Une gifle au public lors du vernissage de l’exposition "Micropolitiques"
au Centre National d’Art Contemporain de Grenoble.

"Tout est micro dans notre vie" (Y. Aupetitalent)

I - Le Magasin, comme son nom l’indique, est un endroit où l’on vend de la marchandise. En l’occurrence de la camelote culturelle pour Grenoblois moyens. C’est de vous que je parle.

II - Cette camelote se vend sous l’étiquette "d’art contemporain", ce qui est une véritable fraude à la consommation. Primo, certains chnoques exposés sont contemporains depuis trois ou quatre décennies (Buren, Pistoletto, Villeglé) ; deuxio, le Magasin les avait déjà exhibés dans les années 80. Mais qu’attendre du commerce, sinon la duperie du gogo ? Hermès n’est pas pour rien le dieu duplice du vol et du commerce, le dieu de la communication (pub, propagande), c’est-à-dire le dieu du boniment et du double langage.

III - Que le commerce nous vole nos vies pour nous vendre de la mort en retour, c’est ce dont le plus obtus lecteur du Dauphiniais commence à se douter. Le commerce n’arrive plus à dissimuler les morts, ni les causes de leur mort (le profit, la falsification) ; ni que le crime lui profite. Mais il arrive encore à retarder la révolte en faisant diversion, en stupéfiant les survivants (ou plutôt les sous-vivants, les morts-vivants), à l’aide de l’hypnose.

IV - Il y a des jours où la religion est l’opium du peuple et des jours où c’est l’inverse. Mais chaque jour, sous une forme ou sous une autre, de gré ou de force, le commerce vend sa came aux défoncés. Ainsi le Magasin vend de la came culturelle mêlée d’un zeste de politique, à sa clientèle de bien-pensants : rombières en shopping, bureaucrabes socio-culs, hérons et mandarins universitaires, fayots des Beaux-Arts anxieux de passer leur diplôme d’artiste pour mieux se vendre. Toute la piétaille des artisticules dont l’organe central est fort à propos Le Petit Butin. Tous les festiveaux et déveaux de Télérama, des Inrockuptibles, de France Inter et d’Arte, en quête permanente de bonne conscience à bon marché.

V - La culture c’est la règle, l’art c’est l’exception. Contrairement à ce que prétend son sous-titre, ce n’est pas de l’art contemporain, mais de la culture (la Loi et l’Ordre), que vend le Magasin à une clientèle en demande d’autorité, toujours prête à saliver à la clochette du maître. A quêter son approbation en se ruant sur tous les gris-gris, fétiches, gadgets qu’on lui jette comme des harengs aux otaries. Mais de l’art contemporain, on n’en trouvera pas au Magasin. Forcément : il n’est pas à vendre.

VI - Des dizaines d’années après Dada, les surréalistes et l’Internationale Situationniste, on a honte de devoir rappeler que le seul art contemporain, c’est l’art de vivre. Que dans l’extrémité où nous réduit le commerce, la vie étant l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort, l’art ne peut être que révolte, et l’artiste, celui qui passe à l’acte. Tant pis pour tous les arriérés, corporatistes et boutiquiers, titulaires et diplômés, qui nous vendent encore leur micro savoir-faire, leur micro diversion (ah, les rayures de Buren, verticales ou horizontales ?), et s’acharnent à chevaucher la vieille haridelle de l’Art d’Origine Contrôlée.

VII - Saluons les véritables artistes contemporains : les malades du sida qui arrachent leur vie aux charognards des laboratoires, les peuples aborigènes qui résistent à la destruction de leur habitat, les braves qui s’enchaînent aux arbres pour barrer la route aux engins, les enfants des cités qui brûlent des voitures plutôt que des loups. (Que n’a-t-on brûlé dès l’origine les cités qui ont fabriqué ces incendiaires.)
Saluons les mutins du commerce mondial, rebelles au pillage des hommes et du milieu, réfractaires aux trafics et aux trafiquages. Sans eux ne régnerait que la loi du marché poussée jusqu’à ses mortelles conséquences.

VIII - Mais qu’attendre du Magasin et de ses commanditaires ? Le Ministère de la Culture, la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), la Région Rhône-Alpes, le Département de l’Isère et la Ville de Grenoble. Croit-on un instant que ces bureaux de propagande financeraient des manifestations de révolte ? Croit-on un instant qu’ils financeraient autre chose que des opérations de communication ? (Et l’on passe sur les plaisantes anecdotes de copinage et de gaspillage qui abondent parmi les habitués du Magasin.)
Qui paye, commande : la subvention ou la subversion.
Artistes, crachez dans la soupe !
Mordez la main qui vous nourrit !

IX - Aussi bien, qu’attendre d’une citoyenneté qui se dégrade en clientèle ? D’une ville qui se gargarise de progressisme mais falsifie sa mémoire ?
 La Journée des Tuiles ? Une émeute fiscale fomentée par le parti féodal.
 Le révolutionnaire Barnave ? Le chef de file des esclavagistes grenoblois, de ces négociants en lutte contre l’abolition de la traite, dont les noms maculent nos rues et nos quartiers (ex : Teisseire). Qu’attendre de ces artistes dont le talent réside dans la demande de subventions, et le succès, dans le dossier de presse ? De ces intellos pleins d’engagement pourvu que le Front soit dans un autre espace-temps, mais qui n’ont pas trouvé un mot, dix ans durant, pour dénoncer le pillage de leur ville par l’enfant prodige de la C.C.I., ci-devant ministre de la Communication ? Au fait, ils étaient trop occupés à enseigner le baratin dans leurs Instituts de Communication (n’est-ce pas, Caune, Frappat, Bougnoux ?). Qu’attendre de cette gauche dont la moitié (genre Névache) s’est vendue au corrompu, et dont l’autre moitié (genre Destot) a trouvé plus expédient de traiter avec le corrupteur ? Qu’attendre d’un adjoint à la Culture (Gleizal) sinon qu’il soit en réalité un spécialiste de la police et du maintien de l’Ordre ? Qu’attendre de ce policier cultivé sinon la grotesque prestation du Groupe O, groupe dadaïste municipal - et subventionné ?

X - Stendhal vous l’avait bien dit : "Tout ce qui est bas et plat dans le genre bourgeois me rappelle Grenoble, tout ce qui me rappelle Grenoble me fait horreur, non, horreur est trop noble, mal au cœur. Grenoble est pour moi comme le souvenir d’une abominable indigestion, il n’y a pas de danger mais un effroyable dégoût."

Le Bacalier Vlan
Grenoble, février 2000