Un article du Journal de l’Environnement (01/08/08)

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David Vernez est adjoint au chef du département des expertises en santé-environnement-travail de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), et s’occupe de la partie « expologie » (1) du département. Il revient pour le JDLE sur l’avis rendu la semaine dernière par l’Afsset sur les nanomatériaux et sur la sécurité au travail (2).

Pourquoi les nanomatériaux constituent-ils une source de risque particulier pour les travailleurs ?

En réalité, les nanomatériaux concernent tout le monde. On en trouve déjà dans les produits d‚utilisation courante (plastique, papeterie, cosmétique, alimentation). Au niveau du grand public, les nanomatériaux se trouvent principalement dans des matrices solides et liquides, par exemple à l‚intérieur d‚une crème solaire ou d‚un pneu. Les risques d‚aérosolisation sont donc moins grands. L‚exposition est potentiellement plus importante lors de la production et concernant les usages industriels, car les quantités sont plus importantes et l‚on peut retrouver cette fois des nanomatériaux sous forme de poudre. Or, l‚inhalation est la voie principale d‚exposition à ces produits. Il est donc logique -et important- que l’exposition des travailleurs ait été traitée en priorité. La question de l’exposition du grand public fera l’objet d‚une prochaine expertise de l’Afsset.

Quels sont les risques encourus par les travailleurs ?

L‚avis conclut à des risques potentiels. Il n‚est pas simple de quantifier les risques. Un même nanomatériau, par exemple l‚oxyde de titane, notamment utilisé dans les crèmes solaires, peut avoir plusieurs structures et morphologies possibles et donc des réactivités différentes. Il va falloir examiner la toxicité des nanomatériaux au cas par cas. C‚est un travail extrêmement important, et en l‚état actuel des connaissances et en l‚absence du recul nécessaire, nous n‚avons pas de certitudes sur leurs effets à long terme. Des études et des résultats d‚expérimentation animale sortent, mais qui concernent chaque fois un seul nanomatériau, ce qui n‚augure en rien des autres. Ce que l’on sait actuellement avec certitude, c‚est que certains nanomatériaux sont capables de franchir les barrières naturelles de l’organisme, et ce principalement par voie d’inhalation. Il est donc préférable par précaution de prendre toutes les mesures nécessaires pour supprimer ou réduire les expositions. C’est l’objet des bonnes pratiques du rapport.

Pourquoi seuls 39 entreprises et laboratoires de recherche, sur 219 questionnaires envoyés, ont-ils répondu à votre questionnaire visant à connaître leurs manières de réduire l‚exposition de leurs employés ?

Les grosses productions se limitent à quelques familles de nanomatériaux ˆdioxyde de titane, carbonate de silicium, silice et alumineˆ associées à de grandes entreprises qui ont répondu au questionnaire. En termes de tonnage, les 39 entreprises et laboratoires qui ont répondu représentent la majorité de la production. Le faible taux de réponse s‚explique sans doute par la forte concurrence qui règne dans le domaine du développement des nanomatériaux. Le questionnaire, relativement précis, a peut-être rebuté les entreprises qui ne souhaitaient pas dévoiler leurs procédés.
Des questions de définition sont aussi en cause. Les entreprises qui manipulent des agglomérats ont tendance à considérer qu‚il ne s‚agit pas de nanomatériaux, et de ce fait ne se sentent pas concernées par ce questionnaire, alors que l‚Afsset considère les agrégats comme faisant partie des nanomatériaux. Ce qui est important, c‚est que nous avons eu la réponse des entreprises produisant de gros tonnages, et que les résultats ne sont pas discordants entre les bonnes pratiques internationales et nationales. Le nombre relativement faible de réponses n‚affecte donc pas la qualité des recommandations proposées.

Comment protéger les travailleurs ?

On peut utiliser des moyens similaires à ceux employés contre l‚exposition aux poussières et particules fines. Les solutions proposées sont simples. Toute forme de renouvellement d‚air ou d‚aspiration à la source est efficace, ainsi que le cloisonnement. La question de la filtration de l‚air, elle, est plus délicate. Les filtres perdent en efficacité lorsque la taille de nanomatériaux est comprise entre 100 et 1.000 nanomètres (nm), l‚efficacité la plus basse se situant entre 200 et 300 nm. On constate un regain d‚efficacité pour les très petites particules (entre 2 et 100 nm). Les masques filtrants, eux, sont qualifiés pour des particules de l‚ordre de 150 nm. Il faudrait les qualifier pour des tailles inférieures, car la fraction la plus pénétrante se situe vers 30 nm.

Quelles autres solutions peut-on appliquer pour réduire l‚exposition ?

Cette famille de composés est complètement nouvelle. Par conséquent, si certains produits ne sont pas identifiés comme nanomatériaux, les entreprises en aval de la production ne sauront pas qu‚elles en manipulent. Une des difficultés réside dans la traçabilité des nanomatériaux, d‚où notre insistance sur la création d‚une base de données recensant tous les produits qui en contiennent.

Concernant l‚exposition de la population, le domaine est relativement peu évalué, notamment du fait des difficultés métrologiques que cela pose. Il est déjà difficile d‚évaluer le risque au niveau industriel, ce le sera encore plus au niveau de l‚environnement car les nanomatériaux sont difficiles à distinguer du bruit de fond. A la demande de l’Afsset, l’Ineris conduit une étude sur l‚exposition des riverains à proximité des sites industriels. Par ailleurs, l‚Afsset a été saisie, le 28 juillet dernier, pour évaluer les risques concernant la population générale d‚ici la mi-2009.

Vous refaites des recommandations déjà exprimées dans votre premier avis, comme la création d’une base de données et le regroupement à l’échelle nationale des experts. Cela peut paraître décevant.

La première expertise a eu des retombées très positives, elle a largement contribué à la forte mobilisation actuelle des acteurs publics. Une bonne partie des recommandations du premier rapport ont été suivies : implication de l’Etat français dans la rédaction d’une norme Iso, dans les groupes de travail de l‚Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce n’est pas le cas de toutes les recommandations évidemment, même si certaines font encore l’objet de discussions. Nous avons repris dans ce rapport celles qui nous semblaient toujours d’actualité.

(1) L‚expologie est la science de l‚évaluation des expositions aux agents toxiques
(2) Voir l‚article du JDLE « Nanomatériaux : un avis sur la santé des travailleurs »
(01/08