importants progrès de l’assistance informatique, il ne cache pas que cette technologie, si elle n’est pas contrôlée, est grosse de dangers. Par exemple, si l’ordinateur est capable de faire bouger le bras de Warwick sans la volonté de ce dernier, alors cela tendrait à suggérer qu’un jour un ordinateur pourrait contrôler un individu à distance, au lieu de l’inverse - ce qui, admet-il, est une perspective troublante. "Si nous arrivons à créer des entités surhumaines, cela pourrait signifier la fin de l’humanité", remarque Warwick. Et même ce cyborg estime que c’est là une question à laquelle les humains, et non les ordinateurs, doivent répondre." (Science /Courrier International, oct,nov,déc 02)

Trop tard. Warwick, Chapin, Antinori et tous leurs pairs, ont décidé pour nous. Même quand ils feignent des états d’âme pour nous faire croire le contraire ou du moins "qu’ils ne feraient pas n’importe quoi." Objectif atteint : c’est à "ceux qui savent", aux spécialistes, voire aux spécialistes de l’éthique, bio ou pas, que nous remettons le sort de l’humanité. Nous ne sommes déjà plus tout à fait humains, nous qui abandonnons notre prérogative d’humain (le libre-arbitre), à leurs manipulations.

Parce que des écrivains clairvoyants (Aldous Huxley, Georges Orwell, Philip K. Dick) ont romancé nos désastres longtemps avant que des cinéastes n’en fassent des films, des lourdauds qui posent aux esprits forts voient encore de la science-fiction dans nos désastres les plus actuels. Phantasmes !... Parano !... On n’en est pas là !
Ainsi n’est-il pas vrai qu’au bout d’un siècle et demi, les ravages de l’industrie dégradent et menacent la vie sur terre. Que nous nous fassions depuis 67 ans, à la possibilité d’une apocalypse nucléaire. Que le conditionnement de masse façonne nos passivités frénétiques. Que des filets de contention (électroniques, génétiques, etc.) sous l’égide de "comités d’éthique" ou de "commissions des libertés", resserrent leurs mailles sur nous, jusqu’à l’entière soumission.

On a vu en avril dernier, à Grenoble plus qu’ailleurs, défiler un grand concours de dupes nous appelant à préférer "l’escroc au facho". Maintenant que sous le masque de l’escroc reparait comme prévu la trogne du facho, ces doubles dupes nous invitent à combattre les lois sécuritaires. Toujours après coup. Toujours à courte vue. Sans jamais anticiper sur les innovations autoritaires. Le Pen, Sarkozy, et tous leurs émules ne sont que des épouvantails. Ce qui rend leurs menaces crédibles, c’est l’existence préalable d’une techno-police. Vidéo-surveillance, logiciels de reconnaissance et de surveillance électronique, biométrie, fichage informatique et génétique, flash-balls, laser, taser, etc.
Comme le claironne Science et Vie d’octobre 2002 : "La science et la technologie sont devenues les meilleures alliées de la police. Et encore plus depuis les attentats du 11 septembre... Neuro-sciences, imagerie cérébrale, techniques d’identification high tech, armes neutralisantes et non plus mortelles : dans le secret des laboratoires se trame activement l’avenir de la lutte contre la criminalité. Avec des résultats déjà inouïs !"
On mesure la pertinence de ces collectifs "ras-l’front" ou "contre les lois Sarkozy" qui prétendent s’opposer "au fascisme" ou à "la répression" sans mot dire de la science policière. Qui dûment informés, laissent sans réaction une conférence du chef de la section biologique du Laboratoire de Police Scientifique de Lyon, le 21 novembre 2002, à la maison du Tourisme (courtoisie du Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle). Conférence consacrée à l’apologie du fichier génétique, au cours de laquelle on put entendre la conférencière se plaindre des entraves que les Droits de l’ Homme apportaient au travail de police.

Qui ne voit que ces fichiers (génétiques, photographiques, digitaux) menacent tout un chacun, et qu’il ne dépend que de nos maîtres d’étendre la qualité de "criminel" à tout mal-pensant ?

Ceux qui s’opposent à Le Pen ou aux lois Sarkozy sans d’abord s’opposer à VeriChip ou au projet Nanobio, préparent notre esclavage. Ce sont les mêmes qui défilaient en avril dernier contre "Le Pen et ses idées", sans dire un mot contre l’expulsion des gitans du campus par la police et les technarques universitaires. C’est que dans leur indigence, ils ne connaissent ni VeriChip, ni Nanobio, ni l’endroit où ils vivent. Et ils n’en veulent rien connaître, de crainte d’être confrontés à leur incapacité. Pareils au proverbial imbécile qui cherche ses clés sous le réverbère, "parce que là, au moins, il y a de la lumière", alors qu’elles gisent à trois pas dans l’obscurité du caniveau. Ce qui ne les empêche pas de se croire mieux au fait que "les gens" et de puiser dans cette supériorité supposée l’aliment de leur activité paroissiale. "Réu" pour décider d’une prochaine "réu", meeting mensuel, manif trimestrielle, procession de Pâques, pèlerinage de Florence, Journées Mondiales de l’Antimondialisation. Mais après tout, il est bien normal que ces limitants qui luttent toujours par procuration se retrouvent ailleurs pour ce faire. Toujours ailleurs et demain, jamais ici et maintenant.

VIII- Découvrons Nanobio

On vous parle de Grenoble aujourd’hui. Du projet Nanobio sommairement décrit dans le numéro 69 de Chronique du CEA (automne 2001)

"Imaginez le CEA Grenoble en 2010... Parions que le pôle Nanobio qui explorera un nouveau domaine à l’intersection de la biologie et de la physique aura pris forme."
"La stratégie du CEA Grenoble s’illustre par un trèfle. A chaque feuille du trèfle est associé un "programme structurant" c’est à dire un projet spécifique multi-partenaire. Le pôle Minatec est dévolu aux micro et nanotechnologies, INERA (Initiative Nouvelles Energies Rhône-Alpes) aux nouvelles énergies et NanoBio aux nano et biotechnologies. Ouverts, ces programmes fédèrent la recherche, l’enseignement et l’industrie. De nouveaux terrains de recherche apparaissent entre les trois lobes de la feuille, au CEA Grenoble on appelle cela l’interdisciplinarité."

Hors le CEA Grenoble on appelle cela association de malfaiteurs. Si l’on a rendu aux prétendues biotechnologies leur vrai nom de nécrotechnologies, si l’on a saisi quelle puissance la maîtrise de l’infini petit donnait à nos technarques, de leur aveu même (cf La conférence de Jean Therme au CRDP le 27/11/2002 "De l’infini petit à l’infinie puissance"), comment ne pas voir quel surcroît de pouvoir leur donnera l’hybridation du vivant et de la matière ?

Une fois de plus, comme pour Minatec et les nanotechnologies, comme pour les chimères génétiques (OGM) ou le plan Messmer (la nucléarisation d’EDF), on se dit que ce projet aux conséquences incalculables exigerait un débat public, contradictoire et loyal, avec toutes les informations à disposition, avant de décider quoi que ce soit (de nouveaux assauts contre le Vivant et l’espèce humaine par exemple). Que nous devrions tous décider de ce projet qui nous concerne tous, parce que le discernement entre le bien et le mal est une compétence universelle, inséparable de la dignité humaine, et non le privilège des technarques, ni celui des élus et de bio-éthiciens à la botte. A la date où l’on écrit, c’est quasiment dans le secret que s’élabore le projet NanoBio. Raison de plus pour partager avec le public les maigres informations que l’on a pu glaner.

"A l’interface entre sciences du vivant et sciences de l’ingénieur, les nanobiotechnologies constituent un nouveau champ de recherche, particulièrement prometteur en termes d’applications. La diminution de taille de dispositifs d’analyse biologique, déjà entamé avec l’apparition des biopuces sur le marché du diagnostic, est une tendance forte dans le domaine de l’instrumentation pour la biologie. Les avantages de la miniaturisation sont nombreux, et répondent à des enjeux technologiques et économiques importants dans les secteurs de la pharmacie et du diagnostic, ainsi que pour les recherches en sciences du vivant et de la santé.
Après la miniaturisation apportée par les microtechnologies, les nanotechnologies permettront des avancées significatives pour l’étude du vivant. A l’échelle du nanomètre, les dimensions du monde biologique (molécules telles que acides nucléiques et protéines) sont atteignables par des nano-outils physiques ou chimiques, et permettent de repousser les frontières de notre connaissance (...)"
Françoise Charbit, Cellule de Développement Régional, projet Nanobio, CEA Grenoble.

Le cévé de Françoise Charbit, disponible sur Internet, indique que "cet ingénieur ENSI en sciences des matériaux et docteur en gestion de l’Ecole Polytechnique, est responsable de la prospective technologique à la Direction des Technologies Avancées du CEA, centre de recherche public orienté vers le transfert de technologies aux industriels, dans le domaine de l’électronique, des matériaux et de la robotique. Son activité a pour but d’aider les laboratoires à définir leurs stratégies de recherche.
Sa thèse sur la gestion des technologies émergentes, réalisée à partir d’une recherche-intervention chez Thomson CSF, a remporté le prix de la meilleure thèse CIFRE (thèse effectuée sur un problème posé par un industriel, en relation étroite avec l’entreprise), décerné à l’occasion des dix ans de cette procédure.
Elle a participé à de nombreuses missions de conseil en stratégie technologie chez des industriels de l’électronique professionnelle (Thomson CSF, Dassault Electronique, Compagnie des Signaux)."

Voilà qui dessine un "profil" familier comme ils disent. Extrême technologie. Recherche publique asservie aux intérêts industriels (qui ne coïncident pas forcément avec les nôtres). Et même cette petite pointe de "dualité" civile et militaire (Thomson CSF, Dassault Electronique) qu’il faut toujours souligner, même si les applications "civiles" suffisent le plus souvent aux désastres futurs.

Le 12 septembre 2002, à Lavignac, se tenait une rencontre entre le projet NaTTBio-Toulouse et le projet NanoBio-Grenoble. Des traces que cette rencontre a laissées sur Internet, il appert :

Que le projet de pôle d’innovation NanoBio a été initié en mars 2002 par le CEA-Grenoble dans le but de fédérer l’ensemble des compétences présentes sur le Polygone Scientifique Louis Néel, concourant aux nanobiotechnologies : physique, chimie, biologie, mathématiques appliquées, micro et nanotechnologies.
Que ce projet s’appuie sur le potentiel de recherche du CEA (LETI, DSV, DSM, DRT), de l’Université Joseph Fourier, de l’Inserm, de l’Inria, de l’UCB de Lyon et de l’ENS Lyon, avec un fort tropisme vers le génopole Rhône-Alpes.
Que plusieurs groupes de travail interdisciplinaires ont déjà planifié 30 projets du court au moyen et long terme, couvrant des domaines aussi variés que les micro et nanobiosystèmes, les plateformes technologiques avancées et des briques technologiques de base (NanoBio regroupe environ 200 à 250 chercheurs venant d’une trentaine d’unités). Pour les experts et les candidats chercheurs on citera les exposés sur "la Biophotonique", les "Biomicrosystèmes" ou la "Protéomique à haut débit", qui dans le business scientifique succède à la génomique, depuis l’achèvement du décryptage du génome humain.

Ensuite, il se passera avec le "pôle NanoBio" ce qui s’est passé avec le "pôle Minatec". "La vocation, in fine", étant "de créer de l’industrie et des emplois" (Jean-Charles Guibert, "l’ambassadeur" de Minatec). Nos techno-scientistes iront traire les fonds publics auprès de la Commission Européenne, du ministère de la Recherche et des Nouvelles Technologies, du Conseil Général de l’Isère, de la Métro et de la Ville de Grenoble. Ce que dans leur novlangue on appelle "promouvoir ce nouveau champ disciplinaire vers les instances". De deux choses l’une. Soit "les instances" n’y connaissent rien, mais dûment impressionnées par l’expertise de leurs interlocuteurs, elles financent ce néo-pôle. Parce que c’est bon pour l’image, l’emploi, la croissance, la connaissance, et que si on ne le fait pas "on va prendre du retard" sur les Allemands, les Américains, les Japonais, etc. C’est, disons, le modèle Carignon-Pinocchio. Soit "les instances" s’y connaissent parce qu’elles sont issues directement de la technocaste et elles ne sont que trop avides de "financer l’innovation". C’est le modèle Destot-Fioraso, modifié Corys (du nom de la malheureuse start-down du CEA jadis lancée par l’actuel maire de Grenoble et son adjointe à l’innovation.)

Une fois que la technarchie a tout décidé, financé, voté (moins l’abstention de l’Ades), vient le moment de communiquer au simple citoyen 1) Que le pôle NanoBio c’est tout profit pour lui (voir ci-dessus, l’emploi, la croissance, etc) ; 2) Que d’ailleurs la décision est "démocratique" puisque les élus informés par les techno-scientistes l’ont prise pour lui ; 3) Que de toutes façons il n’y peut rien puisque c’est le "Progrès" et qu’il n’y connaît rien.

"Communiquer, toujours, clame Jean Therme, directeur du CEA-LETI. La haute technologie ne peut progresser que si elle est acceptée, donc comprise par la société : OGM, biotechnologies... Les applications de la recherche préoccupent les Français. A nous d’expliquer ce qu’il en est, de faire partager notre passion, de faire comprendre le sens de notre travail... et de susciter des vocations."

"La communication est essentielle, renchérit Pascal Colombani (administrateur général du CEA), à l’heure où subsistent certaines des interrogations sur le nucléaire, sur le CEA, et l’image qu’en a le public. Mais, comme pour toutes les autres activités, il faut dépenser l’argent de façon efficace. Le CEA n’a rien à cacher tant sur ce qu’il fait que sur la façon dont il le fait. Il doit être transparent." (Chronique du CEA n°69, sept-oct-nov 01)

OGM, biotechnologies, nucléaire... Pas un instant, au paroxysme de leur "communication", nos technarques n’envisagent que celle-ci pourrait être réciproque. Que des opinions éduquées, curieuses, férues de techno-science comme elles ne l’ont jamais été pourraient avoir raison, que du moins elles devraient décider elle-même de leur destin. La morgue éclate dans ces propos où l’opinion ignorante, puérile par définition, doit être "travaillée" pour "comprendre le sens" des OGM, des biotechnologies, du nucléaire. Comme il sied bien que le directeur du CEA-LETI dévoile la parenté profonde de ces trois malfaisances. Et comme l’on comprend cette nécessité de "communiquer toujours". Sans ce matraquage permanent, qui sait ce que "le public", "les Français" iraient penser par eux-mêmes. Ce que l’on nous communique, ce sont les décisions prises à notre sujet. La "transparence" n’étant que la publication après-coup des attendus. Ce que démontre une fois de plus l’histoire de NanoBio.

IX - Objecteurs de recherche

Interpellés sur leurs responsabilités dans les méfaits des techno-sciences (pollutions, nuisances, catastrophes), nos technarques ont coutume de répondre qu’ils n’en ont pas. Plus impudent qu’un vampire ministériel, les Feuerstein et les Therme ne s’avouent ni coupables ni responsables du siphonnage des fonds publics en faveur de leurs projets, ni des rejets et déchets résultant de la "valorisation" de leurs recherches et autres "transferts de technologie", ni des "dérives policières ou militaires" des applications de leurs recherches, ni des calamités bien civiles résultant d’autres applications. "Je déplore, dit Jean Therme, que les Américains aient mis au point un système mondial d’espionnage électronique (NDR le système Echelon) et que l’on exporte en Chine les déchets informatiques, mais je n’y suis pour rien." (conférence au CRDP 27/11/02). Les responsables selon ces irresponsables, ce sont les "politiques" qui ont signé les décisions - sous la pression et après expertise des scientifiques. Ou bien les électeurs qui choisissent les élus. Comme si la démocratie représentative n’était pas la démocratie des représentants, un euphémisme pour technocratie. Que la liberté de vote et de candidature ne soit pas grossièrement annulée par les combinaisons de l’argent, des médias et des machines électorales. Comme si nous voulions donner notre voix, alors que le premier parti issu des urnes au printemps dernier est précisément celui des abstentionnistes et du dégoût envers nos "élites".

Ils mentent bien sûr, mais quand bien même diraient-ils vrai que cela ne les disculperait pas pour autant. Ils réincarnent en effet cette banalité du mal dont l’on vit quelques spécimens paroxystiques chez ces fonctionnaires consciencieux qui géraient de lourds problèmes d’intendance et de transport, chez ces cheminots dont les trains arrivaient imperturbablement à destination, chez ces subordonnés qui ne faisaient qu’obéir à leurs supérieurs, chez ces brillants scientifiques se livrant à de passionnantes expériences sur un matériel de choix, chez tous ces spécialistes qui ne s’occupaient que de leur partie et surtout pas du reste. C’est-à-dire du Tout. On sait que le mal c’est de ne pas s’occuper d’abord du Tout, mais de sa petite partie, coupée et bornée. Chacun chez soi et les vaches folles seront bien gardées.

On sait que le tribunal de Nuremberg jugea coupables les plus voyants de ces irresponsables. Mais aussi que les plus savants se sauvèrent chez leurs vainqueurs avec leurs maux acquis, pour perpétuer leurs progrès en balistique, physique nucléaire ou virologie. Travaux aujourd’hui poursuivis par les élèves de leurs élèves, leurs héritiers.

Faut-il que ce décervelage ait été préparé de longue main pour que l’on en soit réduit aux banalités de base, aux leçons de morale de l’école primaire et aux cours d’instruction civiques des collèges secondaires. Chercheur sous la blouse blanche, tu restes un citoyen, et peut-être même un homme. Si tu ne cherches pas d’abord, au-delà de ton écran d’ordinateur, tu n’es que le machin de ta machine, ton propre ennemi et celui de tes semblables.

La marchandisation du vivant a une histoire, qui va du trafic des corps à celui des gènes et bientôt des protéines. A Grenoble où l’on se vante d’avoir toujours une révolution d’avance, il est bien vrai que les vieilles familles ont tiré leur fortune de la traite, et que leur représentant à la Constituante, Barnave, combattit de toutes ses forces un autre député de l’Isère, l’abbé Grégoire, qui réclamait l’émancipation des Noirs. Cet épisode connu sous le nom de "question coloniale" bouleversa d’ailleurs la première assemblée révolutionnaire et précipita sa fin (cf Robert Chagny, Au temps de l’esclavage et de son abolition : planteurs grenoblois à St Dominique, in La Pierre et l’Ecrit, PUG 1999).

Aujourd’hui, tandis que les économistes de l’Inra Grenoble travaillent sur "l’acceptabilité des OGM", le "double étiquetage" et les "perspectives des start up de biotechnologie", Roland Douce, enseignant-chercheur à l’université Joseph Fourier, directeur de l’Institut de Biologie Structurale, membre de l’Académie des Sciences, rédige le rapport souhaité par Claudie Haigneré, ministre de la Recherche et des Nouvelles Technologies pour ouvrir nos champs aux cultures transgéniques (cf Le Monde 14/12/02). On attend l’objection de conscience d’un seul chercheur parmi les 18 000 qui servent paraît-il dans nos 250 laboratoires technopolitains.

Coïncidence, ce même Roland Douce présentait le 15 novembre dernier à la presse un Partenariat pour la Biologie Structurale regroupant quatre centres de recherche grenoblois : le Synchrotron (ESRF), le Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL), l’Institut de Biologie Structurale (IBS : lui-même une unité mixte CEA/CNRS, UJF) et l’Institut Laüe Langevin (ILL).

Objectif ? Compléter le séquençage du génome humain par l’analyse des interactions entre gènes et protéines. Financement ? "2 à 3 millions d’euros au total". Soit un ou deux Minatec - pardon pour l’à peu près. "Roland Douce, directeur de l’IBS soulignait pour sa part "les enjeux scientifiques considérables et les enjeux industriels tout aussi considérables" de l’étude en profondeur des protéines, ces "acteurs du vivant par excellence" (...). Le centre sera aussi ouvert à des partenariats avec l’industrie, notamment de la santé. Des contacts seraient déjà sérieusement avancés même si pour l’instant rien n’est rendu public." (Le Daubé 16/11/02)

Hors ces contacts secrets, mais qui devraient apporter "une forte valeur ajoutée pour la santé humaine", Roland Douce pouvait confier à l’assistance son bon espoir de voir la création de ce Partenariat pour la Biologie Structurale (PBS), entraîner l’installation à Grenoble de l’Institut de Virologie Structurale (IVS), dont on ne doute pas qu’il devrait lui aussi apporter une "forte valeur ajoutée pour la santé humaine" et d’autres "partenariats" ou "instituts" tant ces recherches prolifiques se reproduisent à haut débit.
Roland Douce est ce que nous appelons un technarque, un membre de la techno-caste, comme Bernard Bigot, dircab’ de Claudie Haigneré, présent à cette signature de partenariat. Et au niveau local du techno-gratin, comme Geneviève Fioraso ou Jean Caune, chargé de la Recherche à la Métro, aussi présents ce jour-là, mais qui s’esbignaient vite pour se rendre à un colloque sur "la culture scientifique, technique et industrielle."

La technification à Grenoble est une activité à temps plein. Trop-plein, même, si l’on ose dire.

L’artificialisation du Vivant a aussi son histoire. "Dans leur revue Courants, les élèves de l’Institut Polytechnique de Grenoble citent, parmi les grandes dates de l’histoire dauphinoise, l’année 1738 : création de l’automation par Vaucanson (...). Ses premiers travaux scientifiques, aussi originaux qu’ignorés, eurent l’ambition de montrer par la mécanique ce que pouvait être la vie. Au sens précis que l’on donne aujourd’hui au terme "cybernétique", on peut dire sans crainte d’être taxé de moderniser le personnage que Vaucanson a été un authentique précurseur de cette discipline. Nous prouverons, qu’appuyé par un petit groupe d’hommes animé par une volonté royale, il passa toute une partie de sa longue existence à la recherche de ce que fut la pierre philosophale des "biomécanistes" du temps : l’homme artificiel." (cf Jacques Vaucanson, Mécanicien de génie, A. Doyon, L. Liaigre, PUF 1966).

Las, ce splendide projet, célébré par le philosophe La Mettrie (1746 : L’Homme Machine) et l’encyclopédiste d’Alembert (cf l’article L’âme des bêtes), était trop en avance sur son temps. Vaucanson se rabattit sur la mise au point de métiers à soie, dont l’introduction dans les fabriques lyonnaises provoqua, selon nos auteurs, "le plus important mouvement de grève qu’ait connu l’ancien régime". Le meneur fut pendu, cinq autres envoyés aux galères, et le reste des émeutiers, amnistiés par le roi. "On a trop souvent dit que les causes de cette grève furent surtout la crainte des ouvriers de voir adopter les nouveaux métiers automatiques de Vaucanson qui allaient les faire mourir de faim et les réduire au chômage : rien n’est plus faux. La vindicte populaire ne s’est acharnée sur Vaucanson et Montessuy qu’en tant qu’instigateurs et réalisateurs des règlements de 1744" (id, p.195-203).

Ces règlements "à l’instigation de Vaucanson et Montessuy" renforçaient le despotisme des maîtres-fabricants sur les canuts qui perdaient toute marge de marchandage et liberté de production individuelle. Ils instauraient "la discipline de fabrique" si nécessaire aux nouveaux procédés, aux nouvelles machines et aux gains de production. En apparence les canuts révoltés n’étaient pas des pré-luddites, ennemis des machines. Ni au sens classique que l’on a donné à ce mouvement (crainte du chômage et de la concurrence des machines), ni au sens néo-luddite (refus d’être machinalisés). Mais ils haïssaient assurément ce nouveau règlement qui rationalisait la production. Quelques années plus tard, Vaucanson introduisit le premier métier automatique, ainsi décrit au Mercure de France :
"C’est une machine avec laquelle un cheval, un bœuf ou un âne font des étoffes bien plus belles et bien plus parfaites que les plus habiles ouvriers en soye (...). Un cheval attelé peut faire travailler trente de ces métiers, une chute d’eau un bien plus grand nombre... Chaque métier fait par jour autant d’étoffes que le meilleur ouvrier quand il ne perd pas de temps." (id, p.210)

On connaît la suite. Le machinisme et la grande industrie. L’électricité et la production de masse. La "liaison recherche-industrie". Nucléaire, cybernétique, robotique. Toute une filiation de "l’homme-machine", peut-être née ici en effet d’un "mécanicien de génie", et qui se diversifie deux siècles et demi plus tard entre les différents laboratoires du CEA, de l’INPG, de l’INRIA, pour confluer à nouveau (in-ter-dis-ci-pli-na-ri-té) dans les bio-nanotechnologies. "L’homme artificiel", l’automate, "le travailleur" comme on dit en tchèque (robot), émerge de nos centres de recherche, et voilà que c’est nous. On sait qu’Aristote voyait dans l’esclave une machine vivante, et dans l’esclavage une nécessité tant qu’il n’y aurait pas de machine artificielle pour souffrir l’ignoble travail (tripalium : torture), indigne d’un homme libre. Mais en fait le travail n’était que le signe de la servitude et non sa raison d’être. Contrairement à ce que pensait Trotski, la paresse n’est pas le moteur du progrès. Et l’avènement des robots soudeurs, pistoletteurs, poinçonneurs, n’a pas émancipé leurs devanciers. L’eut-il fait d’ailleurs, que "l’organisation des loisirs" et le Ministère du Temps Libre y eussent mis bon ordre. L’essentiel restant la sujétion du plus grand nombre au plus petit nombre. Par ruse ou par force. Par le travail ou la télé. C’est ce projet d’irréversible maîtrise que poursuit la technarchie par l’artificialisation du vivant et l’animation de l’inerte. La mécanisation des techno-serfs via la bio-cybernétique et tout une machinerie sous commande, jusqu’à l’utopie techno-totalitaire d’un monde-machine.

On peut discuter des applications "bonnes" ou "mauvaises" de la recherche, soutenir que "l’outil est neutre" et l’usage seul en cause, qu’il ne faut pas "jeter le bébé avec l’eau du bain", "le bon grain avec l’ivraie", etc. mais un fait demeure indiscutable : dans un monde où s’opposent dominants et dominés, tout "progrès des connaissances" sert d’abord les dominants, leur sert d’abord à dominer, et autant que possible à rendre irréversible leur domination. Les "retombées positives" n’étant que les moindres maux dont on achète la soumission des dominés. "Progrès" curatifs et palliatifs, quand la prévention serait de renverser la domination qui provoque tant de nos maux, pour s’en rendre ensuite l’indispensable thérapeute.

Ce simple fait ne devrait-il pas conduire tout chercheur prétendument équipé d’une conscience à objecter ? Et l’ensemble de sa corporation à proclamer un moratoire sur toute recherche tant que ne serait pas réglée la question du pouvoir ?
Impossible justement, parce que tant d’otages dans l’urgence et la souffrance attendent au moins quelque soulagement de la recherche. Des déserteurs pourtant, peu nombreux, refusent de servir cette science-là. On a cité le mathématicien Grothendiek, médaille Fields 1966, qui renonça à toute recherche lorsqu’il s’aperçut en 1970 que l’IHES (Institut des Hautes Etudes Scientifiques) où il travaillait depuis dix ans recevait des subventions du ministère de la Défense. C’était dire qu’il n’y a pas de science innocente, si abstraite soit-elle, qui ne puisse nuire. Grothendiek participa dès lors aux activités du groupe "Survivre et vivre". En 1972, dans une conférence au CERN de Genève (Centre Européen de Recherches Nucléaires), il posait la question que devrait au moins se poser tout chercheur "responsable", "éthique", "citoyen", etc : "Allons-nous continuer la recherche scientifique ?" En 1988, il refuse le Prix Crafoord et ses 270 000 dollars de récompense, dénonçant les dégradations de la science. En août 1995, un article de Science et Vie nous apprend que "l’ermite mathématicien" a "disparu" :
"Mais Grothendiek est fatigué, seul et de plus en plus amer. Il vit isolé dans un petit village du Vaucluse, partageant son temps entre le soin à ses vignes et la rédaction d’un plaidoyer pour sa réhabilitation intitulé "Récoltes et Semailles, réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien" (...). Il pratique aussi la méditation nocturne, de mathématiques, ses visions sont devenues mystiques puis religieuses, prophétisant la fin du monde pour octobre 1996. "Et puis, un jour, à l’occasion de la réimpression de ses ouvrages, on s’est rendu compte qu’on avait totalement perdu sa trace", se souvient Cartier (NDR un ex-collègue) : on était en 1991, Grothendiek avait 63 ans. Depuis, plus rien. On ignore même s’il est encore vivant."

En 1969, un autre mathématicien, Theodore Kaczynski, démissionne de son poste de maître-assistant à l’université de Berkeley. Comme Grothendiek, il fait d’abord campagne pour l’arrêt total de la recherche scientifique, avec encore moins de succès et dans un isolement pire.

"Le 22 janvier 1998 Theodore Kaczynski a reconnu devant un tribunal californien être le terroriste que la police avait dénommé "Unabomber", et par là même être l’auteur du manifeste - Industrial Society and its future - dont "Unabomber" avait obtenu la publication dans la presse, en assurant qu’il cesserait en échange les attentats à la bombe qu’il commettait depuis 17 ans. Ces attentats, destinés selon leur auteur à frapper des individus liés à la recherche scientifique ou diversement impliqués dans la promotion du progrès technique, avaient fait trois morts - le propriétaire d’un magasin d’ordinateurs, un cadre d’une compagnie de publicité et le président de la corporation des exploitants forestiers de Californie - ainsi qu’un vingtaine de blessés. Dénoncé par son frère, qui l’avait reconnu grâce aux indices fournis par le texte du manifeste, Kaczynski avait été arrêté le 3 avril 1996. Lors de son procès, commencé en novembre 1997, le droit d’assurer lui-même sa défense lui fut refusé, le juge invoquant sa "schizophrénie paranoïde" et sa volonté de "manipuler le procès" ; il finit donc par accepter de plaider coupable et fut condamné à la prison à vie." (note de l’Encyclopédie des Nuisances à son édition de La société industrielle et son avenir).

Voilà qui rassurera une fois de plus les imbéciles quant à la proximité supposée du génie et de la folie. Depuis l’invention de la psychiatrie d’ailleurs, ne faut-il pas être fou pour dénoncer, seul contre tous, l’ordre du monde ? On ne discutera pas ici de savoir s’il est plus humain d’isoler ces insoumis dans leur for intérieur ou dans une cellule capitonnée ; de brûler les hérétiques en place publique ou de les lapider à la vieille mode du sacrifice. On se demandera plutôt si ce qu’ont vu ces chercheurs qui ne se prétendent pas, eux, irresponsables, n’avait pas de quoi rendre fou. Mais qu’ont-ils vu, messieurs Therme, Douce, Samarut, Van der Rest, Joyard, Feuerstein, Pautrat, etc ?

Dans son article déjà cité, Bill Joy dit : "Nous avons de la chance que Kaczynski ait été un mathématicien, et non un biologiste moléculaire."
C’était avant l’attaque au charbon qui frappa les Etats-Unis en septembre 2001. Mais bien entendu, il est exclu qu’un biologiste fou du CRSSA, de l’université Joseph Fourier ou de l’Institut de Biologie Structurale n’utilise ses compétences à des actes aussi "irresponsables", contraire à l’éthique, à la déontologie, etc.

Bill Joy a vu quelque chose que n’ont pas vu nos technarques.

Tout l’automne a résonné des clameurs de la recherche française devant les restrictions de crédit. La presse de gauche, L’Humanité, Libération et Le Monde surtout, sous la signature d’un ancien grenoblois de la LCR s’est fait l’écho de cette doléance. "La recherche mal-aimée de la droite" (Le Monde, 28/09/02). "Les laboratoires inquiets des reports de crédits" (Le Monde 2/10/02). "Plus de 4000 scientifiques protestent contre les restrictions budgétaires" (Le Monde 19/10/02). "Les entreprises freinent leurs dépenses de recherche" (id). "Un budget de la recherche sans "vision à long terme". Une sévère critique du Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie (CSRT)" (Le Monde 23/10/02).

Quand on voit L’Humanité publier un "appel de scientifiques" pour "le rétablissement du budget de la Recherche", signé par 5000 scientifiques, directeurs de laboratoires, d’instituts, membres d’académies, présidents d’universités, Prix Nobel et médailles Field (6/11/02), quand on lit dans Le Monde du 23/10/02 l’immonde plaidoyer pro domo du Pierre-Gilles de Gennes (Prix Nobel de Physique, membre de l’Académie des Sciences, etc) : "Depuis le 6 août 1945, l’honneur des scientifiques est battu en brèche. Chaque physicien est considéré comme co-responsable des morts d’Hiroshima. Et pourtant ? Fermi et Wigner n’avaient pas failli à l’honneur en expliquant au président Roosevelt la possibilité des armes nucléaires. La décision de les construire fut une décision du peuple américain, à travers son président élu." On en peut que songer au tract des surréalistes : "Démasquez les physiciens, videz les laboratoires". C’est pourtant ce qui a peu de chance d’arriver.

Un des bons esprits du siècle dernier écrivait en 1967, aux premiers âges de la consommation et de la cybernétique : "Il reste une trentaine d’années pour empêcher que l’ère transitoire des esclaves sans maîtres ne dure deux siècles." (Raoul Vaneighem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations).
Nous y voici. Cette prévision d’une justesse remarquable quant à sa chronologie pêchait encore par optimisme. Nous avons des maîtres qui visent la fin de l’Histoire et que nous servirons peut-être sans fin.

Bibliographie

La société industrielle et son avenir, Theodore Kaczynski. Editions de l’Encyclopédie des Nuisances (80 rue de Ménilmontant - 75020 Paris).

Totalement inhumaine, Jean-Michel Truong. Editions les Empêcheurs de penser en rond/Seuil.

The age of spiritual machines, Ray Kurzweil. Penguin Books.

La guerre au XXIe siècle, Laurent Murawiec. Editions Odile Jacob.

Demain le nanomonde, Jean-Louis Pautrat. Editions Fayard.