Voici le numéro 11 d’"Aujourd’hui le Nanomonde".
Au sommaire :

 Edito : 1er juin 2006, inauguration de l’arsenal Minatec
 La guerre, moteur de l’innovation, ou les débouchés militaires de Minatec et Minalogic
 Après le paysan, l’agriculteur, l’exploitant agricole, voici le "producteur de particules" : miam miam !

En résumé : les nanotechnologies servent aussi à faire la guerre, et Minatec, que la France entière inaugurera le 1er juin 2006, produira sous peu l’arsenal des tueurs innovants. Les nanotechnologies servent aussi à fabriquer des Organismes Atomiquement Modifiés, après les OGM, les OAM, mais toujours la confiscation du vivant par l’agro-business.

La guerre, moteur de l’innovation

Ou les débouchés militaires de Minatec et Minalogic

En 2002 le porte-parole des écotechs grenoblois, Vincent Comparat, tentait d’étouffer la critique des applications militaires des nanotechnologies par de simples citoyens : "Minatec (...) Les recherches effectuées ne sont pas pilotées par des intérêts militaires (même si elles peuvent avoir des implications militaires) et ne posent pas à priori de problèmes d’éthique importants. Elles visent à assurer à Grenoble une position de leader sur les développements futurs dans les micro et nanotechnologies.(...) De ce point de vue les collectivités, Conseil général, Métro et Ville de Grenoble, se devaient de soutenir fermement cette initiative."

Dix mois plus tard était signé l’accord CEA / Délégation générale à l’armement (DGA) qui permet notamment "d’optimiser les moyens nécessaires à la Défense en associant la DGA aux orientations de MINATEC. Ainsi, la DGA participera au choix des sujets de thèses, aux groupes de réflexion sur l’élaboration des programmes du CEA-LETI et cofinancera certains des programmes de recherche retenus".
Comparat avait tort, les simples citoyens avaient raison.

Rien que de logique pour qui - hormis les écotechs - s’est penché sur la question. "Les nanotechnologies sont par nature duales", souligne l’étude "Nanotechnologies : prospective sur la menace et les opportunités au service du combattant" réalisée par le CEA et le cabinet de conseil Alcimed (avril 2004). Duales : civiles et militaires. Les nanotechnologies, ça sert aussi à faire la guerre. Ainsi rendent-elles les obus "intelligents" et plus "performants" : "La nano-structuration des matériaux énergétiques ouvre des possibilités d’amélioration des performances, tant en réactivité qu’en énergie, des explosifs et des propergols pour la propulsion des fusées. (...) Les applications visées sont essentiellement les propulseurs solides de missiles ou de lanceurs spatiaux. (...) La direction des applications militaires (DAM) du CEA a toujours comme objectif principal de concilier dans ses explosifs une efficacité (performances), une sécurité et une sûreté très élevées pendant toute la vie d’une arme et dans les conditions d’environnement les plus sévères."

Super-tueurs nanoéquipés

L’étude CEA/Alcimed mentionne l’existence du "programme FELIN" "visant à développer des équipements intégrés. Le calendrier de ce programme prévoit que deux tiers des unités de l’infanterie seront équipés avec les améliorations FELIN en 2008.

Le programme FELIN ?
"Sagem Défense Sécurité, filiale du Groupe SAFRAN, est le maître d’œuvre du programme stratégique d’équipement du futur fantassin, Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrées) (...) la société filiale du Groupe SAFRAN (...) s’est vue notifiée par la Délégation générale pour l’armement (DGA) un marché de 800 M€ pour le développement, l’industrialisation, la fabrication en série et le soutien initial de ce système. Ce nouveau système, qui inclut une tenue de combat - vêtement de protection plus souple, plus ergonomique et léger que les actuels-, est constitué d’armes équipées de moyens optroniques modernes (lunettes à intensification de lumière et thermiques infrarouges), d’équipements de tête (viseurs, afficheurs, vision nocturne...), de puissants moyens de communication, de sources d’énergie individuelles. L’ensemble du système est régi par une plate-forme électronique portable assurant toutes les liaisons de communication et transfert de données. (...) (le soldat) pourra voir et tirer beaucoup plus loin, de jour comme de nuit et de manière déportée. Il se déplacera plus rapidement grâce à des équipements plus légers qui le protégeront davantage des agressions balistiques ou des risques NBC (nucléaire, biologique, chimique)."

Aux Etats-Unis, l’Institute for Soldier Nanotechnology a ajouté d’autres axes de recherche, comme l’amélioration des performances humaines (matériaux nanostructurés pour exo-muscles augmentant la force physique).

Le super-tueur de 2008 devra beaucoup aux nanotechnologies : son uniforme ("textiles anti-bactériens/anti-UV, vêtements résistant aux impacts ou à la déchirure, textiles faisant barrière aux rayonnements électromagnétiques... A plus long terme, les nanotechnologies pourront être utilisées pour développer une nouvelle génération de textiles intelligents, reconfigurables et s’adaptant à leur environnement, incorporant des capteurs et leur système de gestion électronique...") ; ses capteurs chimiques/biologiques pour détecter les attaques NBC ; son énergie : micro-batteries, piles à combustible, cellules photovoltaïques.
Sans oublier ses armes à visée infrarouge. Voire ses nanocapsules chimiques ou biologiques : "Selon le Sunshine Project, le "Groupe de l’Australie" (un groupe de 24 pays industrialisés) a récemment proposé d’ajouter les technologies de microencapsulation à une liste commune de technologies interdites d’exportation vers des pays "indignes de confiance", de peur qu’ils ne s’en servent comme armes biologiques. Les documents obtenus par le Sunshine Project montrent également que l’armée américaine a alloué un financement à l’université du New Hampshire en 1999-2000 pour qu’elle développe des microcapsules contenant des produits chimiques corrosifs et anesthésiants (destinés à faire perdre conscience). Ces documents décrivent comment ces microcapsules peuvent être tirées sur une foule, corroder l’équipement de protection puis s’ouvrir au contact de l’humidité sur la peau de l’homme."

Les attentats à l’anthrax aux Etats-Unis, dont la souche provenait du laboratoire militaire de Fort Detrick, ont rappelé qu’il n’y a pas plus d’étanchéité entre les labos et leur environnement qu’entre les recherches civiles et militaires, et que le risque d’usage de technologies dangereuses n’est pas limité aux pays "indignes de confiance". Fait aggravant avec les nanotechnologies : elles rendent la fabrication d’armes biologiques ou chimiques facile et peu coûteuse. "La puissance de calcul d’un cerveau humain dans un composant pas plus gros qu’une tête de mouche, voilà ce que nous offre la technologie dans le siècle qui vient. Tout le monde, Oussama Ben Laden ou José Bové, pourra se la payer pour 1000 $. En raison de la miniaturisation des composants, les terminaux que seront les capteurs de diverses natures, avec leurs mécanismes d’accès et leurs processeurs intégrés, se compteront par milliards. Ils seront partout, surveillant l’environnement et notre propre corps. Un groupe, clandestin ou non, sera capable de créer par auto-assemblage dans de modestes ateliers des insectes munis d’ailes, porteurs au choix de virus ou de Sarin, guidés à distance. Ils ne coûteront pas cher. On pourra en cacher des milliers dans les avions ou les lâcher dans le métro."
L’auteur de ces lignes n’est pas un illuminé mais le père du programme spatial français, Jacques Blamont (également membre de l’Académie des Sciences), que l’on suppose bien informé.

On oubliait : "La technologie des nanocapsules d’ADN (lire ci-dessous l’article sur l’agriculture) pourrait également être utilisée pour pirater les cellules vivantes
afin de produire d’autres composés tels que de nouvelles protéines ou toxines. Par conséquent il faut les surveiller de près en tant qu’éventuelles technologies de guerre biologique."

Nanocapteurs : les mensonges du CEA

Michel Ida, directeur d’IDEAs Lab, le "laboratoire d’idées" de Minatec, en 2001 : "Nous ne traiterons pas de machines folles ou de sujets fumeux comme les nuages de poussière communicants." À l’époque il est de bon ton, dans les conférences du CEA, de hausser les épaules à l’évocation des "poussières de surveillance", rangées au rayon "délires paranoïaques".
Le CEA mentait : "L’idée que des milliers de minuscules capteurs puissent être disséminés comme autant d’yeux, d’oreilles et de nez invisibles à travers les champs agricoles et les champs de bataille semble relever de la science-fiction. Mais il y a dix ans, Kris Pister, professeur de robotique à l’université de Californie à Berkeley, obtint un financement de la Defense advanced research project agency (DARPA) des Etats-Unis pour développer des capteurs autonomes pas plus gros qu’une tête d’allumette. Faisant appel à la technologie de gravure sur silicium, ces capteurs (grains de poussières intelligents) seraient équipés d’une source d’alimentation embarquée, dotés de fonctions de calcul et de détection d’autres capteurs environnants et de communication avec eux. Ainsi, chaque capteur s’auto-organiserait dans des réseaux informatiques ad hoc capables de relayer des données à l’aide de la technologie sans fil (c’est-à-dire la radio). (...) En 2003 Pister a créé une société de "poussières intelligentes", Dust, Inc. Afin de donner un avant-goût de ce que serait une société qui baignerait dans l’intelligence ambiante, Kris Pister émet les hypothèses suivantes : "En 2010, une particule de poussière sur chacun de vos ongles transmettra en continu le mouvement du bout de vos doigts à votre ordinateur. Votre ordinateur saura interpréter vos gestes (saisir, pointer, cliquer, sculpter ou jouer de la guitare virtuelle)". Par ailleurs "le projet "SensorNet" tente de déployer dans tous les Etats-Unis un réseau de capteurs qui fera office de système d’alerte rapide en cas de menaces chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosives. Le SensorNet intègrera des nanocapteurs, des microcapteurs et des capteurs conventionnels dans un seul et unique réseau national couplé rétroactivement à un réseau américain existant de 30 000 mâts de téléphone portable, formant l’ossature d’un réseau de surveillance nationale sans précédent."

Les nanos grenobloises, Minalogic et la guerre

L’étude CEA/Alcimed le note avec satisfaction : dans les domaines prioritaires pour l’armée (textile, capteurs, énergie), la France "possède un savoir-faire important", et occupe "une position de leader reconnue au niveau international A titre d’exemples, le CEA-Grenoble est aujourd’hui un acteur majeur des domaines des mini et micro-sources d’énergie et de la nanoélectronique." Autres exemples de "l’excellence" grenobloise : Sofradir, Apibio, Tronic’s, Thales (catégorie "capteurs chimiques/biologiques") et Paxitech (catégorie "micro-batteries et piles à combustible"). Notons que les quatre premiers font partie du pôle de compétitivité "mondial" de Grenoble-Isère, Minalogic, pour lequel la propagande locale avait omis de mentionner les débouchés militaires.
Le rapport aurait aussi pu citer, en catégorie "textile", les entreprises iséroises du projet "Métis" soutenu par le Conseil général de l’Isère. "Vêtements de protection avec GPS intégré pour les soldats du feu, marqueurs anti-contrefaçon, prothèses intelligentes qui renseignent sur l’état de l’articulation à protéger, bandages de secours qui mesurent le rythme cardiaque et d’autres paramètres physiologiques aussitôt transmis aux urgences... Ce ne sont là que quelques une des applications attendues de cette union du tissu, du papier et des "nanos"."

Les autres applications - dont il n’est jamais fait mention - concernent les super-tueurs du programme FELIN. Comme le rapporte le CEA : "Les PME interrogées ont souligné que le secteur militaire a toujours été un moteur d’innovation dans le domaine du textile technique. De plus, la production d’équipements pour le fantassin représente un marché suffisamment important pour ces entreprises pour qu’elles lancent des développements technologiques dans ce domaine.
Enfin, les PME considèrent que les nanotechnologies sont duales et que le savoir-faire acquis pour des applications militaires pourra ensuite être valorisé dans les secteurs professionnels (bûcherons, pompiers...) et pour le grand public (articles de sport...). Néanmoins, ces PME ont souligné qu’elles sont actuellement dans une situation économique difficile en raison de la concurrence forte des producteurs asiatiques ou indiens. Ces PME estiment qu’au rythme actuel, cette forte pression concurrentielle pourrait provoquer leur disparition. Toutefois, des projets "nano" portés par des applications militaires pourraient ainsi leur permettre de résister à la concurrence étrangère et maintenir leur savoir-faire en France."

Bref, les crédits militaires servent non seulement à renforcer la domination militaro-policière, mais à engraisser l’industrie. Autrement dit les citoyens financent les outils de leur propre surveillance, pour le bénéfice de cette même industrie. L’analyse du marché des nanos confirme l’absence de frontières entre recherches civiles et militaires : tantôt les unes irriguent les autres, tantôt les autres pilotent les unes. Les chercheurs le savent et l’occultent : ils sont les auxiliaires de l’armée. Témoins ces élèves-ingénieurs de l’Enserg, l’une des écoles de l’INPG, concepteurs d’un micro-drone fort apprécié des militaires lors de sa présentation en octobre 2005 au concours de la Délégation générale à l’armement. "Nous avons détecté plus de 600 applications civiles et militaires", se félicite Pascal Zunino, jeune diplômé qui a monté sa boîte (Novadem) pour vendre son invention .

Tous ces chercheurs se lavent les mains du sang que versent les militaires. Il n’empêche : les assassins sont parmi nous.

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Après le paysan, l’agriculteur, l’exploitant agricole,
voici le "producteur de particules" : miam miam !

Centres de bioproduction dirigés par ordinateur portable, GPS et satellite, systèmes de distribution moléculaire sur mesure, pesticides nano-encapsulés, capteurs moléculaires, nanoparticules vétérinaires, "monitoring zootechnique" grâce aux puces électroniques ingérées par les animaux et permettant le comptage à distance : bienvenue dans la ferme de l’ère nanotechnologique.

Cela nous avait échappé au prime abord, mais les nanotechnologies s’attaquent aussi à notre alimentation. Il faut dire que les nanocrates se gardent bien de mentionner leurs applications agricoles. Sans doute pour respecter le mot d’ordre lancé à tous les étages des institutions, labos et boîtes high tech : "Eviter à tout prix un nouveau scénario OGM". Traduisez : si les citoyens découvrent les OAM, "Organismes Atomiquement Modifiés", la fronde contre l’agro-business risque de se rallumer.
Quand Richard Smalley, prix Nobel et nanologue américain, déclare en 2003 aux anti-nanos : "Après tout on ne vous conseille par de manger des trucs nanotechs", il ne risque pas d’être démenti puisque les nanotrucs en question ne sont mentionnés sur aucune étiquette, ne font l’objet d’aucune réglementation et d’aucune publicité, bref, sont fourgués en douce aux consommateurs.

Des OAM ? Le rapport "Down on the Farm" ("Main basse sur la ferme") de ETC Group , nous informe : "Des chercheurs sont en train d’élaborer de nouvelles techniques faisant appel aux nanoparticules pour introduire subrepticement de l’ADN étranger dans des cellules. Par exemple, à l’Oak Ridge National Laboratory, laboratoire du ministère américain de l’énergie qui a joué un rôle majeur dans la production d’uranium enrichi pour le Manhattan Project (mise au point de la bombe atomique), des chercheurs ont élaboré une nano-technique permettant l’injection d’ADN dans des millions de cellules à la fois. (...) Une fois injecté, l’ADN synthétique produit des protéines aux caractéristiques nouvelles." Au laboratoire de physique nucléaire de l’université de Chiang Mai, "des chercheurs ont "percé" la membrane d’une cellule de riz afin d’y insérer un atome d’azote destiné à stimuler le réarrangement de l’ADN du riz. Pour l’instant ils ont ainsi réussi à modifier la couleur d’une variété locale qui du pourpre est passée au vert."

On ignore ce que cet ADN synthétique devient dans le sol, la chaîne alimentaire et les organismes animaux ou humains.
On commence à savoir en revanche que les nanoparticules produisent sur la santé des effets comparables à l’amiante, aggravés par leur petite taille qui leur permet de passer plus facilement dans le sang. Des études ont aussi montré la toxicité des nanoparticules pour l’environnement, notamment chez les poissons. Pourtant, "des pesticides contenant des nano-ingrédients actifs sont déjà sur le marché, et de nombreuses sociétés agrochimiques mondiales de premier plan étudient leur développement." Et "des sociétés telles que SkyePharma, IDEXX et Probiomed élaborent actuellement des applications vétérinaires de nanoparticules. (...) On ne sait pas comment les nanoparticules subsistent et se déplacent dans le corps, ni si elles peuvent migrer dans le lait, les œufs et la viande." (id.)

Comme pour les OGM, l’ignorance, réelle ou feinte, des effets des nanoparticules, n’empêche pas chercheurs et industriels de transformer la terre et ses habitants en laboratoire.
Après les biotechs, les nanotechnologies poursuivent la construction d’un monde-machine hors-sol et intégré. Avec elles, notre alimentation comme nos vies échappe à notre propre contrôle ; l’agriculture comme nos vies est industrielle, automatisée, uniforme et réduite à ses plus simples fonctions.

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Rendez-vous à Grenoble le 1er juin 2006 pour l’inauguration de l’arsenal Minatec