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"Aujourd’hui le nanomonde" et faites-la circuler bien sûr.

Aujourd’hui, "La Proie, c’est nous".

La proie, c’est nous

La sortie d’un roman catastrophe sur les nanotechnologies illustre leur danger radical, mais le risque le plus probable réside dans leur existence ordinaire.

Les éditions Robert Laffont nous prient d’insérer :

La Proie, Michael Crichton.

En vente le 13 octobre 2003

Maître incontesté du techno-thriller, Michael Crichton réinvente la terreur : après les monstres de Jurassic Park, voici les robots tueurs de moins d’un millimètre de long...

Au cœur du désert du Nevada, s’étend un étrange complexe technologique. On y fabrique des nanoparticules, ou machines infiniment petites destinées à la recherche militaire. Il ne faut surtout pas se laisser endormir par la taille de ces robots : non seulement ils sont capables de "s’autofabriquer" et donc de se multiplier à l’infini, mais ils suivent les instructions d’un programme informatique calqué sur le comportement des animaux prédateurs. Et leur proie... c’est nous !
Jack Forman est un informaticien au chômage qui s’occupe de ses enfants pendant que sa femme, Julia, joue à l’apprenti sorcier high tech. Il raconte lui-même son enquête et sa lutte à mort contre les nanorobots tueurs. Son point de vue très personnel, qui mêle volontiers les soucis de couche culotte et les problèmes de programmation informatique, donne un ton de réalisme savoureux à ce roman technologico-fantastique. Les lecteurs ont aimé le changement de style du romancier qui, pour la première fois, fait parler son héros à la première personne : La Proie a pris la tête des meilleures ventes dès sa sortie aux Etats-Unis.
L’auteur : Michael Crichton est né à Chicago le 23 octobre 1942. A l’âge de vingt-trois ans, alors psychiatre à la Harvard Medical School, il commence à rédiger une série de romans policiers. En 1969, il publie La Variété Andromède, l’histoire d’un virus mortel venu de l’espace. Ce sera le premier d’une longue série de best-sellers, parmi lesquels Sphère, Jurassic Park, Harcèlement, Le Monde perdu, Turbulences, Prisonnier du temps. Il est aussi le scénariste de la série Urgences.

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Aux Grenoblois perplexes qui s’interrogent sur la nature des nanotechnologies, et se demandent ce que le Commissariat à l’Energie Atomique va bien pouvoir fabriquer dans son fameux centre Minatec, Michael Crichton apporte ainsi une première réponse : les nanos ça sert à faire la guerre. "La guerre des nanos" titre plaisamment Isère Magazine, organe du conseil général de l’Isère, le maître d’ouvrage de Minatec.
Comme les OGM, alors ? Oui, comme les OGM, comme les virus du Centre de Recherche du Service de Santé des Armées à La Tronche, comme les atomes et les puces de ce même CEA : il n’y a pas de technologie civile. Rien que des degrés dans la malfaisance, civile ou militaire, qu’elle peut déployer.

Dans son livre, Michael Crichton évoque une variante de ce que les scientifiques nomment le risque d’écophagie. La plupart des nanologues estiment qu’on ne pourra pas produire de nanorobots à la chaîne, il faudra donc mettre en place des procédés d’auto-réplication, fondés sur la chimie du carbone. Que se passerait-il si à la suite d’une malveillance ou d’une erreur de programmation, ce processus d’auto-réplication s’emballait, échappant à tout contrôle ? Tout le carbone de la Terre serait rapidement consumé, transformant celle-ci en une boule de "grey goo", de gelée grise.
Selon Jean-Pierre Dupuy, professeur à l’université de Stanford et à l’Ecole polytechnique, "Des études très poussées concluent que ce risque, sans être nul, est très faible . Il est remarquable que les seuls spécialistes (parmi eux, Richard Smalley lui-même) qui affirment ne pas craindre ce danger soient ceux qui soutiennent que les nano-assembleurs imaginés par Drexler ne verront jamais le jour, car ils "violeraient les lois de la physique", nonobstant le travail théorique de von Neumann. A quoi Drexler réplique que la machinerie cellulaire fonctionne déjà avec de tels nano-assembleurs ! Un débat qu’il faudra bien trancher avant qu’il ne soit trop tard."

Eric Drexler, président du Foresight Institute (www.foresight.org), est aux Etats-Unis le principal propagandiste des nanotechnologies. Richard Smalley (sic), prix Nobel de chimie en 1996 pour sa découverte des "buckyballs" , est le fondateur de la National Nanotechnology Initiative et du Rice University’s Centre for Biological and Environmental Nanotechnology. "Le problème, enrage-t-il, c’est que plus il y aura de gens pour commencer à s’inquiéter de nanorobots et d’essaims de "grey goo", plus cela rendra probable un stupide retour de bâton contre toute recherche en nanotechnologie, comme ce fut le cas contre les OGM, il y a quelques années.

Le Dr Smalley, précise The Economist (15/03/03), avait espéré que, lorsque le Scientific American consacrerait un numéro spécial à l’aspect sérieux des nanotechnologies, il enfoncerait un pieu au cœur de ces idées de gelée grise et de robots auto-réplicateurs. Il ne l’a pas fait. Et avec "La Proie" bientôt sur les écrans, les luddites de partout, pourraient s’en emparer pour donner une suite à l’hystérie OGM."

Bref, en attendant que nos nanologues en aient tranché, et sans erreur possible svp, non seulement le-risque-zéro-n’existe-pas, mais ce serait en l’espèce le risque ultime, puisque menaçant toute vie sur terre. La peur n’est pourtant pas le début de la sagesse, s’il suffit de lever ce risque pour rendre les nanotechnologies acceptables à la masse des techno-serfs ; cette foule solitaire devant sa télé, dans sa voiture et à l’hypermarché, vulnérable à toutes les campagnes de panique, prête à toutes les redditions et à toutes les allégeances envers les nanomaîtres, pourvu qu’ils la protègent de leurs terribles pouvoirs.

Ainsi les techno-serfs s’accommodent-ils du nucléaire, cette autre technologie trop périlleuse et complexe pour être mise entre toutes les mains, tant que la caste des nucléocrates, éventuellement surveillée par des questeurs écolo-citoyens, leur assure un taux de becquerels et de cancers acceptable. C’est qu’on ne peut fixer longtemps le risque en face. Il faut bien vivre, comme on dit. Dans la cuvette grenobloise, ce sentiment d’accablement, et de honte devant sa reddition, finit par se changer en forfanterie, afin de sauver la face. Le Grenoblois n’est pas peu fier d’habiter "la ville de tous les dangers". Et ceux qui n’en sont pas fiers n’osent pas souvent exprimer leurs craintes, faute de "s’y connaître". En fait ils "s’y connaissent" plus qu’ils ne croient. Car on connaît l’arbre à ses fruits, et point n’est besoin de connaître la chimie du carbone ou la physique des particules pour avoir une opinion éclairée sur l’industrie nucléaire ou pétrolière. Enfin, quoique le risque majeur ne soit pas le souci majeur, les lanceurs d’alarme ont raison de révéler au public ce que lui cache le pouvoir, que chacun voie ce que vaut sa vie à l’aune de la raison dirigeante, et que nul ne puisse s’en déclarer innocent.

On voit d’ailleurs que "l’hystérie OGM", la crainte de la "malbouffe" et de la "Frankenfood" n’a fait que retarder l’essor des chimères génétiques, au plan légal comme au plan des recherches (levée du moratoire européen, création d’un blé transgénique par Monsanto).

Cet esprit de soumission, il serait simpliste de l’attribuer d’abord au conditionnement politique, même s’il serait intéressant de voir ce que la suppression des appareils d’hypnotisme (com’, pub, mass media, sans parler des institutions anciennes), pourrait réveiller de pensée. Au delà, force est de reconnaître que l’esprit communautaire dont se réclame nombre d’insoumis récompense le conformisme. Il a toujours été plus facile dans toute société de dire oui, plutôt que non. La raison en est sans doute que l’Autorité se présente d’abord à nous sous les traits du modèle à suivre. "L’homme est l’animal mimétique" (Aristoteles dixit). Notre premier apprentissage n’est par la force des choses qu’imitation et répétition. Apprendre c’est obéir. Ensuite le pli est pris. C’est contre ses tendances les mieux acquises, contre son propre machinisme que chacun doit se dresser, pour se dresser contre la Machine. Et c’est pourtant le seul motif d’opposition irréductible aux nanotechnologies, nouveau degré dans la technification totalitaire et notre intégration à la Machinerie - dont on ne discutera pas ici s’il s’agit d’un processus sans sujet, ou si le démon émergent n’est pas justement cette Machinerie.

Certes l’homme est un animal social, dont l’humanité ne peut naître qu’en rapport avec ses semblables, mais il était simultanément, jusqu’ici, un individu et non un insecte social. Qui ne voit que la croissance et le croisement de ces filières, planifié sur des décennies (filières bovine, électronique, etc.), tressent un système, et même le système : un réseau (du latin rete, filet), un net, une toile, si l’on veut, qui quadrille peu à peu chaque parcelle du monde et des individus. C’est-à-dire qu’il n’y a plus d’individus mais des rouages du système, des cellules du cerveau, des puces de l’ordinateur, des fourmis de la fourmilière, des pièces de la Machine. Celle-ci devenant l’individu, ce "tout indivisible", dont les pièces, les fourmis, les puces, les cellules, les rouages, les hommes, ne sont que les parties. Le voilà bien le risque majeur, à la conjonction de notre auto-contrôle et du système de contrôle universel qui des nano-puces aux satellites GPS régira bientôt nos moindres impulsions.

Quant au livre de Crichton, c’est une laborieuse illustration, écrite à la truelle, et qui devrait se vendre, puisqu’éditée dans la collection "Best-Sellers". L’introduction, "L’évolution artificielle au XXIe siècle", en résume le message catastrophiste, tempéré d’un appel inepte au contrôle international (voir l’extrait ci-dessous).
De livre en livre, Crichton brode sur le même canevas. Des chercheurs cupides, ambitieux et irresponsables, au service du complexe militaro-industriel travaillent à l’horreur dans leur labo. L’horreur s’échappe, l’humanité est en danger, mais notre héros, le bon chercheur, rattrape la manipe. Si Crichton a tant de succès, c’est qu’il exprime à la fois une certaine hostilité populaire, mêlée de hantises apocalyptiques, vis-à-vis de l’establishment techno-scientifique, tout en sauvant l’humanité - et la confiance dans le système - grâce à l’intervention de notre héros. Disons qu’il est à Philippe K. Dick ce que Barbara Cartland est à Malcom Lowry.
L’intérêt de ce genre de productions c’est d’attirer l’attention sur de réelles menaces, mais souvent pour en désamorcer l’urgence et les déréaliser. Ce n’est qu’un livre, qu’un film, dit-on au lecteur ou au spectateur. Vous faites de la science-fiction, dit-on au critique du nucléaire, de l’informatique, des OGM, de la science guerrière et policière.

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L’évolution artificielle au XXe siècle

(...) A un moment ou à un autre, dans le courant du XXIe siècle, la rencontre entre notre imprudence aveugle et notre puissance technologique toujours croissante déclenchera une véritable déflagration. Un domaine particulièrement propice à cette rencontre se trouve à la jonction des nanotechnologies, de la biotechnologie et de l’informatique. Trois domaines qui ont en commun les moyens de libérer dans l’environnement des entités capables de se reproduire.

Nous vivons depuis plusieurs années avec les premières de ces entités, les virus informatiques. Et nous commençons à avoir une expérience concrète des problèmes engendrés par la biotechnologie. Le rapport récent selon lequel, au Mexique, des semences de maïs subissent des modifications génétiques - malgré la législation et les contrôles - n’est que le premier pas du long et difficile parcours qui nous attend avant d’arriver à la maîtrise de nos technologies. Parallèlement, les croyances bien enracinées sur l’absence de risques dans le domaine de la biotechnologie - une opinion défendue par la grande majorité des biologistes depuis les années 1970 - sont aujourd’hui remises en question. La création involontaire d’un virus extrêmement destructeur par des chercheurs australiens en 2001 a poussé bien des spécialistes à repenser la question. A l’évidence, nous ne considérerons pas dans l’avenir cette technologie avec l’insouciance du passé.

Les nanotechnologies sont les dernières-nées et, d’une certaine manière, les plus radicales. Elles s’intéressent à la construction de machines d’une taille infiniment petite, de l’ordre de cent nanomètres, soit cent milliardièmes de mètre, et donc environ mille fois plus petite que le diamètre d’un cheveu. Au dire des experts, ces nanomachines fourniront aussi bien des composants électroniques miniaturisés que de nouveaux traitements contre le cancer ou de nouvelles armes de guerre.
Le concept de nanotechnologie remonte à 1959. On le trouve dans une communication de Richard Feynman intitulée : "Il y a de la place en bas ". Quatre décennies plus tard, la spécialité en est toujours à ses débuts malgré un incessant battage médiatique. Cependant, des progrès sensibles ont été réalisés et les investissements sont en augmentation considérable. Des entreprises telles que IBM, Fujitsu ou Intel consacrent des budgets énormes à la recherche. Ces deux dernières années, le gouvernement des Etats-Unis a investi un milliard de dollars dans les nanotechnologies.
Des produits issus de ces recherches arrivent déjà sur le marché : crèmes solaires, tissus antitaches, matériaux composites pour les voitures. D’autres seront bientôt commercialisés : ordinateurs et dispositifs de stockage de très petite taille.
Certains des "produits miracles" si longtemps attendus commencent à faire leur apparition. En 2002, une société a mis en vente un verre autonettoyant, une autre un pansement composé de nanocristaux, possédant des propriétés antibiotiques et anti-inflammatoires.

Les nanotechnologies s’intéressent principalement aujourd’hui à la composition des matériaux, mais leurs applications potentielles vont bien au-delà. Depuis plusieurs décennies, on s’interroge sur la création de machines capables de s’auto-fabriquer ; dès 1980, une publication de la NASA passait en revue différentes méthodes pour y parvenir. Il y a dix ans, deux scientifiques de renom ont abordé sérieusement la question :

"D’ici cinquante à cent ans, nous verrons probablement apparaître une nouvelle classe d’organismes. Ces organismes seront artificiels dans le sens où ils auront été conçus par l’homme. Mais ils auront la capacité de se reproduire et ils "évolueront" vers autre chose que leur forme originelle ; ils seront "vivants" dans les différentes acceptions de ce terme... Le rythme de l’évolution sera extrêmement rapide... Les conséquences pour l’humanité et la biosphère pourraient être énormes, plus importantes encore que la révolution industrielle, l’arme nucléaire ou la pollution de l’environnement. Nous devons d’ores et déjà prendre des mesures pour préparer les conditions de l’apparition d’organismes artificiels..."

K. Eric Drexler, le chantre des nanotechnologies, exprimait des inquiétudes de même nature :

"Nombreux sont ceux, moi y compris, que les conséquences prévisibles de cette technologie emplissent d’un profond malaise. Il y aurait tant de choses à changer que le risque est grand que la société, faute de préparation, ne sache pas s’y prendre."

D’après les prévisions les plus optimistes (ou les plus alarmistes selon le point de vue), ces organismes ne verront pas le jour avant plusieurs dizaines d’années. Nous sommes en droit d’espérer que lorsqu’ils feront leur apparition, nous aurons mis en œuvre des moyens de contrôle internationaux sur les créations technologiques capables de se reproduire. Nous pouvons aussi espérer que ces contrôles seront appliqués avec rigueur ; nous avons déjà appris à traiter les fabricants de virus informatiques avec une sévérité inconcevable il y a vingt ans. Nous envoyons les pirates informatiques derrière les barreaux. Les spécialistes dévoyés de la biotechnologie seront bientôt logés à la même enseigne.

Mais il est évidemment possible qu’il n’y ait pas de moyens de contrôle. Ou que quelqu’un parvienne à créer bien plus tôt qu’on ne l’imagine des organismes artificiels capables de se reproduire. Si cela doit arriver, il est difficile d’en prévoir les conséquences. C’est le sujet de ce roman.

Michael Crichton

Los Angeles, 2002