Voici l’extrait d’un monologue de Blanche Gardin à propos de la technologie (ici) où la comédienne explique à des centaines de spectateurs ce qu’est « la honte prométhéenne ». C’est-à-dire la honte des hommes - limités, faillibles et fragiles - devant l’inhumaine perfection des machines qu’ils fabriquent. On doit le concept au philosophe Günther Anders, dans son livre L’Obsolescence de l’homme, publié en 1956 et traduit en français en 2002, par L’Encyclopédie des nuisances et les Editions Ivrea.

Blanche Gardin démontre aux spectateurs qu’à rebours du surcroît de puissance et d’autonomie que nous vendent les fabricants de machines, le technicole contemporain, à la merci de ses prothèses technologiques, est en fait un homme diminué par rapport à ses ancêtres de l’âge de pierre.

Que Blanche Gardin soit la fille d’un linguiste et d’une traductrice, et titulaire d’un DEA de sociologie, ça peut l’aider pour lire Anders, ou retrouver ses raisonnements, mais ça sert beaucoup moins pour « instruire en faisant rire » (Horace, La Fontaine, Molière, etc.). Pour cela il faut de l’esprit et, comme l’explique cette ancienne éducatrice de rue, de l’ attention et du travail :
« Je suis à l’écoute des gens : c’est le public qui décide de ce qui est drôle ou pas. Moi je ne retire jamais des sujets : quand je suis persuadée que je tiens une idée, je vais à la guerre, je le retravaille jusqu’à faire résonner l’idée chez les gens. En ce moment, j’ai un passage sur les nouvelles technologies qui n’est pas encore tout à fait au point. Je le retravaille pour essayer d’arriver au meilleur du sujet. Au début, c’était vraiment lourd, je me disais : « "Mais qu’est-ce que tu fous, on dirait une conférence TED, les gens se font chier !" » (Télérama, 12/06/2017)

En somme, cette fille de Zazie, dit comme sa devancière : « Ya pas que la rigolade, ya l’art aussi ». (Cf. R. Queneau, Zazie dans le métro, 1959) L’art, c’est-à-dire la vivacité et la précision de ses expressions, de son ton, de son timbre. Et bien sûr une bravoure libératrice, inouïe depuis Coluche et Fernand Raynaud. Haaa… C’était donc ça une « humoriste » ! On n’est pas forcé de se taper Sophia Aram, Charline Vanhoehecker, et tous les pesants propagandistes de France Inter ! D’où l’immense public qui rit avec elle, au nez et aux dépens de la bonne conscience, des bons sentiments et des bien-pensants.

Et comme Zazie, elle fait de la sociologie dans le métro :
« Q. La solitude liée aux nouvelles technologies semble beaucoup vous préoccuper ?
R. C’est quelque chose qui me fait flipper. Je suis en train de rétropédaler grave niveau technologie : je suis même revenue à un téléphone Alcatel (rires) ! Mais j’ai un ordinateur, Internet, et je ne vais pas aller contre la marche du monde. Par contre je ressens très fortement la solitude des gens. Je ne me sens jamais aussi seule que dans un wagon de métro à l’heure de pointe, quand tout le monde a la tête dans son smartphone. Les nouvelles technologies laissent beaucoup moins de place à l’imagination. » (Télérama, id.)

Si Blanche Gardin vous fait rire aux larmes, c’est qu’elle a compris que ce monde était aussi risible qu’horrible, et qu’on devait donc en rire ou en pleurer pour les mêmes raisons.
Nous, dans notre grotte éclairée à la bougie, nous avons avec elle quelques points communs ; un ordinateur, Internet, un téléphone filaire… Bref, nous vivons dans ce monde, même si nous tâchons d’en contrarier la marche et, comme Blanche Gardin, de « faire résonner l’idée chez les gens ». Nous avons aussi des différences. Nos films sont beaucoup moins drôles et n’ont aucun succès – d’ailleurs vérifiez-vous-mêmes :
 N’achetez rien. Déconnectez-vous
 La révolte des chimpanzés du futur
 RFID, la police totale : le film